Environnement : l’article 8 de la Charte et les animaux domestiques et sauvages

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
L’une des missions du Conseil constitutionnel est de comparer des textes qu’il doit examiner avec des normes constitutionnelles telles que la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement. Le Conseil peut aussi invoquer des normes non écrites telles que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes de valeur constitutionnelle. Toutes ces normes sont appelées normes de référence.
En ce sens, l’article 61 de la Constitution exprime l’idée que le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la conformité des lois à la Constitution. Quant à l’article 61-1, il décrit la procédure dite de la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet de vérifier, a posteriori, si la loi déférée est ou n’est pas conforme à la Constitution.
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du 3 juillet 2023 pris par le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, l’Association One Voice, association de droit local alsacien d’Alsace-Moselle qui milite pour les droits humains, les droits des animaux, le droit de l’environnement et le respect de la vie sous toutes ses formes, a demandé au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des articles L. 413-10 et L. 413-11 du Code de l’environnement.
L’arrêté contesté portait équivalence entre les certificats de capacité de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques au sein d’établissements itinérants et les certificats de capacité de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques au sein d’établissements fixes.
Le 19 novembre 2024, dans sa décision Association One Voice (n° 487936 ), le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité. Pour ce faire, il a jugé que les griefs soulevés à l’encontre des dispositions législatives soulevaient une question présentant un caractère nouveau s’agissant du principe constitutionnel prescrivant l’éducation et la formation à l’environnement énoncé à l’article 8 de la Charte de l’environnement de 2004.
Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé que la reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux, qui aurait trouvé son origine dans la loi du 2 juillet 1850 relative aux mauvais traitements exercés envers les animaux domestiques, soulevait une question pouvant être regardée comme nouvelle.
Deux questions étaient donc soumises au Conseil constitutionnel : d’une part, l’interdiction d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux est-elle un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? D’autre part, l’article 8 de la Charte de l’environnement institue-t-il un droit ou une liberté que la Constitution garantit ?
Le Conseil constitutionnel a répondu à ces deux questions par la négative : d’une part, l’interdiction invoquée n’est pas un PFRLR, d’autre part, l’article 8 de la Charte n’est pas invocable à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC ).
Ainsi, il a affirmé implicitement que le principe de dignité est réservé à la personne humaine et a jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées du Code de l’environnement.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, l’article L. 413-10 du Code de l’environnement dispose notamment qu’il est interdit d’acquérir, de commercialiser et de faire se reproduire des animaux appartenant aux espèces non domestiques en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants, et que sont interdits, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d’animaux non domestiques.
L’article L. 413-11 de ce même Code dispose que :
« Les établissements de spectacles fixes présentant au public des animaux vivants d’espèces non domestiques sont soumis aux règles générales de fonctionnement et répondent aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent présentant au public des spécimens vivants de la faune locale ou étrangère. Les modalités d’application du présent article sont précisées par voie réglementaire. ».
Ces deux articles établissent donc une distinction entre les établissements itinérants et les établissements de spectacles fixes, et doivent s’appliquer à compter du 1er décembre 2028.
L’Association requérante était évidemment favorable au principe de l’interdiction.
Cela étant, elle contestait le fait d’avoir limité celle-ci aux seuls cirques itinérants, et développait son argumentation en invoquant deux principes constitutionnels.
Le Conseil constitutionnel a donc refusé de reconnaître des principes nouveaux, et s’est référé à deux normes de référence : le principe d’égalité et l’article 8 de la Charte de l’environnement.
Contrairement à d’autres États européens tels que le Luxembourg ou la Suisse, la France n’a pas consacré de textes généraux de protection des animaux. Précisément, aucun article de la Constitution de 1958 ne comporte de disposition assurant la protection des animaux, domestiques ou non domestiques. Ne pouvant donc se prévaloir d’aucun article, l’Association requérante a essayé de faire progresser la cause animale en proposant un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République et l’extension du principe de dignité aux animaux. Mais le Conseil n’a pas accédé à sa demande.
D’abord, la Haute Juridiction a circonscrit la question prioritaire de constitutionnalité :
« (…) la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dans les établissements itinérants » figurant à la première phrase du paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement et sur l’article L. 413-11 du même code » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 8 ).
Ensuite, le Conseil constitutionnel s’est référé au principe d’égalité, tel qu’il figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
« En premier lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 9 ).
Le raisonnement exposé rappelle celui bien connu du Conseil d’État, selon lequel les situations différentes donnent lieu à des traitements différents :
« (…) la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 14 ).
Enfin, il a rappelé les conditions de reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
« En deuxième lieu, une tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu’autant qu’elle aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 16 ).
Quant au principe de dignité, le juge constitutionnel a considéré qu’il ne concernait que les êtres humains et a donc refusé de reconnaître le principe de la dignité animale :
« En troisième lieu, les dispositions contestées de l’article L. 413-11 du code de l’environnement se bornent à soumettre les établissements de spectacles fixes présentant des animaux d’espèces non domestiques aux règles générales de fonctionnement et aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité humaine ne peut donc qu’être écarté » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 19 ).
L’argument relatif à la méconnaissance de l’article 8 de la Charte de l’environnement est intéressant, dans la mesure où cet article n’a jamais été utilisé devant le Conseil.
A l’instar de l’article 6 de la Charte, l’article 8 ne proclame ni un droit ni une liberté :
« En dernier lieu, aux termes de l’article 8 de la Charte de l’environnement : « L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte. » Cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Sa méconnaissance ne peut donc, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 20 ).
Les articles L. 413-10 et L. 413-11 du Code de l’environnement sont donc bien conformes à la Constitution :
« Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus l’article 1er de la Charte de l’environnement ni, en tout état de cause, son article 5, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution » (décision commentée : CC, 14 février 2025, n° 2024-1121 QPC, point 21).
Certes, la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle : cela ne signifie pas pour autant que tous ses articles correspondent à des droits ou à des libertés.
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