Fonction publique : la protection fonctionnelle n’existe pas devant les juridictions financières

Fonction publique : la protection fonctionnelle n’existe pas devant les juridictions financières

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

À l’occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, les agents publics bénéficient d’une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire.

Cette protection s’applique aussi aux élus, aux collaborateurs occasionnels du service public, aux contractuels recrutés à l’étranger sous contrat de droit local, et aux anciens agents publics (CE, 8 juin 2011, n° 312700 ), mais pas toujours devant la Cour des comptes.

Le 29 novembre 2022, est paru un article dans « La tribune de l’Art », intitulé « L’État brade du mobilier précieux du château de Grignon ».

Le 9 février 2023, le Procureur général près la Cour des comptes a pris un réquisitoire afin d’examiner la responsabilité des gestionnaires publics qui pourraient avoir participé à la vente indue de ce mobilier.

Le 2 avril 2024, la secrétaire générale du Gouvernement a produit une note relative au nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et à la protection fonctionnelle, dans laquelle elle a rappelé aux secrétaires généraux et aux Directeurs des Affaires juridiques des ministères que la protection fonctionnelle devait être accordée à un fonctionnaire dans les conditions prévues aux articles L. 134-1 et suivants du Code général de la fonction publique, lorsqu’il fait l’objet de poursuites devant le juge civil et lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales, lorsque aucune faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est imputable à l’agent.

Aucune de ces deux catégories ne peut être évoquée en cas de poursuites devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes, et ces poursuites ne peuvent pas être assimilées à des attaques au sens de l’article L. 134-5 du Code général de la fonction publique. En conséquence, ni ces dispositions, ni le principe général du droit à la protection fonctionnelle ne confèrent aux fonctionnaires un droit à bénéficier de la protection fonctionnelle lorsqu’ils sont mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Les secrétariats généraux et les Directions des Affaires juridiques des ministères devaient donc refuser l’octroi de la protection fonctionnelle pour ce type de poursuites.

Cela étant, la secrétaire générale du Gouvernement a précisé que, dans les cas où la défense de l’agent mis en cause rejoignait l’intérêt du service lui-même, il apparaissait opportun que l’Administration mobilise des ressources internes afin de lui prêter assistance, telles que le conseil juridique, la fourniture d’informations et la recherche dans les archives papier ou numérique.

Malgré cette note, les agents publics mis en cause par le magistrat instructeur de la chambre du contentieux de la Cour des comptes dans l’affaire du mobilier de Grignon ont bénéficié de la protection fonctionnelle de leur Administration.

Le 12 septembre 2024, l’une de ces fonctionnaires ainsi que son avocat, la société UGGC Avocats, ont saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de la note du 2 avril 2024.

Le 19 décembre 2024, la Cour des comptes a condamné les agents publics renvoyés devant elle dans le cadre de cette affaire à des peines d’amende allant de 3 000 euros à 5 000 euros (Cour des comptes, chambre du contentieux, 19 décembre 2024, Vente du mobilier du château de Grignon, n° S-2024-1571 ).

L’employeur public doit-il prendre en charge les frais de procédure de ses agents mis en cause devant la Cour des comptes ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative, excluant ainsi l’octroi de la protection fonctionnelle aux gestionnaires publics mis en cause devant la Cour (décision commentée : CE, 29 janvier 2025, n° 497840 ).

L’article L. 134-1 du Code général de la fonction publique dispose que :

« L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre. ».

Dans un premier temps, la Haute Assemblée a mis dos à dos la protection fonctionnelle et l’absence de sanction pénale :

« En premier lieu, d’une part, il résulte des dispositions citées au point 4 que la collectivité publique doit accorder une protection à ceux de ses agents qui font l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions. D’autre part, il résulte des dispositions citées au point 9 que les amendes infligées par la Cour des comptes n’ont pas le caractère d’une sanction pénale. La protection fonctionnelle instituée par l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique ne saurait, dès lors, être accordée à un agent faisant l’objet d’une procédure sur le fondement des articles L. 131-1 et suivants du code des juridictions financières. Il suit de là que la société UGGC Avocats et Mme C ne sont pas fondées à soutenir que la note litigieuse aurait méconnu la portée et le champ d’application de cet article en indiquant qu’il ne permettait pas d’accorder la protection fonctionnelle aux agents poursuivis devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes » (décision commentée : CE, 29 janvier 2025, n° 497840, point 11 ).

Dans un second temps, les juges du Palais-Royal ont nuancé leur propos, ouvrant la porte à une certaine marge de manœuvre pour l’Administration :

« En deuxième lieu, lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui et de prendre en charge l’ensemble des frais de cette instance, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, et, à moins qu’un motif d’intérêt général s’y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations et outrages dont il est l’objet. Toutefois, lorsqu’un agent public est mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes dans le cadre du régime de responsabilité des gestionnaires publics prévu aux articles L. 131-1 et suivants du code des juridictions financières, s’il est toujours loisible à l’administration de lui apporter un soutien, notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense, ce principe n’impose pas à la collectivité publique de lui accorder une protection. Par suite, la société UGGC Avocats et Mme C ne sont pas fondées à soutenir que la secrétaire générale du Gouvernement aurait méconnu le principe général du droit à la protection fonctionnelle en estimant qu’un agent poursuivi devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes n’était pas fondé à s’en prévaloir » (décision commentée : CE, 29 janvier 2025, n° 497840, point 12 ).

Au final, les Administrations doivent refuser d’octroyer la protection fonctionnelle aux agents mis en cause devant la Cour des comptes, mais elles peuvent les aider via un appui juridique, technique ou humain : le genre de décision dont le Conseil d’État a le secret lorsqu’il souhaite faire dans la nuance.

Pour mémoire à la suite de cette décision, un autre cas de refus de protection fonctionnelle a été jugé comme régulier, en particulier devant la cour de discipline budgétaire et financière lorsqu’elle prononce des amendes n’ayant pas le caractère d’une sanction pénale (CAA de Douai 25 juin 2025, n° 23DA02156, point 8 ).

De son côté, le Gouvernement a repris dans une circulaire la jurisprudence de la Haute juridiction en indiquant que la protection fonctionnelle ne s’applique pas dans le cadre du régime de responsabilité financière (Premier ministre, circulaire NOR : PRMX2512236C, n° 6478-SG, 17 avril 2025, page 1 ).

Toutefois, l’Etat considère qu’il appartient à l’administration de mobiliser des ressources internes pour lui fournir un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense sauf lorsqu’elle estime que l’agent a commis des fautes quine le justifient pas (Premier ministre, circulaire NOR : PRMX2512236C, n° 6478-SG, 17 avril 2025, page 2 ).

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