Les modalités de restitution d’une installation classée par le preneur

Par Maître Aurelien BOUDEWEEL Green Law Avocats Par un arrêt en date du 23 juin 2016 (C.cass., civ 3ème, 23 juin 2016, n°15-11.440) la Cour de cassation rappelle que le réaménagement  du site sur lequel a été exploitée une installation classée fait partie intégrante de l’activité exercée. Par conséquent l’indemnité d’occupation due pendant la remise en état du site après cessation de l’activité est fixée par référence au loyer prévu au bail. En l’espèce, une société a exploité en qualité de preneur, un terrain en vue d’exploiter une décharge par enfouissement de déchets industriels, installation classée au sens du Code de l’environnement. Dans la perspective de l’arrêt d’exploitation du site, la société exploitante de l’installation avait donné congé au bailleur avec effet au 31 décembre 2004 et, a dans le même temps déposé un dossier de fin d’exploitation. Il est utile de préciser que la société exploitante a alors inévitablement continué à occuper le site afin de pouvoir se conformer aux prescriptions préfectorales de remise en état postérieurement au 31 décembre 2004. Les propriétaires bailleurs ont alors assigné la société exploitante afin d’obtenir une indemnité d’occupation que cette dernière refusait de verser. Rappelons qu’aux termes des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, désormais codifiée aux articles L. 511-1 et suivants du code de l’environnement, la charge de dépollution d’un site industriel incombe en effet au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué. Au visa de ces dispositions, une Cour d’appel a ainsi déduit, à bon droit, que cette obligation de remise en état d’une installation classée, résultant d’une obligation « particulière », commençant avec la déclaration faite par l’exploitant à l’Administration, en l’espèce par le locataire, et s’achevant avec le nettoyage des cuves à la fin de l’exploitation, était à la charge du preneur (Cass. 3e civ., 10 avr. 2002, n° 00-17.874 : JurisData n° 2002-013924 ). Saisi du litige, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait rejeté l’action des propriétaires: « Attendu qu’il résulte de ces textes que le réaménagement du site sur lequel a été exploitée une installation classée fait partie intégrante de l’activité exercée et de ce principe que l’indemnité d’occupation due pendant la remise en état d’un site, après cessation de l’activité, doit être fixée par référence au loyer prévu au bail ; Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 27 novembre 2014), que la société X, venant aux droits de la société Y, locataire de terrains destinés à l’usage de décharge de déchets industriels, installation classée dont l’exploitation a été autorisée jusqu’au 30 juin 2004, a déposé, le 2 juin 2004, un dossier de fin d’exploitation et notifié, les 28 et 29 juin 2004, aux bailleurs, Mme Elisabeth X…veuve Y…, MM. Christophe, Stéphane, Guillaume et Florent Y… et Mmes Judith et Sara Y… (les consorts Y…) un congé à effet du 31 décembre 2004 ; que, la société X ayant continué à occuper les terrains au-delà de cette date pour procéder à un réaménagement conforme aux prescriptions préfectorales, les consorts Y… ont sollicité sa condamnation au paiement d’un arriéré de loyers ou d’une indemnité d’occupation ; Attendu que, pour fixer l’indemnité d’occupation à une certaine somme correspondant à la valeur locative d’une terre agricole, l’arrêt retient qu’au-delà du 31 décembre 2004, les propriétaires ne pouvaient plus donner leurs terrains à usage de décharge ni même à un autre usage commercial ou industriel, en considération des contraintes environnementales résultant de l’exploitation de cette ancienne carrière à usage d’enfouissement de déchets, que l’occupation des terrains par la société X privant les propriétaires de jouissance pour la période concernée ne leur a causé qu’un préjudice très limité, qui ne peut être évalué sur la base du loyer convenu entre les parties pendant la période d’exploitation commerciale de la décharge et qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité correspondant à la fourchette basse de la valeur locative des terres agricoles de moyenne qualité, seul usage potentiel envisageable de ces terrains à l’issue du suivi post-exploitation de trente ans». L’arrêt rendu par la Cour de cassation confirme le courant jurisprudentiel de ces dernières années. Relevons que dans une espèce relative à des locaux à usage commercial de garage automobile donnés à bail, les bailleurs ayant notifié au preneur un congé avec refus de renouvellement et offre d’une indemnité d’éviction, les juges du fond ont pu à juste titre considérer que l’indemnité d’occupation avait couru jusqu’au 1er  juin 2006, date à laquelle la locataire avait justifié avoir pris les mesures relatives à la mise en sécurité du site et s’agissant des réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes de les avoir neutralisés conformément aux dispositions de l’article 18 de l’arrêté du 22 juin 1998 (A. 22 juin 1998, art. 18) ; peu important que la locataire ait libéré les lieux en 2005 (Cass. 3e civ., 19 mai 2010, n° 09-15.255 : JurisData n° 2010-006605). La solution est logique dans la mesure où le propriétaire d’un immeuble et/ou terrain sur lequel un preneur a exploité une installation classée, ne peut le remettre en location tant qu’une remise en état conforme à la législation sur les installations classées n’est pas intervenue. La décision de la Haute juridiction est l’occasion de rappeler aux bailleurs de terrains qui sont occupés par des industriels qu’ils sont en droit d’obtenir une indemnisation même après un congé donné par ces derniers. L’indemnité sera calculée sur celle fixée par le bail conclu. En cas de doute sur la soumission de l’entreprise au régime des installations classées, rappelons que le bailleur a toujours la possibilité comme tout administré de solliciter auprès de l’administration des renseignements en la matière.

ICPE : Piqûre de rappel sur l’importance de la description des capacités techniques et financières dans la demande d’autorisation ICPE (CE, 22 février 2016)

Par Sébastien Bécue Green Law Avocats Par un arrêt en date du 22 février 2016, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi exercé par une société à l’encontre de la décision de la Cour administrative d’appel de Nancy confirmant l’annulation de son autorisation d’exploiter ICPE une centrale à gaz. Le Conseil d’Etat, comme la Cour auparavant, considère que la description que la société fait de ses capacités techniques et financières est insuffisante. L’arrêté d’autorisation est en conséquence annulé. Cette décision peut étonner lorsqu’on sait à quel grand groupe énergéticien français la société exploitante appartient. Comment peut on en arriver procéduralement à une annulation sur le fondement des capacités techniques et financières? Rappel sur l’obligation de mention des capacités dans la demande d’autorisation ICPE Cette obligation résulte du code de l’environnement qui prévoit, aux articles L. 512-1 et R. 512-3, que la demande d’autorisation doit mentionner les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre d’exploiter son installation conformément aux obligations résultant du droit de l’environnement, et notamment celles liées à la future remise en état du site accueillant son installation. Le préfet, lorsqu’il statue sur la demande d’autorisation, doit donc apprécier les capacités mentionnées par le futur exploitant dans sa demande. Et le juge administratif contrôle assez strictement l’appréciation portée par le préfet en vérifiant séparément la suffisance des capacités techniques et financières. Il ressort de la jurisprudence que peuvent être prises en compte, dans l’analyse des capacités techniques du demandeur : L’expérience du demandeur dans l’activité (voir par exemple CAA Versailles, 16 juil. 2012, n°10VE03178) ; Les processus et matériels utilisés, les effectifs et leur qualification (CAA Marseille 11 juil. 2011, n°09MA02014). En ce qui concerne les capacités financières, il est tenu compte des informations sur la situation financière du demandeur : chiffre d’affaire et bilan comptable (CAA Nantes, 25 mars 2011, n°10NT00043) ou analyse financière réalisée par des tiers (CAA Lyon, 4 nov. 2011, n°09LY00624). Par ailleurs, l’appartenance à un groupe peut être prise en compte (CAA Lyon, 5 avril 2012, n°10LY02466). L’appréciation par la Cour administrative d’appel des capacités de la société exploitante La décision de la Cour administrative d’appel, décomposable en deux temps, fournit un bon exemple concret d’appréciation des capacités d’un demandeur. Dans un premier temps, la Cour vérifie que la société dispose des capacités financières pour réaliser son projet en se fondant sur le plan de financement annoncé : 772 millions d’euros d’investissement nécessaire, financés à 30% sur fonds propres et à 70% par dette bancaire. En ce qui concerne la partie financée sur fonds propres, la Cour estime que les capacités sont suffisantes : si la société ne dispose que d’un capital social de 7,5 millions d’euros, elle produit néanmoins une « lettre de support » de sa société mère par laquelle cette dernière s’engage à lui apporter son soutien. L’appréciation de la Cour sur les capacités relatives à la partie financée par dette bancaire est au contraire négative : les divers documents produits par la société (note générale sur le financement, sur la conformité du montage envisagé avec la pratique) sont trop génériques et ne comportent aucun engagement précis, tant au regard des montants que de l’identité des prêteurs. Dans un second temps, la Cour vérifie les capacités techniques de la société exploitante, et son appréciation est toute aussi sévère. Alors que la société exploitantene dispose d’aucune expérience antérieure dans l’exploitation de centrale à gaz, la Cour considère qu’elle ne démontre pas avoir contracté avec des constructeurs ou exploitants présentant des garanties. En effet, la société s’engage seulement, une fois les autorisations obtenues, à consulter les leaders du secteur. Elle produit aussi un document attestant de la conclusion avec une grande société internationale d’un accord de coopération fixant les éléments essentiels d’un éventuel futur contrat. La Cour estime que la construction et l’exploitation auraient dû à tout le moins faire l’objet de protocoles d’accord. Validation du raisonnement par le Conseil d’Etat et affirmation du caractère non « danthonysable » de l’insuffisance des capacités techniques et financières En premier lieu, le Conseil d’Etat valide entièrement la démarche de la Cour administrative d’appel en estimant dans un attendu clair : « que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l’appui de son dossier de demande d’autorisation (…) notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien son projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard, des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des article L. 516-1 et L. 516-2 du même code ». En second lieu, il ajoute que la démonstration de ces capacités étant l’une des conditions de délivrance  de l’autorisation d’exploiter « la cour n’avait pas à rechercher si les insuffisances du dossier de demande relatives aux capacités techniques et financières auraient pu nuire à l’information du public ou avoir une influence sur le sens de la décision prise par le préfet ». Le Conseil d’Etat statue ici sur un argument de la société exploitante fondé sur la jurisprudence dite “Danthony” aux termes de laquelle un vice de forme n’entraîne l’annulation d’une décision que s’il a eu pour conséquence de nuire à l’information du public ou exercé une influence sur le sens de ladite décision. *** Il semble effectivement, au regard de l’appréciation portée par la Cour, qu’en l’espèce, la société exploitante ait fourni des informations trop peu détaillées sur son projet. Il est surprenant qu’une fois en appel elle n’ait pas pris ses précautions en fournissant plus de détails. Rappelons en effet que le juge des installations classées statuant en plein contentieux, le demandeur a la possibilité de compléter sa demande d’autorisation jusqu’au jour du jugement sur ce point particulier des capacités techniques et financières (CE, 13 juil.2006,  n°285736). Plus généralement, on…

Pénal de l’urbanisme: la liquidation de l’astreinte relève bien du juge répressif ayant prononcé la condamnation (Cass, 24 mars 2015)

Par Aurélien Boudeweel Green Law Avocat Par un arrêt en date du 24 mars 2015 (C.cass, 24 mars 2015, n° 14-84300), la Cour de cassation confirme la compétence du juge répressif pour connaître de la liquidation d’une astreinte prononcée à l’occasion d’une condamnation pénale en urbanisme. En l’espèce, des particuliers et une société civile immobilière avaient été condamnés pour avoir édifié des immeubles en violation des règles d’urbanisme au paiement d’une amende en sus de l’obligation de démolition des constructions irrégulières. Une astreinte avait par ailleurs été prononcée au bénéfice de la commune. L’astreinte est une peine complémentaire permettant d’inciter financièrement l’exécution dans un certain délai de la condamnation à la démolition ou à la remise en état des lieux. La commune avait alors saisi la Cour d’appel d’Amiens dans sa formation correctionnelle afin d’en obtenir la liquidation. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel s’est cependant déclarée incompétente au profit du juge de l’exécution. La Cour de cassation dans son arrêt du 24 mars 2015 casse l’arrêt de la Cour d’appel et rappelle que : « tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence et du second que la juridiction qui impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation, peut assortir son injonction d’une astreinte ; Attendu que, pour décliner la compétence de la juridiction répressive pour liquider une astreinte prononcée par elle au titre de l’action civile, l’arrêt attaqué relève que l’article 710 du code de procédure pénale figure dans le titre premier du livre cinquième dudit code, intitulé ” De l’exécution des peines”, (…) Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la créance d’une commune en liquidation du produit d’une astreinte assortissant l’arrêt de la chambre correctionnelle d’une cour d’appel condamnant un prévenu à une amende pour infraction aux règles de l’urbanisme et lui ordonnant la démolition des ouvrages édifiés irrégulièrement, trouve son fondement dans la condamnation, pénale et civile, prononcée par la juridiction répressive, le contentieux du recouvrement de l’astreinte prononcée ressortissant ainsi aux juridictions répressives, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ». Autrement dit : puisque c’est la Cour d’appel dans sa chambre correctionnelle qui a prononcé la condamnation pénale de démolition des ouvrages sous astreinte, c’est à cette même Cour que revient le soin de juger de la liquidation de l’astreinte. La commune avait donc eu raison de saisir cette formation, et non de saisir le juge de l’exécution. Cet arrêt de la Cour de cassation, publié au Bulletin a le mérite de rappeler la compétence du juge répressif pour connaître de la liquidation de l’astreinte, ce qui présente un intérêt certain pour l’efficacité des décisions de condamnations pénales en urbanisme. Rappelons que la liquidation de l’astreinte consécutivement à un jugement rendu en matière pénale obéit à un régime juridique particulier. En effet, l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme dispose le Tribunal peut condamner le prévenu ayant réalisé des travaux non conformes ou sans autorisation à la démolition ou à la remise en état et qu’une astreinte journalière peut assortir la peine : « Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation; il peut assortir sa décision d’une astreinte de 7,5 à 75 euros par jour de retard Au cas où le délai n’est pas observé, l’astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l’expiration dudit délai jusqu’au jour où l’ordre a été complètement exécuté. »   Par ailleurs, le texte prévoit aujourd’hui que : « Si l’exécution n’est pas intervenue dans l’année de l’expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l’astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus. Le tribunal peut autoriser le reversement ou dispenser du paiement d’une partie des astreintes pour tenir compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ». Concrètement, si la personne condamnée ne démolit pas ou ne remet pas en état par rapport à l’état initial dans le délai octroyé par la juridiction pénale, l’astreinte éventuellement prévue va courir. Juridiquement, c’est la procédure de contestation à état exécutoire qui permet de contester le titre administratif procédant au recouvrement d’une astreinte prononcée sur le fondement de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme. La pratique veut qu’une phase de recouvrement amiable précède une phase de recouvrement contentieux. Ainsi, un titre de perception est tout d’abord adressé par pli simple au débiteur (D. n°2012-1246 du 07 nov. 2012, art. 115) auquel est jointe une lettre invitant le débiteur à régler sa dette dans un certain délai (généralement un mois). Si passé ce délai, le débiteur ne réagit pas, une lettre de rappel peut lui être adressée, suivie, si celle-ci ne produit toujours pas d’effet, d’un commandement de payer. Cependant, il n’est pas rare que l’administration envoie directement un commandement de payer au débiteur. Ce commandement de payer va constituer le premier acte de poursuite qui procède du titre de perception. S’agissant de la forme de la contestation, l’« opposition à état exécutoire » devra contester le bien fondé du titre exécutoire, à savoir : L’existence de la créance ; L’exigibilité de la créance ou ; Le montant de la créance. Cependant, avant de saisir la juridiction compétente, le débiteur devra absolument adresser dans les deux mois qui suivent la notification du titre de perception ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause, une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer (D. n°2012-1246 du 07 nov. 2012, art. 118 ; C. urb., art. R. 480-5). Au sens de l’article 116 du décret n°2012-1246 du 07 novembre 2012, le comptable chargé de la mise en œuvre de l’action en recouvrement « est le comptable public…

Le juge, les sites pollués et leur propriétaire : la technique des petits pas

La technique des petits pas « est au fond à la jurisprudence ce que l’expérimentation est à la loi » (Guy Canivet, « La politique jurisprudentielle », Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, La création du droit jurisprudentiel, Dalloz, 2007, p. 79 à 97). Prétorien et fruit de l’interprétation des polices administratives, le droit de l’environnement connaît bien cette technique : « Trois pas en avant, trois pas en arrière…» comme dirait la comptine pour enfants sur la fermière qui allait au marché. Le Conseil d’Etat, grand amateur des petits pas, a utilisé ce moyen pour faire évoluer la responsabilité en matière de gestion des déchets comme nous le confirme cette espèce récente : CE du 24 octobre 2014, n°361231. En effet, la réglementation en matière de gestion des déchets désigne le producteur des déchets ou leur détenteur mais non le propriétaire des terrains sur lesquels des déchets sont entreposés. A titre d’exemple, l’article L. 541-2 du code de l’environnement relatif à la responsabilité en matière de gestion des déchets dispose :  « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. » Il ne ressort nullement de cet article que le propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets pourrait voir sa responsabilité recherchée sur son fondement. Pourtant, la jurisprudence a étendu les dispositions de cet article au propriétaire d’un terrain sur lequel sont entreposés des déchets. Le propriétaire a alors été assimilé au détenteur des déchets. Cela a permis d’allonger la liste des responsables potentiels lors d’une défaillance dans la gestion des déchets et de s’assurer ainsi de la prise en charge financière de leur élimination. A cet égard, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel  « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26 juillet 2011, n° 328651, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Neil Armstrong aurait sans doute affirmé que « C’était un petit pas pour l’Homme mais un grand pas pour la gestion des déchets ». L’utilisation de l’adverbe « notamment » sous-entendait clairement que la négligence à l’égard d’abandons sur son terrain était une des hypothèses permettant de regarder le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets comme leur détenteur mais que d’autres hypothèses pourraient ultérieurement être identifiées. Le Conseil d’Etat a mis plusieurs années avant d’identifier de telles hypothèses et, après ce premier pas de géant, a préféré y aller à pas de fourmi. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a attendu que la Cour de cassation se prononce. Celle-ci a adopté une solution de principe presque identique à la sienne mais a fait un petit pas supplémentaire en identifiant une nouvelle hypothèse de responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés des déchets : la complaisance. (Peut-être que ce petit pas devrait plutôt s’analyser en un refus de la Cour de cassation de s’aligner mot pour mot sur la jurisprudence du Conseil d’Etat… Je vous laisse le soin de faire votre propre analyse sur cette question. Pour ma part, je préfère considérer qu’il s’agit d’un petit pas). La Cour de cassation a ainsi estimé : « qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 juillet 2012, n° 11-10.478, Publié au bulletin) Dans un deuxième temps, après ce petit pas en avant de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat a fait un petit pas en arrière pour restreindre la responsabilité du propriétaire ayant fait preuve de négligence à l’égard d’abandons de déchets sur son terrain. Aux termes de deux décisions du 1er mars 2013, il a affirmé que cette responsabilité du propriétaire du terrain était subsidiaire par rapport à la responsabilité encourue par le producteur ou les autres détenteurs des déchets. Aussi, la responsabilité du propriétaire du déchet ne pouvait être recherchée que s’il apparaissait que tout autre détenteur des déchets était inconnu ou avait disparu. Il a ainsi considéré que : « si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 354188, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; voir également en ce sens : Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 348912). Cette solution a été confirmée quelques mois plus tard par une autre décision du Conseil d’Etat (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 25 septembre 2013, n° 358923). Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat a fait un…

Les sites pollués auront enfin une autre « ALUR » … si les décrets sortent des tuyaux !

La loi ALUR (L. n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) est entrée en vigueur le 27 mars 2014. Cette loi, visant à favoriser l’accès au logement, vient réformer le droit des sites et sols pollués afin d’encourager la reconversion des friches industrielles. Cette réforme est le volet le moins médiatique de la loi mais d’une importance majeure. Rappelons tout d’abord que le gouvernement avait hésité à insérer dans le projet de loi ALUR initial, présenté en première lecture à l’Assemblée nationale, ces dispositions sur les sols pollués. Finalement, ces dispositions sont réapparues dans le texte grâce à l’amendement du sénateur M. Vanderendonck qui insère un article 84 bis au sein du projet de texte. L’article 173 de cette loi présente donc un certains nombres d’innovations destinées à clarifier le devenir des friches industrielles. Une localisation précise des sols pollués Le législateur, afin d’améliorer l’information des citoyens en matière environnementale, qui depuis l’adoption de la charte de l’environnement en 2005 est une obligation constitutionnelle, impose à l’Etat de délimiter précisément la localisation des sites pollués. A cette fin, sont créés des secteurs d’information sur les sols « qui comprennent les terrains où la connaissance de la pollution justifie (…) la réalisation d’études des sols et de mesures de gestion de la pollution ». La vocation de ces secteurs est donc de permettre la localisation des terrains sur lesquels une étude sol et l’adoption de mesures de gestion de la pollution sont requises. Ils sont arrêtés par le représentant de l’Etat dans le département après avoir recueilli l’avis des maires des communes ou des présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ayant compétence en matière d’urbanisme, sur le territoire desquels sont situés les projets de secteur. Les propriétaires des terrains sont informés des projets. Concrètement, ces secteurs se matérialisent par des documents graphiques annexés aux documents d’urbanisme (PLU, carte communale…). Au-delà de cette obligation, l’Etat doit cartographier les anciens « sites industriels et activités de services ». Dans le cadre de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, celui-ci doit mentionner si le terrain est répertorié sur ces cartes. Cette localisation des sols pollués donne lieu à une extension de l’obligation d’information précontractuelle. Il est logique, voir même normal, de voir cette obligation, bien connue en matière de vente, étendue à la cession des sites pollués afin d’avertir l’acquéreur de certains dangers découlant des pollutions. Lors d’une vente ou de la mise en location d’un terrain se situant au sein d’un secteur d’information, le vendeur ou le bailleur est tenu d’informer par écrit l’acquéreur ou le locataire de cette localisation. C’est l’acte de vente ou de location qui atteste de l’accomplissement de cette formalité. Le législateur transpose le régime de droit commun de l’obligation précontractuelle pesant sur le vendeur à la cession des sites pollués puisque si cette formalité n’a pas été accomplie et qu’une pollution est constatée rendant le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, l’acquéreur ou le locataire peut, dans un délai de 2 ans à compter de la découverte de la pollution demander, soit la résolution du contrat, soit la restitution d’une partie du prix, soit la réduction du loyer. L’acquéreur peut aussi demander la réhabilitation du terrain aux frais du vendeur si le coût n’est pas disproportionné au prix de vente ! La même obligation d’information pèse sur le vendeur en matière d’installation classée pour la protection de l’environnement (Cf. la nouvelle rédaction du dernier alinéa de l’article 514-20 Code de l’environnement). Consécration du tiers payeur ? La loi ALUR rompt avec l’interprétation stricte du principe du pollueur payeur. Ce principe, à l’origine économique (issu de la théorie des externalités de l’économiste Arthur Cecil Pigou), consiste en la prise en charge du dommage écologique par le pollueur. Or, cette loi insère un nouvel article L 512-21 du code de l’environnement qui permet à un tiers intéressé de se substituer à l’exploitant pour réaliser les travaux de réhabilitation du terrain lors de la cessation d’activité d’une ICPE. Jusqu’à cette réforme, l’exploitant propriétaire pouvait céder son terrain à un tiers acceptant de prendre à sa charge les frais de dépollution. Or, cette convention n’était pas opposable à l’administration. Cette disposition rend opposable à l’administration le contrat conclu entre le l’exploitant et le tiers intéressé puisque celui-ci est placé sous le contrôle de l’administration. Le représentant de l’Etat dans le département doit donner son accord pour que le tiers puisse se substituer à l’exploitant. Le tiers doit définir l’usage envisagé sur le terrain et présenter un mémoire de réhabilitation afin d’assurer la compatibilité entre l’usage futur envisagé et l’état des sols. L’Etat se prononce sur l’usage et peut prescrire des mesures. La loi impose que le tiers doit disposer de capacités techniques et de garanties financières suffisantes pour réaliser les travaux. Cependant, en cas de défaillance du tiers, l’exploitant reste débiteur de l’obligation de remise en état du site. L’avènement d’un véritable droit des sites et sols pollués Le nouvel article L 556-3 du Code de l’environnement vient clarifier l’articulation entre la police des ICPE et la police des sites et sols pollués en instaurant une hiérarchie des responsables de la réhabilitation d’un site pollué. Pour les sols dont la pollution a pour origine une activité mentionnée à l’article L 165-2 du code de l’environnement, une ICPE ou une installation nucléaire de base, les débiteurs de premier rang de la réhabilitation du site sont : le dernier exploitant ou, le tiers intéressé ou le maître d’ouvrage. En revanche, pour les sols pollués par une autre origine que celles citées précédemment, c’est le producteur des déchets qui est le débiteur de premier rang de l’obligation de réhabilitation du site. En l’absence du débiteur de premier rang, c’est le propriétaire du terrain qui est responsable de la réhabilitation à condition que celui-ci ait fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution. Le législateur étend ici à tous les sites pollués la jurisprudence du Conseil d’état en matière de déchets[1]. Cette solution rompt avec la jurisprudence traditionnelle…