Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)

Par un arrêt d’Assemblée du 10 juillet 2020, le Conseil d’État (CE 10 juillet 2020, association les amis de la terre et autres, n° 428409) ordonne au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 M€ par semestre de retard.

L’on sait que par une décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux (CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n° 394254), a :

– d’une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé, refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en-deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive,

– d’autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Par une demande, enregistrée le 2 octobre 2018 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat, l’association Les amis de la Terre – France et plusieurs autres associations ont demandé au Conseil d’Etat :

1°) de constater que la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 du Conseil d’Etat n’a pas été exécutée à la date du 31 mars 2018 ;

2°) de prononcer à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifie pas avoir pris les mesures de nature à assurer l’exécution de cette décision dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, une astreinte de 100 000 euros par jour de retard.

Après sa décision en juillet 2017, 3 années et 3 jours plus tard, le Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux constate que le Gouvernement n’a toujours pas pris les mesures demandées pour réduire la pollution de l’air dans 8 zones en France et menace donc le gouvernement de cette astreinte record.

Le Conseil d’État, constate d’abord que les valeurs limites de pollution restent dépassées dans 9 zones en 2019 (dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’Etat des chiffres complets) : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines.

Le Conseil d’État relève que le plan élaboré en 2019 pour la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) comporte des mesures précises, détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l’air et assure un respect des valeurs limites d’ici 2022. En revanche, les « feuilles de route » élaborées par le Gouvernement pour les autres zones ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs. Enfin, s’agissant de l’Ile-de-France, le Conseil d’État relève que si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles, la date de 2025 qu’il retient pour assurer le respect des valeurs limites est, eu égard aux justifications apportées par le Gouvernement, trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une correcte exécution de la décision de 2017.

Le Conseil d’État en déduit que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’a pas pris des mesures suffisantes dans les 8 zones encore en dépassement pour que sa décision de juillet 2017 puisse être regardée comme pleinement exécutée.

Face à cette situation, la Haute juridiction adapte en ces termes le mécanisme de l’astreinte en présence d’une carence dans l’exécution de sa décision au fond par l’Etat lui même :

afin d’assurer l’exécution de ses décisions, la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties sur le fondement de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, soit ultérieurement en cas d’inexécution de la décision sur le fondement des articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code. En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de la décision, la juridiction procède, en vertu de l’article L. 911-7 de ce code, à la liquidation de l’astreinte. En vertu du premier alinéa de l’article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d’éviter un enrichissement indu, qu’une fraction de l’astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa prévoyant que cette fraction est alors affectée au budget de l’État. Toutefois, l’astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’Etat est débiteur de l’astreinte en cause. Dans ce dernier cas, lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’Etat et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet .

Le Conseil d’Etat avait déjà pu juger que lorsque l’astreinte est prononcée contre l’Etat, la juridiction attribue l’intégralité de la somme au requérant (CE 28 février, n°205476) ou décide décide qu’une partie seulement de la somme sera versée au requérant sans condamner l’Etat à verser la part restante (CE 30 mars 2001, n° 185107).

On  fera deux observations sur cette décision :

  • d’une part, il ne faut pas sous-estimer ce qu’exige le Conseil d’Etat du Gouvernement qui finalement est enjoint désormais sous astreinte de prendre des mesures précises, détaillées et crédibles quand bien même ne feraient-elles pas forcément immédiatement baisser la pollution …
  • d’autre part, si par extraordinaire les associations devaient encaisser les sommes du fait d’une liquidation de l’astreinte, on constate que le Conseil d’Etat aura alors décidé de sa propre initiative de l’affectation de plusieurs millions d’euros…

Mais après tout le Conseil d’Etat a autonomisé le droit administratif (pour ne pas dire inventé la matière…) et il ne fait ici que l’adapter à cette nouvelle considération impérative d’intérêt public majeur : la lutte contre la pollution de l’air.