Antenne relai : régulariser n’est pas gagner…

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, a, par un jugement du 7 juillet 2020, annulé un permis de construire un pylône de relais radiotéléphonique : Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait, par jugement avant dire droit du 26 novembre 2019, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer sur les requêtes présentées par les requérants riverains demandant l’annulation du permis de construire tacite un pylône de relais radiotéléphonique, déjà érigé. Notons que cet article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, tel que modifié par la loi ELAN du 23 novembre 2018, est entré en vigueur le 1er janvier 2019. La loi ELAN est venue rendre obligatoire pour le juge l’utilisation de cet article qui dispose que : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ». Dans sa version initiale, telle que prévue par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, ne faisait de cette régularisation qu’une simple faculté pour le juge (voir sur la régularisation : cf.  R. MICALEF, « L’incidence des pouvoirs du juge administratif sur l’évolution du mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme », Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme 2/2020) En l’espèce, le jugement avant dire droit a imparti un délai de trois mois pour justifier de la délivrance d’un permis de régularisation au vu d’un avis conforme de l’architecte des bâtiments de France au regard de la législation relative à la protection des abords d’un monument historique en application de l’article L. 632-2 du code du patrimoine. L’avis de l’ABF était requis du fait de la covisibilité de l’antenne avec une Villa Lecorbusier (la Villa Stein-de-Monzie). Le maire de la commune de Vaucresson a donc ensuite délivré un permis de régularisation le 27 février 2020 au vu de l’avis de l’architecte des bâtiments de France du 26 février 2020. Cet avis favorable émis par l’architecte des bâtiments de France, était assorti de trois prescriptions alternatives. Selon celles-ci la société FREE Mobile devait « proposer  des modifications  permettant  de  résoudre  l’aspect  inesthétique  du  pylône  proposé,  positionné dans le champ de visibilité du monument historique, soit en améliorant l’aspect du dispositif pour permettre une insertion qualitative, soit en le déplaçant et en retravaillant le dispositif de façon à ce qu’il soit mieux inséré et moins visible dans les abords du monument, soit en le déposant  intégralement ». Conformément à un considérant de principe du Conseil d’Etat (notamment CE, 3 juin 2020, n° 427781), les juges notent néanmoins que « les  prescriptions  dont  est  assorti  le  permis  de régularisation entraineront des modifications du projet litigieux sur des points qui ne sont pas précis  et  limités  et  qui  nécessiteront  la  présentation  d’un  nouveau  projet » et concluent que « compte  tenu  de  la  teneur  et  de  l’importance  des  prescriptions  émises  par  l’architecte  des bâtiments de France, conduisant à la remise en cause quasi intégrale des caractéristiques du projet, voire de son existence même, le maire de Vaucresson ne pouvait légalement délivrer le permis de construire de régularisation ». En effet, il apparaît clairement que les prescriptions de l’architecte des bâtiments de France ne pouvaient que modifier le projet de manière importante : Améliorer l’aspect du dispositif pour permettre une insertion qualitative, aurait nécessairement modifié le projet de manière considérable ; Déplacer et en retravailler le dispositif de façon à ce qu’il soit mieux inséré et moins visible dans les abords du monument, aurait pu générer de nouveaux impacts ; le déposer intégralement, aurait totalement modifié le permis délivré. Ce d’autant que ces prescriptions n’était pas plus produites et invitaient la société FREE Mobile à faire des propositions dans le sens de ces trois prescriptions. Ainsi, le permis de construire de régularisation étant illégal, il n’a pas pu régulariser le permis initial et celui-ci est purement et simplement annulé. Le contentieux des antennes 4 G est désormais purement urbanistique, depuis que le Conseil a exclu tout débat sur le débat sanitaire. La planification locale constitue une contrainte pour les opérateurs. Dernièrement, on peut ainsi relever que la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé que PLU pouvait très bien avoir entendu régir la hauteur de toutes les constructions implantées dans la zone UE, ce y compris les antennes relais (CAA Marseille, 30 juin 2020, n° 18MA05467) : Notre espèce démontre que sur le terrain paysager la protection  renforcée que constitue la législation des monuments historiques et des sites classées constitue même un obstacle ne souffrant pas la régularisation. Reste qu’il ne suffit pas non plus de soutenir la co-visibilité avec un monument historique sans en rapporter sérieusement la preuve ; dans ce dernier cas le juge ne pourra que rappeler que ” la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s’apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage ” (CE 20 janvier 2016 Commune de Strasbourg, Société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés, req. n° 365987-365996) Et le juge n’hésitera pas à constater que la démonstration de la co-visibilité entre l’antenne et le monument historique fait tout simplement défaut. Ainsi la CAA de Bordeaux juge-t-elle récemment : ” 10. Il ressort des pièces du dossier et plus précisément de l’Atlas des patrimoines publié par le ministère de la culture, que le terrain d’assiette du projet, constitué de la parcelle cadastrée AD 245, se situe à l’intérieur du périmètre de 500…

Plantez si vous pouvez !

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Pour la première fois à notre connaissance, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le respect des droits des tiers lorsque des prescriptions spéciales sont imposées au pétitionnaire pour accompagner des permis de construire éoliens (Conseil d’Etat, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 16 octobre 2015, n°385114, mentionné dans les tables du recueil Lebon, consultable ici). Les faits de l’espèce ayant donné lieu à cette décision sont les suivants. Le Préfet de la Nièvre a accordé à un opérateur éolien six permis de construire en vue de l’implantation d’un parc de cinq éoliennes et d’un poste de livraison. Les autorisations de construire pour les éoliennes comportaient, en leur article 2, des prescriptions d’ordre technique, indivisibles du reste du permis imposant, au titre de la protection de l’environnement, la plantation de haies sur des parcelles appartenant à des propriétaires privés. Plusieurs requérants ont demandé au tribunal administratif de Dijon l’annulation de ces six arrêtés. Par un jugement n°1102113 du 4 avril 2013, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les requérants ont ensuite interjeté appel auprès de la Cour administrative d’appel de Lyon. Par un arrêté n°13LY01455 du 19 août 2014, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Dijon en tant qu’il avait rejeté les conclusions des requérants tendant à l’annulation des cinq arrêtés du Préfet relatifs à la construction des cinq éoliennes en tant que, dans leur article 2, ces arrêtés prescrivaient la plantation de haies et a annulé dans cette mesure les arrêtés en cause. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Les requérants ont alors formé un pouvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. Aux termes de sa décision, la Haute Juridiction a annulé l’arrêt de la Cour administrative de Lyon au motif qu’elle avait omis de statuer sur un moyen qui n’était pas inopérant. Décidant de régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a alors successivement écarté les moyens tirés de : – L’absence de réponse à certains arguments relatifs à l’insuffisance de l’étude d’impact ; – L’insuffisance de l’analyse de l’étude d’impact sur les chiroptères ; – L’inexactitude de l’étude d’impact et de ses annexes en ce qui concerne l’axe du couloir de migration des grues cendrées ; – L’insuffisance des mesures acoustiques ; – La méconnaissance de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme relatif au contenu du dossier de permis de construire lorsque tout ou partie de l’installation est implantée sur du domaine public ; – La méconnaissance de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme en ce qui concerne l’impact sur l’avifaune ; – La méconnaissance de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte à l’activité agricole et à la promotion d’une urbanisation dispersée ; – La méconnaissance de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte au paysage ou à l’environnement visuel. Puis, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’Etat se prononce sur le moyen selon lequel le Préfet aurait commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires. En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que « si les requérants soutiennent que le préfet de la Nièvre a commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires, cette circonstance, à supposer que les propriétaires concernés n’aient pas donné leur accord à la date de délivrance des permis attaqués, n’est pas de nature à entacher d’illégalité ces derniers, qui ont été délivrés sous réserve des droits des tiers ». Cette position était prévisible. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les permis de construire sont délivrés sous réserve des droits des tiers (pour les premières occurrences de ce principe que nous avons recensées : Conseil d’Etat, 5 mars 1965, n°57315 ou encore Conseil d’Etat, 18 octobre 1968, n°65358, publié au recueil Lebon ; pour des décisions très récentes : Conseil d’Etat, 19 juin 2015, n°368667, publié au recueil Lebon ; Conseil d’Etat, 23 mars 2015, n°348261, publié au recueil Lebon ou encore Conseil d’Etat, 9 mai 2012, n°335932, mentionné aux tables du recueil Lebon). En outre, bien que le Conseil d’Etat ne vise aucun texte pour affirmer ce principe, il convient de constater que ce dernier est désormais codifié à l’article A.424-8 du code de l’urbanisme aux termes duquel : « […] Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme. » A cet égard, il convient de souligner que les juridictions du fond n’hésitent pas à viser expressément l’article A.424-8 du code de l’urbanisme dans leurs arrêts (voir, pour quelques exemples, CAA Nantes, 3 avril 2015, n°14NT00188 ; CAA Bordeaux, 2 octobre 2014, n°13BX00806 ; CAA Marseille, 12 décembre 2013, n°11MA04657 ; CAA Lyon 12 novembre 2013, n°13LY01123). Il résulte de la rédaction de ces dispositions que le Conseil d’Etat ne pouvait reconnaître une quelconque erreur de droit du Préfet lorsqu’il a prescrit la plantation de haies sur des parcelles privées sans l’accord de leurs propriétaires. Cette position qui affirme la légalité des permis délivrés n’en présente pas moins une conséquence à ne pas perdre de vue pour les opérateurs. En effet, en second lieu, le Conseil d’Etat précise très logiquement que : « la construction du parc d’éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu’à la condition que les haies aient pu être plantées ». Il en déduit alors que « le moyen tiré de ce que ces prescriptions seraient entachées d’illégalité…

Contentieux I.C.P.E. éolien : premier jugement, premières tendances

La loi Grenelle 2 (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) a inséré l’article L. 553-1 dans le code de l’environnement. Cette nouvelle disposition soumet désormais les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 a créé une nouvelle rubrique (n° 2980) soumettant les éoliennes industrielles au régime d’autorisation. L’instruction des dossiers de demande d’autorisation au titre de la législation sur les ICPE a été longue et souvent laborieuse, les premiers arrêtés d’autorisation d’exploiter des éoliennes ont finalement été pris et, cinq ans après la loi Grenelle 2, les premiers jugements sur ces arrêtés sont enfin rendus. Le jugement du Tribunal administratif de Caen (TA caen 4 déc. 2014 n° 1301339), objet du présent commentaire, est l’une de ces premières décisions – à notre connaissance, c’est sans la toute la première. En l’espèce, par un arrêté du 17 janvier 2013, le Préfet de l’Orne a délivré à la société Centrale éolienne les Hauts-Vaudois une autorisation d’exploiter onze éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Montgaroult et Sentilly. De nombreux requérants dont l’association de défense des Monts ont saisi le Tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cet arrêté. Aux termes d’un jugement du 4 décembre 2014 (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339, Association Défense Des Monts et autres), les juges du fond ont rejeté la requête en écartant chacun des moyens qui étaient invoqués devant eux. Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne un premier aperçu de l’appréciation du juge sur les différents moyens susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un recours dirigé contre un arrêté d’autorisation d’exploiter des éoliennes industrielles. Douze moyens étaient invoqués en l’espèce. Il conviendra d’examiner uniquement les moyens propres à la législation sur les ICPE qui présentent un intérêt particulier. 1) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa version alors applicable : « I.-A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (…) 7° Dans le cas d’une installation à implanter sur un site nouveau, l’avis du propriétaire, lorsqu’il n’est pas le demandeur, ainsi que celui du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, sur l’état dans lequel devra être remis le site lors de l’arrêt définitif de l’installation ; ces avis sont réputés émis si les personnes consultées ne se sont pas prononcées dans un délai de quarante-cinq jours suivant leur saisine par le demandeur ». En l’espèce, l’opérateur éolien a bien sollicité l’avis des maires des communes concernées par l’implantation d’éoliennes sur l’état dans lequel le site devra être remis lors de l’arrêt définitif de l’installation. Néanmoins, ces courriers n’ont pas été joints à la demande d’autorisation. Pour examiner le caractère substantiel ou non de ce vice de procédure, le Tribunal administratif de Caen fait une application du principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon). Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit le Tribunal administratif de Caen à écarter le moyen. 2) Sur le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par les articles R. 512-6 et R. 512-8 du code de l’environnement En matière ICPE, le dossier de demande d’autorisation doit comprendre une étude d’impact dont le contenu est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement Différents arguments étaient invoqués à l’encontre de cette étude d’impact mais la réponse apportée par le Tribunal à certains des arguments est parfois particulièrement intéressante. • L’insuffisance de l’étude d’impact sur l’incidence du projet sur les chiroptères Les requérants soutenaient que les impacts des éoliennes sur les chiroptères avaient été insuffisamment étudiés. Le Tribunal administratif de Caen est très prolixe sur cet argument et étaye fortement sa réponse. Après avoir rappelé les études réalisées pour apprécier les impacts du projet sur les chauves-souris et après avoir détaillé l’ensemble des mesures prises pour limiter les impacts du projet sur les populations de chiroptères, le Tribunal administratif de Caen souligne que l’arrêté attaqué impose, en outre, à l’exploitant des mesures de prévention et de compensation qui ne seront levées qu’en cas de constat d’absence de mortalité des chauves-souris. La réponse très détaillée à cet argument témoigne du caractère sensible de cette question dans cette affaire. Il est vrai, qu’en l’espèce, les recommandations du groupe Eurobats sur les distances à respecter entre une éolienne et les haies et boisements les plus proches n’étaient pas respectées. Pour justifier néanmoins du caractère suffisant de l’étude d’impact, le juge administratif n’a donc pas hésité à se référer aux mesures de prévention et de compensation contenues dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Bien que cette référence au contenu de l’arrêté soit, en principe, sans incidence sur le caractère suffisant de l’étude d’impact, il s’agit d’un indice témoignant, en tout état de cause, de la prise en compte de cette problématique par le Préfet. • L’insuffisance de l’étude d’impact concernant la prise en compte d’un radar Météo-France Les requérants prétendaient que des mesures particulières concernant un radar météorologique situé à proximité devaient être envisagées et chiffrées dans l’étude d’impact. Néanmoins, Météo-France a émis un avis favorable au projet assorti de recommandations quant à la hauteur totale des aérogénérateurs et la longueur des pales que le projet respectait. Par suite, cet argument tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact a été écarté. Cette position témoigne une fois encore du poids accordé aux avis de Météo-France. Alors qu’un avis défavorable est souvent bloquant pour les projets éoliens, un avis favorable peut, à l’inverse, difficilement être remis en cause. Cette opacité…

Démontage des éoliennes industrielles : pourquoi cela restera exceptionnel (TGI Montpellier, 17 septembre 2013)

Faut il pour les opérateurs désespérer d’avoir tenté d’implanter des éoliennes en milieu rural? Nous ne le pensons pas, même à la lecture du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Montpellier le 17 septembre 2013, qui a fait grand bruit au-delà même de la seule filière éolienne, qui se devait d’être scrupuleusement analysé avant d’en tirer d’hâtives conclusions. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une décision de justice isolée et rarissime. Il s’agit, à l’analyse du jugement motivé qui a été rendu, d’une appréciation conservatrice et finalement peu cohérente avec la réglementation de l’éolien en France. Rappelons tout d’abord les faits : les requérants sont une société et un couple d’habitants d’un Château, classé au titre de la législation sur les monuments historiques et situé sur une commune voisine d’un parc de 10 éoliennes. La construction, autorisée par arrêté de permis de construire, a eu lieu entre 2005 et 2006. Les requérants n’ont semble t-il pas jugé opportun de contester les autorisations d’urbanisme. Ils ont assigné la société exploitante du parc éolien, ainsi que les propriétaires fonciers ayant donné leurs parcelles à bail. Précisons d’emblée que les propriétaires ont été condamnés solidairement au paiement des diverses sommes d’argent par le Tribunal, mais que dans ces rapports solidaires, les sommes resteraient à l’entière charge de l’exploitant éolien. Les requérants ont assigné l’exploitant et les propriétaires devant le TGI de Montpellier, selon la règle classique de la compétence territoriale dépendant du siège du défendeur. Leurs demandes étaient fondées sur l’article 544 relatif au droit de propriété et sur l’article 1382 du code civil (fondement légal de la responsabilité pour faute), double fondement qui rejoint la théorie des troubles anormaux de voisinage. Rappelons le principe dégagé par la Cour de cassation selon lequel « nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage » (Cass, 2ème civ., 19 décembre 1986 ; Civ. 2e, 23 oct. 2003, Elissondo et autres c/ SA Intercoop, no 02-16.303, RDI 2004. 276, obs. Bergel). Sur ce fondement, ils demandaient : le démontage des 10 éoliennes sous astreinte de 1500€ par jour de retard et par éoliennes ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 30 000€ pour le « préjudice de jouissance déjà subi » ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 20 000€ pour le « préjudice moral déjà subi » ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 15000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile (c’est-à-dire les frais de procédure et d’avocat). Par jugement du 17 septembre 2013, le TGI de Montpellier a fait partiellement droit à leurs demandes : en condamnant l’exploitant éolien à démonter les 10 éoliennes dans un délai de 4 mois à compter de la signification du jugement et en prévoyant une astreinte de 500€ par jour de retard et par éolienne non démontée ; en condamnant l’exploitant éolien et les propriétaires à payer solidairement aux trois demandeurs une somme totale de 37 500€ à titre de dommages et intérêts, une somme de 5000€ au titre des frais de procédure, ainsi qu’aux dépens. Ce faisant, le Tribunal s’est fondé en réalité sur des éléments factuels apparaissant pour le moins ténus (tels que ressortant du jugement du moins) et en tout état de cause partiels pour qui a déjà ouvert des études d’impact éoliennes : –        deux constats d’huissier de 2009 et de 2012 constatant que les éoliennes étaient visibles depuis la propriété des requérants ; –        un constat d’huissier désigné par requête (de façon non contradictoire donc) ayant interrogé pendant 8 semaines « divers habitants du village » où est situé le château, et « plus éloigné des éoliennes », ce qui fait dire au Tribunal que « les habitants subissent donc un préjudice moindre que les occupants du château » ; On apprend ainsi que 26 personnes ont été interrogées et que 18 d’entre elles ont fait état de nuisances. Il ressort de ces seuls éléments qu’un préjudice de divers ordre est constitué : « En premier lieu un préjudice esthétique de dégradation de l’environnement résultant d’une dénaturation totale d’un paysage bucolique et champêtre, ce qui est d’une gravité bien plus importante et non comparable avec la modification d’un paysage urbain  environnant par la construction d’un immeuble ou d’un mur dans un espace encore non construit ; En deuxième lieu un préjudice auditif dû au ronronnement et sifflement des éoliennes et existant en raison de son caractère permanent même en dessous des limites réglementaires d’intensité du bruit, obligeant à des mesures de protection élémentaires contre le bruit et créant un trouble sanitaire reconnu par l’académie nationale de médecine dans un rapport du 14 mars 2004, visé dans le jugement rendu le 4 février 2010 entre les consorts A. et la Sté Y. et versé aux débats (page 10); » En troisième lieu et surtout un préjudice d’atteinte à la vue dû au clignotement de flashs blancs ou rouges toutes les deux secondes de jour et de nuit, fatiguant les yeux et créant une tension nerveuse auquel s’ajoutent en cas de soleil rasant des phénomènes stroboscopiques et de variation d’ombre, étant précisé que le parc éolien Z., même en admettant comme soutenu en défense qu’il soit situé à 3,3 km du château, cause à ce titre un préjudice supérieur à celui de X. du fait de sa localisation en face du château et non sur son aile ; » Une fois les préjudices constitués selon le Tribunal, il procède à une appréciation, par nature souveraine, de l’ « anormalité » des troubles : « Attendu que cet ensemble de nuisances, de caractère tout à fait inhabituel, permanent et rapidement insupportable crée un préjudice dépassant les inconvénients normaux de voisinage, constituant une violation du droit de propriété des époux W. contraire à l’article 544 du code civil auquel il convient de mettre fin pour l’avenir par démontage des éoliennes, et qui justifie une indemnisation en dommages-intérêts pour ce qui est du préjudice déjà réalisé ; » En l’espèce, on pourra s’étonner à plusieurs égards : 1)      il ne ressort pas qu’une étude acoustique ait été diligentée par les requérants, de sorte qu’à la seule lecture du jugement, il n’est pas établi précisément le niveau sonore des éoliennes, et…

Eoliennes/paysage: le Conseil d’Etat relativise l’impact paysager au regard des intérêts environnementaux des éoliennes

Dans une décision Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 13/07/2012, Association Engoulevent, n°345970, le Conseil d’Etat a validé le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Marseille selon lequel l’appréciation de l’impact paysager d’un parc éolien doit s’effectuer par rapport aux intérêts publics que la construction entend défendre, notamment la protection des espaces naturels (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 25/11/2010, 09MA00756, Inédit au recueil Lebon). Par une série d’arrêts, la Cour administrative d’appel de Marseille s’était en effet courageusement initiée à relativiser l’impact paysager généré par l’implantation d’éoliennes, et ce, au regard « de l’intérêt public que l’implantation assure en matière de préservation des espaces naturels et de concentration des équipements de production d’énergie » ou encore de « l’économie des territoires utilisés par la recherche d’une concentration des équipements de production d’énergie » (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 21/10/2010, 08MA03443 ; Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 10/02/2011, 09MA00923, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 14/04/2011, 09MA01877, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 16/06/2011, 09MA01017, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 06/10/2011, 09MA03285, Inédit au recueil Lebon ;).   Nous avions déjà salué ces décisions qui tentaient de redonner toute sa portée à l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, dont la finalité est la protection de l’environnement, en mettant en avant les bénéfices environnementaux des éoliennes. Car c’est bien là tout le paradoxe des éoliennes, lequel repose sur l’apparente contradiction entre leur finalité et leur configuration exceptionnelle : la vocation environnementale de celles-ci – production d’énergie propre – peut se trouver niée et occultée au nom de la protection des paysages, autre branche de la protection de l’environnement ! Mais la mise en œuvre d’un bilan des intérêts environnementaux n’étant pas expressément prescrite par l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, qui prévoit uniquement la possibilité pour l’administration de refuser de délivrer un permis de construire ou de l’assortir de prescriptions spéciales si « les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentale », il existait un risque que le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en cas de pourvoi.   Or, c’est avec surprise que le Conseil d’Etat accueille le raisonnement suivi par la Cour, et approuve l’application d’un bilan des intérêts environnementaux à l’appréciation de l’impact paysager causé par l’implantation d’éoliennes : « 8. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l’autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l’assortir de prescriptions spéciales ; que, pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ; que les dispositions de cet article excluent qu’il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d’intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l’article R. 111-21 cité ci-dessus ; 9. Considérant que, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet de la région Languedoc-Roussillon, préfet de l’Hérault aurait entaché la décision par laquelle il a accordé les permis de construire litigieux d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme citées ci-dessus, la cour administrative d’appel de Marseille a procédé à l’examen du caractère du site dans lequel devait être réalisé le projet de parc éolien, en soulignant à la fois les éléments illustrant son caractère naturel et ceux de nature à atténuer l’intérêt de ce site, tenant, pour ces derniers, au faible intérêt des plantations couvrant de larges espaces et à la présence de différents équipements électriques de puissance tout autour du site ; qu’elle a ensuite apprécié, après avoir procédé à la caractérisation du site, l’impact du projet d’éoliennes sur le paysage ; qu’en déduisant des appréciations auxquelles elle avait procédé que l’atteinte portée au site par le projet, au demeurant limitée et ne conduisant ni à sa dénaturation ni à la transformation de ses caractéristiques essentielles, n’était pas disproportionnée par rapport à la défense des autres intérêts publics que cette implantation regroupée assure en matière de protection des espaces naturels, qui est au nombre des intérêts visés à l’article R. 111-21, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ; que, si la cour a en outre relevé, pour qualifier l’ampleur de l’atteinte portée au site, que l’implantation du projet d’éoliennes assurait l’économie des territoires utilisés par la recherche d’une concentration des équipements de production d’énergie, elle s’est, ce faisant, bornée à prendre en compte la caractéristique de l’implantation du projet, sans méconnaître les règles rappelées au point 8 de la présente décision ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 13/07/2012, 345970) Précisons que le Conseil d’Etat a entendu limiter cette technique du bilan à l’appréciation des seuls intérêts visés à l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, autrement dit aux seuls intérêts relatifs à la protection de l’environnement : « Que les dispositions de cet article excluent qu’il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d’intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l’article R. 111-21 cité ci-dessus ; » Ainsi, des intérêts économiques ou financiers ne pourront être invoqués pour compenser l’impact…

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