Elevage, distances d’éloignement: des précisions sur les possibilités de dérogation par arrêté préfectoral

Un arrêt de la CAA de Nancy (CAA Nancy, 1ère chambre, 1er août 2013 n°12NC01066) illustre ce qui est entendu par les notions de « bâtiment existant » et d’ « annexe destinée à la mise en conformité des élevages » soumis aux distances d’éloignement fixées par l’arrêté ministériel du 7 février 2005. En l’espèce, le Préfet avait accordé par arrêté une dérogation aux distances d’éloignement pour un bâtiment de stockage fourrager et d’une fosse à lisier pour un élevage de vaches laitières et autorisait une implantation à une distance inférieure à trente cinq mètres du cours d’eau intermittent présent sur le site. L’arrêté préfectoral disposait cependant en son article 3 que « Les ouvrages seront construits, aménagés et exploités conformément aux plans et notices jointes à l’appui de la demande. En dehors de l’objet de la présente dérogation, les règles d’implantation, d’aménagement et d’exploitation du bâtiment seront conformes aux prescriptions fixées par l’arrêté du 7 février 2005 ». On apprend à la lecture de l’arrêt que les travaux étaient menés dans le but, d’une part, de réaménager un bâtiment de stockage existant B1 pour le logement de 50 vaches en logettes, le bloc de traite et la nurserie, d’autre part, de procéder à l’extension et à la couverture B2 d’une surface de stockage bétonnée existante S1 pour le stockage de fourrage et, enfin, de créer une fosse couverte enterrée pour le stockage des effluents, localisée sous une plate forme bétonnée existante S2. Contesté par des tiers, l’arrêté du Préfet a été validé par le Tribunal administratif de Strasbourg en première instance. En appel, la Cour administrative d’appel de Nancy a toutefois considéré que l’un des bâtiments n’était ni un bâtiment existant, ni une annexe destinée à se mettre en conformité, de sorte que les règles d’éloignement prévues par l’arrêté ministériel de 2005 devaient s’appliquer. L’article 3 du Préfet est alors annulé. Autrement dit, le Préfet devait imposer des règles d’éloignement au nouveau bâtiment de stockage qui ne bénéficie pas des possibilités de dérogation en tant que bâtiment existant ou d’annexe nécessaire à la mise en conformité : « il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement du rapport de l’inspection des installations classées et des écrits du préfet, que l’arrêté litigieux a pour seul objet de permettre une dérogation à la règle de distance par rapport au cours d’eau, et ne contient aucune dérogation de distance par rapport aux zones destinées à l’habitation fixées par des documents d’urbanisme opposables aux tiers ; que si le ministre soutient qu’une telle dérogation n’était pas nécessaire en application de l’article 2.1.4 de l’arrêté de 2005 précité, dès lors qu’il s’agirait d’un élevage existant, il ressort des pièces du dossier que la fosse à lisier, qui constitue une annexe au sens des dispositions précitées, est destinée à mettre l’exploitation en conformité avec les normes en vigueur et que les règles de distance ne lui sont ainsi effectivement pas applicables ; que la réalisation d’un logement d’accueil de bovins aux lieu et place d’un bâtiment de stockage préexistant doit être considérée comme un bâtiment existant et non un nouveau bâtiment ; qu’en revanche, la réalisation d’un nouveau bâtiment de stockage, qui trouve son emprise en partie sur une surface existante bétonnée, destinée au stockage de fourrage, doit être considérée comme un nouveau bâtiment, auquel les règles de distance sont opposables ; que le préfet a ainsi commis un erreur d’appréciation en estimant que les règles de distance par rapport à la zone NAc n’étaient pas applicables ; qu’il s’ensuit que c’est à tort que, par l’article 3 de l’arrêté litigieux, le préfet a implicitement admis que le projet était conforme aux règles de distance par rapport aux zones habitées fixées par l’arrêté du 7 février 2005 » ; C’est là une application assez classique des règles applicables aux arrêtés de dérogations aux distances d’éloignement. En effet, l’article L 512-1 du code de l’environnement prévoit que la délivrance d’une autorisation d’exploiter une installation classée peut être subordonnée notamment à son éloignement des habitations, des immeubles habituellement occupés par des tiers, des établissements recevant du public, des cours d’eau, des voies de communication, des captages d’eau ou des zones destinées à l’habitation par des documents d’urbanisme opposables aux tiers. Certaines activités donnent lieu à des arrêtés ministériels, tel que l’arrêté du 7 février 2005 (modifié à plusieurs reprises depuis) pour certains élevages, qui prescrivent des règles d’éloignement et les conditions dans lesquelles le Préfet peut y déroger. L’objectif premier des dispositions en la matière sont destinées à prévenir toutes nuisances pour les tiers. La jurisprudence administrative rendue dans ce domaine est abondante et a permis de définir de manière plus précise ce qu’il faut entendre par exemple par les notions de « tiers » et de « locaux habités » destinés à être protégés par l’éloignement de l’installation. De fait, il est loisible de constater que la jurisprudence administrative n’hésite pas à interpréter restrictivement les dispositions applicables en jugeant par exemple que l’inoccupation d’une maison d’habitation située à 30 mètres d’une porcherie n’interdit pas l’usage des prérogatives précitées (TA Rennes, 30 avr. 1992, n° 872220, Pascal Ruault). Surtout, le Conseil d’Etat a précisé par un arrêt du 1er mars 2013 que des règles de distance inférieures à celles prescrites par l’arrêté ministériel du 7 février 2005 peuvent être accordées par arrêté préfectoral, alors même que ne sont pas applicables les dispositions dérogatoires du paragraphe 2.1.1 de l’annexe 1 de l’arrêté du 7 février 2005, dès lors que les intérêts garantis par l’article L. 511-1 du code de l’environnement sont protégés. L’arrêt de la CAA de Nancy du 1er août 2013 applique quant à lui les règles d’éloignement prévues par l’arrêté ministériel du 7 février 2005 (arrêté qui fixe les règles techniques pour les élevages de bovins, de volailles et/ou gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration ICPE), et qui prévoit en son annexe I : « Article 2.1.1. : Règles générales : Les bâtiments d’élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100m des habitations des tiers (…) ou des locaux habituellement occupés par des tiers, des stades ou des terrains…

ICPE/ Transposition de la directive Seveso III par la loi du 16 juillet 2013

Par la loi n°2013-619 du 16 juillet 2013,portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne dans le domaine de l’environnement (loi n°2013-619 du 16 juil. 2013, JORF n° 164 du 17 juil. 2013, p11890), le législateur a souhaité anticiper dans le domaine des installations classées la transposition de la directive SEVESO III. Il en a également profité pour apporter certaines modifications au droit général des installations classées sans lien direct avec la directive précitée. En effet, cette loi contient des dispositions relatives aux installations SEVESO, mais également des dispositions relatives au droit de l’antériorité ou encore aux Plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Pour autant, dès à présent, il convient de remarquer qu’une partie de ces dispositions ne seront applicables qu’à compter du 1er juin 2015, c’est-à-dire au jour du délai de transposition de la directive SEVESO III. Il s’agit des dispositions visant à : préciser les éléments à prendre en compte pour la délivrance de l’autorisation des installations classées soumises à autorisation, à savoir notamment les zones de loisirs, les zones présentant un intérêt naturel particulier ou ayant un caractère particulièrement sensible (loi n°2013-619, art. 1) ; créer un régime général d’institution de servitudes d’utilité publique applicable à toutes les catégories d’installation classée, tout en reprenant la liste des servitudes qui pouvaient être instituées avant la réforme (loi n°2013-619, art. 3) ; regrouper dans une nouvelle section toutes les règles spécifiques applicables aux ICPE susceptibles de créer des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, au sein de laquelle on retrouve une sous-section relative aux règles communes à toutes ces installations (C. env., futurs art. L. 515-32 à L. 515-35) et une sous-section consacrée spécifiquement aux établissements SEVESO dits « Seuil Haut » (C. env., futurs art. L. 515-36 à L. 515-42). Ainsi, se trouve désormais consacrée au niveau législatif la distinction entre les installations SEVESO seuil bas et celles seuil haut (loi n°2013-619, art. 10 et 11).     Les autres dispositions, d’application immédiate, sont celles visant à : étendre le droit d’antériorité prévu à l’article L. 513-1 du code de l’environnement aux établissements dont le régime administratif évolue du fait uniquement d’un changement de classification de dangerosité d’une substance, d’un mélange ou d’un produit utilisés ou stockés dans l’installation (loi n°2013-619, art. 2) ;   lever les freins à l’élaboration et à l’approbation des Plans de Préventions des Risques Technologiques (PPRT) en prévoyant :                              – Un délai de 6 ans à compter du bouclage financier du PPRT pour les riverains pour exercer le droit de délaissement lorsque celui-ci leur a été accordé par le PPRT. On notera que pour les plans approuvés avant le 30 juin 2013, les riverains ont jusqu’au 30 juin 2020 pour exercer ce droit (loi n°2013-619, art. 4);                              – Une clarification des travaux prescrits par le PPRT éligibles au crédit d’impôt à hauteur de 40% de leur coût total en y intégrant expressément le diagnostic préalable aux travaux (loi n°2013-619, art. 6)                              – L’harmonisation du plafonnement du montant des travaux prescrits aux riverains par le PPRT avec le plafond prévu pour le crédit d’impôt au bénéfice des personnes physiques, fixé à l’article 200 quater A du code général des impôts . Ainsi désormais, le plafond du montant des travaux prescrits par le PPRT à un riverain est de 20 000 euros (loi n°2013-619, art. 8);                              – La participation à hauteur de 50% répartie à parts égales entre d’une part les exploitants à l’origine des risques et d’autre part les collectivités territoriales dans le financement des travaux prescrits aux riverains par le PPRT (loi n°2013-619, art. 9);                              – L’inclusion des dépenses liées à la limitation de l’accès et à la démolition éventuelle des biens exposés aux risques afin d’en empêcher toute occupation future jusqu’alors exclusivement prises en charge par les collectivités dans les mesures dont le coût est réparti par convention ou, à défaut, par la loi entre l’Etat, les exploitants, et les collectivités (loi n°2013-619, art. 6);   Une simplification de la procédure d’enquête publique applicable aux PPRT (loi n°2013-619, art. 7) : en confiant toutes les démarches administratives au préfet. Ainsi, ce n’est plus aux communes que revient la charge d’élaborer l’ensemble des documents nécessaires à la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) et à l’enquête parcellaire ; en supprimant l’organisation de l’enquête publique de déclaration d’utilité publique au profit de l’enquête préalable à l’élaboration des PPRT, laquelle vaudra désormais enquête publique de déclaration d’utilité publique ; en permettant que l’utilité publique des expropriations soit prononcée immédiatement après l’approbation du PPRT ; en supprimant l’analyse des moyens de protection des populations alternatifs aux mesures foncières d’expropriation et de délaissement dans le cadre de la procédure de déclaration d’utilité publique, laquelle est déjà menée dans le cadre de la procédure d’élaboration des PPRT ;       Etienne Pouliguen Green Law Avocat Juriste

Pollution par les nitrates: la France encore condamnée par la CJUE

Sans surprise, la France se voit une nouvelle fois condamnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour manquement relatif à la violation de la directive 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (CJUE, 13 juin 2013, Commission c. France, aff. n°C-193/12).   En effet, par un arrêt du 13 juin 2013, les juges de l’Union Européenne ont décidé qu’ « en ayant omis de désigner en tant que zones vulnérables plusieurs zones caractérisées par la présence de masses d’eau de surface et souterraines affectées, ou risquant de l’être, par des teneurs en nitrates excessives et/ou par un phénomène d’eutrophisation, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 1 et 4, de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, ainsi que de l’annexe I de celle-ci ».   Pour rappel, la Directive 91/676 prévoit l’établissement par chaque Etat membre d’une liste des zones vulnérables dont une mise à jour doit être effectuée au moins tous les quatre ans, afin de tenir compte des changements et des facteurs imprévisibles au moment de la désignation précédente.   Plus précisément, les zones vulnérables sont celles alimentant des eaux atteintes par la pollution et qui contribuent à cette pollution. Doivent ainsi être désignées comme zones vulnérables au sens de l’article 3, §2 et de l’annexe I de la directive 91/676, les zones dans lesquelles : Les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées au captage d’eau potable, contiennent ou risquent de contenir, une concentration de nitrates supérieure à celle prévue par la directive 75/440/CEE du 16 juin 1975 ; Les eaux souterraines ont, ou risquent d’avoir, une teneur en nitrate supérieure à 50 mg/L; Les lacs naturels d’eau douce, les autres masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines ont subi ou risquent dans un avenir proche de subir une eutrophisation.   La non-délimitation d’une zone comportant pourtant toutes les caractéristiques d’une zone vulnérable s’avère préjudiciable pour l’environnement en ce que cela retarde nécessairement la mise en place des mesures visant à améliorer l’état des eaux, et on sait désormais qu’une telle omission est sanctionnée par la CJUE.   En l’espèce, la Commission reprochait à la France d’avoir omis de désigner dix zones supplémentaires en tant que zones vulnérables lors de la troisième révision de la liste des zones vulnérables opérée en 2007. Elle a donc envoyé une lettre de mise en demeure à l’Etat français le 17 juin 2011, lequel s’est borné à répondre que les zones incriminées seraient analysées lors de la prochaine procédure de révision prévue au cours de l’année 2012. La Commission, ne pouvant se satisfaire d’une telle réponse, demande à la France dans un avis motivé en date du 28 octobre 2011 de désigner les dix zones incriminées en tant que zones vulnérables dans un délai de 2 mois.  Cependant, la France préférant s’en tenir à son calendrier de révision, ne donne pas de suites favorables à cet avis.   La Commission a donc été amenée à introduire un recours en manquement contre la France devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, lequel s’est traduit sans surprise par la reconnaissance du manquement par la Cour et à la condamnation de la France.   On notera cependant – et le contribuable français s’en réjouira – que le laxisme français dans la mise en œuvre du droit de l’Union Européenne lié à l’environnement n’est, cette fois-ci, pas sanctionné financièrement par la Cour. Il n’en sera probablement pas de même dans le contentieux relatif à l’efficacité et la suffisance  des programmes d’actions mis en place pour améliorer l’état des eaux de surface et souterraines des zones vulnérables conformément aux objectifs européens dont est également saisi le juge de l’Union Européenne.   En effet, il convient de rappeler qu’à la désignation de zones vulnérables par l’Etat membre, s’ajoute l’obligation pour celui-ci de mettre en place un programme d’action pour ces zones.   Dans ce domaine, comme nous l’avions précédemment noté, le juge administratif français a déjà mis en évidence l’insuffisance des programmes d’action départementaux en Bretagne en ce qu’ils ne comportaient aucune mesure spécifique relative à la maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles sur les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les algues vertes (Tribunal administratif de Rennes, 30 mars 2013, n°1000233, 1000234, 1000235, 1000236). Ainsi, bien que devant prochainement être soumis à de nouvelles règles  – dont la teneur peut être connue en consultant le projet d’arrêté ici – les programmes d’actions aujourd’hui en vigueur visant à protéger les eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole risquent forts d’être jugés insuffisants et/ou inefficaces par la Cour de Justice de l’Union Européenne.   Etienne Pouliguen- Green Law Avocat Juriste

L’Etat encore condamné à indemniser le ramassage communal des algues vertes !

L’amitié est comme les algues, nous enseigne un proverbe gabonais : quand on s’en approche, elles s’éloignent et quand on s’éloigne, elles se rapprochent.   En Bretagne  les choses sont bien moins poétiques : les algues restent et les vrais pollueurs prennent le large…   La prolifération des algues vertes en Bretagne causée par des pollutions d’origine agricole des eaux superficielles et souterraines donne lieu à un contentieux indemnitaire récurrent, dont l’unique responsable est l’Etat qui renonce par ces « carences fautives » à imposer le respect des règles environnementales.   Dans quatre arrêts récents, la Cour administrative d’appel de Nantes a donné gain de cause à quatre communes bretonnes en condamnant l’Etat à indemniser le préjudice subi par la prolifération des algues vertes, constitué en l’espèce par le coût du ramassage et du transport de ces algues pour l’année 2010 (Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00342, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00343, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00344, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00345, Inédit au recueil Lebon).   Les quatre communes ont obtenu des indemnités comprises entre 9000 et 72 000 euros.   En 2009, la même Cour avait condamné l’Etat à indemniser, cette fois-ci, des associations en réparation du préjudice moral résultant pour elles « d’une atteinte importante aux intérêts collectifs environnementaux qu’elles se sont données pour mission de défendre » et imputé à la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des réglementations européenne et nationale en matière de pollution des eaux par les nitrates (Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre , 01/12/2009, 07NT03775). Les montants octroyés étaient compris entre 3 000 et 15 000 euros.   Dans chacun des arrêts précités de mars 2013, la Cour reprend un raisonnement identique à son arrêt de 2009 pour admettre la responsabilité de l’Etat dans la prolifération des algues.   La Cour indique que l’Etat a commis une faute en ne contrôlant pas suffisamment la qualité de l’eau et les pollutions diffuses d’origine agricole dans le sol, en ne respectant pas notamment la réglementation européenne. Ces carences ont entraîné dans un premier temps des pollutions très importantes de nitrates dans les eaux, puis la prolifération d’algues vertes sur le littoral breton. Les communes ont dû ramasser et transporter ces algues mais le coût de cette prise en charge n’a pas été supporté en intégralité par l’Etat.   Aussi, la Cour considère que le surcoût du transport et de ramassage des algues constitue un préjudice financier pour les communes, lequel présente un lien direct et certain avec les carences fautives de l’Etat :   « 8. Considérant qu’il résulte des développements qui précèdent que les carences de l’Etat dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole sont établies ; que ces carences sont constitutives d’une faute de nature à engager sa responsabilité ; que la circonstance invoquée par le ministre que l’Etat aurait mis en place, depuis 2003, des programmes d’action en matière de lutte contre les pollutions existantes, dont les résultats, ainsi qu’il a été dit plus haut, ne sont pas démontrés et dont il n’est pas contesté qu’ils ne seront pas en mesure, en tout état de cause, compte tenu de la nature et de l’ampleur des pollutions existantes liées aux carences sus-décrites, d’améliorer la situation avant de nombreuses années, n’est pas susceptible d’atténuer cette responsabilité; 9. Considérant que si l’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales précise que les communes concourent avec l’Etat à la protection de l’environnement, et si l’article L. 2212-3 du même code prévoit que le pouvoir de police du maire s’exerce, dans les communes riveraines de la mer, sur le rivage de la mer jusqu’à la limite des eaux, ces dispositions ne sauraient, contrairement à ce que soutient le ministre, être interprétées comme ayant pour effet d’exonérer, même partiellement, l’Etat de sa responsabilité à raison des fautes commises par lui, ainsi qu’il vient d’être dit, dans l’application des règlementations européenne et nationale en matière de prévention des pollutions d’origine agricole ; 10. Considérant, enfin, que le ministre ne peut invoquer, pour exonérer l’Etat de sa responsabilité, les stipulations de la convention du 15 avril 2010 portant délégation de maîtrise d’ouvrage à Lannion-Trégor agglomération pour la mise en œuvre du ramassage et de l’évacuation des algues vertes, celles de la convention du 26 mai 2010 relative au ramassage expérimental et préventif des algues vertes pour l’année 2010, et celles de la convention du 30 novembre 2010 relative au traitement des algues vertes, auxquelles la commune de Tréduder est partie, qui ne prévoient nullement la prise en charge, par cette dernière, d’une partie des frais exposés pour le ramassage des algues vertes ; 11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’obligation de payer dont se prévaut la commune de Tréduder à l’égard de l’Etat, n’est, dans son principe, pas sérieusement contestable ; »Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00342, Inédit au recueil Lebon     Notons que les différentes indemnisations ont été octroyées malgré la conclusion de conventions de délégation de service public passées entre l’Etat et certains EPCI pour financer le ramassage et le transport des algues vertes, dès lors que l’enveloppe financière octroyée par l’Etat ne correspondait pas aux frais réels supportés par les collectivités.   On peut par ailleurs s’interroger sur l’exclusivité du chef de préjudice invoqué par les requérants, constitué par le coût du ramassage des algues. La responsabilité de l’Etat étant établie, pourquoi les communes n’ont-elles pas sollicité l’indemnisation d’autres préjudices tels que le préjudice financier lié à la baisse de fréquentation touristique ou encore le préjudice d’image ? Dans d’autres circonstances certaines grandes sociétés concessionnaires ne s’en étaient pas privées (D. Deharbe et L. Chabanne-Pouzynin, « L’affaire de Guingamp ou la condamnation de l’Etat en matière de pollution de l’eau par les nitrates – note sous TA Rennes, 2 mai 2001, Société Suez…

Déchet/ notion de propriétaire détenteur: la Cour de cassation rejoint l’interprétation du Conseil d’Etat

Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de Cassation adopte une interprétation de la notion de “détenteur de déchet” proche de celle du Conseil d’Etat, et établit une présomption simple en faveur du propriétaire des déchets lorsque le responsable est inconnu (Cour de cassation, 3e ch. civ., 11 juillet 2012, n°11-10.478, “ADEME c. Mme Viviane X. et Mme Léonie Z.”) Très récemment, la Cour administrative d’appel de Lyon apporte elle aussi des précisions sur la notion de détenteur: l’occasion de revenir sur l’état actuel des jurisprudences en matière de propriétaire détenteur des déchets.   L’obligation d’élimination pesant sur le détenteur Ces précisions sont d’une particulière importance car le  « détenteur de déchets » au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement se voit en pratique obligé de supporter le coût de leur élimination. Rappelons que l’article L. 541-2 du code de l’environnement prévoit que : “Toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air et les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et d’une façon générale à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination conformément aux dispositions prévues par la présente loi, dans des conditions propres à éviter lesdits effets “ Et que l’article L. 541-3 du code de l’environnement : “Au cas où les déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux dispositions de la présente loi et des règlements pris pour leur application, l’autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d’office l’élimination desdits déchets aux frais du responsable “   Cette obligation d’élimination des déchets est distincte de l’obligation spécifique de remise en état du site qui incombe à l’exploitant d’une installation classée. Toutefois, la législation « déchets » peut être appliquée par le maire ou, en cas de carence de celui-ci par le Préfet, en présence d’un exploitant défaillant, en particulier lorsque celui-ci a été mis en liquidation judicaire.     Les positions jurisprudentielles du Conseil d’Etat, puis de la Cour de cassation Le Conseil d’Etat s’est prononcé à plusieurs reprises sur la notion de « détenteur de déchets » et semble s’être définitivement positionné dans une décision du 26 juillet 2011 dite « Wattelez II » en établissant une présomption simple de responsabilité du propriétaire des terrains sur lesquels sont entreposés les déchets lorsque que le responsable initial demeure inconnu : « Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26/07/2011, 328651 « Wattelez II »)   La position du juge judiciaire était donc très attendue, et se situe fort heureusement dans la lignée de la jurisprudence actuelle du Conseil d’Etat. La Cour de Cassation établit la même présomption de responsabilité du propriétaire du terrain, tout en précisant les causes de renversement de cette présomption -absence de comportement fautif du propriétaire- : « Mais attendu qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541 1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n̊ 75 442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance ; qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenu que si Mmes Z… et X… étaient propriétaires du terrain sur lequel des déchets avaient été abandonnés par l’exploitant, elles ne pouvaient pas se voir reprocher un comportement fautif, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elles n’étaient pas débitrices de l’obligation d’élimination de ces déchets et tenues de régler à l’ADEME le coût des travaux ; »   En définitive, en l’absence de responsable connu d’un abandon de déchets, l’administration ne pourra faire peser systématiquement sur le propriétaire du terrain le coût de l’évacuation des déchets. L’absence de comportement fautif du propriétaire (que lui-même devra démontrer) fera obstacle à ce que sa responsabilité soit engagée. C’est à notre sens faire preuve de justice que de juger qu’en l’absence de responsable connu et en présence d’un propriétaire « innocent », c’est à l’Etat, par le biais de l’ADEME, qu’il revient de supporter le coût de l’élimination d’un abandon « sauvage » de déchets (qui s’élevait dans l’affaire portée devant la Cour de Cassation à 246 917 euros !).   Notons enfin que la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé dans un arrêt récent que le détenteur de déchets visé à  l’article L. 542-1 du code l’environnement doit s’entendre exclusivement comme le détenteur actuel : « Considérant que le responsable des déchets visé par l’article L. 541-3 du code de l’environnement précité, lequel renvoie aux dispositions précitées de la directive du 15 juillet 1975, qui ont été interprétée par l’arrêt n° C-188/07 de la Cour de justice des communautés européennes du 24 juin 2008 et par la décision n° 304803 du Conseil d’Etat du 10 avril 2009, s’entend des seuls détenteurs et producteurs des déchets, et non des anciens détenteurs des déchets ; que, par suite, la commune n’est pas fondée à soutenir que Tribunal a commis une erreur de droit sur ce point ; qu’il est constant qu’aucune relation contractuelle ne liait à la date de la décision attaquée le propriétaire et l’ancien propriétaire de l’ensemble immobilier de la rue des Chambons M. P.et Mme G., et la SOCIETE TRANSPORTS G., et que la société n’avait jamais été propriétaire d’immeubles situés sur la propriété des époux G., alors que Mme G. ainsi…