Le permis modificatif constitue une institution jurisprudentielle qui permet, sans engager une nouvelle procédure complète (et le cas échéant une étude d’impact et une enquête publique si on y est soumis), d’obtenir l’autorisation de modifier la construction objet d’un PC initial et non encore érigée. Et très souvent les opérateurs éoliens sont tentés d’y avoir recours afin d’augmenter la taille de leur machine par rapport à celle prévue par un permis initial.

 

Un arrêt récent de la CAA de Nantes valide le recours au permis modificatif pour une augmentation non négligeable de la hauteur des éoliennes (jurisprudence cabinet: CAA Nantes, 16 novembre 2012, n° 11NT00133).   

 

Le problème essentiel est de distinguer les hypothèses dans lesquelles il est possible de se contenter d’un permis modificatif de celles dans lesquelles un permis nouveau est nécessaire. La jurisprudence établit que le permis modificatif peut être sollicité lorsque les modifications qui le justifient ne portent pas atteinte à l’économie générale du projet initial. Dans le cas contraire, le pétitionnaire doit demander et obtenir un nouveau permis.

 

 La frontière entre permis nouveau et permis modificatif n’est cependant pas évidente car la notion essentielle “d’atteinte à l’économie générale du projet initial” n’est elle-même pas définie avec précision.

Une circulaire du ministère de l’Équipement n° 73-58 du 16 mars 1973 fournit bien quelques éléments pour opérer cette distinction s’agissant des bâtiments. Ainsi, d’après le ministère, les changements de façades, un léger transfert du bâtiment, la suppression ou l’addition d’un étage justifient un permis modificatif ; en revanche, la suppression de bâtiments et leur remplacement par d’autres bâtiments en nombre différent, un changement profond de l’implantation ou du volume des bâtiments exigent le dépôt d’une nouvelle demande de permis.

 

Mais quels critères retenir pour la construction singulière que constitue l’éolienne ? Car comme le rappelait en août dernier la Cour administrative d’appel de Douai à un opérateur éolien  un” permis de construire modificatif peut être requalifié, du fait de son objet et de sa portée, en nouveau permis de construire” (CAA Douai, 13 aout 2012, n°11DA01678). Certes il n’y a pas de difficulté majeure lorsque la modification diminue les impacts du projet (par ex. CAA Nantes, 1er juillet 2011, n°10NT02571).

 

L’espèce commentée (CAA Nantes, 16 oct. 2012, Sté InnoVent, n°11NT00133) nous donne un nouvel éclairage dans une matière casuistique où les espèces jurisprudentielles sont autant de repères précieux ; surtout lorsqu’il en va seulement d’un impact paysager

La Cour juge par un arrêt attendu : “Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les modifications apportées au projet initial par les demandes de permis modificatif se traduisent uniquement par une élévation du mât des engins de 56 à 66 mètres, correspondant à 15 % de la hauteur initiale, alors que les autres caractéristiques des éoliennes, notamment le diamètre de leur rotor et leur puissance, demeurent inchangées ; que les photomontages joints au dossier indiquent, par ailleurs, que la taille visuelle d’un mât de 56 m, à une distance de 10 km, pour un observateur tenant une règle à bout de bras, n’est que 4,48 mm, et de 5,2 mm pour un mât de 66 m ; qu’ainsi la surélévation du projet ne sera perceptible qu’à une très faible distance du parc éolien et n’aura pas pour effet de modifier l’impact paysager des machines, ni, par suite, de modifier substantiellement ses caractéristiques initiales ; que dès lors c’est à tort que le préfet de l’Orne a rejeté les demandes de permis de construire modificatif présentées par la société Innovent au motif qu’elles nécessitaient la délivrance de nouveaux permis de construire “.

 

Les premiers juges avaient eu une toute autre approche des pièces du dossier en jugeant : “Si les vues lointaines sur le projet, s’agissant des endroits à partir desquels le parc tel qu’autorisé par les permis de construire initiaux sera déjà visible, ne seront que peu affectés par les modifications projetées, l’augmentation de hauteur aura en revanche pour effet, non seulement d’aggraver la perception rapprochée des éoliennes, mais aussi d’étendre les zones à l’intérieur desquelles elles seront visibles ; que dans ces conditions, et alors même que les modifications envisagées n’auraient aucune incidence sur les autres impacts du projet, le préfet de l’Orne a pu, sans erreur d’appréciation, estimer que l’augmentation de la hauteur des mâts de 56 à 66 mètres nécessitait  la délivrance de nouveaux permis de construire” (TA de Caen, 12 novembre 2010, n° 0902155).

On pouvait comprendre la prise en compte du critère “des zones de visibilité” qui renvoie en fait à la définition de l’aire d’étude des impacts paysagers … mais si les vues éloignées sont peu impactées on ne voit pas comment l’aire d’étude pourrait elle-même être utilement étendue. Le raisonnement avait même un effet pervers car le calcul de l’aire d’étude est conditionné par la hauteur des machines.

Ainsi apprécier l’impact significatif à l’aune de la perception des machines parait plus en phase avec le principal enjeu d’une modification susceptible de n’avoir que des effets paysagers.

 

On remarquera plus globalement que la jurisprudence commence ici à se fixer s’agissant des modifications requérant seulement un PC modificatif.

S’agissant du domaine des éoliennes, la Cour administrative d’appel de Douai a considéré que l’implantation d’un modèle distinct d’éoliennes, se traduisant par une élévation du moyeu des installations de cinq mètres ainsi qu’une augmentation de la surface hors œuvre brute de chaque site, correspondant à l’emprise au sol des fondations des éoliennes, de 148 m2 à 190 m2 maximum (soit une augmentation de 28,37%), ne portaient pas atteinte à l’économie générale du projet et autorisait l’utilisation de permis modificatifs (CAA Douai, 9 avril 2009, n° 08DA00989).

De même toujours selon la CAA de Douai : “Considérant qu’un permis de construire modificatif peut être requalifié, du fait de son objet et de sa portée, en nouveau permis de construire ; qu’il ressort des pièces du dossier que les modifications apportées par les arrêtés du 18 mai 2006 aux projets initiaux, lesquels avaient fait l’objet des permis de construire délivrés le 15 mars 2005, consistaient en l’implantation d’un modèle distinct d’éoliennes, se traduisant par une élévation de 5 mètres du moyeu des installations, une diminution de 11 mètres de la largeur du rotor, une diminution de la hauteur totale des éoliennes de 0,50 mètres accompagnée d’une légère réduction du niveau sonore émis, passant de 105 à 103 db(A), et une augmentation de la surface émergente de leurs fondations ; que ces modifications, rapportées à l’ensemble du projet, ne portaient pas atteinte à l’économie générale de ce dernier ; que, dans ces conditions, les permis de construire modificatifs ne constituaient pas des nouveaux permis de construire dont la délivrance aurait dû être précédée d’une nouvelle étude d’impact et d’une nouvelle enquête publique ; que c’est donc à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler ces permis modificatifs ” (CAA Douai, 13 aout 2012, n°11DA01678)

De même, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que les permis ayant eu pour objet d’autoriser le pétitionnaire à ériger des éoliennes dont la longueur des pales est portée de 45 mètres à 50 mètres (soit une augmentation de 11,11%), portant ainsi le diamètre du rotor de 90 mètres à 100 mètres et la hauteur totale des machines de 145 mètres à 150 mètres n’entraînaient aucune modification substantielle des caractéristiques initiales des projets, et nécessitant l’organisation d’une nouvelle enquête publique (CAA Nantes, 18 mars 2010, n° 09NT01101).

 

 

Mais il est des modifications qui sont requalifiées en nouveaux permis.

Ainsi la Cour administrative d’appel de Nancy considère que la demande prétendument modificative qui consiste à déplacer l’emplacement du poste de livraison, à pratiquer quelques modifications sur la plate-forme (câblage, piste de desserte) et à installer des éoliennes plus hautes (hauteur de 150 mètres en bout de pales pour les éoliennes n° 3 et 5, hauteur de 125 mètres en bout de pales pour les éoliennes n° 1 et 2) et plus puissantes (2,5 MW au lieu de 2 MW) est trop importante :  “eu égard à leur ampleur et à leur impact sur l’environnement, ces modifications ont pour effet d’affecter la conception générale du projet initial ; que, par conséquent, le permis de construire litigieux doit être regardé comme un nouveau permis de construire, et non comme un modificatif du permis de construire initial” (CAA Nancy, 26 juin 2012, n°11NC01209).

 

Bien évidemment ces enseignements de la jurisprudence seront désormais à transposer sur le terrain des installations classées où la modification de l’installation autorisée implique aussi une nouvelle autorisation en cas de modification substantielle (cf. l’article R512-33-II du code de l’environnement). On peut néanmoins penser que la plupart du temps le passage par un simple arrêté complémentaire devrait emporter la conviction de l’inspection des ICPE.

 

 

David DEHARBE

Avocat Associé

Green Law Avocat