Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)
Par un arrêt n°22-82.229 du 8 mars 2023, la Cour de cassation juge qu’un maire poursuivi pénalement pour prise illégale d’intérêts ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle et obtenir à ce titre le remboursement de ses frais d’avocat (téléchargeable ci-dessous).
En l’espèce par un jugement en date du 10 septembre 2019, un maire a été déclaré coupable du délit de prise illégale d’intérêts :
- Pour avoir mis gratuitement à la disposition d'une association, exploitant une radio , des locaux, des matériels et des agents de la commune ;
- Et avoir participé à l'attribution par cette commune de subventions à cette association dont il avait été président honoraire jusqu'en 2008 et qui faisait la promotion de la ligne politique du parti dont il était le président.
Le 27 septembre 2019, le procureur de la République a par ailleurs fait diligenter une enquête des chefs de détournement de fonds publics et recel au motif que le maire aurait perçu et au titre de la protection fonctionnelle, la somme de 11 559 297 francs Pacifique destinée à payer ses frais de défense dans le cadre de la procédure diligentée pour prise illégale d’intérêts, en application de deux délibérations du conseil municipal présidé par le premier adjoint au maire.
Par une ordonnance du 9 juin 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné le maintien de la saisie de la somme de 11 559 297 francs Pacifique figurant sur le compte bancaire du maire.
Toutefois, le prévenu a interjeté appel du jugement du 10 septembre 2019 et de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.
Par arrêt du 7 juillet 2020, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance attaquée, conduisant le prévenu à se pourvoir en cassation.
Par arrêt du 10 mars 2021, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction, motif pris de ce que les juges, qui avaient confirmé l’ordonnance de maintien de la saisie, s’étaient à tort abstenus de rechercher l’existence d’indices de la commission des infractions objet de l’enquête préliminaire.
Malgré ce renvoi après cassation, un arrêt du 8 mars 2022 de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Papeete a de nouveau infirmé l’ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention dans la procédure suivie des chefs de détournement de fonds public et recel.
En conséquence, le procureur général près la Cour d’appel de Papeete a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre d’instruction du 8 mars 2022 de la Cour d’appel.
Pour mémoire, la chambre d’instruction a infirmé l’ordonnance de maintien de la saisie en retenant que :
- L'octroi de la protection fonctionnelle du maire, ne peut être jugé frauduleux par le juge judiciaire que si l'intéressé a commis une faute détachable de ses fonctions publiques, en l'occurrence le délit de prise illégale d'intérêts ;
- Son intention est de faire financer, par le budget municipal, des frais d'avocat qui lui incombent totalement au regard des dispositions de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales et de ses manquements personnels.
- Sur le caractère détachable de la prise illégale d'intérêts du mandat du maire
Pour rappel selon les dispositions de l’article L.2123-34 du code général des collectivités territoriales, « la commune est tenue d’accorder sa protection au maire (…) lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
A cet égard, la chambre d’instruction de la juridiction d’appel a considéré que :
- le jugement ayant condamné maire pour prise illégale d’intérêts n’est pas définitif en raison de l’appel interjeté par le prévenu ;
- aucun texte légal n’édicte que le délit de prise illégale d’intérêts constitue, de droit, une faute détachable de l’exercice des fonctions publiques qui prive l’élu condamné du droit de demander la protection fonctionnelle ;
- aucune des deux délibérations ayant accordé au maire cette protection n’a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Néanmoins, la Cour de cassation juge qu’en se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a insuffisamment justifié sa décision.
En effet, la Haute juridiction considère qu’au contraire les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur.
Dans ces conditions en application des dispositions de l’article L.2123-34 du code général des collectivités territoriales, le maire ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pour prise illégale d’intérêt (§21 de la décision n° 22-82.229).
- Possibilité de poursuivre pour détournement de fonds public et recel un maire bénéficiant à tort d'une protection fonctionnelle
Dans son arrêt, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Papeete constate que la somme d’argent litigieuse a été libérée au profit des avocats du maires, sur la base des délibérations non contestées de l’organe décisionnaire de la commune et non par des actes matériels du maire, alors qu’il est reproché à celui-ci d’avoir commis le délit de détournement de fonds public ou de recel de ce délit qui, lui, suppose une infraction principale.
Certes, la Cour de cassation constate que le maire, qui a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée.
Cependant, la juridiction suprême estime que contrairement à ce qu’ a relevé la juridiction d’appel, cette circonstance n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction (§22 de la décision n° 22-82.229).
Autrement dit, le maire peut être poursuivi également pour détournement de fonds public, et cela même si l’élu ne participe pas à la délibération lui ayant octroyé le bénéfice de la protection fonctionnelle.