Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Par une ordonnance du 15 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 15 nov. 2019, n° 1902037) a considéré que l’article 6 de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes (JORF, n°0181, 5 août 2016, texte n° 10) ne dispense en aucun cas de l’étude d’impact prévu par l’article R. 122-5 du code de l’environnement, les demandes d’autorisation unique qui concernent les infrastructures ayant auparavant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, avant le 16 mai 2017.
La juridiction motive ainsi sa position :
« l’article 6 de l’ordonnance n°2016-1058 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, dans sa version issue de l’article 65 de la loi n°2017-257 du 28 février 2017, dispose que cette ordonnance s’applique «aux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale systématique pour lesquels la première demande d’autorisation, notamment celle qui conduit à une déclaration d’utilité publique, est déposée à compter du 16 mai 2017». Il ne ressort toutefois ni de la lettre de la loi, qui utilise l’adverbe notamment, ni de l’intention du législateur, qui, ainsi qu’il résulte de l’exposé sommaire de l’amendement CL175 le 6 décembre 2016, a seulement entendu codifier la jurisprudence du Conseil d’Etat, que cette disposition aurait pour objet de faire obstacle à l’application des dispositions de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, issues du décret n°2016-1110 du 11 août 2016 transposant la directive 2011/92/UE, aux demandes d’autorisation environnementale unique concernant des infrastructures ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique avant le 16 mai 2017 ».
Effectivement dans l’hypothèse d’un projet nécessitant la délivrance de plusieurs autorisations, ce qui est le cas du Grand Paris express, la jurisprudence considère que la première demande d’autorisation de chacun de ces projets peut être celle qui conduit à la déclaration d’utilité publique : cf. (CE, 2 juin 2003, UFC «Que choisir – Côte d’or», n° 243215 et 15 avril 2016, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, n° 387475).
Pour garantir au Grand Paris express le bénéficie des assouplissements introduits par l’ordonnance, l’amendement précité proposait effectivement de transposer cette solution jurisprudentielle en matière d’évaluation environnementale (Rapport n° 4293 de première lecture de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Patrick Mennucci, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, p. 266.)
On relèvera encore que pour se déclarer compétente pour connaître de cette affaire le Tribunal administratif a du considérer qu’elle relevait pas de la compétence d’attribution à la CAA de Paris des contentieux afférents aux infrastructures « nécessaires » aux jeux olympique Olympiques et Paralympiques de 2024 et issue de l’article R. 311-2 du Code de Justice administrative. Pour le Tribunal ce qui est nécessaire doit être indispensable aux jeux, même si l’affectation de l’infrastructure n’y est pas exclusive.
Mais cette décision avant dire droit doit surtout retenir l’attention pour l’usage que fait le juge de l’autorisation environnementale de ses pouvoirs d’administrateur.
En l’espèce, plusieurs associations et un collectif (les associations France Nature Environnement Ile-de-France, le Collectif pour le Triangle de Gonesse, les Amis de la Confédération paysanne, les Amis de la terre du Val d’Oise, le Mouvement national de lutte pour l’environnement, Val d’Oise environnement, «des Terres pas d’hypers!», Environnement 93, le Réseau associations pour le maintien d’une agriculture paysanne en Ile-de-France et Vivre mieux ensemble à Aulnay-sous-Bois), demandaient au tribunal administratif de Montreuil d’annuler l’arrêté inter-préfectoral des préfets de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val d’Oise en date du 24 octobre 2018 autorisant la création et l’exploitation de la ligne 17 Nord du réseau de transports du Grand Paris Express entre le Bourget et le Mesnil-Amelot.
Le projet d’une grande envergure impliquait la perturbation ou la destruction de plusieurs espèces protégées, des modifications du mode d’écoulement des eaux, mais aussi le déchiffrement de zones boisées ce qui explique que l’autorisation environnementale était sollicitée à la fois au titre d’ICPE, de IOTA, d’un défrichement et d’une dérogation espèce protégée. Or le dossier a suscité des avis critique de l’autorité environnementale et défavorable du Conseil national de la nature.
Les associations et le collectif requérants estimaient donc l’étude d’impact comme insuffisante au regard des impacts environnementaux et l’arrêté comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux prescriptions particulières relatives à la dérogation au titre des espèces et habitats protégés.
Rappelant la jurisprudence OCREAL, le jugement précise d’emblée que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 14/10/2011, 323257).
Or s’agissant de s’agissant des prélèvements et rejets des eaux d’exhaure, le Tribunal que les omissions pour être démontrées n’ont pas eu d’effet sur la décision prise. Certes « les requérantes font valoir que les précisions chiffrées relatives aux volumes rejetés en nappe, qui correspondent à moins de 3% du total des prélèvements, sont contradictoires avec la mention selon laquelle le principe de réinjection totale ou partielle vers la nappe est retenu en qualité de solution prioritaire, partout où cette solution s’avèrera réalisable » ; mais cette circonstance n’est pas, eu égard notamment au caractère prospectif de ces termes et à la précision des mentions chiffrées, « de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
Au contraire, le moyen fait mouche s’agissant de l’analyse du cumul des incidences avec d’autres projets connus :
« il résulte de l’instruction que le projet de la ZAC du Triangle de Gonesse relatif à l’urbanisation de la zone située à l’est du centre-ville de Gonesse où doit s’implanter la gare du Triangle de Gonesse, dont il est constant qu’elle a fait l’objet d’une évaluation environnementale et d’un avis de l’autorité environnementale rendu public, comporte une « interface forte » avec le projet litigieux. L’étude d’impact dresse une liste des effets cumulés potentiels, tels notamment le fort risque d’engorgement des voies d’évacuation et des centres de stockage pendant les chantiers, en raison de leur proximité et de leur concomitance, l’existence d’un effet piézométrique supplémentaire sur les eaux souterraines, la consommation d’espaces agricoles et favorables aux espèces protégées, l’altération forte temporaire et éventuellement prolongée d’un paysage agricole fragilisé ou le caractère majoré des émissions de gaz à effet de serre et de poussières ainsi que de polluants lors de chantiers concomitants. Ces descriptions qualitatives ne sont toutefois accompagnées, sauf en ce qui concerne la superficie d’espaces agricoles consommée, ni d’une analyse quantitative des effets de ce cumul, ainsi que l’a d’ailleurs constaté l’autorité environnementale dans son avis du 10 janvier 2018, ni de la définition d’une méthodologie permettant une telle appréhension quantitative, ni de la prévision de mesures associées destinées à atténuer ou réparer les incidences sur l’environnement de la réalisation en partie concomitante de ces deux projets sur les mêmes sites. Il est au surplus constant que l’étude d’impact ne prend pas en considération les incidences de la réalisation éventuelle de la ZAC du Triangle de Gonesse sur les mesures d’atténuation des effets sur l’environnement du projet de ligne 17 ».
Par suite, l’étude d’impact n’est pas regardée comme ayant décrit les problèmes environnementaux pouvant résulter du cumul du projet litigieux avec celui de la ZAC du Triangle de Gonesse, ainsi que l’impose le e) du 5° de l’article R. 122-5. Et selon le jugement « eu égard à son importance, cette lacune a nécessairement eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. Il s’ensuit que les requérantes sont fondées à soutenir que l’étude d’impact est insuffisante en ce qu’elle n’a pas procédé à une présentation suffisante des incidences cumulées du projet litigieux avec celui de la ZAC du Triangle de Gonesse.
Mais ce n’est pas tout, un deuxième motif d’illégalité vicie l’autorisation environnementale, s’agissant de la dérogation de destruction d’espèces naturelles, qui se trouve entachée d’une erreur manifeste d’appréciation :
« ainsi que le conseil national de protection de la nature (CNPN) l’a souligné dans ses avis du 8 janvier et du 11 avril 2018, […] ni l’étude d’impact ni aucune pièce jointe au dossier de demande d’autorisation ne comporte d’élément, ou même de méthode d’analyse quantitative, permettant d’estimer les gains de biodiversité envisageables sur les sites de compensation retenus. Si à la suite du premier avis du CNPN, la société du Grand Paris s’est engagée à réaliser des inventaires et si l’arrêté litigieux prévoit en son article 27.4 qu’une méthode d’analyse quantitative des gains potentiels apportés par les mesures de compensation sera développée par le pétitionnaire avant le 31 décembre 2019, ces études à venir, dont les résultats sont incertains, ne peuvent être regardées comme permettant de démontrer que les mesures de compensation prévues sont suffisantes. Par suite, à la date du présent jugement, aucune étude empirique ni aucune projection scientifique ne permet d’évaluer les gains de biodiversité pouvant être attendus sur les sites de compensation retenus et, partant, d’apprécier si le projet, dans sa globalité, tend vers l’objectif de l’absence de perte nette de biodiversité prévu par l’article L. 411-2 précité. L’arrêté attaqué doit, par conséquent, être regardé comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il estime, sans disposer d’aucun élément quantitatif précis, que les mesures de compensation prévues sont suffisantes pour permettre le maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces protégées auxquelles il est porté atteinte ».
Mais si le tribunal estime que les deux éléments susmentionnés entachent d’illégalité l’autorisation environnementale, les lacunes sont toutefois considérées avant dire droit comme susceptibles d’être régularisées, et cela sur le fondement de l’article L. 181-18 du code de l’environnement (disponible ici). Aux termes de cette disposition , lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité de la décision, le juge de l’autorisation environnementale peut rendre un jugement par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Cela est possible uniquement si l’autorisation peut être régularisée par une décision modificative.
Fort de leur appréciation souveraine, le Tribunal estime que « ce vice de procédure peut être réparé par des compléments apportés à l’étude d’impact », et que « l’erreur manifeste entachant l’arrêté d’être régularisée par la réalisation de l’analyse quantitative des gains de biodiversité induits par les dispositifs envisagés et, éventuellement, par la prévision de mesures de compensation complémentaires ».
Les juges sursoient à statuer sur une période de douze mois. Le tribunal laisse avec ce délai la possibilité pour le maître d’ouvrage et l’administration de compléter les études préalables et, éventuellement, d’étendre les mesures destinées à compenser les atteintes aux espèces protégées.
Le tribunal administratif de Montreuil applique ici les avis du Conseil d’État en matière d’autorisation environnementale (CE, 22 mars 2018, n° 415852 ; CE, avis, 27 septembre 2018, n° 420119).
Cette décision avant dire droit propose encore de régulariser deux moyens d’illégalité et non un seul.
Cette possibilité avait été reconnue par le Conseil d’Etat dans son avis Novissen qui vise bien l’hypothèse d’une régularisation de plusieurs vices (cf. § 3 Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 22/03/2018, 415852, Publié au recueil Lebon).
Le cas d’application illustré par l’ordonnance commentée doit d’autant plus retenir l’attention qu’une Cour a refusé d’appliquer une telle solution dans un contentieux éoliens au motif que les vices de l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale et le défaut des capacités techniques et financières « affectent deux phases distinctes de la procédure d’instruction de la demande d’autorisation, dès le commencement de celle-ci » (CAA de DOUAI, 1ère chambre, 15/10/2019, 18DA00242, Inédit au recueil Lebon).
Or là encore la décision commentée appréhende avec subtilité l’obstacle d’un raisonnement étriqué d’une régularisation focalisée sur la notion phase, trompeuse dans ses effets.
Ainsi au moins implicitement, de façon fort adroite le Tribunal de Montreuil rattache à une phase pour mieux s’affranchir de cette condition textuelle le premièrement de l’article L181-18 du code de l’environnement, bien évidemment à articuler avec le deuxièmement de la même disposition :
« En premier lieu, d’une part, il résulte de l’instruction que le vice résultant de l’insuffisance de l’étude d’impact quant à l’analyse des incidences cumulées du projet avec celui de la ZAC du Triangle de Gonesse concerne la phase d’examen du projet. Ce vice de procédure peut être réparé par des compléments apportés à l’étude d’impact. Dans le cas où ces éléments, qui devront être présentés en tenant compte d’éventuels changements significatifs des circonstances de fait, comporteraient des modifications substantielles par rapport à ceux portés à la connaissance du public à l’occasion de l’enquête publique, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l’environnement.
D’autre part, il résulte de l’instruction que l’erreur manifeste entachant l’arrêté litigieux quant à l’appréciation de la suffisance des mesures de compensation prévues est susceptible d’être régularisée par la réalisation de l’analyse quantitative des gains de biodiversité induits par les dispositifs envisagés et, éventuellement, par la prévision de mesures de compensation complémentaires. »
Ici au final l’erreur manifeste d’appréciation touche la décision en tant que dernière phase de la procédure d’autorisation ce que tait le jugement avant dire droit ; au contraire, le tribunal explicite l’insuffisance de l’étude d’impact comme relevant de la phase d’examen. Or l’erreur manifeste commise résulte elle-même d’un défaut des mesures de compensation qui auraient eux aussi se trouver dans l’étude d’impact.
Selon ce raisonnement, les vices qui peuvent se rattacher à la même phase même s’ils en impactent une autre peuvent être régularisés.
Autre intérêt du jugement commenté, les juges suspendent les travaux sur une partie du terrain d’assiette du projet. Toutefois, les travaux se poursuivent sur une partie du projet, compte tenu que « leur suspension est susceptible de rendre l’exécution des travaux plus onéreuse et de compromettre leur réalisation dans les délais initialement projetés ». Cette absence de suspension sur l’ensemble du projet est motivée par le fait que certaines espèces protégées auraient également été aperçues sur d’autres sites et que la poursuite des travaux « n’est pas de nature à avoir des conséquences graves et irréversibles en ce qui concerne la conservation » de l’espèce.