[dropcap]I[/dropcap]l y a quelques mois déjà je mettais penchée, aux termes d’un précédent article, sur la délicate articulation entre l’obligation de remise en état résultant de la législation relative aux installations classées et l’obligation de restitution dans le cadre d’un contrat de bail.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Versailles rendu le 3 janvier dernier (CA Versailles, 12ème ch., 3 janvier 2012, n° 10/08104) apporte sur cette question une analyse qui mérite d’être soulignée tant elle semble juridiquement fondée et particulièrement bien motivée.
LES FAITS ET LE JUGEMENT DE PREMIERE INSTANCE
Une société immobilière avait conclu avec une entreprise de fabrication d’articles en caoutchouc et élastomères, soumise au régime de la déclaration au titre de la législation ICPE, un bail commercial portant sur des locaux d’usine et des terrains.
Outre un certain nombre de demandes portant sur des réparations locatives liées à l’état de délabrement des locaux, le bailleur avait également assigné le preneur aux fins d’obtenir la dépollution totale des terrains, le tout sous astreinte mensuelle de 10.000 € par jour de retard.
Le Tribunal de Grande Instance de Versailles avait, par jugement du 10 septembre 2010, condamné l’exploitant notamment à remettre le site en état pour un usage d’habitation sous astreinte, la restitution des locaux ne pouvait être déclarée recevable qu’avec l’aval de la DRIRE et/ou de la Direction du développement durable de la Préfecture des Yvelines.
LES MOYENS DES PARTIES
Le preneur-exploitant a alors fait appel de cette décision rendue en se prévalant notamment de la décision préfectorale postérieure par laquelle le préfet compétente avait in fine retenu un usage industriel du site et retiré de façon rétroactive les décisions antérieures contraires qu’il avait pu prendre.
Il soulignait également qu’un locataire ne pouvait se voir imposer, au titre du bail, une obligation de dépollution supérieure à celle mise à sa charge par l’autorité administrative.
La société immobilière bailleresse arguait, quant à elle, de l’incompétence de la Cour pour se prononcer sur les demandes du preneur relatif à son obligation administrative de remise en état et se fondait exclusivement sur les stipulations contractuelles, estimant que l’obligation de remise en état résultant de la législation relative aux installations classées ne venait que s’ajouter mais non minorer celle découlant du bail.
LA DECISION DE LA COUR
Sur la prise en compte de l’obligation administrative de remise en état
A titre liminaire, la Cour d’appel de Versailles se reconnaît compétente pour avoir à connaître de l’argumentaire du preneur-exploitant ayant trait à l’étendue et à la satisfaction de sa remise en état administrative au titre de la police des ICPE.
En effet, les juges d’appel retiennent à juste titre que «la cour doit juger quelles sont les obligations incombant à l’appelante en vertu de l’engagement contractuel souscrit lequel se réfère expressément aux dispositions prévues par les lois et règlements en matière de pollution, sans avoir néanmoins à se prononcer sur la validité des actes règlementaires ».
De surcroît, et ainsi que le relèvent les juges du 2nd degré, les écritures du preneur-exploitant ne tendaient qu’à obtenir le débouter des demandes du bailleur et non à soutenir une quelconque demande sur le fondement d’un acte administratif.
Le moyen d’incompétence est ainsi écarté et la cour se penche alors sur le fond de l’affaire.
Il est donc parfaitement acquis que la question de l’obligation de remise en état au titre de la police des ICPE ne peut être évincée du débat relatif à la restitution des lieux en matière de bail.
Sur le caractère décisif de l’existence d’une clause contractuelle relative à la dépollution
Ainsi que susmentionné, le preneur-exploitant soutenait, au moyen de son appel, qu’une obligation de restitution en bon état de réparations locatives correspondrait à la remise en état des lieux conformément à l’obligation de remise en état administrative au titre de la législation des ICPE.
Un tel raisonnement aurait assurément pu être suivi, du moins c’est là ma conviction, si le contrat de bail ne comportait pas une clause particulière afférente à la dépollution.
En l’espèce, tel était bien le cas et ladite clause était rédigée de la manière suivante :
« Le preneur fera son affaire personnelle de toutes les charges et contraintes liées au problème de pollution et d’environnement, de telle sorte que le bailleur ne puisse en aucun cas être recherché et notamment prendra toutes les dispositions prévues par les lois et règlements en matière de dépollution, et ceci pendant toute la durée du bail qu’à l’expiration de celui-ci, de telle sorte que les biens objets du bail soit restituées exempts de toute pollution provenant de leur exploitation industrielle ».
Les juges d’appel, faisant alors une exacte application de ces stipulations contractuelles, ont condamné le preneur-exploitant à procéder à la dépollution du site, le tout sous astreinte de 5.000 € par jour de retard, et de justifier de celle-ci par la production d’un rapport remis par une société spécialisée.
L’APPROBATION DE LA DECISION D’APPEL
Cette décision ne peut qu’être approuvée.
En effet, il est manifeste qu’en présence d’une clause de dépollution des lieux, celle-ci doit nécessairement être appliquée par les juges sous peine de procéder à une dénaturation des termes du contrat qui pourrait alors, aux termes d’une jurisprudence constante, entrainer la censure de la Cour de cassation.
En conséquence, le preneur ne pourra se soustraire à son obligation contractuelle de dépollution en invoquant la destination industrielle des lieux ou encore le parfait respect de son obligation administrative de remise en état.
De tels moyens seront vains en présence d’un engagement contractuel exprès et précis de restitution des lieux exempts de toute pollution.
Précisons que la Cour d’appel de Versailles a strictement appliqué, et ce jusqu’au bout de sa décision, les termes du contrat puisqu’elle a pris le soin de distinguer, au sein des pollutions relevées, celles résultant de l’activité exploitée par le preneur des autres présentes sur le site.
De la même manière, s’agissant des chefs de préjudice sollicités par le bailleur, les juges d’appel ont pris le même soin à analyser précisément l’exigence d’un lien de causalité direct et certain.
La motivation exemplaire de cet arrêt de même que l’application très stricte des stipulations contractuelles et des règles de droit doivent ici être saluées.
LA PERSISTANTE D’UNE INCERTITUDE : quid du niveau de dépollution du par le preneur-exploitant en l’absence de toute clause particulière ?
Subsiste néanmoins toujours cette interrogation : quelle aurait été la décision rendue si le bail ne contenait pas une clause spécifique en la matière ? le preneur-exploitant aurait-il pu se prévaloir d’une dépollution à hauteur de l’usage industriel retenu par le préfet ou aurait-il été tenu de dépolluer totalement le site de toutes traces de son activité ?
Dans le cadre d’une précédente analyse exposée ici, j’ai clairement opté pour la première hypothèse qui, à mon sens, cadre mieux avec la finalité des textes et l’économie du contrat.
La Cour d’Appel de Versailles semble se diriger également dans cette direction puisqu’elle prend le soin de préciser :
« En application des articles 1730 à 1732 du code civil, et sauf stipulation contractuelle spécifique plus contraignante pour le preneur, le bailleur ne peut cependant exiger du preneur, à l’issue du bail, en matière de dépollution et de protection de l’environnement des travaux de remise en état et de dépollution au-delà de ceux que le préfet a mis à la charge du locataire dernier exploitant en vertu des dispositions législatives et règlementaires applicables à l’installation classée en cause ».
Voilà qui devrait permettre à certains de s’opposer aux demandes parfois excessives de leur bailleur.
Marie LETOURMY