Urbanisme / responsabilité administrative : l’absence de contestation d’une décision illégale n’empêche pas nécessairement le pétitionnaire d’engager la responsabilité pour faute de l’administration (CE, 21 sept. 2015, n°371205)

On sait que le contentieux urbanistique est abondant et qu’il n’est pas rare que des décisions administratives soient jugées illégales. On oublie toutefois souvent qu’une telle décision peut ensuite fonder une action indemnitaire contre la personne publique auteur de la décision. En effet, la responsabilité extracontractuelle de l’autorité administrative dans l’exercice de ses compétences d’urbanisme peut être engagée par le pétitionnaire qui a subi un dommage en raison d’une décision ou d’un agissement illégal. Une telle action doit être portée devant le juge administratif, et elle suppose la démonstration de trois éléments : une faute, un dommage et un lien de causalité. Pour faire échec à un tel recours, l’administration peut néanmoins invoquer des causes exonératoires : il a ainsi déjà été jugé que l’imprudence ou la faute du demandeur est de nature à justifier une atténuation de la responsabilité de l’administration, voire une exonération totale (CE, 2 oct. 2002, n° 232720 ; CE, 25 avr. 2003, n° 237888 ; CAA Paris, 27 avr. 1999, n° 96PA00435 ; CAA Bordeaux, 26 avr. 2011, n° 10BX01153 ; TA Versailles, 3e ch., 6 nov. 1997, n° 913211 ; CAA Lyon, 26 nov. 2009, n° 07LY01503 ; CE, 1er oct. 1993, n° 84593). En effet, dans cette hypothèse, le juge estime que le dommage découle non pas de la faute de l’administration mais de celle de la victime, et que le lien de causalité est alors rompu (CAA Lyon, 9 juill. 2013, n° 12LY02382). C’est précisément sur ce point que porte l’arrêt commenté (CE, 21 sept. 2015, n° 371205, consultable ici). En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré à une société puis retiré un permis de construire portant sur un projet de station de distribution de carburant. Ayant déjà engagé des travaux d’aménagement à la date du retrait du permis, la société avait alors engagé la responsabilité de la commune pour être indemnisée des préjudices que lui avait causés cette décision. Les juges du fond avaient toutefois rejeté ses demandes au motif que, n’ayant pas contesté le retrait illégal (elle n’avait pas demandé au Tribunal administratif de l’annuler en d’autres termes), elle avait elle-même contribué à la réalisation de son préjudice, ce qui faisait obstacle à la reconnaissance du lien de causalité requis : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’après avoir présenté un recours gracieux contre le retrait du permis de construire qui lui avait été accordé, la société TC s’est engagée avec la commune dans un processus transactionnel consistant à rechercher, en contrepartie de l’abandon de son projet, un autre terrain lui permettant d’implanter une station de distribution de carburant ; que la société requérante n’a pas, bien que la recherche d’une transaction n’y aurait pas fait obstacle, présenté, à titre conservatoire, de recours tendant à l’annulation de l’arrêté portant retrait du permis de construire ni n’a demandé la suspension de l’exécution de cette décision sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative ; que la société TC  s’est finalement bornée, par la requête enregistrée sous le n° 0900101, à présenter devant le tribunal administratif de Fort-de-France des conclusions tendant à la condamnation de la commune du Lamentin au versement d’indemnités qu’elle n’avait pu obtenir par voie transactionnelle ; qu’en s’abstenant ainsi de mettre en œuvre les recours effectifs dont elle disposait pour solliciter la suspension et l’annulation du retrait de permis de construire, lesquels lui auraient permis d’obtenir satisfaction au regard du motif d’illégalité précédemment rappelé, et en préférant la stratégie consistant à s’engager dans la négociation d’un échange de parcelles avec la commune ou d’une transaction, la société TC doit être regardée comme ayant abandonné son projet initial, dont il ressort au demeurant des pièces du dossier qu’il avait principalement pour objet d’empêcher l’installation d’un concurrent ; que cette circonstance fait obstacle à ce que les préjudices qu’elle allègue puissent être regardés comme en lien direct avec l’illégalité de la décision portant retrait du permis de construire ; que, par suite, la société TC n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté ses demandes indemnitaires ; » (CAA Bordeaux, 16 mai 2013, n°11BX01823) Or le Conseil d’Etat censure ce raisonnement : la Haute Juridiction considère ainsi que le choix du pétitionnaire de ne pas attaquer l’acte litigieux sur le terrain de la légalité ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée : « Considérant qu’en statuant ainsi, alors que les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire et, qu’en tout état de cause, l’absence d’exercice de voies de recours contre ce retrait ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée, la cour administrative d’appel a procédé à une inexacte qualification juridique des faits ; qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, que son arrêt doit être annulé ; »   Notons que cette décision peut sembler contredire un arrêt rendu en novembre 2014 (CE, 14 nov. 2014, n° 366614, voir notre analyse ici), dans lequel le Conseil d’Etat avait jugé que des requérants ne pouvaient engager la responsabilité d’une commune alors que leur dommage n’était pas imputable à la décision illégale du maire, mais au manque de diligence dont ils avaient fait preuve pour prévenir la réalisation de leur dommage, en n’engageant la procédure de référé adéquate que plus de deux ans après l’intervention de ladite décision… En réalité, les deux affaires diffèrent, puisque dans l’arrêt de 2015, le juge précise bien que « les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire » : l’origine du dommage n’était donc pas certaine. C’est donc à la Cour administrative d’appel de Bordeaux, à qui l’affaire a été renvoyée, qu’il appartiendra de déterminer si le dommage de la société requérante a été causé…

Compatibilité entre un POS et une déclaration d’utilité publique (DUP) : quelles sont les conditions à respecter ? (CE, 27 juill.2015)

Par Marie-Coline Giorno Green Law Avocat Il est fréquent qu’un projet faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique nécessite une mise en compatibilité du document d’urbanisme. Toutefois, comment déterminer si un projet est ou non compatible avec un document d’urbanisme ? C’est tout l’objet de la décision du Conseil d’Etat du 27 juillet 2015 (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 27 juillet 2015, n° 370454, Mentionné au Recueil Lebon). Les faits de l’espèce étaient les suivants. Le 9 juillet 2008, un sous-préfet a pris un arrêté portant déclaration d’utilité publique d’un projet de déviation de route départementale. Une association de riverains a demandé au Tribunal administratif de Nîmes d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté. Par un jugement n° 0802903 du 1er juin 2011, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. L’association a alors interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt n° 11MA02911 du 23 mai 2013, la Cour administrative d’appel de Marseille, a annulé l’arrêté du sous-préfet du 9 juillet 2008 et réformé le jugement du Tribunal administratif de Nîmes en ce qu’il avait de contraire à son arrêt. Un pourvoi fut alors formé devant le Conseil d’Etat par le département du Gard. Les questions de droit que la Haute Juridiction devait trancher étaient de savoir si la Cour administrative d’appel de Marseille avait ou non commis une erreur de droit et une erreur dans la qualification juridique en estimant que le projet ne pouvait être regardé comme compatible avec le plan d’occupation des sols (POS) de la commune. Aux termes de son analyse, le Conseil d’Etat a rappelé les dispositions de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme dans leur version alors en vigueur. Cet article énonçait la procédure à suivre en présence d’une incompatibilité entre une déclaration d’utilité publique (DUP) et un plan local d’urbanisme (PLU). Certes, en l’espèce, le document d’urbanisme n’était pas un PLU mais un POS. L’application de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur pourrait donc surprendre. Néanmoins, il convient de rappeler que l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme s’imposait également lorsqu’un POS n’était pas compatible avec le projet faisant l’objet de la DUP en vertu des dispositions de l’article L. 123-19 du code de l’urbanisme alors en vigueur. Après avoir rappelé les termes de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel « l’opération qui fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ne peut être regardée comme compatible avec un plan d’occupation des sols qu’à la double condition qu’elle ne soit pas de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans ce plan et qu’elle ne méconnaisse pas les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue ». Deux conditions cumulatives sont donc requises pour qu’une opération faisant l’objet d’une DUP soit regardée comme compatible avec un POS : L’opération ne doit pas être de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans le POS ; L’opération ne doit pas méconnaître les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue. En l’espèce, la Cour administrative d’appel avait considéré que le tracé routier envisagé pour la déviation des routes passait par des parcelles classées en zone NC sur une commune alors que le règlement du plan d’occupation des sols de cette commune précisait que la zone NC est une « zone naturelle à protéger en raison de la valeur économique des sols et réservée à l’exploitation agricole ». La Cour avait également souligné que le projet de déviation était sans rapport avec les besoins de la desserte des constructions autorisées par le règlement en zone NC et qu’il ne s’inscrivait pas dans l’un des cas d’utilisation du sol autorisés le plan d’occupation des sols. Selon le Conseil d’Etat, « en déduisant de ces constatations que le projet en cause ne pouvait être regardé comme ” compatible ” avec le plan d’occupation des sols de la commune […] et que celui-ci aurait dû faire l’objet d’une mise en compatibilité, alors même que les parcelles classées en zone NC de la commune représentent près de 2 000 hectares et que le projet de déviation ne concernerait qu’une superficie d’environ 4 hectares située sur un versant de montagne boisé ne faisant l’objet d’aucune exploitation agricole, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; ». Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi. Cette décision est intéressante en ce qu’elle nous paraît clarifier le régime de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme en présence d’une DUP. Désormais, les critères afin d’apprécier si le document d’urbanisme est compatible avec le projet faisant l’objet d’une DUP sont fixés : il convient de déterminer, d’une part, si l’opération est de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans le document d’urbanisme de la commune et, d’autre part, si l’opération méconnaît les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue. Bien que les dispositions du code de l’urbanisme aient depuis été modifiées, la double condition posée par le Conseil d’Etat dans sa décision nous paraît transposable au régime actuellement en vigueur dans la mesure où les articles L. 123-14 et L. 123-14-2 ne précisent nullement ce qu’il faut entendre par « compatibilité » entre le document d’urbanisme et le projet faisant l’objet de la DUP. En outre, le principe posé par le Conseil d’Etat nous paraît pouvoir être valablement mis en œuvre tant en ce qui concerne les POS que les PLU en vertu des dispositions de l’article L. 123-19 du code de l’urbanisme. En conséquence, sous couvert d’un considérant de principe fondé sur les anciennes dispositions du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat paraît donc faire une mise au point sur la notion de « compatibilité » parfaitement transposable à la législation actuellement en vigueur.

Diagnostic immobilier en matière de termite: le préjudice matériel et de jouissance est entièrement indemnisable (Cour de cassation, 8 juill.2015)

Par Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat)   Par un arrêt en date du 8 juillet 2015 (C.cass., Chambre mixte, n°13-26.686) la Cour de cassation rappelle que le diagnostiqueur termites est responsable des investigations insuffisantes effectuées et qu’il doit en conséquence répondre de la réparation de totale des préjudices matériels et de jouissance subis par les acquéreurs. La Cour de cassation rejette dès lors l’argument tiré de ce que seule une perte de chance serait indemnisable. En l’espèce, des particuliers avaient acquis un bien immobilier. Un état parasitaire avait été annexé à l’acte de vente, lequel mentionnait « des traces de termites et d’insectes xylophages sans activité ». Après l’achat, les acquéreurs constatèrent que la maison est en réalité infestée de termites et autres insectes. S’estimant lésés, ils avaient demandé une expertise judiciaire puis avaient assigné la société de diagnostic technique en responsabilité et sollicité en réparation de leur préjudice le paiement des travaux de désinfestation et les conséquences du trouble de jouissance. Rappelons que le législateur contemporain a multiplié les diagnostics obligatoires avant toute vente immobilière, qui donnent donc lieu à des diagnostics effectués par des organismes agréés, devant figurer en annexe de la promesse de vente ou, à défaut de promesse, dans l’acte authentique. La plupart de ces annexes sont contenues dans le dossier de diagnostic technique prévu par l’ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005 (art. L. 271-4-I du Code de la construction et de l’habitation et Décret n° 2006-1114, 5 sept. 2006).   Dans le cadre du litige soumis à la Cour de cassation, l’assureur de la société de diagnostic (tombée en liquidation judiciaire) reprochait à la Cour d’appel d’avoir reconnu sa responsabilité et d’avoir fait droit à la demande de réparation totale des préjudices, alors que selon l’assureur, seule une perte de chance pouvait être indemnisée. Toute la question est ici de savoir si, dans l’hypothèse où les acheteurs avaient eu une connaissance totale du problème ils auraient quand même acheté; ou s’ils auraient simplement négocié le prix de vente à la baisse.   On comprend bien que l’enjeu pour les assureurs des sociétés de diagnostics techniques (amiante, plomb, termite etc…) est de voir leur condamnation moins lourde en faisant valoir que les acheteurs auraient probablement quand même contracté, et qu’ils ont simplement perdu la chance de négocier un prix de vente à la baisse. Saisie du litige, la Cour de cassation confirme l’appréciation portée par la Cour d’appel et considère:  «  qu’il résulte de l’article L. 271-4 du code de la construction et de l’habitation que le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou à l’acte authentique de vente d’un immeuble garantit l’acquéreur contre le risque mentionné au 3° du deuxième alinéa du I de ce texte et que la responsabilité du diagnostiqueur se trouve engagée lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l’art, et qu’il se révèle erroné ; qu’ayant relevé que les investigations insuffisantes de la société HDI n’avaient pas permis que les acquéreurs soient informés de l’état véritable d’infestation parasitaire de l’immeuble et retenu que ceux-ci avaient été contraints de réaliser des travaux pour y remédier, la cour d’appel a déduit exactement de ces seuls motifs que les préjudices matériels et de jouissance subis par M. et Mme X… du fait de ce diagnostic erroné avaient un caractère certain et que la société MMA, assureur de la société HDI, leur devait sa garantie ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi».   L’arrêt rendu par la Cour de cassation confirme le courant jurisprudentiel rendu ces dernières années qui souligne qu’en matière de vente d’immeubles l’obligation du contrôleur technique est de résultat (Cass. 3e civ., 27 sept. 2006, n° 05-15.924 : Bull. civ. 2006, III, n° 194).   L’arrêt permet surtout d’apporter des solutions aux particuliers puisque rappelons que lorsqu’un état dressé par un professionnel certifiant l’absence d’amiante ou de termites a été annexé à l’acte de vente et lorsque la mauvaise foi des vendeurs profanes, qui ont rempli leur devoir d’information, n’est pas établie, la clause d’exonération de garantie des vices cachés, souvent prévue dans les actes de vente, est applicable (Cass. 3e civ., 6 juill. 2011, n° 10-18.882 : JurisData n° 2011-013576). La Haute juridiction par son arrêt du 8 juillet 2015 permet donc aux particuliers de rechercher la responsabilité et d’obtenir la réparation du diagnostiqueur en cas de diagnostic erroné et/ou insuffisant et d’être indemnisé en totalité. Notons par ailleurs que les sociétés de diagnostics sont logiquement assurées de leurs activités de sorte qu’en cas de procédure collective des ces dernières, les compagnies d’assurances concernées permettront aux particuliers, souvent en situation de détresse, d’obtenir réparation de leurs préjudices. Cela étant dit, il revient à celui qui en fait la demande de prouver les désordres. A cette fin, il ne peut qu’être recommandé non seulement de faire établir les faits par huissier, mais compte tenu de la technicité de certains désordres, l’expertise judiciaire préalable à une demande indemnitaire demeure un pré-requis stratégique.            

Droit de propriété : la construction d’une clôture ne vaut pas reconnaissance de bornage amiable définitif (Cass, 19 mai 2015)

Par Aurélien Boudeweel Green Law Avocat Par un arrêt en date du 19 mai 2015 (C.cass, 3ème civ, 19 mai 2015, n° 14-11984), la Cour de cassation relève que l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’impliquait pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des terrains litigieux. Rappelons que le bornage est l’opération par laquelle est recherchée, déterminée et fixée par des marques extérieures apparentes appelées bornes, la ligne séparative, le plus souvent incertaine, entre deux fonds contigus, non déjà bornés et faisant l’objet d’un droit de propriété privée. Même si la loi n’envisage le bornage que sous l’angle d’une action en justice, il est incontestable que, lorsque les propriétaires sont d’accord et maîtres de leurs droits, ils peuvent procéder à l’amiable au bornage de leurs fonds respectif. Par principe, le bornage est d’abord amiable et ne devient contentieux que subsidiairement. L’assentiment des parties sur l’implantation des bornes n’est soumis par la loi à aucune forme particulière (Cass. 3e civ., 29 mars 2000, n° 97-18.273 : JurisData n° 2000-001406. – CA Besançon, 1re ch. civ., 27 mai 1997 : JurisData n°1997-044057). En application de ce principe, la jurisprudence a admis qu’un plan établi par un géomètre-expert et signé de tous les intéressés constitue un véritable procès-verbal de bornage valant titre définitif tant pour les contenances des parcelles que pour les limites qu’il leur assigne (Cass. 3e civ., 16 févr. 1968, n° 65-13.546 ). Il a de même été jugé que c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond décident qu’un acte contenant l’accord des deux voisins pour limiter leur propriétés respectives, en vue d’éviter toutes difficultés ultérieures, et suivi avec l’accord des parties d’un plan dressé par leurs architectes traçant la ligne divisoire constitue une convention qui remplit les conditions de validité de l’article 1108 du Code civil et tient lieu de loi à ceux qui l’avaient faite (Cass. 3e civ., 5 déc. 1968, n° 67-10.717). En l’espèce, un propriétaire avait assigné son voisin en revendication de propriété une bande de terrain qui aurait été prélevée sur sa propriété lors de l’édification d’une clôture, laquelle avait été édifiée d’un commun accord. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel avait rejeté la demande aux motifs que la construction de la clôture était le résultat d’un accord entre les propriétaires des fonds et devait être analysée comme valant bornage définitif. La Cour de cassation dans son arrêt du 19 mai 2015 casse l’arrêt de la Cour d’appel et rappelle : « […] selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 15 octobre 2012), que Mme X…, propriétaire de parcelles jouxtant le fonds des consorts E… a assigné ces derniers en revendication d’une bande de terrain qui aurait été prélevée sur sa propriété lors de l’édification d’une clôture ; Attendu que pour rejeter sa demande l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la construction en commun d’une clôture par les auteurs de Mme X… et les époux E… était le résultat concret d’un accord des deux propriétaires pour fixer les limites de leurs fonds respectifs, nonobstant la discordance entre la surface mesurée à l’intérieur de ces limites et la surface portée au cadastre et que cet accord liant les parties devait être considéré comme valant bornage amiable définitif; Qu’en statuant ainsi, alors que l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». L’arrêt de la Cour de cassation est intéressant puisque jusqu’à présent de nombreux praticiens considéraient que le bornage étant l’opération qui consiste à déterminer et à fixer par des signes extérieurs la ligne séparative de deux propriétés contiguës, les murs et clôtures séparatifs mis en place à frais communs par les voisins constituant la matérialisation de leur accord sur l’implantation de la ligne divisoire et faisaient donc échec au bornage, dès lors qu’ils sont réputés mitoyens, de sorte que l’action en bornage était irrecevable au fond, la matérialisation de la possession de chacun ayant été ainsi faite par accord des parties avant toute construction (CA Aix-en-Provence, 4e ch. B, 20 mai 1995 : Juris-Data n° 1995-043867. – CA Chambéry, 16 juin 2004 : Juris-Data n° 2004-252583). La position de la Cour de cassation en l’espèce est donc essentielle pour les propriétaires lésés lors de la mise en place des limites séparatives de leurs propriétés car elle ne lie pas l’accord de pose d’une clôture à l’accord sur la délimitation de la propriété. Rappelons en effet que le caractère définitif attribué au bornage amiable emporte l’impossibilité pour les parties de remettre en cause unilatéralement la ligne divisoire telle que définie lors des opérations contradictoires et approuvée dans le procès-verbal. Cette impossibilité découle directement des dispositions de l’article 1134, alinéa 1er du Code civil (CA Bourges, ch. civ., 8 févr. 2005, n° 04/00164 : JurisData n° 2005-265790). Les propriétaires ont donc avec cet arrêt toujours la possibilité de saisir le juge judiciaire s’ils s’estiment lésés et trompés même après l’édification d’une clôture.

Contrat de vente d’installation solaire et crédit affecté: une interdépendance dont les banques doivent répondre

Par Aurélien Boudeweel Green Law Avocat Par un jugement en date du 10 juin 2015 (TC EVRY, 10 juin 2015,n° de rôle 2014F00214- jurisprudence cabinet), le tribunal de commerce d’EVRY a fait droit, selon une jurisprudence établie, aux demandes d’un particulier s’étant vu installer une centrale solaire,  en prononçant la résolution d’un contrat de vente de l’installation de production photovoltaïque et du contrat de crédit affecté. En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société se revendiquant spécialisée dans la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque. Comme souvent en la matière au regard du coût de l’installation, l’acquisition s’est opérée au moyen d’un contrat de crédit affecté. Sur le plan juridique, les particuliers ont fait valoir l’irrégularité entourant la conclusion du contrat de vente au regard des dispositions du Code de la consommation. Surtout, les particuliers ont contesté devant la juridiction commerciale la signature de l’attestation de fin de travaux sur laquelle s’appuyait la banque pour justifier du déblocage des fonds directement auprès de la société installatrice de la centrale. Rappelons que dans le cadre d’un contrat de crédit affecté, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-19 à L. 311-28 du code de la consommation. Il est acquis par la jurisprudence que pour que se manifestent les conséquences du lien d’interdépendance, le contrat principal doit d’abord être valide (Cass. 1re civ., 20 déc. 1988 : D. 1989, somm. p. 341, obs. J.L. Aubert). Plus encore, l’obligation de l’emprunteur de rembourser le prêt d’argent ne commence qu’avec la livraison de la marchandise ou l’exécution de la prestation (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997 : Contrats, conc. consom. 1997, comm. 86. – Cass. 1re civ., 7 févr. 1995 : Contrats, conc. consom. 1995, comm. 166. – CA Douai, 8 sept. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 116). L’exécution de la prestation était justement l’argument de la banque dans le cadre du présent litige pour justifier le déblocage des fonds. La tribunal de commerce d’EVRY analyse le contrat principal de vente pour en tirer les conséquences directes sur le contrat de crédit affecté: « Attendu que, selon le contrat de prêt, les premières échéances débutaient après un délai d’un an ; qu’ainsi, la première échéance présentée s’est située au mois de décembre 2013 ; que ce n’est qu’alors que Monsieur Z et Madame Z ont eu connaissance ou conscience de la situation réelle dans laquelle ils se trouvaient; Attendu que la signature apposée sur l’attestation de fin de travaux en date du 05/12/12 est contestée par les demandeurs ; que selon eux, il s’agit d’un faux adressé à leur insu à la banque X; Attendu que ce n’est qu’en date du 14/02/13 que Monsieur Z a sollicité l’intervention d’ERDF afin d’effectuer les travaux de raccordement au réseau de production ; que dès lors, l’installation ne pouvait être en état de fonctionnement ; que le devis, s’il ne comprenait pas le raccordement au réseau, comprenait la mise en service ; que l’attestation de fin de travaux n’aurait pu être produite que postérieurement à cette date, la mise en service ne pouvant intervenir qu’après le raccordement ; Attendu que la SARL Y a manqué à ses obligations contractuelles en effectuant pas la mise en service du matériel livré dans les trois mois de la date de la commande ; Attendu qu’au vu de l’attestation de fin de travaux contestée, la banque X a émis un paiement de la somme de 21.500 € directement au profit de la SARL Y; En conséquence et sans qu’il soit besoin de statuer sur le respect des différents articles du Code de la Consommation, les actes ultérieurs les ayant couverts les irrégularités liées au non respect dan s la forme, du bordereau de rétractation, le Tribunal prononcera la résolution de la vente  Qu’il condamnera la SARL Y à reprendre le matériel installé chez Monsieur et Madame Z et à remettre les lieux en l’état où ils se trouvaient avant son intervention ; Qu’il condamnera la SARL Y à rembourser à la banque X, la somme de 21.500€ relative au financement de l’installation effectuée chez Monsieur et Madame Z ; Qu’il prononcera conséquemment la résolution du contrat de prêt affecté conclu entre Monsieur et Madame Z auprès de la banque X sur le fondement de l’article L311-9 du Code de la consommation et ordonnera à cette dernière de procéder au remboursement des sommes déjà perçues au titre des échéances dudit prêt.» Ce jugement rappelle l’interdépendance du contrat principal et du contrat de crédit affecté et la résolution automatique du contrat de crédit lorsque la résolution du contrat principal est prononcée. Surtout le juridiction censure la banque qui faisait valoir la signature de l’attestation de fin de travaux pour justifier du déblocage des fonds. En l’occurrence, le tribunal relève que la date figurant sur l’attestation de fin de travaux, dont la signature est d’ailleurs contestée par les requérants, est bien antérieure à la date à laquelle il a été sollicité une demande auprès de la société ERDF des travaux de raccordement. Selon la juridiction, cela démontre de toute évidence que la société installatrice n’avait pas rempli ses obligations contractuelles et surtout que l’attestation de fin de travaux était sérieusement contestable. Le jugement du tribunal de commerce d’EVRY confirme une jurisprudence de plus en plus croissante tendant à sanctionner les organismes de crédit (professionnels) peu scrupuleux dans la vérification, pourtant obligatoire, de la régularité et conformité du contrat principal (contrat de vente) duquel il dépend. Surtout la juridiction commerciale confirme que la signature figurant sur une attestation de fin de travaux n’est pas le gage absolu pour une banque pour se dégager de toute responsabilité. Cela rappelle enfin que les consommateurs ne sont pas sans recours en cas de mise en liquidation ou redressement judiciaire des sociétés…