Maître Alix-Anne SAURET , Avocate collaboratrice (Green Law Avocats)
Dans un arrêt du 22 novembre 2022, la CAA de Bordeaux est venue préciser les conséquences du renoncement à un droit d’eau fondé en titre en cas d’acquisition postérieure à la perte du droit fondé en titre. (CAA Bordeaux, 22 nov. 2022, n° 20BX03159, téléchargeable ci-desssous).
Pour rappel, il est de jurisprudence constante que « sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’eau sur des cours d’eaux non domaniaux qui, soit ont fait l’objet d’une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux ; qu’une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date » (CE, 5 juillet 2004, n° 246929, Lebon).
Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’affirmer que le droit fondé en titre étant un droit réel attaché au moulin et non à la personne du propriétaire, en cas de vente à un nouveau propriétaire, celui était, sauf clause contraire, transmis à l’acquéreur (CE 17 juin 2020, n° 426887, Lebon).
Néanmoins, les ventes de moulins auxquels sont attachés des droits fondés en titre peuvent donner lieu à de nombreux litiges notamment lorsque le droit d’eau a été perdu.
Pour rappel, un droit d’eau fondé en titre peut être perdu dans deux cas de figure :
- Lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ;
- Lorsque le propriétaire du moulin y renonce expressément.
Suite à une visite diligentée par les services de l’ONEMA, un rapport de visite avait été établi le 23 janvier 2014 dont il ressortait que : « les vannes de décharge situées à l’entrée du bief n’étaient plus fonctionnelles, qu’un rideau de palplanches situé en amont empêchait tout écoulement d’eau dans le bief et toute gestion du niveau d’eau dans ce canal, que ce canal était envasé et très encombré par de la végétation et que la roue ou la turbine employant la force motrice de d’eau n’existait plus, ainsi que l’ancien ouvrage de répartition des eaux entre le bief et le déversoir. ».
Par suite, les propriétaires du moulin ont été destinataires le 9 juillet 2014 d’un arrêté portant abrogation du règlement d’eau, lequel constatait également la perte du droit fondé en titre et imposait dans un délai de deux ans la suppression du déversoir, des vannes et des palplanches de l’ouvrage.
Puis, le 2 décembre 2016 un contrat de vente du moulin avait été conclu avec de nouveaux acquéreurs., qui par un arrêté du 30 mars 2018 avaient été mis en demeure de se conformer à l’arrêté du 9 juillet 2014 précité et donc de supprimer les ouvrages.
Les nouveaux acquéreurs du moulin avaient alors sollicité du tribunal administratif de Poitiers l’annulation de l’arrêté ayant constaté la perte du droit fondé en titre et ordonné la suppression des ouvrages et la mise en demeure de se conformer à cet arrêté. Par un jugement n°1801226 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a toutefois rejeté les demandes des requérants lesquels ont alors interjeté appel.
La Cour adopte alors un raisonnement en deux temps.
Dans un premier temps, elle écarte le moyen tiré de la ruine des ouvrages essentiels du moulin en rappelant que l’état de ruine ne s’entend pas uniquement d’un mauvais état des ouvrages ou d’une inutilisation longue mais de la disparition des ouvrages ou de la nécessité d’en assurer la reconstruction complète :
« La force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété. Il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète.
Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de renseignement judiciaire établi le 23 janvier 2014 par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, sur lequel la préfète des Deux-Sèvres s’est appuyée pour constater la perte du droit d’eau attaché au moulin Neuf, que les vannes de décharge situées à l’entrée du bief n’étaient plus fonctionnelles, qu’un rideau de palplanches situé en amont empêchait tout écoulement d’eau dans le bief et toute gestion du niveau d’eau dans ce canal, que ce canal était envasé et très encombré par de la végétation et que la roue ou la turbine employant la force motrice de d’eau n’existait plus, ainsi que l’ancien ouvrage de répartition des eaux entre le bief et le déversoir. En revanche, il ne résulte d’aucun élément de l’instruction, et notamment pas de ce rapport, que les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice de l’eau avaient disparu ou qu’il n’en restait que de simples vestiges de sorte qu’ils auraient dû être reconstruits pour être utilisés. Aucune ruine du seuil, notamment, n’a été relevée et aucune des constatations faites ne permet de conclure que l’enlèvement des palplanches et le nettoyage du canal d’amenée n’auraient pas suffi à la remise en état de la prise d’eau. Ainsi, et alors même que le moulin n’aurait pas fonctionné depuis plus de 40 ans et que les roues ou turbines d’usinage de l’eau, qui ne sont pas des éléments essentiels de l’ouvrage, auraient disparu, le droit d’eau attaché au moulin Neuf ne peut être regardé comme ayant été perdu du fait de la ruine des ouvrages permettant l’utilisation de la force motrice de l’eau. »
Puis dans un second temps, elle accueille le moyen tiré de la perte du droit fondé en titre du fait du renoncement exprès des anciens propriétaires, renoncement établi en l’espèce par plusieurs attestations des propriétaires et l’absence de mention de l’existence du droit fondé en titre dans l’acte de vente :
« Toutefois, il résulte de l’instruction que le 4 avril 2014, postérieurement au rapport établi par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques le 23 janvier 2014, M. B…, ancien propriétaire du moulin a attesté par écrit donner son accord à la proposition des services de la direction départementale des territoires de « supprimer le droit d’eau » du moulin Neuf. Il a également, en 2014, signé une convention avec le syndicat mixte de la vallée du Thouet en vue de la réalisation des travaux de restauration de la continuité écologique au niveau du moulin Neuf comportant notamment la démolition du seuil et du déversoir, sous la maîtrise d’ouvrage du syndicat mixte et avec les financements de celui-ci et de ses partenaires financiers. Son ex-épouse, également propriétaire du site, a signé cette convention le 22 octobre 2015. Ainsi, les anciens propriétaires du moulin doivent être regardés comme ayant expressément renoncé au droit d’eau attaché au moulin Neuf. Au demeurant, l’acte de vente de leur propriété à M. et Mme C…, du 2 décembre 2016, ne fait pas mention d’un droit fondé en titre mais seulement de « parcelles de terre agricole sur lesquelles est édifié un bâtiment en ruine ». Dans ces conditions, le droit réel immobilier constitué par le droit fondé en titre attaché au moulin Neuf doit être regardé comme ayant été éteint par la renonciation des propriétaires à ce droit, de sorte que ce droit n’a pu être transmis à M. C… et à son épouse lorsqu’ils ont acquis la propriété du site. ».
La renonciation des anciens propriétaires du moulin dès lors qu’elle conduit à l’extinction du droit fondé en titre, prive ainsi les nouveaux propriétaires de la possibilité de se prévaloir de l’existence du droit fondé en titre pour solliciter l’annulation de l’arrêté portant abrogation du règlement d’eau, et suppression des ouvrages ainsi que de la mise en demeure associée.
En cas d’acquisition d’un moulin fondé en titre, il convient donc pour les acquéreurs de faire preuve de vigilance car la perte du droit fondé en titre si elle est avérée, leur sera opposable.