Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)
Selon l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales, le maire est chargé de la police municipale : il est donc le garant de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques, sans oublier, depuis 1995, le respect de la dignité humaine (CE Ass. 27 octobre 1995, req. n°136727 Commune de Morsang-sur-Orge, rec. 372).
Le 31 décembre 2013, le maire de la commune de Beaulieu, dans le Puy-de-Dôme, a pris un arrêté de péril imminent et a fait procéder à la démolition d’un immeuble menaçant ruine appartenant à Madame A.
Le 18 décembre 2015, il a pris deux titres exécutoires à l’encontre de cette propriétaire, mettant ainsi à sa charge les frais de démolition et d’honoraires du bureau d’études sollicité, pour un montant total de 42 002,40 euros.
À la demande de la dame A, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces titres, le 2 février 2017. Le jugement est devenu définitif.
Le 20 avril 2018, le conseil municipal de la commune a pris une délibération afin de mandater le maire pour remettre ces sommes à la charge de Madame A sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Le 27 novembre 2018, le maire a émis deux nouveaux titres exécutoires, avec les mêmes montants.
La propriétaire a donc à nouveau saisi le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande tendant à l’annulation de cette délibération et des deux titres exécutoires, mais, cette fois-ci, le Tribunal a rejeté ses demandes, par un jugement du 31 décembre 2020.
Le 20 janvier 2021, une mise en demeure de payer la somme de 42 002,40 euros a été émise à l’encontre de Madame A.
Celle-ci ayant interjeté appel, la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement du Tribunal administratif et donc rejeté sa demande, par un arrêt du 7 avril 2022.
Madame A s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’État, qui a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel et le jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand pour des raisons tenant aux pouvoirs de police du maire.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État a précisé l’articulation entre les procédures de péril ordinaire ou imminent, prévues par le Code de la construction et de l’habitation avec les pouvoirs de police du maire, étant entendu que les premières relèvent de la police spéciale, alors que les seconds relèvent de la police générale et sont fondés sur le Code général des collectivités territoriales (CE, 4 juillet 2024, req. n° 464689, téléchargeable ici).
Quels sont donc les pouvoirs de police générale du maire en la matière ?
L’article L. 511-2 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que :
«La police mentionnée à l’article L. 511-1 a pour objet de protéger la sécurité et la santé des personnes en remédiant aux situations suivantes :
1° Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants ou des tiers ;
2° Le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ;
3° L’entreposage, dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation, de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ;
4° L’insalubrité, telle qu’elle est définie aux articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du code de la santé publique.».
Le maire peut donc ordonner la démolition d’un immeuble menaçant ruine.
À défaut d’exécution, il peut faire procéder à cette démolition par la commune aux frais du propriétaire, sur ordonnance du juge des référés.
Le Conseil d’État fait d’abord le point sur la législation applicable en temps normal :
« D’une part, il résulte des dispositions du code de la construction et de l’habitation citées au point 2 ci-dessus que si le maire peut ordonner la démolition d’un immeuble menaçant ruine en application des dispositions de l’article L. 511-2 de ce code, après accomplissement des formalités qu’il prévoit et que, à défaut d’exécution, il peut, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés rendue à sa demande, faire procéder à cette démolition par la commune aux frais du propriétaire, en revanche il doit, lorsqu’il agit sur le fondement de l’article L. 511-3 afin de faire cesser un péril imminent, se borner à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, également aux frais du propriétaire. » (CE, 4 juillet 2024, n° 464689, point 4, téléchargeable ici).
Mais les pouvoirs du maire changent en cas d’extrême urgence :
«D’autre part, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition, le maire ne peut l’ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales citées au point 3 ci-dessus, en faisant réaliser ces travaux aux frais de la commune» (CE, 4 juillet 2024, n° 464689, point 5, téléchargeable ici).
L’analyse du Conseil d’État est assez claire : ces travaux de démolition ne pouvaient être réalisés aux frais de la commune que sur le fondement des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales.
Cela étant et de longue date (CE, 30 octobre 1964, n°58134, Commune d’Ussel p. 501), pour le juge administratif, le litige portant sur le remboursement par la propriétaire des sommes exposées par la commune relève du juge judiciaire, et ce quel que soit le fondement de la demande de remboursement, à savoir la faute commise par l’intéressée ou l’enrichissement sans cause.
Le Conseil d’État rejette donc le pourvoi de Madame A comme porté devant une juridiction incompétente :
«Lorsque la personne publique entend toutefois obtenir le remboursement auprès d’un propriétaire privé des frais qu’elle a exposés à l’occasion de travaux de démolition engagés sur ce fondement en invoquant la responsabilité civile de ce propriétaire, au titre soit d’une faute soit de son enrichissement sans cause, la contestation de la créance invoquée par la personne publique, quel que soit son mode de recouvrement, constitue un litige relevant de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire, en l’absence d’une disposition législative spéciale régissant une telle action civile» (CE, 4 juillet 2024, n° 464689, point 5, téléchargeable ici).
Besoin d’un avocat sur le sujet, contactez :