Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
C’est un jugement bien singulier que vient de rendre le Tribunal administratif de Lyon (9 mai 2017, n°1403956) concernant une délibération autorisant une communauté de communes à signer une convention de mise à disposition et d’une promesse de bail à construction sur des parcelles aménagées pour le ski de fond pour l’installation et l’exploitation de cinq éoliennes.
Ces délibérations en date du 4 décembre 2013, ont fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, intenté par l’association Vent du Haut Forez en 2014, qui soutenait en particulier que les terrains d’assiette des conventions faisaient partie du domaine public de la collectivité, et non de son domaine privé, et que le projet porterait atteinte à la vocation touristique du site.
1° La domanialité privée des parcelles traversées par des pistes de ski de fond
Selon l’association requérante, une erreur sur la qualification de la nature du domaine d’appartenance (privé ou public) engendrait une illégalité de la délibération prise quant à la mise à disposition des parcelles comportant ces pistes.
Certes l’on sait qu’en vertu de l’article L.342-13 du code du tourisme l’exploitation et la protection du domaine montagnard sont un service public industriel et commercial (SPIC). Et pour sa part, la Cour administrative d’appel de Lyon a pu juger qu’en vertu de cet article, « l’exploitation des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial (CAA Lyon, 9 janvier 2014 13LY02160).
Pour autant la qualification d’une activité comme étant de service public n’épuise la question de savoir si le bien sur lequel elle est exercée relève du domaine public ou du domaine privé. En effet, qu’aux termes de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public. » ;
Toute la question est dès lors de savoir, si en elles-mêmes, les pistes de ski, en elles-mêmes font l’objet d’un aménagement indispensable à leur affectation au service public ?
L’on sait que la question de la nature domaniale des pistes de ski alpin a suscité un débat finalement arbitré par le Conseil d’Etat : la Haute juridiction a pour sa part considéré qu’il fallait appréhender l’activité dans sa globalité (qu’il s’agisse de la partie remontée ou de la piste de descente à proprement parler) comme étant constitutive d’une mission de service public faisant l’objet d’aménagements fonciers spéciaux à leur affectation (Conseil d’État, Section du Contentieux, 28/04/2014, 349420, Publié au recueil Lebon). Mais cette approche n’en payait pas moins un tribut important au critère de l’aménagement indispensable qui ne pouvait se réduire à la seule présence de remontées mécaniques. Dans l’espèce de 2014 le Conseil d’Etat précisait que l’autorisation d’aménagement délivrée pour aménager les pistes permettait de caractériser un aménagement indispensable à leur affectation au SPIC. Ainsi, l’ensemble de la zone ayant fait l’objet d’une autorisation d’aménagement relève du domaine public. Ainsi pour le Conseil d’Etat c’est l’aménagement des terrains d’assiette des pistes qui emportent au final leur qualification d’élément du domaine public.
Or c’est très exactement en rendant compte de toute la subtilité de cette jurisprudence que le Tribunal administratif de Lyon peut juger que les pistes de ski de fond aménagées n’entrainent pas à elles-seules l’entrée des parcelles qu’elles traversent dans le domaine public de la commune.
« Si les parcelles sont parcourues par des itinéraires de ski de fond, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier qu’elles auraient fait l’objet, en tout ou partie, d’aménagements fonciers indispensables à leur affectation au service public de l’exploitation des pistes de ski de fond et que, en particulier, le balisage et le damage de ces pistes, qui affectent uniquement la couche de neige, à l’exclusion du terrain d’assiette, constitueraient de tels aménagements et que, de ce fait, elles appartiendraient au domaine public de le communauté de communes ».
Ici le Tribunal refuse de reconnaitre que l’aménagement des pistes de ski serait la preuve de l’affectation au service public de ces pistes, au motif que le damage-balisage n’affecterait pas les sols mais seulement la neige et en tout cas certainement pas le terrain d’assiette des pistes qui n’ont pas été aménagés aux fins du service public.
Et le Tribunal refuse d’infléchir son analyse en se penchant sur d’autres aménagements : « la présence, sur l’une de ces parcelles, d’un chalet d’accueil, avec bar restaurant et hébergement d’une capacité de 50 lits touristiques ainsi que d’un bâtiment à usage de magasin et de salle hors sac, dont rien ne permet de dire qu’ils seraient des aménagements indispensables à la pratique du ski de fond, ne saurait conférer à l’ensemble de cette parcelle le caractère d’une dépendance du domaine public de la communauté de communes ; qu’il n’apparaît pas davantage que les parcelles B 562 et B 590 seraient indissociables des autres éléments immobiliers formant le domaine skiable nordique du col de la Loge, et notamment de la base d’école de ski de fond, située sur un terrain voisin »
Distinction byzantine diront sans doute certains … mais ce sont celles voulues par le Conseil d’Etat en tant que juridiction supérieure. Et de ce point de vue en tant qu’elle portait sur le domaine privé de la commune la délibération attaquée est jugée légale.
2° Les parcs éoliens compatibles avec le développement du tourisme en montagne
Autre intérêt du jugement rapporté, de la domanialité privée des parcelles, le Tribunal administratif en déduit que les conventions privées portant sur la création d’un parc éolien étaient tout à fait envisageable, même si la commune s’était engagée à affecter spécifiquement les terrains au développement touristique.
Le juge lyonnais indique en effet que les parcelles faisant partie du domaine privé, « même si (la commune) s’était engagée à affecter les terrains (…) au développement touristique, l’association n’est pas fondée à soutenir que les deux parcelles ici concernées ne pouvaient faire l’objet, comme l’a prévu la délibération contestée, des conventions ici en cause ».
Ce point est alors intéressant pour les porteurs de projets éoliens : si tout au long de son raisonnement, le jugement explicite l’idée qu’ici, était contestée une délibération d’autorisation de signature et non les contrats de bail, se refusant à apprécier la légalité du projet de parc éolien, il aurait dès lors pu estimer que le développement du tourisme n’était pas contraire à la conclusion de conventions privées bénéfiques au tourisme, sans mentionner de conventions particulières.
Or ici, la mention « en cause » renvoie directement au parc éolien et indique clairement que le juge considère que développement du tourisme et éoliennes ne sont pas incompatibles.
Un appel a été interjeté par l’association devant la CAA de Lyon (n°17LY02627). Affaire à suivre donc…