projet de décret sur la mise en place de zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) par les collectivités

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Alors que les liens entre la pollution atmosphérique et le Covid-19 ont récemment fait l’objet de travaux scientifiques médiatisés, la publication d’un projet de décret relatif à la mise en place de zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m) par les collectivités territoriales ne manquera pas de susciter l’intérêt. Ce projet de décret a pour objet de mettre en application l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de l’article 86 de la loi n° 2019-1429 dite d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et qui porte sur l’institution des ZFE-m, qui doivent remplacer les anciennes Zones à Circulation Restreinte (ZCR). Pour mémoire, cet article dispose qu’avant le 31 décembre 2020 les collectivités locales pour lesquelles un plan de protection de l’atmosphère (PPA) est adopté, en cours d’élaboration ou en cours de révision doivent obligatoirement instaurer de telles zones « lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent ». Cet article prévoit par ailleurs qu’après le 1er janvier 2021, la création de ZFE-m sera obligatoire dans un délai de deux ans, lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière, au regard de critères définis par voie réglementaire, sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent et que les transports terrestres sont à l’origine d’une part prépondérante des dépassements. Le projet de décret soumis a été soumis à la consultation du public entre le 23 mars et le 13 avril 2020. Dans un communiqué de presse afférent à cette consultation, le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a défini la ZFE-m comme « un territoire dans lequel est instaurée une interdiction d’accès, le cas échéant sur des plages horaires et jours déterminés, pour certaines catégories et classes de véhicules qui ne répondent pas à certaines normes d’émissions et donc qui ont un impact nocif sur la santé des résidents de l’ensemble du territoire ». Par ce texte, le Gouvernement prévoit tout d’abord d’instituer un article D. 2213-1-0-2 I dans le CGCT aux fins de définir les collectivités considérées comme ne respectant pas régulièrement les normes relatives à la qualité de l’air. Seront considérées comme ne respectant pas ces normes, les zones administratives de surveillance de la qualité de l’air dans lesquelles l’une des valeurs limites relative au dioxyde d’azote (NO2), aux particules PM10 et PM2,5 (mentionnées à l’article R. 221-1 du code de l’environnement) n’ont pas été respectés au moins trois années sur les cinq dernières. En outre, les communes ou les EPCI à fiscalité propre dont l’autorité exécutive dispose du pouvoir de police de circulation seront considérées comme ne respectant de manière régulière ces valeurs limites lorsque leur territoire est inclus en tout ou partie dans une zone administrative de surveillance de la qualité de l’air. Ensuite, le projet de décret doit instituer dans le CGCT un article D. 2213-1-0-3 relatif aux modalités d’identification des transports terrestres comme étant à l’origine d’une « part prépondérante des dépassements » de valeurs limites, au sens de l’article L2213-4-1 précité. Tel sera le cas : soit lorsque les transports terrestres constituent la première source des émissions polluantes ; soit lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation. Nul doute que les citoyens et structures associatives dédiées ne manqueront pas de scruter l’application de ce nouveau régime juridique, dans un contexte où plusieurs actions juridictionnelles ont d’ores et déjà été intentées à l’encontre de l’Etat pour carence fautive dans l’application de la législation applicable à la pollution de l’air.

CEE : prolongement des offres « coup de pouce » d’isolation et de chauffage

Par Maitre Théo DELMOTTE (Green Law Avocats) L’arrêté ministériel du 25 mars 2020 (JORF n°0079 du 1 avril 2020 texte n° 9) prolongeant les offres « coup de pouce » en matière de Certificats d’Economie d’Energie (CEE) est paru au Journal Officiel du 1er avril 2020. Pour mémoire, le dispositif « coup de pouce » permet aux ménages de recevoir une indemnité à l’occasion du remplacement de dispositifs de chauffage ou d’isolation obsolètes ou énergivores par des instruments plus performants. Par ces prolongations, le Gouvernement a entendu « donner de la visibilité sur le moyen-long terme » aux professionnels du bâtiment en raison de l’arrêt de la majorité des chantiers de rénovation énergétique du fait de l’épidémie de Covid-19. Présenté par la DGEC aux acteurs des CEE le 17 mars dernier, l’arrêté permet le report d’un an de l’échéance de la charte « Coup de pouce chauffage », soit jusqu’au 31 décembre 2021 sans aucune modification de son régime. En ce qui concerne le dispositif « Coup de pouce isolation », une nouvelle charte d’engagement s’appliquera pour les opérations engagées à compter du 1er septembre 2020 et jusqu’au 31 décembre 2021. Ce nouveau régime se traduit par une baisse des forfaits et primes pour l’isolation des planchers bas. Concrètement, d’après l’entreprise Effy, cela signifie par exemple qu’à compter du mois de septembre prochain et jusqu’au 31 décembre 2021, la bonification pour les travaux d’isolation des planchers bas diminuera de 35% pour les ménages en situation de précarité énergétique et de 50% pour les ménages standards. En outre, notons que l’arrêté ministériel du 25 mars 2020 prévoit également l’allongement de six mois du délai de dépôt des demandes de certificats d’économies d’énergie pour les opérations achevées entre le 1er mars 2019 et le 31 août 2019. Le délai passe donc d’une durée de 12 à 18 mois. S’agissant des sites soumis à quotas de CO2, dans l’hypothèse où la durée de mesurage serait supérieure à 12 mois, le délai de dépôt de demande de CEE serait alors prolongé de trois mois. Enfin, l’autre apport de cet arrêté ministériel consiste en un renforcement des mesures de contrôle et de sanction en matière de travaux d’isolation. Le texte crée ainsi une obligation de contrôle applicable à certaines fiches d’opérations standardisées relatives à l’isolation (BAR-EN-101, 103, 106 ; BAT-EN-101, 103, 106 ; IND-EN-102) et ajoute des conditions d’attribution pour ces fiches. Ces contrôles sont réalisés par un organisme accrédité. En matière de sanction, il est prévu que le signataire de la charte « Coup de pouce isolation » puisse se voir retirer le bénéfice des droits attachés à cette charte : s’il ne respecte pas ce texte ou le dispositif juridique des CEE et qu’il a fait l’objet d’une mise en demeure pour ces manquements, s’il a fait l’objet d’une sanction administrative ou pénale pour des faits prévus à à l’article 3-8 de l’arrêté ministériel du 29 décembre 2014, si après avoir constaté que l’un de ses partenaires ou sous-traitant avait fait l’objet d’une sanction administrative ou pénale pour des faits prévus à l’article 3-8 de l’arrêté ministériel du 29 décembre 2014, il n’a pas mis en œuvre les mesures appropriées. Ces dispositions relatives aux contrôles et aux sanctions entrent en vigueur le 1er septembre 2020.      

Le projet de décret sur l’Ae en consultation

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) En application de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, le Gouvernement a lancé une consultation publique du 7 février 2020 au 28 février 2020 sur le Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale, texte très attendu. I/ L’objet du projet de décret Ce projet de décret (téléchargeable ici) soumis à la consultation du public a pour principal objet d’appliquer la décision « association FNE » du Conseil d’État du 6 décembre 2017 (n° 400559) et l’article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat. On sait en effet que le précédent décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 relatif à l’autorité environnementale confiait, pour un certain nombre de projets, aux préfets de région la compétence  d’Ae (s’agissant des avis comme des examens au cas par cas), aux côtés de l’Ae du CGEDD et des MRAe. Or dans sa décision du 6 décembre 2017 (n° 400559, recours contre le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale), le Conseil d’État a jugé que l’autorité environnementale, dans son rôle consultatif (avis), pouvait également être autorité compétente pour autoriser le projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage sous réserve qu’une séparation fonctionnelle au sein de cette autorité soit organisée. Cette solution trouve son fondement dans les directives dites projet et programme de l’Union européenne et surtout dans l’interprétation que donne la CJUE de la seconde dans  son arrêt Seaport (CJUE, 20 oct. 2008, C-474/10). Le décret 28 avril 2016 n’avait pas prévu un tel dispositif dans les cas où le préfet de région était compétent pour autoriser le projet ou lorsqu’il était en charge de l’élaboration ou de la conduite du projet au niveau local. En conséquence, le Conseil d’État a annulé le 1° de l’article 1er du décret 28 avril 2016 en tant qu’il maintenait, au IV de l’article R.122-6 du code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité environnementale. Pour tenter de sauver les projets en cours, des instructions ont été données aux préfets afin que les dossiers concernés soient transférés aux Missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) pour ce qui concerne les avis ; de son côté le juge administratif a admis l’indépendance fonctionnelle de la MRAe et a même validé la possibilité de régulariser avec une nouvelle consultation de la MRAe les projets dont l’autorisation environnementale avaient été annulée (CE, avis, 27 sept. 2018, nº 420119 – CE, 27 mai 2019, nº420554/nº420575 ; cf. sur le refus de prononcer le sursis à exécution d’un arrêt d’appel qui n’aurait pas relevé un tel vice : CE, 6 nov. 2019, nº 430352) Reste que le Conseil d’Etat a confirmé son exigence d’autonomie fonctionnelle de l’Ae (CE, 21 août 2019, Assoc. Citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et a., n° 406892, 406894 – CE, 13 mars 2019, n°414930). Ainsi s’agissant du contentieux éolien, le Conseil d’Etat a nettement jugé que les services placés sous l’autorité hiérarchique du préfet de région, tels que les DREAL ne disposaient pas, « en principe », d’une autonomie réelle à son égard (CE, 20 sept. 2019, nº428274) et qu’ainsi ne commettait aucune erreur de droit, la Cour qui avait estimé que, en l’espèce, cet avis de l’autorité environnementale comme irrégulier. Désormais avec le projet décret mis à consultation du public, le Gouvernement envisage de confier à la MRAe la responsabilité de rendre les avis sur les projets ne relevant pas d’une autorité environnementale nationale (ministre chargé de l’environnement ou formation nationale du Conseil général de l’environnement et du développement durable). Reste que le gouvernement a toujours maintenu, même après l’arrêt « association FNE » du Conseil d’Etat, la compétence du préfet de région pour l’examen au cas par cas, Au demeurant, ce projet de décret s’efforce de transcrire l’article L.122-1 du code de l’environnement qui a été modifié, par l’article 31 de la n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat, afin de distinguer, pour les projets, autorité chargée de l’avis et autorité chargé de l’examen au cas par cas. la loi confie cette compétence non plus à l’« autorité environnementale » mais à une « autorité chargée de l’examen au cas par cas » qui sera définie par décret. Mais le Parlement a accepté ce transfert de compétence à la condition toutefois que  soient prévenus les conflits d’intérêt avec le « maître d’ouvrage » ou la personne « en charge du projet ». II/ Principales modifications opérées par le projet de décret : L’article R. 122-3 actuel est scindé en deux articles distincts (article R. 122-3 et R. 122-3-1) afin de distinguer plus explicitement les dispositions visant à désigner l’autorité en charge de réaliser l’examen au cas par cas des projets qui y sont soumis (article R. 122-3) de celles visant à préciser le déroulé de la procédure d’examen au cas par cas (article R. 122-3-1) ; L’article R. 122-6 est modifié pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat et confier aux MRAe le soin de rendre les avis qui relevaient précédemment de la compétence du préfet de Région ; L’article R. 122-7 est toiletté à la marge afin de clarifier la durée dont disposent les collectivités territoriales pour rendre leur avis ; L’article R. 122-17 est complété par un alinéa prévoyant, à l’instar du dispositif applicable aux projets, la possibilité pour le ministre en charge de l’environnement d’évoquer certains dossiers relatifs à des plans ou programmes relevant normalement de la compétence des MRAe ; L’article R. 122-24 clarifie l’organisation interne des MRAe qui bénéficient de l’appui technique des agents de la DREAL ; Les articles R. 122-24-1 et R. 122-24-2 sont créés afin de faire application des dispositions relatives au conflit d’intérêt introduites par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et codifiées au V bis de l’article L. 122-1. On relève avec le plus grand intérêt qu’aux termes de l’article R.122-24-1 en projet « Ne constitue pas un conflit d’intérêt le fait, pour l’autorité…

Dérogation « espèces protégées » et « intérêt public majeur » : suspension d’un projet par le CE

  Par Me Jérémy Taupin – Green Law Avocats (jeremy.taupin@green-law-avocat.fr) En droit, l’article L. 411-1 du code de l’environnement instaure un régime de protection de certaines espèces animales et végétales, qu’il est interdit de détruire, d’altérer ou de dégrader. L’article L. 411-2 du même code prévoit toutefois que des dérogations à cette interdiction peuvent être délivrées par le Préfet, « à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle », notamment pour « des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Bien évidemment ces dérogations tentent à permettent la réalisation de projets d’infrastructure ou d’aménagement de toute nature mais seulement s’ils remplissent cette condition drastique. Par une décision en date du 28 décembre 2018 (CE, req. n°419918) le Conseil d’Etat est venu préciser l’office du juge des référés dans le cadre du contrôle de cette exigence. En l’espèce, un arrêté préfet de la Dordogne en date du 29 janvier 2018 portant autorisation unique au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement avait permis l’engagement des travaux de construction d’une déviation routière de 3,2 kilomètres, de deux ponts et d’un pont rail autour du village de Beynac-et-Cazenac. L’objectif affiché de ces travaux était de contourner le centre-ville afin de résorber les bouchons qui paralysent, l’été, cette commune située au bord de la Dordogne. Le projet d’aménagement avait également nécessité l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée, dérogation intégrée à l’arrêté du 29 janvier 2018 (voir notre série d’articles sur le blog sur l’autorisation environnementale). Dans sa décision n°419918, la Haute Juridiction annule les ordonnances n° 1800972 et n° 1801192 des 3 et 10 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux par lesquelles ce même juge avait rejeté les demandes de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 29 janvier 2018. En effet, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 411-1 et -2 du code de l’environnement précités (voir notre précédent article sur le blog au sujet de la motivation des dérogations à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée), le Conseil d’Etat estime que le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises en jugeant que le moyen tiré de ce que le projet de route de contournement du bourg de Beynac ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, n’était pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d’Etat à clairement mis en avant dans sa décision la balance des intérêts en présence. Le juge des référés au Conseil d’Etat relève d’abord que la liste des espèces protégées affectées par le projet était importante, puisqu’elle comportait quatre espèces de mammifères semi-aquatiques et terrestres, dix-neuf espèces de chiroptères, quatre-vingt douze espèces d’oiseaux, neuf espèces de reptiles et amphibiens, quatre espèces d’insectes et une espèce de poisson. La route de contournement dont l’arrêté contesté autorisait la réalisation se situait également dans des zones faisant en outre, d’une part, l’objet d’un classement en zone Natura 2000 et, d’autre part, l’objet de protection en vertu d’un arrêté de protection du biotope. Le Conseil d’Etat souligne encore qu’il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés que le bénéfice attendu de cette déviation « apparaît limité en l’état de ce dossier » eu égard, en premier lieu, à la circonstance que l’accroissement de la circulation automobile à Beynac pendant la période estivale est essentiellement dû au nombre important de touristes qui se rendent dans cette commune pour la visiter, et en second lieu, aux travaux déjà réalisés par cette commune, qui ont permis de réduire l’encombrement de la route qui la traverse grâce à un élargissement de la voie existante rendu notamment possible par la mise en place d’un contournement pour les piétons. Cette décision intéressera donc notamment : les porteurs de projet, à qui il incombe de démontrer efficacement au sein de leurs dossiers que la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées répond bien à un intérêt public majeur ; mais également l’administration, qui devra très précisément motiver les décisions rendues dans ce domaine (voir en ce sens X. Braud, La consistance de la motivation d’une dérogation à la protection des espèces, note sous TA Toulouse, 10 juill. 2014 et TA Rennes, 17 oct. 2014, Dr envir. n° 231, févr. 2015. ; Dérogation «Espèces protégées » et raisons impératives d’intérêt public majeur : des précisions et des interrogations, note sous CAA Douai, 15 oct. 2015, n° 14DA02064, RJE n° 1/2016, mars 2016). Précisons que si cette décision du Conseil d’Etat suspend l’exécution de l’arrêté et donc les travaux de réalisation du projet d’aménagement, pourtant déjà bien avancés, l’affaire doit encore être jugée sur le fond par le tribunal administratif de Bordeaux.  

Droits d’antériorité et continuité écologique : le Conseil d’Etat fait passer le poisson

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par un arrêt du 22 octobre 2018, le Conseil d’Etat a apporté des précisions salutaires sur les délais à prendre en compte en matière de respect des obligations au titre de la continuité écologique pour les ouvrages situés sur un cours d’eau, en particulier s’agissant de la réalisation de dispositifs de circulation de poissons migrateurs. Les faits étaient simples : le Préfet du Bas-Rhin a, par arrêté préfectoral du 17 avril 2012, prescrit à l’exploitant d’une centrale hydroélectrique la mise en œuvre de différentes mesures relatives au débit réservé et à la continuité écologique. Parmi ces prescriptions figurait la réalisation d’une passe à poissons, dont un arrêté préfectoral du 26 mars 2013 portant prescriptions complémentaires a fixé le délai de réalisation de cet aménagement au 1er octobre 2013. Ce dernier arrêté a fait l’objet d’un recours de la part de l’exploitant, rejeté par le Tribunal administratif de Strasbourg, dont le jugement fut confirmé par la Cour administrative d’appel de Nancy, conduisant le requérant à former un recours en cassation devant le Conseil d’Etat. Si l’un des moyens soulevés devant le Conseil d’Etat tendait à l’irrégularité de la procédure d’adoption de l’arrêté préfectoral portant prescriptions complémentaires, l’intérêt de l’affaire réside essentiellement dans les modalités de mise en œuvre de la réalisation d’une passe à poissons, en particulier sur les délais dans lesquels cette prescription doit être respectée. En l’espèce, le Conseil d’Etat a apporté des précisions relatives à la question des délais applicables pour la réalisation d’une passe à poissons au regard de deux dispositions. La première est l’ancien article L. 232-6 du code rural (devenu ensuite l’article L. 432-6 du code de l’environnement, dont la rédaction est identique, et aujourd’hui abrogé). Cet article disposait que dans certains cours d’eau dont la liste est fixée par décret, tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant notamment la circulation des poissons migrateurs. Les ouvrages existants devaient être mis en conformité dans un délai de 5 ans à compter de la publication d’une liste d’espèces migratrices par bassin ou sous-bassin pour lesquels un dispositif devait être mis en place afin d’assurer leur circulation. La seconde est l’article L. 214-17 du code de l’environnement dans sa version alors applicable, issu de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques. Selon cette disposition, les ouvrages situés sur une liste de cours d’eau dans lesquels il est nécessaire d’assurer la circulation des poissons migrateurs doivent être gérés, entretenus et équipés selon des règles définies par l’autorité administrative. L’article précise que le régime précité s’applique, pour les « ouvrages existants régulièrement installés », à l’issue d’un délai de cinq ans après la publication des listes de cours d’eau concernés par arrêté ministériel. Le Conseil d’Etat va apporter les précisions suivantes sur l’articulation entre ces deux articles : « 9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement cité au point 6, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires, que si un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I du même article L. 214-17 est accordé aux exploitants d’  » ouvrages existants régulièrement installés  » pour mettre en œuvre les obligations qu’il instaure, ce délai n’est pas ouvert aux exploitants d’ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l’article L. 232-6 du code rural, devenu l’article L. 432-6 du code de l’environnement, qui n’auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation. Ces ouvrages existants ne peuvent ainsi être regardés comme  » régulièrement installés « , au sens du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, et sont donc soumis aux obligations résultant du I de cet article dès la publication des listes qu’il prévoit ». Pour le Conseil d’Etat, un ouvrage n’ayant pas respecté le délai de cinq ans pour se mettre en conformité au titre de ses obligations en matière de circulation de poissons migrateurs issues de l’article L. 232-6 du code rural ne peut être considéré comme un « ouvrage existant régulièrement installé » au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement et ainsi bénéficier du délai de 5 ans pour se mettre en conformité dans le cadre de cette disposition. Cette solution n’est pas sans rappeler celle qui voulait que les droit d’antériorité ne pouvait bénéficier à une installation nouvellement classées que si elle avait été régulièrement sous l’empire de l’ancienne législation qui lui était applicable avant le décret de classement (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 30/01/2013, n° 347177). En l’espèce, l’exploitant de l’ouvrage était soumis aux obligations de l’ancien article L. 232-6 du code rural puisque le cours d’eau sur lequel il était situé figurait sur les listes établies au titre de cette disposition depuis le 24 décembre 1999. En l’occurrence, un dispositif de circulation des poissons migrateurs devait donc avoir été installé sur l’ouvrage par l’exploitant dans un délai de 5 ans, soit depuis le 25 décembre 2004. Or, l’exploitant n’a jamais construit ce dispositif. Ainsi, à la date de publication de l’arrêté ministériel classant le cours d’eau sur lequel est situé l’ouvrage au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, l’exploitant ne s’était pas mis en conformité au regard de l’ancien article L. 232-6 du code rural. Il ne pouvait donc être considéré comme un « ouvrage existant régulièrement installé » et bénéficier ainsi du délai de cinq ans pour se mettre en conformité en vertu de l’article L. 214-17. Les obligations issues de cet article lui étaient dès lors applicables à compter de la date de classement du cours d’eau, soit le 1er janvier 2013. A compter du 1er janvier 2013, le préfet pouvait donc prescrire à l’exploitant la mise en œuvre d’une passe à poissons opérationnelle avant le 1er octobre 2013, sans que celui-ci ne puisse bénéficier du délai de 5 ans prévu par l’article L. 214-17 du code de l’environnement.