Par un arrêt en date du 25 septembre 2013 « Sté G… et autres » (req. n° 358923, consultable ici), le Conseil d’Etat juge, sur le fondement de la police des déchets, qu’en l’absence du producteur ou d’un détenteur connus des déchets résultant de l’exploitation d’une installation classée, le propriétaire du terrain, siège de la pollution, pourra être qualifié de détenteur desdits déchets. Ainsi, si le propriétaire a fait preuve de négligence en laissant à l’abandon les déchets, celui-ci sera tenu de responsable pour leur élimination.
Cet arrêt constitue la dernière étape d’un contentieux vieux d’une vingtaine d’années, ayant suscité une autre jurisprudence de principe bien connue des environnementalistes, comme de ses faits d’ailleurs : sur un terrain dont elle est propriétaire, la société Wattelez exploitait une usine de régénération de caoutchouc. En 1989, la société Eureca rachète l’usine et en devient exploitante. Lorsque cette dernière fait l’objet d’une liquidation judiciaire en 1991, elle a laissé sur le terrain – propriété de la société Wattelez – plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés.
Alors que sur le fondement de la police ICPE, le préfet avait mis en demeure la société Wattelez d’éliminer les déchets entreposés, le Conseil d’Etat, saisi en cassation, a jugé que ladite société, en sa seule qualité de propriétaire des terrains et installations, ne pouvait être tenue d’éliminer les pneumatiques (CE, 21 févr. 1997, Ministre de l’environnement, req. n° 160787).
C’est ensuite sur le fondement de la police des déchets que le maire de la commune de Palais-sur-Vienne avait mis en demeure la société Wattelez d’éliminer les déchets en cause en tant que détenteur des déchets.
La notion de détenteur issue de l’ancienne directive mère de 1975 relative aux déchets (n° 75/442/CEE, refondue par la directive n° 2006/12/CE du 5 avril 2006 : JOUE n° L 114 du 27 avril 2006) a été reprise à l’article L. 541-2 du code de l’environnement, qui en tire la conclusion selon laquelle le détenteur est tenu d’assurer ou de faire assurer l’élimination des déchets.
Saisi une nouvelle fois en cassation (CE, 26 juillet 2011, Cme de Palais-Sur-Vienne, req. n° 328651), le Conseil d’Etat énonce, sur le fondement de la police sur les déchets, que : «(…) le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ».
Dans son arrêt statuant sur renvoi du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1er mars 2012, Société C et autres, n° 11BX01933) suivait la Haute juridiction en caractérisant la négligence de la société propriétaire du terrain.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat était appelé à statuer le 25 septembre dernier sur la requête de la même société contre l’arrêt de la CAA de Bordeaux. Dans un considérant de principe, les juges du Palais-Royal affirment : « Considérant que sont responsables des déchets au sens de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions des articles 1er, 8 et 17 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative aux déchets, les seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; qu’en l’absence de tout producteur ou de tout autre détenteur connu, le propriétaire du terrain sur lequel ont été déposés des déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets ; »
Le Conseil d’Etat pose ainsi deux conditions pour que le propriétaire d’un terrain puisse être tenu pour responsable de l’élimination des déchets :
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Pour qualifier le propriétaire du terrain d’ultime détenteur des déchets entreposés sur le terrain, il faut que le producteur des déchets ou tout autre détenteur des déchets – en pratique, celui-ci qui les a en sa possession – soient inconnus ou aient disparus (CE, 1er mars 2013, Société Natiocrédimurs et société Finamur, req. n° 354188) ;
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Quant au propriétaire, en tant que détenteur des déchets, il a fait preuve de négligence dans la gestion des déchets. Autrement dit, pour reprendre la fameuse fiction du droit civil, c’est « en bon père de famille » que le propriétaire aurait du les éliminer ou bien a minima ne pas les abandonner mais les gérer de façon à ce qu’ils ne produisent pas « des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement » (Cf. article L. 541-2 du code de l’environnement).
En l’espèce et en reprenant la motivation de l’arrêt de la CAA de Bordeaux du 11 mars 2012, le Conseil d’Etat retient :
« 4. Considérant que la cour administrative d’appel de Bordeaux a notamment relevé que les déchets litigieux résultaient pour l’essentiel de l’exploitation antérieure de l’activité de régénération de caoutchouc par la société G…, que les requérants s’étaient abstenus de toute surveillance et de tout entretien du terrain en vue, notamment, de limiter les risques de pollution de la Vienne et les risques d’incendie, ni procédé à aucun aménagement de nature à faciliter l’accès au site des services de secours et de lutte contre l’incendie et qu’ils n’avaient pris aucune initiative pour assurer la sécurité du site ni pour faciliter l’organisation de l’élimination des déchets (…) et que la société G… avait refusé à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie l’autorisation de pénétrer sur le site pour en évacuer les produits toxiques et en renforcer la sécurité ; qu’au vu de l’ensemble des circonstances qu’elle a ainsi relevées, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a suffisamment répondu aux moyens soulevés devant elle sans entacher son arrêt de contradiction de motifs, a donné aux faits qui lui étaient soumis une exacte qualification juridique et n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les requérants avaient fait preuve de négligence à l’égard des abandons de déchets sur leur terrain et en en déduisant qu’ils devaient être regardés comme détenteurs de ces déchets au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement ; »
Alors que la Cour de cassation a opté pour un régime de la négligence présumée pour tenir le propriétaire détenteur des déchets abandonnés sur le terrain par la formule « à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Civ. 3ème, 11 juillet 2012, ADEME c. Mmes X… et Y…, n° 11-10478), le Conseil d’Etat lui préfère le régime de la faute prouvée qui sera donc appréciée au cas par cas par le juge administratif.
En outre, à la lecture de l’arrêt, la Haute juridiction semble ouvrir à d’autres cas dans lesquels le propriétaire pourrait être reconnu responsable de l’élimination des déchets. En effet, la formule consistant à énoncer que le propriétaire peut être reconnu comme détenteur « notamment s’il a fait preuve de négligence ». Cette formule laisse entendre qu’au-delà de la négligence, un acte positif dans la gestion de déchets pourrait être opposé au propriétaire-détenteur comme la malveillance du propriétaire refusant clairement d’éliminer les déchets ou à tout le moins de sécuriser le terrain.
En l’espèce, la négligence reprochée à la société G… semble plutôt s’apparenter à un ensemble d’actes positifs fautifs que ce soit par l’abstention dans l’entretien du terrain, dans la surveillance des déchets ayant causés plusieurs incendies et une pollution aggravée du terrain, de sécurisation des accès au terrain afin d’éviter tout risque pour la santé et la salubrité publique ou encore en refusant aux agents de l’ADEME l’autorisation de pénétrer sur le site afin d’en extraire les produits toxiques.
Sans aucun doute avec cette jurisprudence tant les propriétaires aux mains sales que ceux pollués malgré eux doivent redoubler de prudence ; en particulier ces derniers doivent a minima sécuriser le terrain.
L’arrêt « Société G… et autres » doit néanmoins demeurer d’interprétation stricte quant à son champ d’application. En fait il est désormais exclu d’appliquer la jurisprudence « Société G… et autres » pour des pollutions incorporées aux sols, dès lors que la nouvelle directive cadre sur les déchets (n°2008/98/CE du 19 novembre 2008) et sa transposition en droit national refusent la qualification aux terres non excavées : « les sols non-excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés au sol de manière permanente ne sont pas soumis à la législation des déchets » (article L-541-4-1 dans le Code de l’Environnement)). Et l’on sait qu’avant l’entrée en vigueur de cette directive par son arrêt «Van de Walle» la CJUE (CJCE, 7 septembre 2004, Affaire C-1/03) avait qualifié de déchets des terres polluées même non excavées. Dès lors on comprend qu’ici le Conseil d’Etat apprécie la légalité des décisions administratives prises avant la transposition de la directive cadre sur les déchets, soit le 17 décembre 2010, sans distinguer les terres polluées des déchets. C’est dire que depuis cette date la jurisprudence « Société G… et autres » ne s’applique qu’au dépôt de déchets en surfaces pour employer les catégories d’entendement des Installations classées qu’à la mise en sécurité du site avec une défaillance totale de l’exploitant.
Enfin à la lecture de l’arrêt « Société G… et autres » du 25 septembre 2013, certains seront peut-être tentés de projeter le raisonnement du conseil d’Etat sur la nouvelle police des sites et sols pollués instituée par l’ordonnance n°2011-253 du 10 mars 2011 (art. 1) dans le code de l’environnement. La jurisprudence des juges du fond comme du Conseil d’Etat demeurent ici à fixer. Mais rappelons que cela reviendrait à reconnaître une possibilité toujours refusée ici au préfet particulièrement sur le terrain des ICPE. Car c’est bien de cette possibilité qu’il s’agira à nouveau de trancher.
En effet pour l’application de l’article L. 556-1 du code de l’environnement, le décret n° 2013-5 du 2 janvier 2013 remet en cause la compétence du maire en matière de déchets dès lors qu’est en cause une ICPE pour prévoir avec le nouvel article R. 556-1 introduit au même code : « Lorsque la pollution ou le risque de pollution mentionné à l’article L. 556-1 est causé par une installation soumise aux dispositions du titre Ier du livre V, l’autorité de police compétente pour mettre en œuvre les mesures prévues à cet article est l’autorité administrative chargée du contrôle de cette installation. »
Décidément la quête jurisprudentielle d’un débiteur de l’obligation de remise en état du terrain pollué peut sembler interminable ! Montesquieu disait « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Gageons que la jurisprudence sur les sites et sols pollués s’affaiblit en droit positif mais peut-être pour un temps seulement d’une espèce inutile …
Valentin GUNER
Green Law avocat