Permis de construire : la complétude du dossier s’apprécie de manière globale (CE, 23 décembre 2015, n° 393134)

Par un arrêt en date du 23 décembre 2015 (CE, 23 décembre 2015, n°393134, consultable ici), le Conseil d’Etat confirme que la complétude ou régularité formelle d’un dossier de demande de permis de construire doit faire l’objet d’une appréciation globale de la part du juge. Le Tribunal de grande instance de Pontoise avait interrogé le juge administratif sur la légalité d’un permis de construire : les requérants soutenaient que le dossier de demande était entaché d’insuffisance quant à la description de l’insertion paysagère du projet, et que l’autorisation avait par conséquent été adoptée à l’issue d’une procédure irrégulière. Le Conseil d’Etat a profité de cette affaire pour formaliser un principe déjà reconnu par une jurisprudence constante : celui selon lequel une insuffisance ou une lacune du dossier de demande de permis peut être compensée par les autres pièces dudit dossier (CE, 26 janv. 2015, n°362019 ; CAA Bordeaux, 3 janv. 2012, n° 11BX00191 ; CAA Nantes, 25 mars 2011,  n°09NT0282 ; CAA Bordeaux, 9 déc. 2010,  n° 10BX00804 ; CAA Nantes, 13 juill. 2012, n°11NT00590 ; CAA Marseille, 20 déc. 2011,  n° 10MA00789). La Haute Juridiction a ainsi dit pour droit que : « la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ; ».   En l’espèce, au vu des différentes pièces permettant au service instructeur de se représenter l’insertion du projet dans son environnement, le dossier ne pouvait être considéré comme globalement insuffisant : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire déposée par la société A. comportait une note de présentation décrivant la construction envisagée, notamment son gabarit et son implantation au sein de la zone d’aménagement concertée de la P. et montrant sa proximité avec les constructions anciennes situées dans l’impasse de la P.; que le dossier comportait en outre un document intitulé “ volet paysager “, dans lequel figurait une vue aérienne du terrain, une description de l’intégration paysagère du projet, précisant, notamment, que l’immeuble serait bordé par trois rues dont l’impasse de la P. , et des photographies qui permettaient d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement ; que si les requérants soutiennent que les documents figurant au dossier de demande de permis de construire auraient été insuffisants, il ressort des pièces du dossier que l’autorité administrative a été mise en mesure de porter, en connaissance de cause, son appréciation sur l’insertion du projet dans son environnement ; que par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précédemment citées du code de l’urbanisme ; » Il en résulte que seules les insuffisances substantielles peuvent justifier une annulation du permis (voir par exemple pour une absence d’informations sur l’insertion paysagère du projet : CAA Lyon, 12 novembre 2013, n°13LY00048 ; CAA Bordeaux, 26 mars 2013, n°12BX00011 ; CAA Douai, 13 août 2012, n°11DA01185 ; CAA Bordeaux, 27 mai 2010, n°09BX01734 ; ou l’oubli d’une servitude de passage permettant d’accéder au terrain d’assiette du projet : CAA Douai, 27 nov. 2014, n° 13DA01003).   Notons par ailleurs qu’il a déjà été précisé que ce principe s’applique également lorsque l’administration est en mesure de trouver les informations manquantes dans le dossier de demande de permis de démolir (CE, 30 déc. 2011, n° 342398), ou dans le dossier de demande d’autorisation ICPE (CAA Lyon, 28 févr. 2012, n° 11LY00911) déposé pour une même opération que celle faisant l’objet de la demande de permis de construire.  Cela n’est cependant pas le cas lorsque le maire a pu avoir connaissance des éléments manquants à l’occasion de l’instruction d’une précédente demande (CAA Marseille, 26 janv. 2012, n° 10MA01677). En tout état de cause, cette solution illustre encore le pragmatisme qui imprègne le contentieux de l’urbanisme, et plus particulièrement la tendance à la « danthonysation » du contentieux de l’urbanisme et de l’environnement (voir notre analyse ici).

Urbanisme: Extension du délai de validité et renforcement de la possibilité de prorogation des autorisations d’urbanisme (décret du 5 janvier 2016)

Par Sébastien BECUE- Green Law avocats Le 5 janvier 2016, le gouvernement a publié le décret n°2016-6 prolongeant le délai de validité des permis de construire, des permis d’aménager, des permis de démolir et des décisions de non-opposition à une déclaration préalable, texte qui s’inscrit dans la droite ligne du plan de relance pour le logement annoncé par Manuel Valls en août 2014. Les apports principaux du décret sont les suivants : La pérennisation de l’extension du délai de validité des autorisations d’urbanisme de deux à trois années ; La faculté, pour le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme, d’en demander deux fois la prorogation pour une durée d’un an ; L’extension de la faculté de prorogation spécifique aux éoliennes à l’ensemble des ouvrages de production d’énergie renouvelable.     La pérennisation de l’extension du délai de validité des autorisations d’urbanisme   Pour rappel, le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme ou d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux est tenu de commencer les travaux autorisés ou déclarés dans un délai déterminé. A défaut, son autorisation « périme » (article R* 424-17 du code de l’urbanisme). Le point de départ de ce délai est en principe la date de notification ou de naissance tacite de la décision, sauf lorsque le commencement des travaux est subordonnée à une autorisation ou à une procédure prévue par une autre législation. Dans ce cas, le délai court à compter de la date à laquelle les travaux peuvent commencer en application de cette législation (article R* 424-20). Le commencement des travaux se formalise en pratique par la transmission à au maire d’un formulaire CERFA de « déclaration d’ouverture de chantier » (DOC) (article R* 424-16). Le juge, lorsqu’il statue en matière de péremption, ne s’arrête toutefois pas au DOC, il contrôle la réalité du commencement des travaux (CE, 9 févr. 1977, n°00114 ; CE, 5 oct. 1988, n°72619). Le bénéficiaire avait jusqu’à maintenant deux années pour débuter les travaux. Mais déjà, dans le cadre du plan de relance, un décret n°2014-1661 du 29 décembre 2014 (que nous commentions ici) prévoyait, de façon dérogatoire, l’extension du délai de validité de deux à trois années pour les autorisations et décisions de non-opposition en cours de validité à la date de la publication du décret et celles intervenant au plus tard le 31 décembre 2015. Le décret ici commenté pérennise donc ce dispositif en l’inscrivant dans le code de l’urbanisme. Le délai de validité de trois années devient ainsi la règle. Il est à noter que le décret ne modifie pas la seconde cause de péremption des autorisations d’urbanisme et décisions de non-opposition, qui est celle causée par l’interruption des travaux au delà d’un délai d’une année. Par ailleurs, le décret procède aussi à l’extension de deux à trois années du délai de validité des décision de non-opposition à déclaration préalable portant sur un changement de destination ou une division de terrain (article R* 424-18 du code de l’urbanisme). La faculté de prorogation des autorisations d’urbanisme   Lorsqu’une autorisation d’urbanisme ou décision de non-opposition risque de « périmer », son bénéficiaire a la faculté de solliciter de l’administration, deux mois au moins avant l’expiration du délai de validité, qu’elle lui soit prolongée pour une durée d’un an, à la condition toutefois que « les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’[aient] pas évolué de façon défavorable à son égard » (article R*424-21 alinéa 1). Jusqu’au présent décret, l’autorité pouvait proroger l’autorisation ou la décision de non-opposition « pour une année ». Désormais elle a la faculté de le faire « deux fois pour une durée d’un an ». Le bénéficiaire devra donc effectuer deux demandes. L’extension de la faculté de prorogation spécifique aux éoliennes à l’ensemble des ouvrages de production d’énergie renouvelable Les éoliennes bénéficient de conditions de prorogation spécifiques et particulièrement intéressantes : la demande de prorogation peut être présentée, tous les ans, dans la limite de dix ans à compter de la délivrance de l’autorisation, et, le cas échéant, après prorogation de l’enquête publique (article R*424-21 alinéas 2 et 3 ; pour une présentation détaillée du régime, voir ici). Le décret objet du présent commentaire étend cette faculté, jusque là réservée aux seules éoliennes, à l’ensemble des ouvrage de production d’énergie renouvelable (à savoir, pour rappel : les ouvrages utilisant les énergies suivantes : éolienne, solaire, géothermique, aérothermique, hydrothermique, marine et hydraulique, biomasse, gaz de décharge, gaz de stations d’épuration d’eaux usées, et biogaz). Modalités d’entrée en vigueur du décret Ces trois modifications s’appliquent à l’ensemble des autorisations en cours de validité à la date de publication du décret, à savoir au 6 janvier 2016; Pour les autorisations d’urbanisme, décisions de non-opposition à déclaration de travaux, de changement de destination ou division de travaux, ayant bénéficié d’une prorogation ou de la « majoration » du décret n°2014-1661 du 29 décembre 2014 précité, le délai résultant est majoré d’un an. Ce décret va très certainement dans le sens des porteurs de projet. Toutefois on attend toujours les mesures permettant une vraie réduction de la durée des contentieux devant les juridictions administratives, à notre sens principal obstacle d’ordre juridique à la reprise de la construction.

La doctrine de l’armée en matière d’éoliennes : du vent ? (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, gardien de l’Etat de droit, a, dans une décision du 11 décembre 2015, précisé que les changements de doctrine de l’armée ne devaient pas préjudicier aux opérateurs éoliens lorsqu’ils demandaient une prorogation de permis de construire. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un préfet a délivré à un opérateur éolien un permis de construire pour l’implantation de sept éoliennes et d’un poste de livraison, au vu notamment d’un avis favorable rendu par l’autorité militaire en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile. L’opérateur éolien a alors déposé une demande de permis de construire modificatif afin d’augmenter la longueur des pales des sept éoliennes autorisées mais, à la suite d’un avis défavorable de l’autorité militaire, sa demande a été refusée. L’opérateur éolien a également déposé une demande de prorogation du permis de construire, elle aussi rejetée. Ces deux refus ont été contestés devant le tribunal administratif de Rennes. Le tribunal administratif, confirmé ensuite par la Cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03252), a rejeté la requête dirigé contre le refus de prorogation du permis de construire. Le tribunal a, en revanche, fait droit à la demande d’annulation du juillet refus de permis de construire modificatif au motif que le préfet avait porté son appréciation sur l’intégralité du projet et non sur les modifications faisant l’objet du permis de construire modificatif. La Cour administrative d’appel de Nantes a toutefois censuré ce raisonnement dans un autre arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03253) en estimant que la décision par laquelle le préfet s’était prononcé sur le permis de construire modificatif n’avait pas eu pour objet de retirer le permis de construire initial qui demeure. L’opérateur éolien a alors formé deux pourvois en cassation devant le Conseil d’Etat qui s’est prononcé par une seule décision le 11 décembre 2015. Il s’agit de la décision présentement commentée. (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Après s’être prononcé sur le refus de prorogation du permis de construire (I), le Conseil d’Etat a examiné le refus de permis de construire modificatif (II). I. Sur le refus de prorogation du permis de construire Aux termes du premier alinéa de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme alors applicable : ” Le permis de construire, d’aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé pour une année, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard. (…) ». Il convenait donc de déterminer si les servitudes administratives avaient évolué sur le terrain d’assiette du site. En vertu de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme: ” Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d’aménager tient lieu de l’autorisation prévue par l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile dès lors que la décision a fait l’objet d’un accord du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre de la défense. ” ; De plus, l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur (désormais codifié à l’article L. 151-43 du code de l’urbanisme) prévoyait que les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales devaient comporter en annexe les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol et qui figurent sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat. Parmi cette annexe figuraient les « Servitudes établies à l’extérieur des zones de dégagement en application des articles R. 244-1 et D.244-1 à D. 244-4 du code de l’aviation civile ». Il n’est donc pas contestable que les servitudes aéronautiques issues de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile sont des servitudes administratives au sens de l’article L. 424-21 du code de l’urbanisme. Or, l’article R.244-1 du code de l’aviation civile complété par un arrêté du 25 juillet 1990 soumet la construction d’éoliennes à autorisation du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre chargé de la défense. Toutefois, en l’espèce, la difficulté résultait dans le fait que si les servitudes aéronautiques n’avaient pas changé, leur appréciation par l’autorité militaire était devenue plus stricte. En effet, une circulaire du 3 mars 2008 créant des lignes directrices, complétée par des études de la défense datant de 2009, conduisait l’autorité militaire à apprécier plus strictement les servitudes issues de l’arrêté du 25 juillet 1990. Celle-ci a donc émis, du fait de cette modification de son appréciation, un avis défavorable sur le projet en cause. La question posée au Conseil d’Etat était donc de savoir si la modification de l’appréciation, par l’autorité militaire, des conditions dans lesquelles une servitude s’appliquait au terrain d’assiette d’un projet éolien devait être considérée comme une modification de la servitude au sens de l’article R.424-21 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’Etat répond à cette question en deux temps. Dans un premier temps, il précise que : « l’autorité administrative, saisie d’une demande de prorogation d’un permis de construire par une personne ayant qualité pour présenter une telle demande, ne peut refuser d’y faire droit que si les règles d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable ; qu’elle ne peut fonder un refus de prorogation sur une évolution des autres éléments de droit ou circonstances de fait, postérieure à la délivrance de l’autorisation ». Il avait déjà posé ce principe quelques années auparavant, dans une décision du 5 novembre 2003 (Conseil d’Etat, section, 5 novembre 2003, n°230535, publié au recueil Lebon). Il complète ensuite son analyse en ajoutant que : « la modification, dans un sens plus restrictif, de l’appréciation portée par l’autorité administrative…

Urbanisme : détermination de l’autorité compétente lorsque le permis de construire est attribué au nom de l’Etat (CE, 25 novembre 2015, n°372045)

Par Me Marie-Coline Giorno Green Law Avocat   « L’État, c’est moi », aurait affirmé Louis XIV le 13 avril 1655 devant les parlementaires parisiens… Louis XIV disparu, il devient difficile de savoir qui désormais représente l’Etat…et ce plus particulièrement en matière de permis de construire délivrés “au nom de l’Etat”, lorsqu’il existe un désaccord entre le maire et le Préfet lors de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme. Aux termes d’une décision du 25 novembre 2015 (CE, 1ère / 6ème SSR, 25 novembre 2015, n°372045, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil d’Etat a déterminé qui, en cas de désaccord sur le permis de construire, aurait le dernier mot entre le maire ou le Préfet dans l’hypothèse où le maire reviendrait sur l’avis qu’il avait émis initialement. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un permis de construire avait été sollicité sur le territoire d’une commune dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale et n’ayant pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme. Dans cette commune, les autorisations d’urbanisme étaient donc délivrées au nom de l’Etat. Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction s’était déclaré favorable au projet, tandis que le maire, postérieurement à l’expiration du délai au terme duquel son avis était réputé favorable, avait émis un avis négatif. Le Préfet avait alors décidé d’accorder le permis de construire sollicité. La commune avait saisi le tribunal administratif qui avait annulé ce permis au motif qu’il émanait d’une autorité incompétente. Par un arrêt du 12 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Lyon avait confirmé le jugement grâce au motif suivant: « 7. Considérant qu’il est constant que la commune […], dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale, n’a pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme ; qu’il ressort des pièces produites […]que le responsable de ce service de la direction départementale des territoires, qui y a d’ailleurs expressément visé l’article R. 422-2 e) précité du code de l’urbanisme, s’est déclaré favorable au projet, manifestant ainsi un désaccord avec le maire […], lequel avait porté sur le formulaire de demande de permis un avis négatif ; que, toutefois, cet avis, daté du 30 mars 2010, est intervenu plus d’un mois après que, le 18 janvier 2010, [le pétitionnaire] a renouvelé sa demande de permis de construire et en a déposé le dossier à la mairie de […]; que le maire de cette commune avait ainsi déjà émis, par son silence, un avis réputé favorable et épuisé sa compétence consultative ; qu’il n’existait en conséquence, l’avis défavorable du 30 mars 2010 devant être ignoré, aucun désaccord entre ce maire et le responsable du service instructeur ; que les faits antérieurs à cet avis réputé favorable, et notamment le refus de permis de construire opposé le 5 mai 2007, sont sans incidence ; que le préfet était dès lors incompétent, comme l’a jugé le tribunal, pour délivrer [au pétitionnaire] le permis de construire en litige ; » (CAA Lyon, 12 juillet 2013, n°13LY00643)   Le pétitionnaire s’était alors pourvu en cassation. Le Conseil d’Etat devait donc désigner qui était l’autorité compétente pour prendre la décision sur la demande d’autorisation d’urbanisme, question qui nécessitait de déterminer si un maire pouvait changer d’avis après avoir émis un premier avis favorable. Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a censuré la position de la Cour administrative d’appel de Lyon. Il a, tout d’abord, indiqué à qui devait en principe échoir la compétence en matière d’urbanisme. Principe de compétence du Maire: dans les communes qui ne sont pas dotées d’un document d’urbanisme ou qui sont dotées d’une carte communale mais dans lesquelles le conseil municipal n’a pas délibéré pour donner la compétence au maire en matière d’instruction d’autorisations d’urbanisme, l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme dispose que le permis de construire est délivré au nom de l’Etat, par le maire ou par le Préfet. Plus exactement, l’article R.422-1 du code de l’urbanisme précise que « Lorsque la décision est prise au nom de l’Etat, elle émane du maire, sauf dans les cas mentionnés à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme où elle émane du préfet. » Exceptions à la compétence du Maire: Parmi les exceptions listées à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme, il est notamment exposé que le Préfet est compétent pour délivrer le permis de construire dans les communes visées au b de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme « En cas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction mentionné à l’article R. 423-16 » du code de l’urbanisme. Ces précisions sur la compétence apportées, le Conseil d’Etat a alors examiné quelle était la procédure lors de l’instruction d’un permis de construire délivré au nom de l’Etat. Il a notamment souligné qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 423-72 du code de l’urbanisme, «  Lorsque la décision est de la compétence de l’Etat, le maire adresse au chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction son avis sur chaque demande de permis et sur chaque déclaration. Cet avis est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans le délai d’un mois à compter du dépôt à la mairie de la demande de permis […] ». De plus, le Conseil d’Etat a relevé que, selon l’article R. 423-74 du même code : « Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction adresse un projet de décision au maire ou, dans les cas prévus à l’article R. 422-2, au préfet. / Dans les cas prévus à l’article R. 422-2, il en adresse copie au maire […] ». Cet état du droit rappelé, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si le maire pouvait retirer son avis favorable pour…

Urbanisme / responsabilité administrative : l’absence de contestation d’une décision illégale n’empêche pas nécessairement le pétitionnaire d’engager la responsabilité pour faute de l’administration (CE, 21 sept. 2015, n°371205)

On sait que le contentieux urbanistique est abondant et qu’il n’est pas rare que des décisions administratives soient jugées illégales. On oublie toutefois souvent qu’une telle décision peut ensuite fonder une action indemnitaire contre la personne publique auteur de la décision. En effet, la responsabilité extracontractuelle de l’autorité administrative dans l’exercice de ses compétences d’urbanisme peut être engagée par le pétitionnaire qui a subi un dommage en raison d’une décision ou d’un agissement illégal. Une telle action doit être portée devant le juge administratif, et elle suppose la démonstration de trois éléments : une faute, un dommage et un lien de causalité. Pour faire échec à un tel recours, l’administration peut néanmoins invoquer des causes exonératoires : il a ainsi déjà été jugé que l’imprudence ou la faute du demandeur est de nature à justifier une atténuation de la responsabilité de l’administration, voire une exonération totale (CE, 2 oct. 2002, n° 232720 ; CE, 25 avr. 2003, n° 237888 ; CAA Paris, 27 avr. 1999, n° 96PA00435 ; CAA Bordeaux, 26 avr. 2011, n° 10BX01153 ; TA Versailles, 3e ch., 6 nov. 1997, n° 913211 ; CAA Lyon, 26 nov. 2009, n° 07LY01503 ; CE, 1er oct. 1993, n° 84593). En effet, dans cette hypothèse, le juge estime que le dommage découle non pas de la faute de l’administration mais de celle de la victime, et que le lien de causalité est alors rompu (CAA Lyon, 9 juill. 2013, n° 12LY02382). C’est précisément sur ce point que porte l’arrêt commenté (CE, 21 sept. 2015, n° 371205, consultable ici). En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré à une société puis retiré un permis de construire portant sur un projet de station de distribution de carburant. Ayant déjà engagé des travaux d’aménagement à la date du retrait du permis, la société avait alors engagé la responsabilité de la commune pour être indemnisée des préjudices que lui avait causés cette décision. Les juges du fond avaient toutefois rejeté ses demandes au motif que, n’ayant pas contesté le retrait illégal (elle n’avait pas demandé au Tribunal administratif de l’annuler en d’autres termes), elle avait elle-même contribué à la réalisation de son préjudice, ce qui faisait obstacle à la reconnaissance du lien de causalité requis : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’après avoir présenté un recours gracieux contre le retrait du permis de construire qui lui avait été accordé, la société TC s’est engagée avec la commune dans un processus transactionnel consistant à rechercher, en contrepartie de l’abandon de son projet, un autre terrain lui permettant d’implanter une station de distribution de carburant ; que la société requérante n’a pas, bien que la recherche d’une transaction n’y aurait pas fait obstacle, présenté, à titre conservatoire, de recours tendant à l’annulation de l’arrêté portant retrait du permis de construire ni n’a demandé la suspension de l’exécution de cette décision sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative ; que la société TC  s’est finalement bornée, par la requête enregistrée sous le n° 0900101, à présenter devant le tribunal administratif de Fort-de-France des conclusions tendant à la condamnation de la commune du Lamentin au versement d’indemnités qu’elle n’avait pu obtenir par voie transactionnelle ; qu’en s’abstenant ainsi de mettre en œuvre les recours effectifs dont elle disposait pour solliciter la suspension et l’annulation du retrait de permis de construire, lesquels lui auraient permis d’obtenir satisfaction au regard du motif d’illégalité précédemment rappelé, et en préférant la stratégie consistant à s’engager dans la négociation d’un échange de parcelles avec la commune ou d’une transaction, la société TC doit être regardée comme ayant abandonné son projet initial, dont il ressort au demeurant des pièces du dossier qu’il avait principalement pour objet d’empêcher l’installation d’un concurrent ; que cette circonstance fait obstacle à ce que les préjudices qu’elle allègue puissent être regardés comme en lien direct avec l’illégalité de la décision portant retrait du permis de construire ; que, par suite, la société TC n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté ses demandes indemnitaires ; » (CAA Bordeaux, 16 mai 2013, n°11BX01823) Or le Conseil d’Etat censure ce raisonnement : la Haute Juridiction considère ainsi que le choix du pétitionnaire de ne pas attaquer l’acte litigieux sur le terrain de la légalité ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée : « Considérant qu’en statuant ainsi, alors que les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire et, qu’en tout état de cause, l’absence d’exercice de voies de recours contre ce retrait ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée, la cour administrative d’appel a procédé à une inexacte qualification juridique des faits ; qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, que son arrêt doit être annulé ; »   Notons que cette décision peut sembler contredire un arrêt rendu en novembre 2014 (CE, 14 nov. 2014, n° 366614, voir notre analyse ici), dans lequel le Conseil d’Etat avait jugé que des requérants ne pouvaient engager la responsabilité d’une commune alors que leur dommage n’était pas imputable à la décision illégale du maire, mais au manque de diligence dont ils avaient fait preuve pour prévenir la réalisation de leur dommage, en n’engageant la procédure de référé adéquate que plus de deux ans après l’intervention de ladite décision… En réalité, les deux affaires diffèrent, puisque dans l’arrêt de 2015, le juge précise bien que « les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire » : l’origine du dommage n’était donc pas certaine. C’est donc à la Cour administrative d’appel de Bordeaux, à qui l’affaire a été renvoyée, qu’il appartiendra de déterminer si le dommage de la société requérante a été causé…