Le juge judiciaire des référés ne peut pas sanctionner le défaut de dérogation espèces naturelles

Le juge judiciaire des référés ne peut pas sanctionner le défaut de dérogation espèces naturelles

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Par un arrêt du 21 décembre 2023 (Pourvoi n° 23-14.343) et déjà relevé par FIL-DP comme devant être publié au Lebon (dépêche du 16/01/2024), la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre une décision essentielle sur la séparation des autorités administratives et judiciaires et d’une grande portée pratique en droit de l’environnement industriel.

Un nouvel exemple de l’attitude « décomplexée » du juge des référés face à une construction irrégulière

Dans un arrêt du 11 mars 2014 (C.cass, 3ème civ, 11 mars 2014, pourvoi n°13-12361), la Cour de cassation confirme un arrêt de Cour d’appel statuant en référé où la juridiction  reconnaissait sa compétence à l’endroit d’un litige relevant normalement, au fond, du juge répressif. Une commune avait saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par des constructions irrégulières. La décision de la Cour de cassation suscitée par cette action  n’est pas sans rappeler un précédent arrêt du 14 janvier 2014 (C.cass, 14 janvier 2014, pourvoi n°13-10167, commenté ici) confirmant même en matière de police ICPE les pouvoirs étendus du juge des référés, lequel avait ordonné l’arrêt d’une centrale à béton, sous astreinte de 700 euros par jour de retard, au titre de l’existence des troubles anormaux de voisinage. En l’espèce, un particulier avait installé sur son terrain situé en zone naturelle une caravane et réalisé diverses constructions. Il reprochait à la Cour d’appel statuant en référé de s’être reconnue compétente aux motifs que « Les infractions aux règles de l’urbanisme sont de la compétence exclusive du juge pénal judiciaire ; que l’interruption des travaux peut être ordonnée soit sur réquisition du ministère public agissant à la requête du maire, du fonctionnaire compétent ou de l’une des associations visées à l’article L. 480-1, soit, même d’office, par le juge d’instruction saisi des poursuites ou par le tribunal correctionnel ; qu’en estimant cependant que le juge des référés était compétent pour ordonner l’enlèvement des caravanes et autres implantations installées sur le terrain litigieux situées sur la parcelle litigieuse, la Cour d’appel a violé les articles L. 480-1 et L. 480-2 du code de l’urbanisme ». La Cour de cassation ne fait pas droit à l’argumentation du requérant et relève ainsi : « Attendu que la cour d’appel, statuant en référé, s’est reconnue à bon droit compétente, dès lors que la connaissance du litige dont elle était saisie relevait au fond du juge répressif, lequel appartient au même ordre de juridiction (…). Attendu qu’ayant relevé que le terrain de M. X… se situait en zone 1 NCP du plan d’occupation des sols de la commune de Sorgues, zone agricole inconstructible dans le polygone d’isolement de la Société nationale de poudres et explosifs et que sont interdits dans cette zone notamment les terrains de camping et caravaning, les caravanes isolées et toute forme d’abris provisoires, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à de simples arguments inopérants, a pu retenir que l’installation, irrégulière au regard de la réglementation d’urbanisme existante, de caravanes ou d’habitation sur ce terrain situé dans une zone protégée et à risque, constituait un trouble manifestement illicite qu’il appartenait au juge des référés de faire cesser ». Cet arrêt souligne la grande liberté dont dispose le juge des référés en présence de « troubles manifestement illicites » au sens de l’article 809 du Code de procédure civile, lequel dispose : « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire » Plus concrètement, la Cour de cassation confirme une nouvelle fois que l’illicéité, telle que conçue par l’article 809 du Code de procédure civile, tend à dépasser le sens étymologique et de celui-ci. Il peut s’agir comme elle l’a déjà reconnue de la méconnaissance d’une norme juridique obligatoire, que son origine soit délictuelle ou contractuelle (Cass. 2e civ., 7 juin 2007, n° 07-10.601 ; Cass. 1re civ., 8 déc. 1987 ; Cass. 1re civ., 9 mai 1990 ), législative ou réglementaire (Cass. 1re civ., 12 déc. 1978 : Bull. civ. 1978, I, n° 299 ; Cass. soc., 4 déc. 1980 ; Cass. com., 15 juin 1982 ) de nature civile ou pénale. En l’espèce, force est de relever que les faits qui étaient reprochés au requérant constituaient des infractions, relevant normalement de la compétence du juge pénal au titre des articles L 480-1 et L 480-2 du Code de l’urbanisme (constructions irrégulières en zone naturelle). En présence d’une infraction au Code de l’urbanisme, le juge des référés dispose donc de la possibilité de faire interrompre et cesser des travaux dès lors que ceux-ci contreviennent aux règles d’urbanisme applicables. Compte-tenu des délais très courts dans lesquels le juge des référés statue, il semble acquis que de nombreuses autorités saisiront à l’avenir ce juge pour faire cesser les infractions réprimés par les articles L 480-1 et L480-2 du Code de l’urbanisme.   Me Aurélien BOUDEWEEL (Green LAW Avocat)