Espèces protégées : intérêt public présumé et droit au recours

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
La dimension politique de la séparation des pouvoirs et du constitutionnalisme a pris tout son sens à la lecture de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Ce mouvement d’idées, issu de l’École du droit naturel et de la philosophie des Lumières, a conduit à la rédaction de constitutions écrites et a considérablement contribué aux théories de l’État de droit.
Plus de deux cents ans après, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen peut encore servir d’argument lié à la saisine du Conseil constitutionnel.
Le 23 octobre 2023 a été promulguée la loi n° 2023-973 relative à l’industrie verte (JORF n°0247 du 24 octobre 2023).
Le 11 septembre 2024, l’Association « Préservons la forêt des Colettes » a demandé au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l’article L. 411-2-1 du Code de l’environnement.
Cette demande était présentée à l’appui d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-740 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d’intérêt national majeur l’extraction et la transformation de lithium par la société Imérys dans l’Allier (JORF n°0160 du 7 juillet 2024).
Le 10 décembre 2024, le Conseil d’État a donc saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.
La loi Industrie verte est-elle conforme à la Constitution ?
Le Conseil constitutionnel a répondu à cette question par l’affirmative : dans une décision rendue le mercredi 5 mars 2025, il a jugé que l’alinéa 2 de l’article L. 411-2-1 du Code de l’environnement était conforme à la norme suprême (décision commentée : CC, 5 mars 2025, n° 2024-1126 QPC).
Ce second alinéa, dans sa rédaction résultant de la loi Industrie verte, dispose que :
« Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c. ».
Ces dispositions prévoient donc la possibilité de reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur à des projets industriels qualifiés par décret de projet d’intérêt national majeur : cette possibilité facilitait ainsi l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées.
Également, la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours direct contre le décret et non, par la voie d’une exception d’illégalité, à l’appui d’un recours contre l’acte accordant la dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées.
Les requérants reprochaient donc à ces dispositions, d’une part, de ne pas préciser suffisamment les critères permettant de reconnaître de façon anticipée une raison impérative d’intérêt majeur, permettant ainsi à l’Administration de se livrer à une appréciation discrétionnaire alors qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer les incidences concrètes du projet sur l’environnement et, d’autre part, de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Ainsi seraient potentiellement méconnus les articles 1er, 2, 5 et 7 de la Charte de l’environnement, mais aussi l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Les gardiens de la Constitution ont rejeté l’ensemble de ces griefs. Pour ce faire, ils ont d’abord analysé l’intention du législateur :
« En premier lieu, il résulte des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu réduire l’incertitude juridique pesant sur certains projets industriels. Il a donc poursuivi un objectif d’intérêt général » (décision commentée : CC, 5 mars 2025, n° 2024-1126 QPC, point 9).
Ensuite, les Sages ont précisé la possibilité de contestation :
« En deuxième lieu, si ces dispositions privent un requérant de la possibilité de contester la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées, cette restriction ne s’applique que dans le cas où cette reconnaissance bénéficie à des projets industriels qualifiés d’intérêt national majeur en raison de leur importance pour la transition écologique ou la souveraineté nationale » (décision commentée : CC, 5 mars 2025, n° 2024-1126 QPC, point 11).
Enfin, la Haute Juridiction a rejeté le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
« En dernier lieu, d’une part, la reconnaissance de la raison impérieuse d’intérêt public majeur peut être contestée à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret qualifiant le projet industriel de projet d’intérêt national majeur.
D’autre part, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la possibilité ouverte à toute personne ayant un intérêt à agir de demander, dans les conditions du droit commun, l’abrogation des décrets prévus par les dispositions contestées devenus illégaux en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur édiction et de former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus explicites ou implicites.
Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Le grief tiré de la méconnaissance d’un tel droit doit donc être écarté » (décision commentée : CC, 5 mars 2025, n° 2024-1126 QPC, points 11, 12, 13).
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