par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Après la victoire, le temps des contestations n’est jamais bien loin. A la suite des élections municipales quelque peu bousculées par la pandémie, le préfet de la Guyane a décidé de contester la victoire d’un maire d’une de « ses communes ». La raison avancée par le représentant de l’État tenait à une absence de figuration du nom et prénom du maire, ainsi que d’une autre personne dans la liste des conseillers municipaux élus de la feuille de proclamation des résultats.
Par un jugement en date du 29 juin 2020 (n° 2000450), le Tribunal administratif de la Guyane a alors été amené à statuer, d’une part, sur une demande d’annulation de l’élection du maire de la commune de Saint-Laurent, et d’autre part, sur une demande de rectification d’erreur matérielle.
S’agissant de la demande de rectification d’erreur matérielle, le Tribunal administratif a rejeté d’emblée les conclusions du préfet en mettant en avant la théorie de l’exception de recours parallèle.
En vertu de cette dernière, un requérant n’est recevable à emprunter une voie de droit ouverte pour contester un objet particulier seulement si une autre voie de droit particulière ne lui est pas réservée.
En l’occurrence, dans notre espèce, la demande tendant à la rectification d’une erreur matérielle a été formulée devant le juge de l’élection saisi d’une réclamation contre la désignation du maire. Or, elle aurait dû être formulée devant le juge de l’élection saisi d’une réclamation contre les opérations électorales de la commune. Une telle réclamation est prévue par le code électoral à l’article L. 248 du code électoral, tandis qu’une réclamation contre la désignation du maire ne repose pas sur le code électoral, mais, au contraire, sur le code général des collectivités territoriales (art. L. 21-22-13 CGCT). Dès lors, le préfet ne pouvait demander de rectifier l’erreur matérielle dans le cadre de ce recours.
S’agissant, ensuite, de la demande d’annulation de l’élection du maire, le Tribunal administratif a, au détour d’un raisonnement mathématique et pratique, refusé de faire droit à une telle demande. La juridiction est d’abord partie d’un constat : celui du nombre, prévu par le CGCT, de conseillers municipaux dévolus à la commune. Au regard du nombre d’habitants de la commune, la loi fixe un nombre égal à 43 conseillers municipaux. A la suite de ce constat numéraire, elle développe son argumentaire pour refuser l’annulation de l’élection du maire. :
« compte tenu de la population communale, le nombre de conseillers municipaux de la commune de Saint-Laurent du Maroni est fixé à 43. Or, la feuille de proclamation des résultats de l’élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Saint-Laurent du Maroni, établie le 15 mars 2020, ne désigne que 41 personnes en tant que conseillers municipaux élus. Si les noms de Mme Sophie Charles et M. Lénaïck Adam, respectivement placés en tête des listes « Saint-Laurent pour tous » et « Vivre ensemble – Vivre en grand » qui ont recueilli 52,22% et 28,25% des voix exprimés au premier tour de l’élection municipale de Saint-Laurent du Maroni selon les chiffres du ministère de l’intérieur, figurent sur la feuille de proclamation des résultats comme têtes de liste dans la colonne « Nom des listes des candidats au conseil municipal », ils n’y sont pas désignés en tant que conseillers municipaux élus. Dans ces conditions, l’omission de Mme Sophie Charles et M. Lénaïck Adam dans la colonne « Nom et prénom des conseillers municipaux élus » ne constitue qu’une simple erreur matérielle, et tant Mme Sophie Charles que M. Lénaïck Adam doivent être regardés comme étant des conseillers municipaux élus de la commune de Saint-Laurent du Maroni. Ainsi, le nombre de membres du conseil municipal étant de 43, Mme Sophie Charles, en sa qualité de membre du conseil municipal, pouvait régulièrement être élue maire de la commune. Par suite, le préfet de la Guyane n’est pas fondé à soutenir que les opérations électorales en vue de la désignation de Mme Sophie Charles en tant que maire de la commune de Saint-Laurent du Maroni sont entachées d’irrégularité «
Finalement, un tel évitement a été possible pour deux raisons, certainement cumulatives :
- La première tient au résultat, égal à deux, de la différence entre le nombre total de conseillers municipaux que la commune doit comporter (43) et le nombre total de conseillers figurant effectivement sur la feuille de proclamation des résultats (41). Or, le résultat de la différence correspond exactement aux deux conseillers municipaux élus, dont le maire, mais ne figurant pas matériellement sur cette feuille. A l’inverse, il aurait été plus compliqué d’admettre un évitement de l’annulation du maire, si le résultat de la différence avait été égal à zéro, c’est-à-dire si le nombre total de conseillers municipaux que la commune doit comporter était égal à celui de conseillers figurant effectivement sur la feuille de proclamation ;
- La deuxième tient à la figuration de ces deux personnes sur la feuille de proclamation, non pas dans la colonne « Nom et prénom des conseillers municipaux » comme cela aurait dû être le cas ; mais, dans la colonne « Nom des listes des candidats au conseil municipal » en tant que tête de liste.
Finalement, une contestation sur déféré peut même consolider une victoire !