Environnement : Aspects juridiques de la censure partielle de la loi Duplomb

Environnement : Aspects juridiques de la censure partielle de la loi Duplomb

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Par Maître David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

Dès l’origine, le droit de l’environnement apparaît comme l’archétype de la mesure, en ce sens qu’il a cherché à freiner les excès.

Cette modération s’est retrouvée exprimée dans la notion de développement durable, qui vise à satisfaire les besoins du présent sans préempter le futur. Selon les conceptions, le développement durable a mis l’accent sur la protection de l’environnement dans une perspective essentiellement temporelle : la transmission aux générations futures et l’équité intergénérationnelle. La notion de générations futures correspond à une obsession primale commune à tout ce qui vit, perpétuer l’espèce et assurer l’avenir.

Entre le 11 juillet et le 18 juillet 2025, 186 députés et 92 sénateurs ont déféré au Conseil constitutionnel la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite loi Duplomb.

Les députés et sénateurs requérants contestaient notamment la procédure d’adoption de la loi, ainsi que la conformité à la Constitution de certaines dispositions des articles 1er, 2, 3 et 5.

Cependant, l’essentiel réside dans l’article 2.

L’article 2 de la loi Duplomb est-il conforme à la Constitution ?

Le Conseil constitutionnel a répondu à cette question par la négative : cet article a donc été totalement censuré. Précisément, le Conseil a censuré la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC ).

D’une part, l’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que :

« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »

D’autre part, l’article 2 de cette même Charte dispose que :

« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »

Les produits phytopharmaceutiques étaient ici au cœur du problème :

« Le d du 3° de l’article 2 insère un paragraphe II ter au sein de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime afin de permettre, sous certaines conditions, de déroger par décret à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ou autres substances assimilées, ainsi que des semences traitées avec ces produits » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 68 ).

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a mis en exergue les arguments des députés et sénateurs requérants :

« Les députés et sénateurs requérants reprochent à ces dispositions de ne pas suffisamment encadrer cette dérogation dans le temps, l’espace et les usages autorisés et de ne pas la soumettre à des conditions suffisamment précises tenant notamment compte des risques pour la biodiversité et pour la santé humaine. À cet égard, ils soulignent les incidences négatives de ces produits sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs, les oiseaux et les autres animaux invertébrés, les conséquences sur les sols et la qualité de l’eau, ainsi que la dangerosité de certaines de ces substances pour la santé humaine » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 69 ).

Divers éléments du bloc de constitutionnalité seraient alors mis à mal :

« Il en résulterait une méconnaissance du droit de vivre dans un environnement sain et équilibré, du devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, d’un principe de non-régression en matière environnementale qu’ils demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître, des principes de prévention et de précaution, ainsi que du devoir, pour les politiques publiques, de promouvoir un développement durable, garantis par les articles 1er, 2, 3, 5 et 6 de la Charte de l’environnement. Selon eux, seraient également méconnus, pour les mêmes motifs, le droit à la protection de la santé résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n°2025-891 DC, point 70 ).

Dans un second temps, les membres de l’institution ont donné raison à ces parlementaires, au moins en partie :

« (…) en premier lieu, les produits en cause ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux, ainsi que des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 79 ).

La généralisation de la dérogation posait aussi problème :

« En second lieu, d’une part, les dispositions contestées permettent d’accorder une dérogation à l’interdiction d’utilisation de ces produits pour toutes les filières agricoles, sans les limiter à celles pour lesquelles le législateur aurait identifié une menace particulière dont la gravité compromettrait la production agricole » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 80 ).

Compte tenu d’un défaut d’encadrement, la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes a donc été censurée.

Quant à l’article 5 de cette même loi, relatif à l’implantation d’ouvrages de stockage d’eau, le Conseil constitutionnel a formulé deux réserves d’interprétation pour en encadrer la portée. En effet, cet article a prévu d’accorder une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur à ces projets, et de leur permettre de bénéficier automatiquement de la dérogation sur les espèces protégées.

Sur ce sujet, le Conseil a donc émis deux réserves d’interprétation.

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a analysé l’intention du législateur :

« En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu préserver la production agricole dans des zones soumises à un déficit quantitatif pérenne d’eau susceptible d’affecter la capacité de production agricole. Il a ainsi poursuivi un motif d’intérêt général » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 134 ).

Dans un second temps, il a mis en perspective cette intention avec les spécificités de la raison impérative d’intérêt public majeur :

« En deuxième lieu, d’une part, ne peuvent être présumés d’intérêt général majeur ou répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur que des ouvrages de stockage d’eau ou les prélèvements associés poursuivant à titre principal une finalité agricole, lorsqu’ils sont situés dans des zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne d’eau compromettant le potentiel de production » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 135 ).

D’autres notions ont aussi été évoquées :

« D’autre part, ces ouvrages et prélèvements ne peuvent bénéficier des présomptions prévues par les dispositions contestées qu’à la condition qu’ils résultent d’«une démarche territoriale concertée » sur la répartition de la ressource en eau entre l’ensemble des usagers, qu’ils s’accompagnent d’un « engagement des usagers dans des pratiques sobres en eau » et qu’ils concourent à un accès à l’eau pour tous les usagers. Ces notions ne sont pas intelligibles » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 136 ).

La loi ne doit donc pas permettre la réalisation de prélèvements au sein de nappes inertielles :

« Toutefois, si les dispositions contestées s’appliquent à des prélèvements sur les eaux souterraines, elles ne sauraient, sans méconnaître le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, être interprétées comme permettant la réalisation de tels prélèvements au sein de nappes inertielles » (décision commenté : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 137 ).

C’est la première réserve d’interprétation.

La seconde porte sur le caractère réfragable des présomptions d’intérêt public majeur :

« En outre, sauf à méconnaître ces mêmes exigences, les présomptions instituées par ces dispositions ne sauraient être regardées comme revêtant un caractère irréfragable faisant obstacle à la contestation de l’intérêt général majeur ou de la raison impérative d’intérêt général majeur du projet d’ouvrage concerné » (décision commentée : CC, 7 août 2025, n° 2025-891 DC, point 138 ).

Cela étant, d’un point de vue formel, le Conseil constitutionnel a estimé que la procédure d’adoption de la loi n’a pas méconnu la Constitution. Le Président de la République a déclaré qu’il prenait bonne note de la décision du Conseil constitutionnel, et que la loi serait promulguée.

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