Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)
Aux termes de la décision présentement commentée, le Conseil d’Etat est venu préciser l’office du juge des référés dans une hypothèse particulière, celle d’un déféré préfectoral contre une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice susceptible d’être régularisé (CE, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 22 mai 2015, n°385183).
Les faits soumis au Conseil d’Etat étaient les suivants. Un préfet a exercé un déféré préfectoral contre un arrêté de permis de construire délivré par le maire d’une commune et a assorti son recours d’une demande de suspension en référé, comme l’y autorise l’article L. 554-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1400730 du 24 septembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande.
Le bénéficiaire du permis de construire suspendu a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Il invoquait trois moyens de cassation mais le Conseil d’Etat les a écartés un par un avant de rejeter son pourvoi.
1) Tout d’abord, le requérant invoquait une méconnaissance de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales instaurant un délai de deux mois pour le déféré préfectoral.
Toutefois, l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme dispose que » les permis de construire délivrés par le maire (…) sont exécutoires de plein droit dès lors qu’il a été procédé à leur notification et à leur transmission au représentant de l’Etat (…) / Les actes transmis sont accompagnés des dossiers et des pièces d’instruction ayant servi à leur délivrance / (…) » . Ainsi, lorsque la transmission de l’acte au Préfet est incomplète, il appartient à ce dernier de demander à l’autorité communale, dans le délai de deux mois de la réception de l’acte transmis, les éléments manquants.
Le Conseil d’Etat déduit de la combinaison des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales et de l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme que lorsque le Préfet a demandé à l’autorité communale de compléter sa transmission, ; « le délai de deux mois prévu pour le déféré préfectoral devant le tribunal administratif par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ne court que soit de la réception des documents annexés réclamés, soit de la décision implicite ou explicite par laquelle l’autorité communale refuse de compléter la transmission initiale ».
En l’espèce, il considère donc que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ni entaché son ordonnance de dénaturation des pièces du dossier en estimant que la demande de production de ces pièces nécessaires à l’instruction du dossier de permis de construire était de nature à proroger le délai de deux mois dont le préfet disposait pour déférer le permis de construire litigieux au juge administratif.
2) Ensuite, le requérant soutenait que le juge des référés, ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit ou entacher son ordonnance de dénaturation, retenir que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du plan de prévention du risque inondation (PPRI) était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’acte déféré.
Le Conseil d’Etat a écarté ce moyen après avoir souligné qu’une partie du projet litigieux était située dans une des zones d’aléa fort du PPRI. L’argumentation du Conseil d’Etat est très succincte et repose sur l’office du juge des référés tel que déterminé par les articles L. 511-1 et L. 521-1 du code de justice administrative.
L’article L. 511-1 du code de justice administrative prévoit que le juge des référés n’est pas saisi du principal et ne statue que par des mesures provisoires. Il était donc parfaitement cohérent qu’il soit cité par le Conseil d’Etat.
En revanche, la référence à l’article L. 521-1 du code de justice administrative peut surprendre. Bien que cet article concerne les pouvoirs du juge des référés, il permet surtout à ce dernier de suspendre un acte lorsqu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision et lorsque l’urgence le justifie. Il sert de fondement au « référé-suspension classique ».
En présence d’une demande de suspension à l’occasion d’un déféré préfectoral, le fondement juridique est différent. Il s’agit de l’article L. 554-1 du code de justice administrative. La condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative n’est, par exemple, pas reprise dans cet article.
Par suite, le Conseil d’Etat aurait pu décider de se fonder sur l’article L. 554-1 du code de justice administrative pour déterminer l’office du juge en matière de demande de suspension dans le cadre d’un déféré plutôt que sur l’article L. 521-1 du même code.
Tel n’a pas été son choix. Cette position s’explique sans doute par le fait que si l’article L. 554-1 du code de justice administrative autorise le Préfet à formuler une demande de suspension, les pouvoirs du juge relèvent, eu égard à la dénomination des différents chapitres du code de justice administrative, de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
3) Enfin, le requérant soutenait que le juge des référés pouvait faire usage des pouvoirs conférés à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme lui permettant de surseoir à statuer afin de lui permettre de régulariser une illégalité affectant son permis de construire.
Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations « .
Le Conseil d’Etat confirme l’analyse du juge des référés selon laquelle « même dans l’hypothèse où le moyen de nature à créer un doute sérieux est relatif à une illégalité qui serait susceptible d’être régularisée en application de ces dispositions, il n’appartient pas, eu égard à son office, au juge des référés, qui statue en urgence, de faire usage des pouvoirs conférés au juge du fond par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et de surseoir à statuer pour permettre au bénéficiaire de régulariser l’autorisation contestée ».
Il s’agit là du principal apport de cet arrêt qui vient préciser que le sursis à statuer en vue de permettre la régularisation d’une autorisation d’urbanisme en vertu de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme n’est pas un pouvoir susceptible d’être mis en œuvre par le juge des référés. Ce pouvoir relève exclusivement des juges du fond.
Par ailleurs, il ressort de l’abstract de la décision publié sur Légifrance que les juges du fond s’étaient prononcés avant la décision du Conseil d’Etat. Ils avaient accordé un délai au bénéficiaire du permis de construire afin qu’il régularise son permis conformément aux dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Il est donc possible d’en déduire qu’en présence d’un pourvoi en cassation formé contre une ordonnance du juge des référés ayant suspendu l’exécution d’une autorisation d’urbanisme, la circonstance que les juges du fond aient déjà fait usage du pouvoir qu’ils tiennent de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ne prive pas d’objet le pourvoi en cassation. Cette solution implicite ne ressort toutefois pas du tout de la décision commentée telle qu’elle a été rédigée par le Conseil d’Etat.
Au-delà des précisions sur le délai ouvert au Préfet pour déférer un acte à la juridiction administrative, la décision du Conseil d’Etat permet donc surtout de préciser l’office du juge des référés dans un contexte où la tendance actuelle du droit de l’urbanisme vise à faciliter autant que possible la régularisation des illégalités pouvant entacher une autorisation d’urbanisme. Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat interdit au juge des référés de faire usage des pouvoirs dévolus aux juges du fond par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et, ce, même dans l’hypothèse où le moyen de nature à justifier la suspension concernerait une illégalité régularisable. Cette position se conçoit d’autant plus que le juge des référés ne peut ordonner que des mesures provisoires. Son rôle n’est donc pas de permettre la régularisation des autorisations de construire. Le pouvoir d’autoriser une régularisation relève plutôt d’une formation collégiale, par nature plus légitime pour se prononcer sur l’opportunité d’en faire usage. La décision du Conseil d’Etat traduit, en conséquence, une volonté de maintenir l’office du juge des référés dans un certain cadre, quitte à mettre simultanément un frein à la tendance visant à régulariser autant que possible les vices susceptibles d’entraîner l’illégalité des autorisations d’urbanisme contestées.