Implants mammaires PIP : carence fautive de l’Etat.

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La responsabilité de l’Etat peut être engagée à raison de la faute commise par les autorités agissant en son nom dans l’exercice de leurs pouvoirs de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain (cf. par ex. CE,  Assemblée,  3  mars  2004,  Ministre de l’emploi et de la solidarité c/Consorts X. et autres, n° 241150 à 2411153 – Confirmant CAA Marseille, 1re chambre, 18 octobre 2001, n°00MA01665, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité c/ Thomas : la Cour a retenu la “carence fautive” des pouvoirs publics qui n’avaient pas joué leur rôle préventif en matière de réglementation de l’exposition des travailleurs au risque amiante). Une nouvelle illustration de ce chef de responsabilité qui intéresse les risques sanitaires mais aussi technologiques. Par un jugement du 29 janvier 2019 n°1800068, le tribunal administratif de Montreuil reconnait l’Etat responsable, pour carence fautive, dans l’exercice de sa mission de contrôle de police sanitaire, des activités de la société PIP (Poly Implant Prothèse). Mme L. s’est fait implanter le 29 avril 2005, à des fins esthétiques, des implants mammaires de la marque Poly Implant Prothèse (PIP). Une inspection inopinée, menée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits des santé (AFSSAPS) le 17 mars 2010, a révélé que la société PIP utilisait frauduleusement un gel de silicone différent de celui pour lequel elle avait obtenu un certificat de conformité pour la fabrication d’implants mammaires, qui constituent des dispositifs médicaux au sens des dispositions de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, alors en vigueur, et de l’article L. 5211-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable. Le directeur général de l’AFSSAPS a pris le 29 mars 2010 une décision de suspension de la mise sur le marché, de distribution, d’exportation et d’utilisation. Mme L., qui s’est fait enlever ses prothèses PIP le 29 avril 2010, avait saisi le Tribunal administratif de Montreuil car elle estimait  que la décision est intervenue tardivement au regard des informations et des pouvoirs d’investigation dont l’AFSSAPS disposait. Elle soutenait devant le juge administratif que l’agence, à laquelle s’est ultérieurement substituée l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat et demande l’indemnisation de ses préjudices consécutifs à l’explantation de ses prothèses le 29 avril 2010. Certes, à la suite d’un signalement par les autorités américaines en 1996, une mesure générale de suspension de la mise sur le marché de toutes les prothèses mammaires internes dont le produit de remplissage était autre que du sérum physiologique a été prise pour une durée de douze mois via un arrêté du 28 mai 1997 ; suspension reconduite à plusieurs reprises dans l’attente d’études complémentaires. En ce qui concerne la société PIP, qui fabriquait et distribuait des prothèses mammaires depuis 1991 et avait choisi comme organisme habilité pour la délivrance des certificats de conformité l’organisme TUV Rheinland, sa suspension a été levée le 18 avril 2001, après des échanges contradictoires nourris avec l’Afssaps, un rapport d’expertise sur les tests biologiques menés sur les matières premières, enveloppes et gel de silicone utilisés par ce fabricant, qui ont été jugés satisfaisants, et une inspection de contrôle en juin 2001, qui a conclu à la conformité des prothèses, sans que l’instruction ne permette de retenir une faute de l’Afssaps. Or selon le jugement, « Il ne résulte pas de l’instruction que l’Afssaps pouvait, à la date d’implantation des deux prothèses mammaires de Mme L., le 29 avril 2005, soupçonner que le gel de silicone utilisé par la société PIP dans les implants commercialisés était différent de celui ayant fait l’objet des contrôles, compte tenu notamment de la fraude organisée par cette société pour dissimuler aux organes de contrôle la substitution de composants à des fins de rentabilité économique. Par ailleurs, pour accompagner la remise sur le marché des prothèses en silicone l’Afssaps a mis en 2002 à la disposition des déclarants une fiche de signalement spécifiques aux implants mammaires, et, en 2005, a mis en place un système de matériovigilance se traduisant par un traitement spécifique des déclarations d’incidents relatives aux prothèses mammaires et faites plus particulièrement par les professionnels de santé et les fabricants. Il ne résulte pas de l’instruction, et notamment de l’examen des données de vigilance, que le nombre et la cause des incidents relatifs à des implants en silicone PIP signalés à l’Afssaps entre 2001 et 2007 ne seraient pas conformes aux risques inhérents aux implants mammaires et que ces incidents suffisaient à faire apparaître une dangerosité accrue des produits PIP par rapport aux autres fabricants pour cette période. Dans ces conditions, au regard des informations dont elle disposait et alors même que la société PIP avait fait l’objet en 2001 d’une mesure de suspension, l’instruction ne permet pas d’établir, entre 2001 et la fin de l’année 2008, l’existence d’une faute qui serait liée au retard à déceler la dangerosité des implants PIP et la fraude commise et suspendre leur commercialisation ou encore à l’absence d’investigations complémentaires à celles réalisées par l’organisme notifié, la société TUV, qui n’avait pas fait de remontées particulières, pour s’assurer du respect des obligations et conditions imposées au fabriquant. Elle ne permet pas plus d’établir, en tout état de cause, une atteinte à un « principe de précaution ». Les fautes alléguées dans les missions de vigilance et de surveillance doivent dès lors être écartées ». En revanche, selon le Tribunal « il résulte de l’instruction que les données de vigilance pour l’année 2008 ont été reçues en avril 2009 par l’Afssaps, et l’instruction ne permet pas d’établir qu’un tel délai ne serait pas raisonnable. Elles pouvaient dans ces conditions être traitées utilement à compter du mois d’avril 2009, contrairement aux allégations de cette Agence. Ces données ont fait apparaître une augmentation significative des incidents et notamment des cas de rupture des membranes, et les documents produits en défense font état de la réception d’une délation le 26 novembre 2009 sur les…

Application des pouvoirs du juge de l’autorisation environnementale à des permis de construire éoliens (CAA Bordeaux, 7 mars 2019, n°17BX00719/17BX00721)

Par Me Sébastien BECUE- Green Law Avocats Par un arrêt en date du 7 mars 2019 (n°17BX00719/17BX00721), la Cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé d’appliquer les pouvoirs de plein contentieux du juge de l’autorisation environnementale à des permis de construire éoliens délivrés avant le 1er mars 2017. Suite à la décision (codifiée à l’article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme) de dispenser, à compter du 1er mars 2017 les projets éoliens de la nécessité d’obtenir un permis de construire, les praticiens de ce contentieux se sont demandés si cette dispense pouvait avoir pour conséquence de rendre irrecevables les conclusions introduites à l’encontre des permis de construire délivrés avant cette date, ou contre les autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire. Assez logiquement, le Conseil d’Etat (CE, 26 juil. 2018, n°416831) avait conclu que le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens : en effet, dès lors que la nouvelle autorisation environnementale ne tient pas lieu de permis de construire, les permis délivrés continuent donc à produire leurs effets. S’il est saisi de la question de leur légalité, le juge doit donc statuer en excès de pouvoir, comme c’est la règle en contentieux de l’urbanisme, c’est-à-dire en tenant compte des circonstances de droit et de fait applicables à la date de la décision. Les données de la problématique ont évolué avec l’intervention de la loi n°2018-727 du 10 août 2018, qui a modifié l’article 15 de l’ordonnance « autorisation environnementale ». Celui-ci prévoit désormais que « les permis de construire en cours de validité à cette même date autorisant les projets d’installation d’éoliennes terrestres sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code ». Comme l’exposait le rapport de présentation du projet de loi, cette modification a pour objet « d’éviter que les parcs éoliens qui ont été autorisés avant 2010 par le biais d’un simple permis de construire, et qui feraient l’objet de modifications, ne soient obligés de déposer une demande d’autorisation environnementale complète, au même titre que les installations nouvelles ». Ainsi, grâce à cette disposition, les projets éoliens qui avaient fait l’objet d’un permis de construire peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire d’effectuer de démarches au titre de l’urbanisme (et donc sans nécessité d’obtenir un permis de construire modificatif). La Cour administrative d’appel de Bordeaux tire dans l’arrêt commenté deux autres conséquences possibles (et juridiquement courageuses, il faudra attendre leur validation par le Conseil d’Etat) de cette modification de l’article 15 de l’ordonnance. Conséquence sur la jonction des instances : En l’espèce, les permis de construire et l’autorisation d’exploiter faisaient l’objet d’instances séparées. La Cour relève qu’il y a lieu de joindre les instances et de rendre un arrêt unique dès lors que ces actes « forment ensemble l’autorisation environnementale instituée par l’ordonnance du 26 janvier 2017 dont [le porter de projet] est ainsi titulaire pour la construction et l’exploitation du parc d’éoliennes projeté ». Cette précision aura le mérite de simplifier un peu le traitement du contentieux des actes relatifs à un même projet, qui font encore trop souvent l’objet d’audiences et de de jugements séparés. Conséquence sur les pouvoirs du juge : Au lieu de différencier les pouvoirs du juge selon qu’il statue en excès de pouvoir – pour les permis de construire – ou en plein contentieux – pour l’autorisation d’exploiter devenue autorisation environnementale, la Cour rappelle uniquement les pouvoirs de plein de contentieux de l’autorisation environnementale. Les pouvoirs de plein contentieux du juge s’appliquent donc aux permis et à l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Conceptuellement audacieuse, cette unification des pouvoirs de plein contentieux n’a en réalité qu’une faible portée pratique. Comme le rappelle la Cour, « la légalité de l’autorisation au regard des règles d’urbanisme s’apprécie au regard de celles de ces règles applicables à la date de la délivrance de ladite autorisation ». Or c’est déjà le cas en matière de légalité des permis de construire.

Le contrat de rattachement au périmètre d’équilibre n’est pas un contrat administratif

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par une décision du 11 février 2019, le Tribunal des Conflits refuse de qualifier d’administratif le contrat de rattachement au périmètre d’équilibre et donne ainsi compétence à la juridiction judiciaire pour connaître des litiges y afférents (TC, 11 février 2019, n°C4148). Le contrat de rattachement à un périmètre d’équilibre est conclu entre le producteur d’électricité et le responsable d’équilibre chargé de veiller à l’équilibre du réseau dans le périmètre prévu dans le contrat. En effet dans ce cadre contractuel, les écarts constatés entre l’électricité injectée dans le périmètre et celle consommée doivent être compensés financièrement auprès de la société Réseau Transport Electricité (RTE). Ainsi en vertu de l’article L.321-15 du code de l’énergie : « Chaque producteur d’électricité raccordé aux réseaux publics de transport ou de distribution et chaque consommateur d’électricité, pour les sites pour lesquels il a exercé son droit prévu à l’article L. 331-1, est responsable des écarts entre les injections et les soutirages d’électricité auxquels il procède. Il peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau public de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts ou demander à l’un de ses fournisseurs de le faire. Toute personne intervenant sur les marchés de l’électricité est responsable de ses écarts. Elle peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts.  Lorsque les écarts pris en charge par un responsable d’équilibre compromettent l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, le gestionnaire du réseau public de transport peut le mettre en demeure de réduire ces écarts dans les huit jours.  Au terme de ce délai, si la mise en demeure est restée infructueuse, le gestionnaire du réseau public de transport peut dénoncer le contrat le liant au responsable d’équilibre.  Il revient alors au fournisseur ayant conclu avec ce responsable d’équilibre un contrat relatif à l’imputation financière des écarts de désigner un nouveau responsable d’équilibre pour chaque site en cause. A défaut, les consommateurs bénéficient pour chacun de ces sites d’une fourniture de secours dans les conditions prévues à l’article L. 333-3. » RTE en tant que gestionnaire du réseau public de transport d’électricité assure l’équilibre général du réseau d’électricité français : « Le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau ainsi que la sécurité, la sûreté et l’efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci. Il veille également au respect des règles relatives à l’interconnexion des différents réseaux nationaux de transport d’électricité (…) » (art. 321-10 du Code de l’énergie) C’est dans ce cadre juridique que la société T2S s’est vue opposer le refus de rattachement au périmètre d’équilibre dédié aux obligations d’achats d’EDF (EDF OA) conduisant le Tribunal des conflits à se prononcer sur la nature du contrat de rattachement au périmètre d’équilibre. Sans grande surprise le juge des conflits fonde son raisonnement sur le principe constant selon lequel un contrat conclu entre deux personnes privées est un contrat de droit privé, sauf : Dispositions législatives contraires ; Lorsqu’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ; Lorsque le contrat constitue un accessoire d’un contrat public. Il s’avère qu’aucune de ces hypothèses ne s’applique au cas d’espèce, de telle sorte que la qualification de contrat de droit privé l’emporte et la compétence subséquente du juge judiciaire. 1. Le responsable d’équilibre n’agit pas pour le compte d’une personne publique En premier lieu, les juges considèrent que « le responsable d’équilibre n’exerce aucune mission pour le compte d’une personne publique ». En effet, les responsables d’équilibre s’engagent auprès de RTE à prendre en charge financièrement les écarts entre l’électricité injectée et consommée au sein d’un périmètre d’équilibre. Il est à noter que RTE créée en 2000, est devenue une société anonyme, filiale du groupe EDF par application de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Si cette personne morale de droit privé exerce une mission de service public, elle n’agit pas pour autant pour le compte de l’Etat ; pas plus d’ailleurs qu’EDF, en tant que responsable d’équilibre. Cette solution s’inscrit fait écho à l’arrêt CE, 1er juillet 2010, Société Bionerg, n°333275 selon lequel :  « Considérant, en premier lieu, qu’un contrat conclu entre personnes privées est en principe un contrat de droit privé ; qu’il en va toutefois autrement dans le cas où l’une des parties au contrat agit pour le compte d’une personne publique ; que, si en vertu des dispositions précitées de l’article 8 de la loi du 10 février 2000 relatives aux contrats conclus entre Electricité de France et les producteurs d’électricité retenus à la suite d’un appel d’offres, Electricité de France et les producteurs concernés contribuent au service public de l’électricité, et plus particulièrement à l’objectif de réalisation de la programmation pluriannuelle des investissements de production arrêtée par le ministre chargé de l’énergie, les contrats en cause ne peuvent être regardés comme conclus pour le compte d’une personne publique, alors que la production d’électricité ne relève de l’Etat ou d’une autre personne publique, ni par nature ni par détermination de la loi, et est au contraire une activité économique exercée par des entreprises privées ; qu’Electricité de France n’exerce donc dans ce domaine aucune mission pour le compte d’une personne publique et n’est pas placée, pour la mission de service public à laquelle elle contribue, sous l’autorité de l’Etat ou d’une autre personne publique ; qu’au surplus, à supposer que le contrat soit soumis à un régime exorbitant du droit commun, ce qui ne peut résulter des seules conditions relatives à sa passation, cette circonstance serait en tout état de cause sans incidence, s’agissant d’un contrat entre deux personnes privées ; qu’il résulte de ce qui précède…

Coup d’arrêt aux Sociétés Publiques Locales à la carte (14 novembre 2018)

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Après le rapport de la Cour des Comptes du 15 juin 2017, dans lequel elle estime que le cadre juridique et comptable des Entreprises Publiques Locales (EPL), regroupant notamment les Sociétés Publiques Locales (SPL) et les Société d’Economie Mixte (SEM), est inadapté (disponible ici), le Conseil d’Etat, dans une décision rendue le 14 novembre 2018 (Conseil d’Etat, 14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles, n° 405628, Mentionné dans les tables du recueil), a strictement limité la possibilité pour les collectivités territoriales, et leurs groupements, de participer à ces EPL en établissant un lien direct entre compétence de la collectivité et objet social de la société. Les juges du Palais-Royal ont décidé que les collectivités territoriales ne pourraient désormais plus participer à ce type de sociétés dès lors que celles-ci n’exercent pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. Cette décision va clairement dans le sens du rapport de la Cour des Comptes précité puisque ce dernier mentionnait l’existence de deux problématiques majeures concernant les EPL : l’évanescence de leur champ d’intervention qui doit être précisé ; et la nécessité de redéfinir leur actionnariat. On comprend donc que cette décision de la Haute Juridiction administrative limite fortement l’intérêt des EPL. En effet, si l’on considère, d’une part, que la loi NOTRe du 7 août 2015 a supprimé la clause générale de compétence pour les régions et les départements et, d’autre part, que les communes sont, pour la grande majorité, trop pauvres pour financer seule une EPL, on peut se demander si finalement cette décision ne constitue pas un véritable coup d’arrêt au développement de ces sociétés. En la matière, il convient de rappeler que le code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit, en son article L. 1531-1, que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général. Ces sociétés exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres. Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce et sont composées, par dérogation à l’article L. 225-1 du même code, d’au moins deux actionnaires. Sous réserve des dispositions du présent article, elles sont soumises au titre II du présent livre ». En l’espèce, le comité du syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles (SMADC), composé de communes et communautés de communes, avait donné son accord à la transformation de la Société d’Economie Mixte (SEM) pour l’exploitation des réseaux d’eau potable et d’assainissement en Société Publique Locale (SPL) dénommée société d’exploitation mutualisée pour l’eau, l’environnement, les réseaux, l’assainissement dans l’intérêt du public (SEMERAP) et avait approuvé le projet de statuts de cette société. Cependant, par un jugement du 1er juillet 2014, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur déféré du préfet du Puy-de-Dôme, annulé cette délibération. Le SMADC et la SEMERAP se sont pourvus en cassation contre l’arrêt du 4 octobre 2016 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel du SMADC contre ce jugement. Dans le cadre de cette affaire, le Conseil d’Etat était donc amené à statuer sur la possibilité pour les collectivités territoriales, et leurs groupements, de participer à une SPL alors qu’elle n’exerçait pas l’ensemble des compétences caractérisant l’objet social de la société. La chose n’était pas aisée pour le Conseil dès lors qu’un véritable débat jurisprudentiel s’était constitué entre les juridictions du fond débouchant sur des réponses, pour le moins, hétérogènes. En premier lieu, le tribunal administratif de Lille dans un jugement de 2012 (TA de Lille, 29 mars 2012, Communauté de communes Sambres-Aversnois, req. n°1201729) avait admis qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales pouvait participer au capital d’une SPL à la seule condition que cette collectivité ou ce groupement de collectivité exerce au moins une partie des compétences caractérisant l’objet social de la SPL. A l’inverse, certaines juridictions ont interprété les dispositions précitées du CGCT comme obligeant les collectivités territoriales ou les groupements de collectivités territoriales, à exercer l’ensemble des compétences entrant dans l’objet social de la SPL pour pouvoir participer au capital de celle-ci (CAA de Nantes, 19 septembre 2014, Syndicat intercommunal de la Baie, req. n°13NT01683). La cour administrative d’appel de Lyon a, quant à elle, jugé que les dispositions du CGCT font obstacle à ce qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales puisse être actionnaire d’une SPL dont la partie prépondérante des missions outrepasserait son domaine de compétence (CAA de Lyon, 4 octobre 2016, Préfet du Puy-de-Dôme, req. n°14LY02778). Les juges du Palais-Royal, qui devaient donc trancher ce débat et déterminer une ligne jurisprudentielle claire sur cette question essentielle pour le développement des SPL ont prescrit qu’ « hormis le cas, prévu par l’article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales, où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale, la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. » Le Conseil d’Etat a donc opté pour la position la plus restrictive en considérant qu’en participant à une SPL dont l’objet excède ses propres compétences, une collectivité…

Evaluation environnementale : derrière la « Montagne d’Or », la notion de « projet » en question au Tribunal administratif de Guyane

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat au Barreau de Lille, Green Law Avocats   Le Tribunal administratif a rendu le 11 février 2019 une décision remarquée (n°1800145 et 1800149) en lien avec le projet décrié d’exploitation aurifère en Guyane, dit de la « Montagne d’Or ». Saisi par les associations France Nature Environnement et Maiouri Nature Guyane, le Tribunal a annulé l’arrêté du 13 décembre 2017 par lequel le préfet de la Guyane avait autorisé la société SAS Compagnie Montagne d’Or à ouvrir des travaux d’exploitation d’or alluvionnaire dans la limite de la concession Paul Isnard située sur le territoire de la commune de Saint-Laurent du Maroni. Au-delà de l’écho médiatique suscité par ce jugement au regard des vives polémiques entourant la réalisation de la mine d’or à ciel ouvert porté par la société Compagnie Montagne d’Or, la décision retient notre intérêt en ce qu’elle se prononce sur la notion de « projet », devenue depuis quelques années la pierre angulaire du droit de l’évaluation environnementale. Analyse. ****************************** Pour mémoire, le régime juridique de l’évaluation environnementale a fait récemment l’objet de réformes majeures dont la dernière en date résulte de l’ordonnance n°2016-1058 du 3 août 2016  et son décret d’application n°2016-1110 du 11 août 2016. Cette réforme a eu pour objet de transposer en droit national la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement telle que modifiée par la directive 2014/52/UE. Or, l’un des apports majeurs de cette transposition a été de privilégier la notion de « projet » en lieu et place des termes de « procédure » ou de « programme de travaux ». Ce changement sémantique avait pour objectif d’adapter le droit de l’évaluation environnementale à la réalité concrète des projets, ce que l’ancienne terminologie échouait à faire dans certains cas de figure. Ainsi, une procédure (exemple : une zone d’aménagement concerté (ZAC), un permis de construire, etc.), n’est pas en soi susceptible d’avoir un impact notable sur l’environnement : c’est en réalité le projet, indépendamment de la procédure dont il relève, mais en fonction de sa nature, de sa dimension, du lieu dans lequel il sera développé, qui est susceptible d’avoir un tel impact sur l’environnement. Reprenant stricto sensu les termes de la directive, le législateur a défini le projet comme la « réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol » (article L. 122-1 du code de l’environnement). Le législateur a également entendu incorporer dans le droit national l’approche extensive de la notion de projet développée notamment par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui s’oppose au fractionnement des projets. Dans un arrêt de 1999, la Cour avait ainsi précisé que : « L’objectif de la réglementation ne saurait en effet être détourné par un fractionnement des projets et […] l’absence de prise en considération de leur effet cumulatif ne doit pas avoir pour résultat pratique de les soustraire dans leur totalité à l’obligation d’évaluation alors que, pris ensemble, ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement […] » (CJCE, 21 septembre 1999, Commission c/ Irlande (C-392/96), point 76). C’est afin d’adapter le droit national à cette exigence que l’article L. 122-1 du code de l’environnement comporte la mention suivante : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité ». Le projet et l’ensemble de ses composantes doivent ainsi être évalués globalement au sein d’une même étude d’impact. Dans l’affaire commentée, le Tribunal administratif de Guyane a considéré que le projet autorisé par l’arrêté litigieux constituait en réalité une composante du projet industriel d’extraction minière du secteur Montagne d’Or, en adoptant le raisonnement suivant : « […] compte-tenu du lieu d’exploitation d’or alluvionnaire, de l’existence d’un programme industriel d’exploitation minière dans le même secteur, également porté par la SAS Compagnie Montagne d’Or, de la proximité géographique immédiate de ces deux programmes ainsi que de l’identité de la ressource recherchée, l’exploitation d’or alluvionnaire au lieu-dit Boeuf Mort et le programme industriel d’exploitation minière du secteur Montagne d’Or, alors même que celui-ci n’est qu’envisagé à la date de l’arrêté en litige et que les deux programmes font appel à des modes d’exploitation différents, alluvionnaire pour l’un et par extraction pour l’autre, constituent des interventions dans le même milieu naturel, indépendamment de leur fractionnement dans le temps et dans l’espace. Ainsi, ils doivent être regardés comme constituant un seul et même « projet », au sens du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ». La conséquence de cette interprétation du Tribunal est que l’arrêté litigieux encourt l’annulation en ce que son étude d’impact aurait dû prendre en compte le projet d’extraction minière dit de la « Montagne d’Or » afin de permettre à l’autorité environnementale et au préfet de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet, pris dans son ensemble : « Dès lors, l’étude d’impact réalisée dans le cadre de la demande d’autorisation d’ouverture de travaux miniers dans la concession Paul Isnard en vue de l’exploitation d’or alluvionnaire se devait, en application des dispositions du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement rapportées au point 3, d’appréhender de manière globale les interventions humaines dans le milieu naturel ou le paysage. Faute de prise en compte du projet industriel d’exploitation minière par l’étude d’impact, celle-ci a présenté un caractère partiel qui n’a pas permis à l’autorité environnementale puis au préfet de la Guyane de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet dans son ensemble. Par suite, l’arrêté en cause, pris à l’issue d’une procédure entachée d’illégalité, doit, pour ce premier motif, lequel présente un caractère substantiel, être annulé ». Le juge administratif guyanais a retenu les critères suivants pour identifier l’existence d’un seul…