Plantez si vous pouvez !

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Pour la première fois à notre connaissance, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le respect des droits des tiers lorsque des prescriptions spéciales sont imposées au pétitionnaire pour accompagner des permis de construire éoliens (Conseil d’Etat, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 16 octobre 2015, n°385114, mentionné dans les tables du recueil Lebon, consultable ici). Les faits de l’espèce ayant donné lieu à cette décision sont les suivants. Le Préfet de la Nièvre a accordé à un opérateur éolien six permis de construire en vue de l’implantation d’un parc de cinq éoliennes et d’un poste de livraison. Les autorisations de construire pour les éoliennes comportaient, en leur article 2, des prescriptions d’ordre technique, indivisibles du reste du permis imposant, au titre de la protection de l’environnement, la plantation de haies sur des parcelles appartenant à des propriétaires privés. Plusieurs requérants ont demandé au tribunal administratif de Dijon l’annulation de ces six arrêtés. Par un jugement n°1102113 du 4 avril 2013, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les requérants ont ensuite interjeté appel auprès de la Cour administrative d’appel de Lyon. Par un arrêté n°13LY01455 du 19 août 2014, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Dijon en tant qu’il avait rejeté les conclusions des requérants tendant à l’annulation des cinq arrêtés du Préfet relatifs à la construction des cinq éoliennes en tant que, dans leur article 2, ces arrêtés prescrivaient la plantation de haies et a annulé dans cette mesure les arrêtés en cause. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Les requérants ont alors formé un pouvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. Aux termes de sa décision, la Haute Juridiction a annulé l’arrêt de la Cour administrative de Lyon au motif qu’elle avait omis de statuer sur un moyen qui n’était pas inopérant. Décidant de régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a alors successivement écarté les moyens tirés de : – L’absence de réponse à certains arguments relatifs à l’insuffisance de l’étude d’impact ; – L’insuffisance de l’analyse de l’étude d’impact sur les chiroptères ; – L’inexactitude de l’étude d’impact et de ses annexes en ce qui concerne l’axe du couloir de migration des grues cendrées ; – L’insuffisance des mesures acoustiques ; – La méconnaissance de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme relatif au contenu du dossier de permis de construire lorsque tout ou partie de l’installation est implantée sur du domaine public ; – La méconnaissance de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme en ce qui concerne l’impact sur l’avifaune ; – La méconnaissance de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte à l’activité agricole et à la promotion d’une urbanisation dispersée ; – La méconnaissance de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte au paysage ou à l’environnement visuel. Puis, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’Etat se prononce sur le moyen selon lequel le Préfet aurait commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires. En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que « si les requérants soutiennent que le préfet de la Nièvre a commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires, cette circonstance, à supposer que les propriétaires concernés n’aient pas donné leur accord à la date de délivrance des permis attaqués, n’est pas de nature à entacher d’illégalité ces derniers, qui ont été délivrés sous réserve des droits des tiers ». Cette position était prévisible. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les permis de construire sont délivrés sous réserve des droits des tiers (pour les premières occurrences de ce principe que nous avons recensées : Conseil d’Etat, 5 mars 1965, n°57315 ou encore Conseil d’Etat, 18 octobre 1968, n°65358, publié au recueil Lebon ; pour des décisions très récentes : Conseil d’Etat, 19 juin 2015, n°368667, publié au recueil Lebon ; Conseil d’Etat, 23 mars 2015, n°348261, publié au recueil Lebon ou encore Conseil d’Etat, 9 mai 2012, n°335932, mentionné aux tables du recueil Lebon). En outre, bien que le Conseil d’Etat ne vise aucun texte pour affirmer ce principe, il convient de constater que ce dernier est désormais codifié à l’article A.424-8 du code de l’urbanisme aux termes duquel : « […] Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme. » A cet égard, il convient de souligner que les juridictions du fond n’hésitent pas à viser expressément l’article A.424-8 du code de l’urbanisme dans leurs arrêts (voir, pour quelques exemples, CAA Nantes, 3 avril 2015, n°14NT00188 ; CAA Bordeaux, 2 octobre 2014, n°13BX00806 ; CAA Marseille, 12 décembre 2013, n°11MA04657 ; CAA Lyon 12 novembre 2013, n°13LY01123). Il résulte de la rédaction de ces dispositions que le Conseil d’Etat ne pouvait reconnaître une quelconque erreur de droit du Préfet lorsqu’il a prescrit la plantation de haies sur des parcelles privées sans l’accord de leurs propriétaires. Cette position qui affirme la légalité des permis délivrés n’en présente pas moins une conséquence à ne pas perdre de vue pour les opérateurs. En effet, en second lieu, le Conseil d’Etat précise très logiquement que : « la construction du parc d’éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu’à la condition que les haies aient pu être plantées ». Il en déduit alors que « le moyen tiré de ce que ces prescriptions seraient entachées d’illégalité…

Autorisation de défrichement des bois d’une collectivité territoriale : avis de l’ONF nécessaire

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Aux termes d’un arrêt du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat a précisé sa jurisprudence en matière d’autorisation de défrichement (Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 14 octobre 2015, n° 369995). Les faits de l’espèce étaient les suivants. Par un arrêté du 25 mars 2008, le préfet de l’Yonne a autorisé le défrichement de parcelles de bois appartenant à plusieurs communes au profit d’une société. La surface concernée par le défrichement était de moins de vingt hectares. Cet arrêté a été annulé en juin 2009. Le 16 avril 2010, le préfet a de nouveau autorisé le défrichement de ces parcelles par un nouvel arrêté. Une association et un particulier ont demandé l’annulation de l’arrêté du 16 avril 2010 mais le tribunal administratif de Dijon les a déboutés de leur demande par un jugement du 3 janvier 2012. Ils ont interjeté appel de ce jugement. La Cour administrative d’appel de Lyon a, aux termes d’un arrêté du 7 mai 2013, annulé le jugement du tribunal administratif mais a rejeté leur demande. Ils ont donc formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Le premier moyen invoqué par les requérants consistait à soutenir que la Cour administrative d’appel de Lyon avait commis une erreur de droit dans l’application de l’article R. 311-1 du code forestier alors applicable dès lors qu’aucun acte autorisant le représentant de la personne morale à déposer une demande de défrichement n’avait été jointe à un courrier de 2010 demandant la réouverture de l’instruction de la demande de défrichement. Aux termes de l’article R. 311-1 du code forestier alors applicable : ” La demande d’autorisation de défrichement est adressée par lettre recommandée avec accusé de réception au préfet du département où sont situés les terrains à défricher ou déposée contre récépissé à la préfecture de ce département. / (…) La demande est accompagnée d’un dossier comprenant les informations et documents suivants : / (…) 3° Lorsque le demandeur est une personne morale, l’acte autorisant le représentant qualifié de cette personne morale à déposer la demande ; (…) “. En l’espèce, si l’arrêté préfectoral du 25 mars 2008 mentionne que la demande initiale présentée par la société pétitionnaire, a fait l’objet d’un refus tacite, le Conseil d’Etat précise que ce refus est intervenu du fait du caractère incomplet du dossier et qu’une deuxième demande, identique à la première, a été présentée le 23 janvier 2008 pour régulariser ce dossier. Il souligne ensuite « qu’il en résulte qu’en jugeant que le courrier adressé par la société [pétitionnaire] au préfet le 15 janvier 2010, pour demander la réouverture de l’instruction et souligner l’existence d’une procédure parallèle de distraction du régime forestier, ne constituait pas une demande nouvelle et n’avait donc pas à être accompagnée, en vertu des dispositions de l’article R. 311-1 précité, de l’acte autorisant le représentant qualifié de cette société à déposer la demande, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas dénaturé les pièces du dossier ». Il écarte donc le moyen invoqué par les requérants. Le deuxième moyen invoqué était relatif à l’application du premier alinéa de l’article R. 122-9 du code de l’environnement alors applicable. Cet alinéa, applicable aux travaux de défrichement et de premiers boisements soumis à autorisation et portant sur une superficie inférieure à 25 hectares disposait que : ” Pour les travaux et projets d’aménagements définis au présent article, la dispense, prévue aux articles R. 122-5 à R. 122-8, de la procédure d’étude d’impact est subordonnée à l’élaboration d’une notice indiquant les incidences éventuelles de ceux-ci sur l’environnement et les conditions dans lesquelles l’opération projetée satisfait aux préoccupations d’environnement “. Les requérants soutenaient que la notice indiquant les incidences du projet de défrichement sur l’environnement devait tenir compte d’une éventuelle distraction ultérieure des parcelles. Or, la Cour avait relevé que la demande d’autorisation de défrichement et la demande de distraction de certaines parcelles du régime forestier faisaient l’objet de deux procédures d’instruction distinctes. Elle avait donc écarté le moyen tiré de l’absence de prise en compte dans la notice élaborée dans le cadre de la procédure d’autorisation de défrichement d’une éventuelle distraction ultérieure des parcelles. Le Conseil d’Etat a validé ce raisonnement, rappelant ainsi une forme d’indépendance des législations. Il a donc également écarté de moyen. Le troisième moyen concernait les mesures de reboisement prévues. Il était soutenu que la Cour avait commis une erreur de droit en estimant que les mesures de reboisement prévues par la notice d’impact et l’arrêté de défrichement étaient définies de manière suffisamment précise au regard des dispositions de l’article L. 311-4 du code forestier, alors applicable. Le Conseil d’Etat a estimé qu’il ressortait du dossier soumis aux juges du fond qu’« il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’autorisation de défrichement délivrée par le préfet de l’Yonne le 16 avril 2010 était assortie d’une obligation de reboisement dans une zone précise et d’un calendrier précis et soulignait que le choix des parcelles à reboiser et des essences forestières se ferait en concertation avec les services de l’Etat chargés des forêts ; ». Il a donc confirmé que les mesures de reboisement prévues étaient suffisamment précises et a écarté le moyen invoqué. Le quatrième moyen invoqué concernait la méconnaissance de l’article L. 311-3 du code forestier, alors applicable aux termes duquel “L’autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois ou des massifs qu’ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire : (…) / 3° A l’existence des sources, cours d’eau et zones humides et plus généralement à la qualité des eaux “. Aux termes de son arrêt, la Cour avait souligné que les terrains concernés par le défrichement ne recoupaient aucun périmètre de protection de captage d’alimentation en eau potable et qu’il était démontré que l’impact transitoire du défrichement était minime sur l’écoulement des eaux de surface. Elle en avait déduit que l’article L. 311-3 du code forestier alors applicable n’avait pas été méconnu….

Remblais en zone humide: un défaut de conseil et d’information du professionnel peut conduire à la nullité du contrat

Par un intéressant jugement en date du 15 septembre 2015 (TGI BETHUNE, 15 septembre 2015, RG n°32/2015), le Tribunal de grande instance de BETHUNE a prononcé la nullité du contrat de remblaiement de terrain passé entre un particulier et une société au motif d’un dol (jurisprudence cabinet). En l’espèce, une société était venue proposer de remblayer le terrain d’un particulier, propriétaire d’un terrain. Par suite du remblaiement effectué, un procès-verbal d’infraction avait été dressé à l’encontre du propriétaire pour violation de la loi sur l’eau (une partie de la parcelle était située en zone humide). Le propriétaire s’estimant lésé a assigné la société en responsabilité contractuelle ainsi qu’en nullité du contrat sur le fondement de l’article 1108 du code civil. Le Tribunal de grande instance de BETHUNE reconnaît la responsabilité de la société et annule le contrat en relevant l’absence de conseil donné par la société de remblaiement avant la conclusion du contrat, et en rejetant l’argument de la société qui faisait valoir qu’elle avait demandé une autorisation au Maire. Le Tribunal relève à bon droit que cela ne suffisait pas car la société connaissait forcément, en sa qualité de professionnelle du remblaiement, les règles relatives aux zones humides (et donc la nécessité d’une autorisation). Rappelons qu’il résulte des dispositions du Code civil que diverses conditions sont requises pour assurer la validité des conventions. Selon l’article 1108 du code civil : « Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention : Le consentement de la partie qui s’oblige ; Sa capacité de contracter ; Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; Une cause licite dans l’obligation ».   Il résulte par ailleurs des dispositions de l’article 1109 du Code civil qu’« Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». S’agissant du dol, la Cour de cassation admet que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ., 15 janv. 1971 : Bull. civ. III, n°38. – 2 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 330. – Cass. 1re civ., 23 juin 1987 : D. 1987, inf. rap. p. 168. – Cass. com., 20 juin 1995 : D. 1995, inf. rap. p. 211 ; Dr. et Patrimoine 1995/32, chron. n° 1108, obs. P. Chauvel. – Cass. 3e civ., 20 déc. 1995 : Bull. civ. III, n° 268 ; Contrats, conc., consom. 1996, comm. n° 55, obs. L. Leveneur). Dans cette mesure il importe peu, naturellement, que la réticence ait porté sur une qualité substantielle, qu’elle ait induit une erreur de fait ou une erreur de droit, une erreur sur la contre-prestation ou, au contraire, sur la propre prestation. La vigilance des tribunaux eu égard au vice du consentement que constitue le dol s’exerce avec d’autant plus de précautions notamment lorsque la victime de la réticence est un particulier, profane, qui reproche son silence au cocontractant professionnel (Cass. 3e civ., 3 févr. 1981 : Bull. civ. III, n° 18 ; D. 1984, jurispr. p. 457, note J. Ghestin, promoteur immobilier. – Cass. 1re civ., 19 juin 1985 : Bull. civ. I, n° 201, vendeur professionnel d’automobile. – Cass. 3e civ., 25 févr. 1987 : Bull. civ. III, n° 36, agence immobilière. – Cass. 1re civ., 26 févr. 1991 : Bull. civ. I, n° 331, banque.- voir également, pour une commune, lors de l’acquisition d’un terrain, Cass. 3e civ., 27 mars 1991 : Bull. civ. III, n° 108 ; D. 1992, somm. p. 196, obs. G. Paisant ; Contrats, conc., consom. 1991, comm. n° 133, obs. L. Leveneur. – Pour un huissier, lors de la conclusion d’un bail, CA Paris, 31 mai 1983 : Gaz. Pal. 1983, 2, jurispr. p. 554.) De plus, il ressort tant des dispositions du code de la consommation (article L. 111-2) que de la jurisprudence civile que le professionnel contractant avec un particulier est tenu d’un devoir d’information et de conseil. En l’espèce, le Tribunal de grande instance de BETHUNE relève avec une motivation poussée : «  […] que cette convention sui generis lie un professionnel avec une non-professionnelle. La société X n’a pas cru utile d’apporter des précisions sur son activité professionnelle mais le fait qu’elle ait proposé à la demanderesse cette prestation de remblayage à laquelle elle avait nécessairement économiquement intérêt démontre qu’elle n’était pas profane en la matière et qu’elle s’est en tout état de cause présentée comme une professionnelle de cette prestation. En conséquence, il lui incombait de connaître précisément les contraintes techniques et réglementaires de la prestation effectuée. La société professionnelle était en outre débitrice d’une obligation pré-contractuelle d’information et de conseil à l’égard de Madame Y, devoir d’autant plus renforcé qu’elle était à l’initiative de la convention. La société X estime s’être acquittée de ses obligations en ayant sollicité de Madame Y une autorisation auprès du maire de M…, lequel a autorisé par courrier en date du 3 avril 2013 Madame Y à “combler le dénivelé de son terrain” sous la double condition de ne pas polluer le sol par les terres de remblais et de respecter les règles environnementales. Quoiqu’il en soit, dès lors que le terrain à combler était en zone humide, la société W en sa qualité de professionnelle n’était pas censée ignorer le caractère insuffisant de l’autorisation du maire et la nécessité de déposer un dossier “Loi sur l’Eau” auprès de l’autorité préfectorale. En effet, même en l’absence de mention de zone humide dans le titre de propriété de la cliente, la société professionnelle ne pouvait se méprendre sur cette spécificité du terrain, laquelle était apparente puisqu’il ressort du procès-verbal de l’ONEMA et des photos jointes que la parcelle était marécageuse et contenait des plantes aquatiques et semi-aquatiques tels des roseaux de la prêle et des saules. Il ressort d’ores et déjà de ces éléments que la société X a manqué à son devoir d’information et de…

Risque inondation : de la légalité d’une décision de fermeture définitive d’un camping (tempête Xynthia – CAA Bordeaux, 28 sept.2015)

Par Me Marie-Coline Giorno Green Law Avocat Les inondations récentes dans les Alpes-Maritimes ne sont pas sans rappeler la tempête Xynthia. Bien que cinq ans se soient écoulés depuis cette tempête, il convient de constater que les mesures de police prises pour garantir la sécurité face au risque d’inondations dans cette zone font encore l’objet de contentieux. En témoigne notamment une décision récente de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 28 septembre 2015, n°14BX01002). Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia a inondé un camping situé sur l’Île-de-Ré (Charente-Maritime). Par arrêté du 28 avril 2010, le maire a interdit provisoirement l’exploitation de ce camping. Par courrier du 2 juillet 2010, le préfet de la Charente-Maritime a invité le maire précité à engager une procédure de fermeture définitive du camping en raison du danger d’inondation pour ses occupants. Toutefois, le maire a, par arrêté du 29 juillet suivant, autorisé la réouverture de celui-ci. Après une mise en demeure restée sans suite, l’autorité préfectorale a prononcé, par arrêté du 21 juillet 2011, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, la fermeture définitive du camping. Le propriétaire du camping a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler cette décision. Par un jugement n° 1102087 du 5 février 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.  Le propriétaire du camping a alors interjeté appel de cette décision.  Par un arrêt du 28 septembre 2015, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête d’appel. Il s’agit de la décision présentement commentée. En premier lieu, un point de procédure intéressant a été tranché. Le défendeur invoquait une fin de non recevoir tirée d’une méconnaissance de l’article R. 612-5 du code de justice administrative. Aux termes de cet article, « Devant (…) les cours administratives d’appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n’a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l’envoi (…), il est réputé s’être désisté. » En l’espèce, le propriétaire du camping avait intitulé sa requête d’appel « requête sommaire » et y a expressément annoncé la production d’un mémoire ampliatif, qui n’avait pas été produit à la date de la première clôture de l’instruction. Aucune mise en demeure de produire un mémoire complémentaire ne lui a été adressée par la cour administrative d’appel sur le fondement de l’article R. 612-5 du code de justice administrative. En procédant à une application stricte de l’article R. 612-5 du code de justice administrative, le moyen tiré d’un désistement ne pouvait qu’être écarté. Néanmoins, une ordonnance de clôture était intervenue. La question était donc de déterminer si cette ordonnance de clôture valait ou non mise en demeure de produire le mémoire ampliatif. La Cour a répondu qu’ « Une ordonnance de clôture ne valant pas mise en demeure, la circonstance que le mémoire ampliatif a été déposé par le requérant après la première clôture est sans incidence en l’espèce, les textes applicables devant les cours administratives d’appel n’imposant aucun délai pour produire un mémoire ampliatif annoncé dans une requête sommaire et alors au demeurant que l’instruction a été rouverte en raison de la production du premier mémoire en défense du ministre de l’intérieur le 20 octobre 2014, puis la clôture reportée à deux reprises. » La Cour ajoute, en se livrant à une appréciation circonstanciée des faits de l’espèce qu’ « En tout état de cause, le fait que le [propriétaire du camping] ait intitulé sa requête ” requête sommaire ” est sans incidence, dès lors qu’elle est suffisamment motivée, contient l’exposé des faits et moyens ainsi que l’énoncé des conclusions et satisfait ainsi aux exigences de l’article R.411-1 du code de justice administrative. » Cet ajout est surprenant dans la mesure où l’argumentation précédente était très étayée. Elle permet néanmoins de sécuriser la position de la Cour administrative d’appel. En second lieu, le requérant invoquait une méconnaissance des articles L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités locales (violation de la procédure contradictoire et caractère disproportionné de la fermeture). Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que (…) les inondations, (…) ». Aux termes de l’article L. 2215-1 du même code : « La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / 1° Le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’Etat dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; (…) ». Le requérant soutenait, d’une part, que le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu. Néanmoins, ces moyens de légalité externe ayant été soulevés « au-delà de l’expiration du délai d’appel », ils étaient irrecevables car ils reposaient sur « une cause juridique distincte des moyens de légalité interne ». Il s’agit là d’une déclinaison classique du principe posé dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 juillet 1954, Société des acieries et forges de Saint-François, n°4190, publié au recueil Lebon aux termes duquel : « Considérant que la Société des aciéries et forges de Saint-François, dans sa requête, s’est bornée à invoquer la prétendue illégalité des décrets susmentionnés; que si, dans un mémoire complémentaire, elle a contesté la régularité desdits décrets par le motif qu’ils n’ont pas été précédés de l’avis du Conseil supérieur du gaz et de l’électricité (…), cette prétention; fondée sur une cause juridique distincte, constitue une demande nouvelle; que le mémoire dont s’agit a été enregistré au secrétariat du contentieux…

Arbres qui dépassent des propriétés : le trouble anormal de voisinage peut être reconnu mais la demande d’arrachage refusée au nom de la prescription trentenaire (CA Aix en Pce, 18 juin 2015)

Par Aurélien Boudeweel (Green Law Avocat) Dans un arrêt en date du 18 juin 2015 (C.A AIX EN PROVENCE, 18 juin 2015, n°2015/87), la Cour d’appel confirme qu’une demande d’arrachage d’arbres dépassant la hauteur maximale des arbres dans la bande des deux mètres d’une propriété voisine doit être rejetée en cas de prescription trentenaire. Mais pour autant, un trouble anormal de voisinage ouvrant droit à indemnisation est encore possible.  Rappelons que l’article 671 du Code civil dispose : « Il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations ». Notons que les dispositions de l’article 671 du Code civil peut fonder une demande tendant à obtenir la taille d’une haie ou l’arrachage d’un arbre puisque le texte ne permet les plantations qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres. Toutefois, le seul fait que des arbres et végétaux avancent sur le fonds voisin, qu’ils respectent ou non les distances légales ne peut pas suffire à caractériser un trouble de voisinage et ouvrir droit à dommages et intérêts. Il faut, pour que le trouble anormal soit reconnu, qu’il en résulte des inconvénients spécifiques, tels qu’une privation de lumière ou une réduction de la visibilité (CA Chambéry, 2e ch., 3 janv. 2006 n° 2006-299528). Si l’existence d’arbres de grande hauteur plantés à la distance légale est donc insuffisante en soi à caractériser un trouble de voisinage, tel n’est plus le cas lorsque ces arbres implantés à une faible distance d’une maison d’habitation occasionnent une gêne importante en diminuant de façon conséquente l’ensoleillement de la propriété et en entraînant des nuisances comme la chute des branches et l’accumulation importante de feuilles mortes (CA Chambéry, 2e civ., 30 août 2005  n° 2005-296675). En l’espèce, des particuliers avaient assigné leurs voisins en sollicitant la suppression d’un peuplier en raison de l’ombre qui produit. Le tribunal d’instance avait rejeté la demande d’arrachage de l’arbre au motif que la prescription trentenaire venait à s’appliquer mais avait refusé de faire droit à une demande d’indemnisation compte-tenu des désordres occasionnés par l’arbre sur leur habitation. La Cour d’appel confirme le jugement de première instance en ce qu’il constate la prescription trentenaire et relève:  « L’expert indique que le peuplier blanc de M. X est planté à 1,30 mètre environ de la limite séparant le fonds de ce dernier de celui de Mme Y, que cet arbre a une hauteur de 18 mètres environ, que son diamètre à 1 mètre de sol est de 0,60 mètre et qu’il a plus de trente ans. Compte tenu de la croissance rapide des peupliers, on peut en déduire de manière certaine que cet arbre avait atteint la hauteur de deux mètres trente ans avant l’assignation du 15 mars 2012, en sorte que M. X est fondé à invoquer la prescription trentenaire pour s’opposer à la demande de Mme Y sur le fondement de l’article 672 du code de procédure civile.  (…) Le droit, pour celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres du voisin, de contraindre celui-ci à les couper, étant imprescriptible en application de l’article 673 du code civil, M. X sera condamné à couper les branches de son peuplier avançant sur le fonds de Mme Y.  La cour possède les éléments d’appréciation suffisants pour condamner M.X à payer à Mme Y une indemnité de 2 000 euros en réparation du trouble de voisinage que lui a causé la chute des feuilles provenant des branches avançant sur son fonds.  Dans la mesure où l’expertise n’était pas nécessaire pour établir la preuve de l’existence de branches avançant sur son fonds, Mme X sera condamnée à en supporter les frais.  […] » ;   Tout en reconnaissant la prescription trentenaire opposable à la demande de suppression du peuplier, la Cour reconnaît donc l’existence d’un trouble anormal de voisinage permettant une indemnisation des requérants. Concrètement : le trouble anormal n’est pas soumis à la prescription de 30 ans, mais la demande d’arrachage fondée sur l’article 671 du code civil peut, elle, être tardive s’il s’avère que l’arbre ne respecte pas les dispositions de cet article 671 du code civil depuis plus de 30 ans. Rappelons que la théorie des troubles anormaux de voisinage est purement prétorienne. Il s’agit d’une responsabilité particulière en ce qu’elle est autonome, c’est-à-dire détachée de toute faute de la part du voisin trublion et donc du fondement des articles 1382 et suivants du Code civil(Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 : Bull. civ. 2002, I, n° 200. – Cass. 3e civ., 24 sept. 2003 : Juris-Data n° 2003-020379 ; Bull. civ. 2003, III, n° 160 ; Gaz. Pal. 24-25 mars 2004,). Il faut que la victime d’un trouble de voisinage démontre que celui-ci est « anormal » afin d’obtenir une réparation en nature ou par équivalent. Il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement (Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 : D. 1978, p. 434, note Caballero. – Cass. 2e civ., 19 mars 1997 : D. 1998, somm. p. 60, obs. Robert. – Cass. 3e civ., 27 mai 1999 : Bull. civ. 1999, II, n° 100. – Cass. 3e civ., 5 févr. 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 49 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 137, note Groutel) si tel ou tel agissement constitue ou non, en fonction des circonstances de temps et de lieu, un trouble anormal de voisinage. L’arrêt de la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE est l’occasion de rappeler aux particuliers la nécessité d’agir sans tarder s’ils veulent obtenir l’arrachage ou la taille des arbres trop hauts ou trop proches car ils se verront sinon opposer une prescription de 30 ans. Il ne leur restera alors que la voie des troubles anormaux de voisinage, qui est d’interprétation plus stricte, moins automatique que l’article 671 du code civil et qui suppose de prouver un trouble « anormal ».