Qualité de l’air : après les ZAPA, les ZCR, place aux ZFE

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Sous la pression des instances européennes, le gouvernement semble vouloir intensifier ses efforts en matière de qualité de l’air, avec la décision d’accompagner quinze collectivités territoriales dans la création de zones à faibles émissions (ZFE) d’ici deux ans. Le 8 octobre dernier, quinze collectivités territoriales affectées par des problèmes de pollution de l’air (Paris et sa Métropole du Grand Paris, l’agglomération de Grenoble, d’Aix-Marseille, du grand Lyon, Nice, Toulouse, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Reims, Rouen, Montpellier et Toulon, Fort-de-France) ont annoncé leur souhait de mettre en œuvre ces zonages sur leur territoire d’ici 2020. Cet engagement se fait avec le soutien du gouvernement, dont l’objectif est de mettre un terme, d’ici 2022, aux dépassements des normes, en particulier s’agissant des émissions de dioxyde d’azote (NO2), gaz toxique émis principalement par les véhicules diesel, et de particules fines PM10. Les ZFE ont vocation à se substituer aux dispositifs existants des zones à circulation restreinte (ZCR), eux-mêmes institués en remplacement des zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA), qui n’auront pas rencontré le succès escompté puisqu’à ce jour seuls Paris et Grenoble se sont engagés sur cette voie. Ce mécanisme fait ainsi figure d’exception à l’échelle française, alors que l’on dénombre environ 220 villes européennes ayant mis en œuvre un cadre d’actions similaire. Un dispositif souple, bientôt rendu obligatoire pour certaines agglomérations Le fonctionnement des ZFE repose sur le système aujourd’hui opérationnel des vignettes Crit’air et sa mise en œuvre se distingue par une certaine souplesse. Ainsi, les collectivités concernées sont libres de déterminer le périmètre géographique de la zone (centre-ville ou agglomération), mais également les types de véhicules concernés, les heures d’application des restrictions prévues ou encore les dérogations possibles. A titre d’exemple, à Paris, qui a déjà mis en place un plan d’actions, les voitures classées Crit’Air 4 (de type diesel, immatriculés entre 2001 et 2005) ne pourront plus circuler dans les rues à partir du mois de juillet 2019. A Lyon, la ZFE sera opérationnelle à compter du 1er janvier 2020 et n’engendrera de restrictions que pour les poids lourds et les véhicules utilitaires. La souplesse des ZFE permettra donc des actions aux ambitions variables selon les collectivités. D’après les annonces du gouvernement, les ZFE seront officiellement instituées dans le cadre de la future loi d’orientation des mobilités (dite « LOM »), dont le projet est actuellement examiné par le Conseil d’Etat. Aux termes de ce projet de loi, il est prévu que les agglomérations de plus de 100 000 habitants et celles concernées par un Plan de protection de l’atmosphère (PPA) devront mettre en œuvre un plan d’action de réduction des émissions de polluants atmosphériques, lequel devra comprendre une étude portant sur la mise en place d’une ou plusieurs ZFE. En outre, les agglomérations précitées devront obligatoirement mettre en place une ZFE avant le 31 décembre 2020 dans le cas où les normes de qualité de l’air mentionnés à l’article L. 221-1 du code de l’environnement ne sont pas respectées de manière régulière sur leur territoire. En revanche, en l’état, le projet de loi LOM ne prévoit pas de dispositions relatives au contrôle des interdictions fixées par les ZFE. Ce contrôle pourrait être effectué à l’aide de dispositifs de verbalisation automatique par lecture des plaques d’immatriculation. Le respect des obligations européennes en ligne de mire Le déploiement des ZFE vise à rattraper un certain retard français en matière de pollution de l’air, phénomène qui serait responsable d’environ 48000 morts prématurées chaque année dans l’Hexagone. Il s’agit aussi pour le gouvernement de mettre en œuvre les moyens d’action adéquats devant la pression exercée à l’encontre de la France pour son inaction en la matière. Ainsi, par un arrêt du 12 juillet 2017 (CE, 12 juillet 2017, n°394254), le Conseil d’Etat avait enjoint l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour certaines zones du territoire national, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote (NO2) et en particules fines (PM10) sous les valeurs limites fixées par la directive du 21 mai 2018 relative à la qualité de l’air (directive n°2008/50/CE du Parlement et du Conseil du 21 mai 2018). Ce plan devait être transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018. En février 2018, la France avait soumis à la Commission européenne un plan d’actions destinées à respecter ses obligations en la matière mais aucune mesure concrète n’avait été mise en œuvre. Estimant ces propositions insuffisantes, la Commission européenne a donc saisi le 17 mai dernier la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre la France, à l’instar de cinq autres Etats membres, pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote (NO2) issues de la directive du 21 mai 2018 précitée et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement. S’il s’avère efficace, le dispositif des ZDE pourrait donc permettre à la France d’échapper à une condamnation financière, aboutissement normal de la procédure en cas de manquement répété de la part d’un Etat membre à ses obligations européennes.

L’INDEPENDANCE DE L’AUTORITE ENVIRONNEMENTALE SE DECRETE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr En réponse à l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 (CE, 6 décembre 2017, n° 400559) le Gouvernement a soumis un projet de décret à consultation publique du 6 au 28 juillet 2018 : cf. Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement, de la sécurité sociale et de l’urbanisme. En effet, tel qu’évoqué dans un précédent article (L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !), par cet arrêt le Conseil d’Etat a annulé le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il désignait, à l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, le préfet de région à la fois comme autorité instructrice ou décisionnaire et autorité environnementale pour les projets mentionnés à l’article L. 122-1 du même code. La Haute juridiction a rappelé à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre aff. C-474/10) qu’« il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle ». Au regard de ces dispositions le Conseil d’Etat a validé, en matière de plans et programmes, la qualification d’autorité environnementale des Missions Régionales de l’Autorité environnementale (MRAe) en ce qu’elles respectent cette « séparation fonctionnelle » avec l’autorité à l’origine de l’élaboration de ces documents. L’indépendance étant le mot-clé de cette procédure, l’enjeu réside dans l’organisation de l’autorité environnementale des projets qui doit répondre aux exigences européennes. Ainsi, le Gouvernement n’a pas seulement suivi les exigences rappelées par le Conseil d’Etat, mais a tout simplement de nouveau désigné les MRAe comme compétentes en matière d’avis environnementale non plus seulement pour les plans et programmes, mais également pour les projets. Ce projet de décret qui qualifie les MRAe d’autorité environnementale des projets s’explique pour deux raisons selon le Gouvernement. D’une part, le Conseil d’Etat a déjà jugé conforme la qualification de ces dernières comme autorité environnementale en matière de plans et programmes, ce qui permet de répondre à cette exigence d’autonomie. Or pour exercer cette compétence, chaque mission régionale bénéficiera, comme pour les plans et programmes, de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale.  D’autre part, la nécessité d’une sécurité juridique car depuis cet arrêt la MARe a validé un certain nombre de projets. Pour autant, cette solution semble loin d’être idéale. Premièrement, les décisions de cas par cas demeurent du ressort du préfet de région (cf. C.env. art. L. 122-1, IV., modifié par le projet de décret), ce qui revient à admettre que ce dernier peut dispenser d’étude d’impact un projet dont il délivrera l’autorisation… Ainsi, l’instauration de l’examen au cas par cas relance le débat sur l’indépendance de l’autorité environnementale vis-à-vis de l’autorité décisionnelle car finalement l’avis de la MRAe ne dépend plus que de la décision du préfet de région pour ces projets. Ensuite la question de la régularisation des avis émis par l’autorité environnementale reste en suspens particulièrement dans le cas où le contentieux est pendant alors que la critique de l’indépendance ne résulte pas d’un arrêté d’évocation qui serait caduc. Le décret n’en confirme pas moins l’indépendance de la Mrae et cela devrait inspirer le juge administrateur… (Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?). Troisièmement, l’Autorité environnementale (Ae) a émis un avis le 11 juillet 2018 en invoquant les difficultés fonctionnelles et le manque de moyens associés à l’exercice de sa fonction. En effet, l’Ae remet en cause la sécurité juridique tant recherchée par le Gouvernement en désignant les MRAe comme autorité environnementale des projets, car ce projet de décret présenté comme simplificateur des procédures d’autorisation s’avère au contraire « complexe, voire illisible ». Le décret désigne quatre autorités environnementales (le Ministre, l’Ae, les MRAe et le préfet de région) chacune compétente selon le stade d’avancement du dossier déposé par le maître d’ouvrage, et qui selon elle ne fait que complexifier la procédure. L’Ae relève notamment l’absence de garanties sur les ressources nécessaires au bon fonctionnement de cette autorité, car si le projet de décret se veut tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017, l’autorité environnementale doit disposer « d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ». Or, l’Ae relève d’ores et déjà que ce manque de moyens aura un impact considérable sur son fonctionnement. L’insuffisance des ressources nécessaires pose la question de la qualité des avis de l’autorité environnementale notamment pour les projets importants en termes d’impacts sur l’environnement. Ainsi, selon l’Ae le projet de décret présenté en juillet ne permet pas de garantir l’indépendance de l’autorité environnementale des projets. L’indépendance est, a priori, loin d’être décrétée pour l’autorité environnementale à la française qui semble lestée de pesanteurs administratives

Validation d’une délibération fixant rétroactivement le tarif de la redevance d’enlèvement des OM

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats). david.deharbe@green-law-avocat.fr Par des délibérations des janvier 2012, février 2013, janvier 2014 et avril 2015, le conseil communautaire d’une communauté d’agglomération a fixé, respectivement pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015, les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Afin d’obtenir l’annulation des titres exécutoires émis par la communauté d’agglomération pour le recouvrement de redevance d’enlèvement des ordures ménagères ainsi fondées, une société a fait citer la communauté d’agglomération devant la juridiction de proximité. Cependant, cette juridiction a sursis à statuer et a ordonné le renvoi au tribunal administratif de Poitiers de la question de la légalité des délibérations par lesquelles les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ont été fixés pour les années en cause. Finalement par un jugement en date du 12 juillet 2018 (téléchargeable ici TA poitiers-12-juillet-2018, n°1701087), le tribunal administratif de Poitiers a jugé que lorsque la redevance d’enlèvement des ordures ménagères a déjà été instituée mais qu’aucune délibération fixant le tarif annuel de cette redevance n’a été adoptée avant le début d’une année, l’organe délibérant peut alors fixer rétroactivement ce tarif en cours d’année (I). D’autre part, il a considéré que les sociétés dont le siège se trouve au domicile d’une personne physique, peuvent légalement se voir imposer le paiement de cette redevance, y compris de sa composante collecte (II). I/ La fixation rétroactive du tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères Dans un premier temps, le tribunal administratif de Poitiers rappelle le principe selon lequel : « la délibération par laquelle l’organe délibérant institue la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou en fixe le tarif peut, en principe, avoir aucune portée rétroactive ». Ce principe de non-rétroactivité des tarifs de la redevance rappelé par le tribunal, est issu de celui de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, ass., 25 juin 1948, Société du journal L’Aurore, Rec. Lebon, p. 289). En ce sens, déjà en 2010, le Conseil d’Etat avait déclaré illégale la délibération d’un conseil d’une communauté de communes qui fixait, de manière rétroactive, les éléments forfaitaires du tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (CE, 27 septembre 2010, n°311003, M. Clochard et autres). D’ailleurs le Conseil d’Etat juge que la délibération litigieuse fixant les tarifs de la redevance d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères à compter du 1er janvier 2003 n’est entrée en vigueur que le 12 août 2003, après sa transmission au contrôle de légalité est illégale car rétroactive (CE, 6 mai 2011, n° 339270). Cependant, dans un second temps, le tribunal juge que : « lorsque la redevance d’enlèvement des ordures ménagères a déjà été instituée et qu’aucune délibération fixant le tarif annuel de cette redevance n’a été adoptée avant le début d’une année, l’organe délibérant peut fixer ce tarif en cours d’année ». Ainsi, contrairement à la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, ass., 25 juin 1948, Société du journal L’Aurore, Rec. Lebon, p. 289 ; CE, 6 mai 2011, n° 339270, commune de Villeneuve de la Raho), le tribunal estime qu’une délibération qui fixe de manière rétroactive le tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagère peut être légale. Le tribunal justifie cette position en estimant que : « eu égard à la nature et à l’objet des redevances pour service rendu, qui constituent la rémunération des prestations fournies aux usagers, un retard pris pour l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée ne saurait avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié ». En l’espèce, le tribunal juge que : « ces délibérations ayant pour seul objet de fixer, pour chacune des années considérées, le tarif d’une redevance déjà instituée par une délibération du conseil communautaire, elles ne sont pas entachées d’une rétroactivité illégale ». En chargeant les usagers du paiement des services dont ils ont bénéficié, sans que le tarif ait été préalablement fixé, le tribunal semble avoir décidé de faire primer la continuité du service financé par la redevance sur la prévisibilité juridique de son montant. Mais surtout à revisiter les limites de la jurisprudence Société du journal L’Aurore, on relève que le « Conseil d’Etat admet la rétroactivité d’actes sans lesquels des situations ne peuvent être réglés » (GAJA, P. 393). Ainsi le règlement d’une campagne de production, adopté en cours  de campagne, en l’absence de dispositions antérieures effectives peut rétroagir au début de cette campagne (CE Ass. 21 octobre 1966, Société Graciet Rec. 560). . II.Les sociétés domiciliées chez une personne physique assujetties au paiement de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, y compris de sa composant collecte Tout d’abord, le tribunal administratif de Poitiers rappelle qu’en application de l’article L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales, la communauté d’agglomération ne peut fixer le tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères et assimilées qu’en fonction de l’importance du service rendu par ce service public industriel et commercial à chaque catégorie d’usagers. Ensuite, le tribunal estime que : « la gestion administrative d’une société au domicile d’un particulier est de nature à augmenter la masse des déchets collectés de sorte que, même en l’absence de mise à disposition d’équipement de collecte autre que ceux mis à la disposition du particulier, un service supplémentaire de collecte est effectivement rendu par la collectivité publique à la société ». En l’espèce, le tribunal juge que les délibérations qui assujettissent les sociétés dont le siège se trouve au domicile d’une personne physique au paiement de la redevance, y compris de sa composante collecte, ne sont pas illégales.    

Nouvelles précisions du Conseil d’Etat sur le régime de l’autorisation environnementale (CE, 26 juil. 2018, n°416831)

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Aux termes d’un avis lu le 26 juillet 2018 en réponse à une question posée par le Tribunal administratif de Lille (à l’occasion d’un recours contre un parc éolien défendu par le cabinet), le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions cruciales sur les implications du régime de l’autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les contentieux en cours. Les règles de procédure de l’autorisation environnementale ne sont pas rétroactivement applicables dans le cadre des contentieux en cours à l’encontre des autorisations ICPE et autorisations uniques expérimentales Le Conseil d’Etat a tranché : il n’est pas possible d’interpréter l’article 15 de l’ordonnance créant l’autorisation environnementale (n°2017-80 du 26 janvier 2017) comme permettant une application rétroactive des nouvelles règles de procédure régissant la présentation des capacités techniques et financières de l’exploitant (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement) dans le cadre des instances introduites à l’encontre d’autorisations délivrées sur le fondement des régimes antérieurs. En effet, selon la haute juridiction, cette ordonnance ne prévoit aucune disposition prévoyant une telle application rétroactive, seulement : d’une part, l’assimilation pour l’avenir de ces autorisations à des autorisations environnementales, et, d’autre part, l’abrogation, là encore pour l’avenir, du régime de l’autorisation unique expérimentale. Il y avait clairement débat sur ce point dès lors que ledit article 15 indiquait que le nouveau régime est applicable aux autorisations préexistantes « notamment lorsque ces autorisations sont (…) contestées ». Est-ce à dire que le vice tiré de l’insuffisante présentation des capacités financières au regard des exigences de la jurisprudence Hambrégie condamnerait l’autorisation qui en est affectée ? Assurément non : le vice est régularisable sur le fondement des pouvoirs de plein contentieux du juge des installations classées, comme le Conseil d’Etat l’avait déjà exposé aux termes de son avis n°415852 du 22 mars 2018. Synthétiquement (voir notre commentaire de cet avis pour une explication plus détaillée), si le juge a reçu en cours d’instruction des compléments permettant de démontrer que le pétitionnaire dispose de capacités financières suffisantes mais que ces compléments n’ont pas été soumis à l’information du public dans le cadre de l’enquête publique qui s’est tenue lors de la procédure d’autorisation, alors la décision est affectée d’un vice qu’il est nécessaire de régulariser en organisant des mesures d’information complémentaires du public. A l’issue de cette phase d’information ad hoc, le Préfet prend un arrêté complémentaire et en informe le juge qui statue finalement sur la légalité de l’autorisation. Notons que cette possibilité a d’ores et déjà été mise en œuvre par les tribunaux administratifs d’Amiens (voir notre commentaire ici) et de Nantes (voir notre commentaire ici), ainsi que par la Cour administrative d’appel de Douai (voir l’arrêt ici). 2. Le juge pourra toujours contrôler la suffisance des capacités financières dans le cadre du régime de l’autorisation environnementale Depuis la réforme de l’autorisation environnementale, le pétitionnaire peut justifier de la suffisance de ses capacités financières jusqu’à la mise en service à condition d’en exposer les modalités prévues de constitution au sein de son dossier de demande (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement). Se posait logiquement la question de savoir si le juge aurait toujours la possibilité de se prononcer la sur la suffisance des capacités financières dans le cadre du nouveau régime. La réponse du Conseil d’Etat est claire : si le juge se prononce avant la mise en service de l’installation, il ne peut que se limiter à vérifier la pertinence des modalités de constitution des capacités, en revanche, si le juge se prononce après la mise en service, il exerce alors un contrôle complet sur la suffisance des capacités. Ensuite, le Conseil d’Etat précise que le préfet dispose de la possibilité de s’assurer tout au long de la vie de l’installation de la suffisance des capacités financières de l’exploitant, en prescrivant, sur le fondement de l’article R. 181-45 du code de l’environnement, « la fourniture de précisions ou la mise à jour » de ces informations. Cette possibilité ne se limite d’ailleurs pas aux seules informations sur les capacités mais également sur tout élément du dossier de demande d’autorisation. Et si le préfet ne fait pas application de cette possibilité, alors les tiers peuvent demander à ce qu’il le fasse, en formant la réclamation préalable prévue par l’article R. 181-52 du code de l’environnement. Si le préfet ne s’exécute pas, les tiers peuvent contester ce refus devant le juge. 3. Le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens On pouvait encore se demander si le fait que les projets éoliens pour lesquelles une demande d’autorisation a été déposé après le 1er mars 2017 soient dispensés de permis de construire, en vertu du nouvel article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme, pouvait rendre inopérants les moyens invoqués à l’encontre des permis de construire ou autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire délivrés avant cette date. C’est notamment ce qu’avait jugé la Cour administrative d’appel de Douai aux termes d’une décision selon laquelle la dispense de permis de construire pour les éoliennes marines avait pour conséquence de rendre sans objet les recours introduits à l’encontre des permis délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de la dispense (27 sept. 2012 N°12DA00017) Le Conseil d’Etat écarte cette possibilité en exposant que contrairement aux autorisations uniques expérimentales, les autorisations environnementales ne « valent » pas permis de construire : si l’article 15 de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 prévoit que les autorisations uniques expérimentales sont considérées à partir du 1er mars 2017 comme des autorisations environnementales, le juge saisi d’un recours à l’encontre d’une de ces autorisations reste tenu de vérifier leur légalité en tant qu’elles valent permis e construire. A fortiori, il en sera donc de même pour les permis de construire éoliens. *** En conclusion, il faut retenir de cet avis qu’il confirme expressément la possibilité de régulariser, en matière éolienne, le vice de l’information du public résultant d’une insuffisante présentation des capacités financières. Or rappelons-le l’invocation de ce vice avait entraîné l’annulation d’un grand nombre de projets éoliens et…

IMAGE DU DOMAINE PUBLIC : UN BIEN A CONSOMMER SANS MODÉRATION !

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Dans un arrêt du 13 avril 2018, publié au recueil Lebon (CE, 13 avril 2018, Société Les Brasseries Kronenbourg, n°397047), le Conseil d’Etat a jugé que des prises de vues d’un bien du domaine public et l’exploitation commerciale de ces dernières ne sont pas constitutives d’une utilisation privative du domaine public pouvant donner lieu au versement d’une redevance. A l’origine de cette affaire, la société Les Brasseries Kronenbourg avait réalisé en 2010 des photographies du château de Chambord, bien immobilier du domaine public de l’Etat, pour une nouvelle campagne publicitaire de sa célèbre « 1664 ». Suite à la réalisation de ces photographies, le directeur général de l’établissement public du domaine national de Chambord a informé la société que l’utilisation de l’image du château à des fins commerciales constituait une utilisation privative du domaine public « justifiant le versement d’une contrepartie financière » ; fort de cette qualification, la même autorité a donc émis deux titres de recettes exécutoires à destination de la société. Par un jugement du tribunal administratif d’Orléans n° 1102187 et 1102187 du 6 mars 2012, les juges de première instance ont annulé ces deux titres de recettes. Ce jugement a ensuite été confirmé par la cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt n° 12NT01190 du 16 décembre 2015. L’établissement public du domaine national de Chambord a sollicité, auprès du Conseil d’Etat, l’annulation de cet arrêt. La plus haute juridiction administrative va raisonner en trois temps. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat juge que l’image d’un bien du domaine public ne constitue pas une dépendance de ce domaine et que son utilisation ne peut donc faire l’objet d’une autorisation préalable et donner lieu au versement d’une redevance. A ce titre, les juges rappellent qu’un bien d’une personne publique ne peut se voir appliquer les règles de la domanialité publique que lorsque cette personne dispose sur ce bien d’un droit exclusif (en ce sens Conseil d’Etat, 11 février 1994, Compagnie d’assurances Préservation Foncière, n° 109564, concernant l’hypothèse de la copropriété). Or, « Les personnes publiques ne disposant pas d’un droit exclusif sur l’image des biens leur appartenant, celle-ci n’est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques (…). Il en résulte que l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d’accessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ».   Dans un deuxième temps, le juge administratif considère, en revanche, que les opérations matérielles permettant la prise de vues pourraient quant à elles caractériser « une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous » entrainant donc la nécessité d’obtenir une autorisation et l’obligation de verser une redevance (en ce sens Conseil d’Etat, 29 octobre 2012, Commune de Tours, n° 341173). En l’espèce, le Conseil d’Etat relève : « qu’il ne résultait pas de l’instruction et n’était d’ailleurs pas soutenu que la réalisation des prises de vues du château de Chambord aurait affecté le droit d’usage du château appartenant à tous. [La cour] a suffisamment motivé son arrêt, compte tenu de l’argumentation qui lui était soumise par le domaine national de Chambord, et n’a pas commis d’erreur de droit, en en déduisant que la société les Brasseries Kronenbourg n’avait pas, en réalisant ces prises de vues, fait un usage privatif du domaine public. Elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant que l’exploitation commerciale de ces mêmes prises de vues ne constituait pas, en elle-même, une utilisation privative du domaine public immobilier du château de Chambord ». Toujours selon le même juge, l’exploitation commerciale de ces prises de vues ne caractérise pas plus une utilisation privative du domaine public. Dans un troisième et dernier temps, le juge relève que les dispositions de l’article L. 621-42 du Code du patrimoine, qui prévoient la possibilité de soumettre à autorisation préalable, et au versement d’une redevance, l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, ne pouvaient s’appliquer en l’espèce. Comme en dispose l’adage bien connu : pas de redevance sans texte. Or en l’espèce la Haute juridiction n’a pu que relever : « cette disposition n’a toutefois été instituée que par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, le domaine de Chambord n’ayant lui-même été défini comme domaine national que par le décret du 2 mai 2017 fixant la liste et le périmètre de domaines nationaux. Antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine, le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait d’aucun texte ni d’aucun principe le droit de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image du château ». L’arrêt commenté opère ainsi un rapprochement entre la jurisprudence du Conseil d’Etat et celle de la Cour de Cassation (en ce sens Cour de Cassation, Assemblée plénière, 7 mai 2004, n°02-10.450, Publié au bulletin).