Eolien : l’autorité de la chose jugée ne doit pas être ignorée

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats)   Par un arrêt rendu le 12 octobre dernier mentionné aux Tables du Recueil Lebon (CE, 12 octobre 2018, n°412104), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la portée de l’autorité de la chose jugée et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci est susceptible d’être remise en cause. Cette décision doit également être remarquée en ce qu’elle contribue à la sécurisation des projets éoliens, lesquels font souvent l’objet de recours contentieux « à rallonge ». A cet égard, elle constitue un complément à l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que dans l’hypothèse où un refus de permis de construire est annulé, sous réserve que la demande soit confirmée dans les six mois suivant l’annulation définitive, le service instructeur devra ré-instruire la demande, et ne pourra la refuser qu’au regard de l’état du droit au jour de la demande initiale. Les faits sont relativement simples : le 8 juin 2007, une société avait déposé une demande de permis de construire un parc éolien sur le territoire de la commune de Vesly (Eure). Estimant que le projet portait une atteinte au paysage environnant au sens l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur, le préfet de département avait refusé de délivrer le permis. Son refus avait cependant été annulé par le Tribunal administratif de Rouen par jugement du 4 novembre 2010, qui a estimé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants. Ce jugement est devenu définitif. A la suite de ce jugement, le préfet de l’Eure était donc contraint de ré-instruire la demande de permis de construire et a cette fois-ci décidé de le délivrer à la société pétitionnaire. Mais l’autorisation d’urbanisme a alors fait l’objet d’un recours par la commune de Vesly, devant accueillir le projet. Le Tribunal administratif de Rouen a cette fois prononcé l’annulation du permis de construire au motif qu’il avait été pris à l’issue d’une procédure irrégulière. En appel, la Cour administrative d’appel de Douai a infirmé ce motif unique d’annulation retenu par les premiers juges. La Cour a décidé néanmoins de rejeter l’appel en considérant que le projet portait atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants au sens de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, sur la base de nouveaux documents qui n’avaient pas été produits lors de l’instance antérieure (en l’occurrence de nouveaux photomontages). Saisi du pourvoi en cassation de la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat va considérer que l’autorité de la chose jugée, qui s’attache tant au dispositif du jugement d’annulation du Tribunal administratif de Rouen qu’à ses motifs, faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou qu’il soit annulé par le juge administratif pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le Tribunal administratif de Rouen le 4 novembre 2010, en l’occurrence l’atteinte paysagère. « Considérant que l’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif de ce jugement d’annulation devenu définitif ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou que le permis accordé soit annulé par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif » Puisque le Tribunal avait jugé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, seul un changement du projet ou des caractéristiques des lieux avoisinants aurait permis à l’administration ou au juge de porter une appréciation s’écartant de l’autorité de chose jugée. Or, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien. La seule circonstance que de nouveaux photomontages produits faisaient notamment apparaître une forte covisibilité entre les éoliennes et un monument historique ne constitue pas une modification de la situation de fait susceptible de remettre en cause l’autorité de chose jugée. Comme l’indique M. le Rapporteur public Guillaume Odinet dans ses conclusions rendues sous cette affaire, « s’il suffisait de produire des pièces complémentaires pour faire obstacle à l’autorité de chose jugée, il ne servirait plus à rien de juger ».

Nouvelles précisions du Conseil d’Etat sur le régime de l’autorisation environnementale (CE, 26 juil. 2018, n°416831)

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Aux termes d’un avis lu le 26 juillet 2018 en réponse à une question posée par le Tribunal administratif de Lille (à l’occasion d’un recours contre un parc éolien défendu par le cabinet), le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions cruciales sur les implications du régime de l’autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les contentieux en cours. Les règles de procédure de l’autorisation environnementale ne sont pas rétroactivement applicables dans le cadre des contentieux en cours à l’encontre des autorisations ICPE et autorisations uniques expérimentales Le Conseil d’Etat a tranché : il n’est pas possible d’interpréter l’article 15 de l’ordonnance créant l’autorisation environnementale (n°2017-80 du 26 janvier 2017) comme permettant une application rétroactive des nouvelles règles de procédure régissant la présentation des capacités techniques et financières de l’exploitant (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement) dans le cadre des instances introduites à l’encontre d’autorisations délivrées sur le fondement des régimes antérieurs. En effet, selon la haute juridiction, cette ordonnance ne prévoit aucune disposition prévoyant une telle application rétroactive, seulement : d’une part, l’assimilation pour l’avenir de ces autorisations à des autorisations environnementales, et, d’autre part, l’abrogation, là encore pour l’avenir, du régime de l’autorisation unique expérimentale. Il y avait clairement débat sur ce point dès lors que ledit article 15 indiquait que le nouveau régime est applicable aux autorisations préexistantes « notamment lorsque ces autorisations sont (…) contestées ». Est-ce à dire que le vice tiré de l’insuffisante présentation des capacités financières au regard des exigences de la jurisprudence Hambrégie condamnerait l’autorisation qui en est affectée ? Assurément non : le vice est régularisable sur le fondement des pouvoirs de plein contentieux du juge des installations classées, comme le Conseil d’Etat l’avait déjà exposé aux termes de son avis n°415852 du 22 mars 2018. Synthétiquement (voir notre commentaire de cet avis pour une explication plus détaillée), si le juge a reçu en cours d’instruction des compléments permettant de démontrer que le pétitionnaire dispose de capacités financières suffisantes mais que ces compléments n’ont pas été soumis à l’information du public dans le cadre de l’enquête publique qui s’est tenue lors de la procédure d’autorisation, alors la décision est affectée d’un vice qu’il est nécessaire de régulariser en organisant des mesures d’information complémentaires du public. A l’issue de cette phase d’information ad hoc, le Préfet prend un arrêté complémentaire et en informe le juge qui statue finalement sur la légalité de l’autorisation. Notons que cette possibilité a d’ores et déjà été mise en œuvre par les tribunaux administratifs d’Amiens (voir notre commentaire ici) et de Nantes (voir notre commentaire ici), ainsi que par la Cour administrative d’appel de Douai (voir l’arrêt ici). 2. Le juge pourra toujours contrôler la suffisance des capacités financières dans le cadre du régime de l’autorisation environnementale Depuis la réforme de l’autorisation environnementale, le pétitionnaire peut justifier de la suffisance de ses capacités financières jusqu’à la mise en service à condition d’en exposer les modalités prévues de constitution au sein de son dossier de demande (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement). Se posait logiquement la question de savoir si le juge aurait toujours la possibilité de se prononcer la sur la suffisance des capacités financières dans le cadre du nouveau régime. La réponse du Conseil d’Etat est claire : si le juge se prononce avant la mise en service de l’installation, il ne peut que se limiter à vérifier la pertinence des modalités de constitution des capacités, en revanche, si le juge se prononce après la mise en service, il exerce alors un contrôle complet sur la suffisance des capacités. Ensuite, le Conseil d’Etat précise que le préfet dispose de la possibilité de s’assurer tout au long de la vie de l’installation de la suffisance des capacités financières de l’exploitant, en prescrivant, sur le fondement de l’article R. 181-45 du code de l’environnement, « la fourniture de précisions ou la mise à jour » de ces informations. Cette possibilité ne se limite d’ailleurs pas aux seules informations sur les capacités mais également sur tout élément du dossier de demande d’autorisation. Et si le préfet ne fait pas application de cette possibilité, alors les tiers peuvent demander à ce qu’il le fasse, en formant la réclamation préalable prévue par l’article R. 181-52 du code de l’environnement. Si le préfet ne s’exécute pas, les tiers peuvent contester ce refus devant le juge. 3. Le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens On pouvait encore se demander si le fait que les projets éoliens pour lesquelles une demande d’autorisation a été déposé après le 1er mars 2017 soient dispensés de permis de construire, en vertu du nouvel article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme, pouvait rendre inopérants les moyens invoqués à l’encontre des permis de construire ou autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire délivrés avant cette date. C’est notamment ce qu’avait jugé la Cour administrative d’appel de Douai aux termes d’une décision selon laquelle la dispense de permis de construire pour les éoliennes marines avait pour conséquence de rendre sans objet les recours introduits à l’encontre des permis délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de la dispense (27 sept. 2012 N°12DA00017) Le Conseil d’Etat écarte cette possibilité en exposant que contrairement aux autorisations uniques expérimentales, les autorisations environnementales ne « valent » pas permis de construire : si l’article 15 de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 prévoit que les autorisations uniques expérimentales sont considérées à partir du 1er mars 2017 comme des autorisations environnementales, le juge saisi d’un recours à l’encontre d’une de ces autorisations reste tenu de vérifier leur légalité en tant qu’elles valent permis e construire. A fortiori, il en sera donc de même pour les permis de construire éoliens. *** En conclusion, il faut retenir de cet avis qu’il confirme expressément la possibilité de régulariser, en matière éolienne, le vice de l’information du public résultant d’une insuffisante présentation des capacités financières. Or rappelons-le l’invocation de ce vice avait entraîné l’annulation d’un grand nombre de projets éoliens et…

L’INSCRIPTION DE LA PRESERVATION DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA BIODIVERSITE ET DU CLIMAT A L’ARTICLE 1ER DE LA CONSTITUTION

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)   En mai dernier, le Gouvernement a présenté un projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». L’article 2 de ce projet de loi avait prévu d’inscrire « l’action contre les changements climatiques » au quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution (cf. L’inscription de l’action contre les changements climatiques à l’article 34 de la Constitution : simple révolution de papier ?).   Néanmoins, au cours des débats parlementaires, les députés ont fait évoluer le texte en faveur de l’inscription de la préservation de l’environnement, de la biodiversité et du climat à l’alinéa 1er du premier article de la Constitution. Dans sa version actuelle, cet alinéa dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».   C’est ainsi qu’au début du mois de juin, la Commission du Développement Durable et de l’aménagement du territoire a adopté deux amendements identiques visant à inscrire la « préservation de l’environnement » à l’article 1er de la Constitution (cf. amendements n°CD38 et CD47) afin d’ériger cet objectif au rang de principe fondateur de notre République (cf. avis de la Commission du Développement Durable du 13 juin 2018, consultable ici). Par la suite, la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a adopté deux amendements (n°CL852 et CL1506) visant à étendre la portée de l’inscription à l’action de la France en faveur de « de la diversité biologique et contre le changement climatique » (cf. rapport du 4 juillet 2018, consultable ici). La Commission a adopté deux sous-amendements (n°CL1528 et CL1530) visant à modifier la formule « contre le changement climatique » au profit d’une formule au pluriel, afin de se conformer à la rédaction retenue par les textes de portée internationale qui écrivent en anglais « climate change », traduit en français par « changements climatiques », au pluriel. Dans le sillage de cette Commission, les députés ont adopté un amendement, au cours de la séance publique du 13 juillet 2018 (consultable ici), qui insère après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, la phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques » (cf. l’amendement n°328).   Il est permis de s’interroger sur la portée de cette inscription, dans l’hypothèse où elle serait retranscrite en l’état dans la loi qui sera adoptée. En effet, la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l’environnement relève de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution (cf. décision n° 2008-211 L du 18 septembre 2008). A cet égard, il convient de rappeler que l’alinéa 1er du premier article de la Constitution énonce les grands principes sur lesquels la République française est fondée. De ce point de vue, l’inscription à cet alinéa de « la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques » aurait bien évidemment une portée symbolique, mais aussi, juridique.   En particulier, étant donné que cette inscription aurait pour effet de conférer une valeur constitutionnelle à la lutte contre les changements climatiques, le Conseil Constitutionnel aurait vocation à vérifier le respect de cet objectif par les dispositions qu’il serait appelé à contrôler, dans le cadre de son contrôle a priori, mais aussi, a posteriori. A cet égard, il convient de rappeler que les principes qui sont mentionnés à l’alinéa 1er du premier article de la Constitution sont repris dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, y compris dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (par exemple le principe de laïcité dans la décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013,qui le place au parmi les droits et libertés garantis par la Constitution).   Rappelons que lors de la séance des débats à l’Assemblée Nationale du 22 juillet 2018 (consultable ici), le Gouvernement a décidé de suspendre l’examen du texte jusqu’à nouvel ordre.   Affaire à suivre, donc.      

Régularisation : le TA de Nantes expérimente une procédure ad hoc de particpation post enquête publique !

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Nous en parlions ici, le tribunal administratif d’Amiens a aux termes d’un jugement du 29 mai 2018 (n°1601137) tiré les conséquences de l’avis du 22 mars 2018 (n°415852) en ordonnant au Préfet, après avoir annulé l’autorisation ICPE pour insuffisante présentation des capacités financières et délivré une autorisation temporaire, de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières. La régularisation du vice de l’information du public devenait donc possible. La particularité de cette décision résidait dans le fait que le tribunal administratif avait statué en application des pouvoirs classiques de plein contentieux alors qu’il aurait pu se fonder sur les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Par un jugement du 25 mai 2018 (n°1601155), le tribunal administratif de Nantes retient, également pour le vice de l’information du public résultant de l’insuffisante présentation des capacités financières. une solution de régularisation plus complète et sécurisante, qui a le mérite d’assurer aussi le respect du principe de participation du public. Au lieu de se borner à ordonner la publicité des nouveaux documents avant la décision complémentaire du Préfet, le tribunal propose l’organisation d’une procédure ad hoc cohérente avec des contours bien précis, cette fois fondée sur les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Première étape, le pétitionnaire soumet un dossier complémentaire qui doit comporter : des éléments rappelant la nature du projet, un rappel de l’objet de la nouvelle phase d’information du public une copie du jugement, et surtout des indications relatives au montant de l’investissement nécessaire ainsi que les éléments appuyés par de justificatifs quant au montant des fonds propres dont dispose le pétitionnaire. On précise – il est étrange que le juge ne le fasse pas – que les justificatifs quand aux montant des fonds émanant de tiers vont également devoir être versés. Deuxième étape, un avis annonçant l’organisation de la mise à la disposition du public du dossier est publié au moins 15 jours avant le début et pendant la durée de la mise à disposition. La publicité de cet avis est très complète puisqu’elle est faite : par voie d’affiches dans la commune et sur son site internet, ainsi que dans l’ensemble des communes concernées, dans deux journaux locaux départementaux 15 jours avant, et dans les 8 premiers jours de la consultation, sur le site du projet. Troisième étape le dossier est mis à disposition du public pendant une durée de 15 jours consécutifs dans les locaux de la mairie et en ligne, sur le site internet de cette dernière. Le public peut alors présenter des observations sur la question des capacités financières. Ces observations seront soit portées sur un registre présent en mairie soit par courrier adressé au commissaire-enquêteur. Le jugement prévoit effectivement qu’un commissaire-enquêteur sera désigné par le Tribunal et qu’il sera chargé, dans un délai de 15 jours suivant la clôture du registre de remettre au Préfet et au président un rapport qui devra relater le déroulement de cette phase d’information et synthétiser les observations recueillies. Le Tribunal doit être saisi par le Préfet à fin de désignation du commissaire-enquêteur dans les 8 jours de la notification du jugement. Quatrième étape, le tribunal enjoint au Préfet de lui notifier l’autorisation d’exploiter modificative dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement. S’il estime que le vice est régularisé, le tribunal rejettera le recours. ***   Dans ce dispositif décidément très intelligent, deux points sont encore à noter. Le Préfet ne semble pas avoir d’autre choix que de s’exécuter dans les délais prévus : 8 jours pour la saisine du tribunal à fin de désignation du commissaire-enquêteur, 1 mois pour justifier de l’accomplissement de ces mesures d’organisation et de publicité auprès du tribunal et 6 mois en tout pour délivrer l’autorisation modificative. Le tribunal n’a pas suspendu l’exécution de l’autorisation. Cela signifie que si les financeurs estiment que le risque d’une annulation au terme de la procédure de régularisation est faible – c’est le cas – alors le projet pourra être lancé pendant la régularisation. Les juges feraient bien de s’inspirer de cette décision qui trouve un équilibre intéressant entre l’information et la participation du public et les objectifs de sécurité juridique et d’accélération des délais d’instruction.  

Le droit répressif des ICPE en pratique : le bilan critique du CGEDD

Par Maître Ségolène REYNAL (Green Law Avocats) Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) a commis un rapport sur l’utilisation des sanctions introduites par l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 réformant la police de l’environnement, dont le texte est entré en application le 1er juillet 2013. Le Conseil fait trois constatations. I/ L’ordonnance 2012-34 a fait évoluer le régime juridique de façon majeure Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance il existait 27 polices spéciales de l’environnement. Cette multiplicité de dispositions illustrait un manque de cohérence. C’est pourquoi l’ordonnance n°2012-34 a procédé à l’harmonisation de ces législations en renforçant les outils visant à réprimer des situations irrégulières qui conduisent à des atteintes à l’environnement et/ou faussent la concurrence entre les entreprises. Son objectif est de simplifier, réformer et unifier les dispositions de police administrative et judiciaire du Code de l’environnement. L’ordonnance a introduit de nouvelles sanctions : au plan administratif l’amende et l’astreinte administrative, et au plan pénal la transaction pénale et l’audition pénale (introduite par l‘article L.172-8 du Code de l’environnement, lui-même visé par l’ordonnance). La circulaire de la DGPR du 19 juillet 2013 en fixe les conditions d’application. Que ce soit par sa nature ou par sa taille, chaque ICPE appelle des pratiques et des choix de sanctions appropriés. En élargissant la palette des sanctions possibles, l’ordonnance marque une avancée dans la capacité d’adaptation de l’action publique. Rappelons que le contrôle des ICPE est opéré soit de manière planifiée soit sur plainte. Les visites conduisent à des constats qui sont classables en trois catégories : les infractions délictuelles, les non conformités aux prescriptions et le manque de renseignements. Les inspecteurs de l’environnement disposent désormais de cinq modalités de sanctions administratives : la consignation ; les travaux d’office ; la suspension du fonctionnement de l’installation ; l’amende et l’astreinte. Les deux dernières sanctions ont été prévues par l’ordonnance n°2012-34. L’amende administrative est la seule sanction pécuniaire, tandis que l’astreinte est une mesure de coercition visant à obtenir la satisfaction des motifs de la mise en demeure. La transaction pénale permet d’accélérer le traitement des infractions modérées et non intentionnelles. Elle est plus souple et plus rapide que les poursuites pénales. Elle s’inscrit dans une logique de proportionnalité de la réponse pénale. L’audition pénale par les inspecteurs ICPE doit permettre de consolider les enquêtes préalables aux poursuites. La circulaire CRIM/2017/G3 du 20 mars 2017 encadre cette possibilité. Néanmoins l’audition pénale est peu plébiscitée par l’inspection des installations classées. La réglementation des installations classées intègre parfaitement la notion de « droit à l’erreur » à travers l’exercice du contradictoire et la possibilité de prendre en compte les observations de l’exploitant, suite à une mise en demeure. Par ailleurs, les inspecteurs de l’environnement équilibrent bien les fonctions de conseil et le contrôle. A ce jour aucun contentieux spécifique aux nouvelles sanctions n’a été porté à la connaissance de la mission. Les préfets ont « compétence liée » en matière de mise en demeure et de sanctions administratives. Au pénal, le procureur a autorité sur les inspecteurs de l’environnement. II/ Une disparité frappante dans l’application des mesures : une harmonisation inachevée Il ressort du bilan réalisé par le CGEDD que les nouvelles sanctions prévues par l’ordonnance n°2012-34 répondent aux principes d’efficacité, d’équité d’exemplarité auxquels les services sont tenus. Néanmoins un certain nombre de difficultés dans la mise en place de ces mesures apparait. Le Conseil constate d’abord une application localisée dans certaines régions. En 2016, seules 5 régions dépassent plus de 10 procédures – amendes et astreintes- quand, dans six régions, aucun des départements n’en a mis en œuvre. Peu de service ont mis en œuvre la transaction pénale. Dans les régions où les mesures ont été éprouvées, seule la mise en œuvre des amendes et astreintes administratives a augmenté. Sur l’année 2015/2016, les amendes ont augmenté de 100% et les astreintes administratives de 65%. D’une manière générale, les procédures de mise en demeure permettent d’aboutir aux mises en conformité requises. Les difficultés évoquées ont plusieurs causes :  L’incohérence perçue de certains textes relatifs aux polices de l’environnement (montant des amendes, différences sur leur maximum et sur leur « proportionnalité ») Le défaut de références (absence de barème d’amende et d’astreinte) Les freins à la recherche d’efficacité dans la conduite des procédures (mise en œuvre de l’autorisation environnementale qui limite les capacités de projection des services vers d’autres procédures et la complexité de la chaîne de recouvrement des amendes et astreintes) La difficulté d’apprentissage et de maitrise d’une nouvelle procédure (identification du destinataire de la sanction, imputation des amendes, justification des montants) La relation avec les parquets est contrastée. Les consignes qu’ils donnent sont favorables aux alternatives aux poursuites quand les atteintes à l’environnement sont faibles et quand il peut y être remédié efficacement. En revanche les infractions seraient poursuivies dans les autres cas. En sens inverse, les services des ICPE craignent que leur mise en action de procédures pénales ne soit pas suivies d’effet. Cela peut conduire à ne pas mettre en œuvre les poursuites pénales alors que le contexte le justifierait. De telles situations sont inconfortables et malvenues au regard du principe d’équité. Elles renvoient au besoin de disposer de lignes directrices claires de la part de chaque parquet au travers du protocole que prévoit la circulaire CRIM/2015-9/G4 du 21 avril 2015 du ministre de la justice. A titre d’exemple les services des ICPE de Bretagne ont signé un protocole avec chaque procureur de la région concernant les procédures pénales en matières d’ICPE agricoles. Il faut bien garder en tête que les ICPE regroupent des réalités très diverses qu’il faut prendre en compte. Les stratégies et les pratiques doivent s’adapter à chaque ICPE en distinguant un effet « taille » de l’installation, un effet « chiffre d’affaires » et un effet « type d’activité ». Il est recommandé d’adapter sa façon de dialoguer avec les exploitants, sa manière de fonder les mises en demeure puis de prononcer les sanctions en tenant compte de la singularité de chaque ICPE. En conclusion, il semble selon le rapport que peu de services aient replacé et exploité les apports de l’ordonnance de 2012…