Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant (Green Law Avocats)
Les sports mécaniques en pleine nature sont de plus en plus surveillés et leurs organisateurs ne peuvent plus ignorer le cadre juridique environnemental qui s’imposent à eux.
Ainsi, pour perdurer, l’Enduropale du Pas-de-Calais a-t-il dû finalement renoncer à son célèbre et épique « goulet » dans les dunes classées Natura 2000, pour être couru exclusivement sur un circuit d’une dizaine de kilomètres totalement artificialisé en ligne droite sur les plages de Cucq et du Touquet.
Pour sa part, la 32ème croisière blanche a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille en 2009 (à l’initiative de FNE) avant que leurs organisateurs y renoncent purement et simplement pour lui faire quitter les chemins ruraux et lui faire emprunter asphalte.
En appel au fond, le juge administratif n’avait pu que confirmer qu’ « qu’eu égard à la nature de la randonnée en litige, à sa localisation à proximité de secteurs naturels faisant l’objet d’une protection communautaire en raison de leur sensibilité environnementale, et à la période à laquelle elle se déroulait, la préfète des Hautes-Alpes a, en autorisant cette manifestation, fait une insuffisante appréciation des intérêts écologiques à protéger » (CAA Marseille, 22 novembre 2011, n° 09MA02823).
Depuis le droit s’est modernisé et adapté pour éviter en particulier les annulations dites sèches. La manifestation bien connue des « quadeurs » de Pont-de-Vaux vient à son tour de faire les frais de cette confrontation à l’ordre public.
Reste que les nouveaux pouvoirs reconnus au juge-administrateur en matière d’autorisation environnementale depuis 2017 devraient permettre de sauver ce rassemblement emblématique dans l’univers du quad.
Par un jugement du 9 décembre 2022, le tribunal administratif sursoit en effet à statuer sur la demande tendant à l’annulation de l’arrêté de la préfète de l’Ain autorisant la commune de Pont-de-Vaux à procéder aux aménagements d’un circuit de sports motorisés en bordure de Saône et à l’utiliser sur une période annuelle de quatre jours en août et accorde un délai de six mois pour régulariser l’autorisation (téléchargeable ci-dessous).
Depuis 35 ans, l’association motocycliste de Pont-de-Vaux organise annuellement une manifestation sportive de quad, d’une durée de quatre jours à la fin du mois d’août, sur un circuit aménagé mis à disposition par la commune.
Après avoir mis en demeure l’association de procéder à la régularisation administrative de ce circuit en déposant une demande d’autorisation environnementale, la préfète de l’Ain l’a délivrée par arrêté du 18 novembre 2020 à la commune de Pont-de-Vaux une autorisation environnementale pour les aménagements du circuit de sports motorisés et son utilisation annuelle sur une période restreinte de quatre jours à la fin du mois d’août.
Le tribunal a été saisi par une association et un collectif de riverains, d’une demande d’annulation de cet arrêté. Au soutien de leur contestation, les requérants ont vainement invoqué les moyens tirés de l’insuffisance de l’étude d’impact, de la méconnaissance du PPRI Confluence Saône Reyssouz, de l’incompatibilité de l’opération avec les orientations du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Rhône-Méditerranée, de l’atteinte à la sécurité des populations au regard du risque d’inondation, de l’atteinte à la préservation de la zone humide, de la méconnaissance de l’interdiction de perturbation et de destruction des espèces animales et végétales protégées et enfin de l’atteinte à l’objectif de conservation du site Natura 2000.
Le tribunal après avoir rappelé les principales dispositions applicables et le champ de son contrôle écarte l’ensemble de ces moyens.
On doit néanmoins souligner que compatibilité avec le SDAGE a été admise par le juge, au prix d’un raisonnement sur la compensation de la suppression de zone humide qui peut être discutée, non seulement au regard des droits acquis retenus au titre de la loi de 1992 sur l’eau, mais aussi par rapport à l’invocation de l’avis de l’AE et le refus de surcroît de prendre en compte des circonstances au jour du jugement (cf. infra les considérants 14,15 et 16).
En revanche, s’agissant du dernier moyen de la requête, tiré de l’atteinte excessive portée à la tranquillité du voisinage résultant de l’opération projetée, le tribunal indique d’abord qu’il incombe à l’exploitant d’un circuit motorisé de veiller au respect des valeurs limites d’émergence fixées par l’article R. 1336-7 du code de la santé publique et qu’une autorisation environnementale ne peut être accordée lorsqu’elle a pour effet de permettre à l’activité autorisée de fonctionner dans des conditions qui conduiraient, de façon structurelle, au non-respect de ces valeurs.
Il relève ensuite qu’il ressort des résultats de l’étude acoustique réalisée en 2016 et annexée à l’étude d’impact, autant que de ceux d’une seconde étude acoustique réalisée en 2021 à la demande des requérants, que les émergences sonores globales résultant du fonctionnement du circuit motorisé de Pont-de-Vaux excèdent nettement les seuils fixés par les dispositions de l’article R. 1336-7 du code de la santé publique dans différentes zones du voisinage.
Le tribunal mentionne en particulier que ces seuils sont systématiquement dépassés en période nocturne du fait des compétitions ou des évènements festifs organisés à l’issue, mais également en période diurne pour les habitations les plus proches du circuit.
A cet égard, le tribunal constate que l’arrêté d’autorisation en litige du 18 novembre 2020, est assorti de prescriptions relatives aux nuisances sonores, telles que l’obligation de mise en œuvre d’actions de sensibilisation du public, l’obligation de réaliser une étude acoustique à chaque tenue de l’évènement, et qu’il fixe un objectif général de « non dégradation de l’ambiance sonore décrite dans le dossier d’enquête publique ».
Si cet arrêté règlemente également le niveau sonore des moteurs des véhicules, et interdit ainsi la réalisation des travaux de montage et démontage des installations le soir entre 20h et 7h, ainsi que les dimanches et jours fériés, le tribunal considère toutefois que, tant la nature très générale de ces prescriptions que les résultats de l’étude acoustique effectuée en 2021, postérieurement à la délivrance de l’autorisation, révèlent que les obligations mises à la charge de l’organisateur sont manifestement insuffisantes à assurer le respect des dispositions du code de la santé publique.
En conséquence, le tribunal estime que, en l’état, l’arrêté contesté autorise le circuit à fonctionner dans des conditions conduisant, de façon structurelle, au non-respect des valeurs limites d’émergence fixées par le code de la santé publique.
Pour ce motif, l’autorisation environnementale a été accordée en méconnaissance des dispositions du code de l’environnement et du code de la santé publique régissant les atteintes portées à la tranquillité du voisinage. Il juge que l’arrêté de la préfète de l’Ain du 18 novembre 2020 est par suite, entaché d’illégalité.
Cependant, d’une part, en application du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, le juge administratif saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, qui, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, estime qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe pour cette régularisation.
Estimant en l’espèce que le vice entachant d’illégalité l’autorisation environnementale contestée pourrait être régularisé par l’ajout de prescriptions complémentaires de nature à réduire les émergences sonores de l’événement, le tribunal décide de surseoir à statuer dans l’attente de l’intervention d’une autorisation modificative, et d’impartir à la commune de Pont‑de-Vaux un délai de six mois à compter de la notification du jugement pour justifier de cette régularisation.
D’autre part, en application du II de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, en cas de sursis à statuer affectant une partie seulement d’une autorisation environnementale, le juge détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation non viciées.
En l’espèce, le tribunal considère que le vice retenu, résultant de l’insuffisance des prescriptions de nature à assurer la tranquillité du voisinage, n’a d’impact que lors de l’utilisation annuelle du circuit et qu’il n’y a, en conséquence, pas lieu de suspendre l’exécution de l’arrêté du 18 novembre 2018 dans l’attente de sa régularisation éventuelle.