Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)
Aux termes d’un arrêt du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat a précisé sa jurisprudence en matière d’autorisation de défrichement (Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 14 octobre 2015, n° 369995).
Les faits de l’espèce étaient les suivants. Par un arrêté du 25 mars 2008, le préfet de l’Yonne a autorisé le défrichement de parcelles de bois appartenant à plusieurs communes au profit d’une société. La surface concernée par le défrichement était de moins de vingt hectares.
Cet arrêté a été annulé en juin 2009. Le 16 avril 2010, le préfet a de nouveau autorisé le défrichement de ces parcelles par un nouvel arrêté. Une association et un particulier ont demandé l’annulation de l’arrêté du 16 avril 2010 mais le tribunal administratif de Dijon les a déboutés de leur demande par un jugement du 3 janvier 2012. Ils ont interjeté appel de ce jugement. La Cour administrative d’appel de Lyon a, aux termes d’un arrêté du 7 mai 2013, annulé le jugement du tribunal administratif mais a rejeté leur demande. Ils ont donc formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Le premier moyen invoqué par les requérants consistait à soutenir que la Cour administrative d’appel de Lyon avait commis une erreur de droit dans l’application de l’article R. 311-1 du code forestier alors applicable dès lors qu’aucun acte autorisant le représentant de la personne morale à déposer une demande de défrichement n’avait été jointe à un courrier de 2010 demandant la réouverture de l’instruction de la demande de défrichement.
Aux termes de l’article R. 311-1 du code forestier alors applicable : » La demande d’autorisation de défrichement est adressée par lettre recommandée avec accusé de réception au préfet du département où sont situés les terrains à défricher ou déposée contre récépissé à la préfecture de ce département. / (…) La demande est accompagnée d’un dossier comprenant les informations et documents suivants : / (…) 3° Lorsque le demandeur est une personne morale, l’acte autorisant le représentant qualifié de cette personne morale à déposer la demande ; (…) « .
En l’espèce, si l’arrêté préfectoral du 25 mars 2008 mentionne que la demande initiale présentée par la société pétitionnaire, a fait l’objet d’un refus tacite, le Conseil d’Etat précise que ce refus est intervenu du fait du caractère incomplet du dossier et qu’une deuxième demande, identique à la première, a été présentée le 23 janvier 2008 pour régulariser ce dossier. Il souligne ensuite « qu’il en résulte qu’en jugeant que le courrier adressé par la société [pétitionnaire] au préfet le 15 janvier 2010, pour demander la réouverture de l’instruction et souligner l’existence d’une procédure parallèle de distraction du régime forestier, ne constituait pas une demande nouvelle et n’avait donc pas à être accompagnée, en vertu des dispositions de l’article R. 311-1 précité, de l’acte autorisant le représentant qualifié de cette société à déposer la demande, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas dénaturé les pièces du dossier ».
Il écarte donc le moyen invoqué par les requérants.
Le deuxième moyen invoqué était relatif à l’application du premier alinéa de l’article R. 122-9 du code de l’environnement alors applicable.
Cet alinéa, applicable aux travaux de défrichement et de premiers boisements soumis à autorisation et portant sur une superficie inférieure à 25 hectares disposait que : » Pour les travaux et projets d’aménagements définis au présent article, la dispense, prévue aux articles R. 122-5 à R. 122-8, de la procédure d’étude d’impact est subordonnée à l’élaboration d’une notice indiquant les incidences éventuelles de ceux-ci sur l’environnement et les conditions dans lesquelles l’opération projetée satisfait aux préoccupations d’environnement « .
Les requérants soutenaient que la notice indiquant les incidences du projet de défrichement sur l’environnement devait tenir compte d’une éventuelle distraction ultérieure des parcelles.
Or, la Cour avait relevé que la demande d’autorisation de défrichement et la demande de distraction de certaines parcelles du régime forestier faisaient l’objet de deux procédures d’instruction distinctes. Elle avait donc écarté le moyen tiré de l’absence de prise en compte dans la notice élaborée dans le cadre de la procédure d’autorisation de défrichement d’une éventuelle distraction ultérieure des parcelles.
Le Conseil d’Etat a validé ce raisonnement, rappelant ainsi une forme d’indépendance des législations. Il a donc également écarté de moyen.
Le troisième moyen concernait les mesures de reboisement prévues. Il était soutenu que la Cour avait commis une erreur de droit en estimant que les mesures de reboisement prévues par la notice d’impact et l’arrêté de défrichement étaient définies de manière suffisamment précise au regard des dispositions de l’article L. 311-4 du code forestier, alors applicable.
Le Conseil d’Etat a estimé qu’il ressortait du dossier soumis aux juges du fond qu’« il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’autorisation de défrichement délivrée par le préfet de l’Yonne le 16 avril 2010 était assortie d’une obligation de reboisement dans une zone précise et d’un calendrier précis et soulignait que le choix des parcelles à reboiser et des essences forestières se ferait en concertation avec les services de l’Etat chargés des forêts ; ».
Il a donc confirmé que les mesures de reboisement prévues étaient suffisamment précises et a écarté le moyen invoqué.
Le quatrième moyen invoqué concernait la méconnaissance de l’article L. 311-3 du code forestier, alors applicable aux termes duquel « L’autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois ou des massifs qu’ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire : (…) / 3° A l’existence des sources, cours d’eau et zones humides et plus généralement à la qualité des eaux « .
Aux termes de son arrêt, la Cour avait souligné que les terrains concernés par le défrichement ne recoupaient aucun périmètre de protection de captage d’alimentation en eau potable et qu’il était démontré que l’impact transitoire du défrichement était minime sur l’écoulement des eaux de surface. Elle en avait déduit que l’article L. 311-3 du code forestier alors applicable n’avait pas été méconnu.
Le Conseil d’Etat considère que la Cour avait suffisamment motivé son arrêt, n’avait pas commis d’erreur de droit et avait souverainement apprécié les faits de l’espèce sans les dénaturer.
Il a donc une fois encore écarté le moyen invoqué par les requérants.
Le cinquième et dernier moyen est de loin le plus intéressant dès lors que le Conseil d’Etat apporte de véritables précisions sur l’interprétation de l’article R. 312-4 du code forestier. Les requérants soutenaient que la Cour avait commis une erreur de droit dans l’application de cet article en estimant qu’était inopérant le moyen tiré de ce qu’un avis de l’Office National des Forêts (ONF) était requis à l’appui de la demande de défrichement.
A cet égard, il convient de rappeler que l’article R. 312-4 du code forestier, dans sa rédaction alors applicable disposait que « Lorsque la demande est présentée sur le fondement de l’article L. 312-1, l’autorisation est accordée par le préfet après avis de l’Office national des forêts ».
L’article L. 312-1 du code forestier dont il était question exposait, dans son premier alinéa que » Les collectivités ou personnes morales mentionnées au premier alinéa de l’article L. 141-1 ne peuvent faire aucun défrichement de leurs bois sans une autorisation expresse et spéciale de l’autorité supérieure « .
Le premier alinéa de l’article L.141-1 du code forestier prévoyait quant à lui que « L’application du régime forestier des bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution, et des terrains à boiser appartenant aux régions, aux départements, communes ou sections de communes, établissements publics, établissements d’utilité publique, sociétés mutualistes et caisses d’épargne, est prononcée par l’autorité administrative, le représentant de la collectivité ou personne morale intéressée entendu « .
En l’espèce, il convient de souligner que l’autorisation de défrichement était sollicitée par une société mais qu’elle portait sur les bois d’une collectivité territoriale. La question était donc de savoir si, dans cette hypothèse, l’avis de l’ONF était requis.
Le Conseil d’Etat rappelle dans son analyse qu’ « un avis de l’Office national des forêts (ONF) est requis pour les demandes qui, présentées sur le fondement de l’article L. 312-1 du même code, portent sur des bois appartenant aux régions, départements, communes ou sections de communes, établissements publics, établissements d’utilité publique, sociétés mutualistes et caisses d’épargne ».
Il censure donc l’analyse de la Cour qui avait jugé seules les demandes présentées par les collectivités, établissements ou sociétés dont l’article L. 312-1 du code forestier établit la liste requéraient l’avis de l’ONF.
En dépit de cette erreur de droit commise par la Cour, le Conseil d’Etat a considéré « qu’un avis de l’ONF a été émis dans le cadre de l’instruction de la demande présentée le 12 juillet 2007 par la société et régularisée le 23 janvier 2008 ; que ce motif, qui répond au moyen invoqué devant les juges du fond et tiré de ce que cet avis n’avait pas été émis, dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par l’arrêt attaqué dont il justifie le dispositif ». Il procède donc à une substitution de motifs pour rejeter le pourvoi des requérants.
Il résulte de cette décision que l’article R. 312-4 du code forestier impose un avis de l’ONF pour les demandes qui, présentées sur le fondement de l’article L. 312-1 du même code, portent sur des bois appartenant aux collectivités territoriales y compris lorsque la demande n’est pas formée par ces collectivités mais par une société tierce. La décision du Conseil d’Etat sera mentionnée aux tables du recueil Lebon sur ce point.