Le principe de prévention et les animaux nuisibles

Le principe de prévention et les animaux nuisibles

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Afin de prévenir les pollutions, l’application du principe de prévention en droit de l’environnement se concrétise par l’usage des pouvoirs de police administrative. Quant à la création de régimes spéciaux de police, ils sont adaptés aux exigences spécifiques de la protection de l’environnement. Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre régime, ils sont examinés en droit des pollutions et nuisances. Un autre exemple est celui de la reconnaissance d’un lien étroit entre la protection de l’environnement et la prévention des sinistres et catastrophes, manifestation significative et complexe de l’inscription du principe de prévention dans le droit de l’environnement.

Le 3 août 2023, la ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires a pris un arrêté fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts.

Le 10 août 2023, l’Association One Voice et d’autres associations telles que la Ligue pour la protection des oiseaux et France Nature Environnement ont saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir afin qu’il annule cet arrêté.

D’après ces associations, ledit arrêté a notamment été adopté au terme d’une procédure irrégulière, a été entaché d’une erreur d’appréciation et d’une méconnaissance du principe de prévention.

L’arrêté de la ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires est-il légal ? Les critères de classement sur la liste des animaux nuisibles sont-ils compatibles avec le principe de prévention ?

Le Conseil d’État a répondu à ces questions par l’affirmative, sous réserve que la ministre s’appuie sur des données pertinentes (décision commentée : CE, 13 mai 2025, n° 480617 ).

D’une part, l’article R. 427-6 du Code de l’environnement dispose notamment que :

« Après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, le ministre chargé de la chasse fixe par arrêté trois listes d’espèces d’animaux classées susceptibles d’occasionner des dégâts :

1° La liste des espèces d’animaux non indigènes classées susceptibles d’occasionner des dégâts sur l’ensemble du territoire métropolitain, précisant les périodes et les modalités de leur destruction ;

2° La liste des espèces d’animaux indigènes classées susceptibles d’occasionner des dégâts dans chaque département, établie sur proposition du préfet après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage réunie en sa formation spécialisée mentionnée au II de l’article R. 421-31, précisant les périodes et les territoires concernés, ainsi que les modalités de destruction. Cette liste est arrêtée pour une période de trois ans, courant du 1er juillet de la première année au 30 juin de la troisième année ;

3° La liste complémentaire des espèces d’animaux classées susceptibles d’occasionner des dégâts par un arrêté annuel du préfet qui prend effet le 1er juillet jusqu’au 30 juin de l’année suivante. Cette liste précise les périodes et les modalités de destruction de ces espèces. »

D’autre part, l’article L. 110-1 de ce même Code met en exergue le principe de prévention comme suit :

« Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ».

Dans un premier temps, le Conseil d’État a rappelé les critères justifiant l’inscription d’une espèce sur la liste, ainsi que les dispositions de l’article R. 427-6 du Code de l’environnement :

« le ministre chargé de la chasse peut inscrire une espèce sur la liste des animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts dans un département soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans ce département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit lorsqu’il est établi qu’elle est à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions. » (décision commentée : CE, 13 mai 2025, n° 480617, point 7 ).

Ces critères avaient déjà été mis en exergue dans une décision rendue il y a deux ans (CE, 1er mars 2023, Association Oiseaux nature, n° 464089, point 4 ).

Quant à l’arrêté du 3 août 2023, le juge des référés avait déjà rejeté une demande de suspension (CE (ord.), 20 novembre 2023, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 489082 ).

Dans un second temps, le juge administratif a mis en perspective ces critères avec le principe de prévention :

« Par eux-mêmes, de tels critères ne méconnaissent pas le principe de prévention énoncé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Il appartient toutefois au ministre, pour respecter ce principe lorsqu’il décide d’inscrire une espèce sur cette liste dans un département, de se fonder sur des données pertinentes pour ce département concernant les espèces en cause, et notamment de tenir compte, ainsi que le prévoit l’article L. 110-1, des services écosystémiques qu’elles peuvent y rendre localement et d’éviter les atteintes à la biodiversité » (décision commentée : CE, 13 mai 2025, n° 480617, point 10 ).

En l’occurrence, l’arrêté ministériel n’est pas illégal.

Précisément, il est partiellement légal, car la ministre a appliqué des critères alternatifs : d’une part, elle a retenu les dommages chiffrés imputables à une espèce déterminée et, d’autre part, elle a tenu compte de l’abondance de l’espèce, calculée à la lumière du nombre d’individus prélevés par an :

« Il ressort des pièces des dossiers que, pour établir la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, le ministre chargé de la chasse a fait application des critères alternatifs cités au point 7 en retenant, d’une part, les dommages chiffrés imputables à une espèce déterminée, regardés comme étant suffisamment significatifs dès lors qu’ils excèdent au moins 10 000 euros environ sur la période antérieure considérée à l’échelle du département et, d’autre part, l’abondance de l’espèce, évaluée au regard du nombre d’individus prélevés par an, a priori supérieur à 500, et des risques d’atteintes significatives, à l’échelle du département, à l’un au moins des intérêts protégés par l’article R. 427-6 du code de l’environnement compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de ce département. » (décision commentée : CE, 13 mai 2025, n° 480617, point 9).

Mais certaines appréciations ont été considérées comme erronées, s’agissant de la martre et, dans certains départements, de la fouine, du renard, du corbeau freux, de la corneille noire, de la pie bavarde, de l’étourneau et du geai des chênes.

Le Conseil d’État a donc sorti ces espèces du classement des animaux nuisibles, ce qui ne l’a pas empêché de rejeter toute violation du principe de prévention.

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