Par Maître Sébastien BECUE, avocat of counsel (Green Law Avocats)
La demande d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité doit faire l’objet d’une procédure d’information et de participation du public (Conseil constitutionnel – QPC 2020-43 du 28 mai 2020)
Attention, la décision du Conseil constitutionnel ici commentée ne concerne pas « l’autorisation d’exploiter » au titre de la législation sur les installations classées (ICPE), aujourd’hui « autorisation environnementale », dont la procédure d’instruction prévoyait déjà l’organisation d’une enquête publique (et pour les arrêtés d’enregistrement une consultation du public sur internet).
Il s’agit ici de « l’autorisation d’exploiter » une installation de production d’électricité, procédure parallèle qui trouve son fondement dans le code de l’énergie, à l’article L. 311-5 du code de l’énergie, dont l’obtention est exigée dans certains cas (voir infra), pour des installations dont l’objet est la production d’électricité.
Arrêtons nous plus longuement sur cette décision.
- L’inconstitutionnalité de l’ancien régime de l’autorisation d’exploiter
Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), émanant de France Nature Environnement (FNE), relative à l’article L. 311-5 du code de l’énergie en tant que la procédure d’instruction de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité ne prévoyait pas de procédure d’information et de participation du public, en violation de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
L’article 7 de la Charte prévoit, pour mémoire et en synthèse, que toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Il est important de noter d’emblée que la version concernée de l’article L. 311-5 était celle résultant de l’ordonnance du 9 mai 2011.
Le Conseil constitutionnel juge que l’autorisation d’exploiter constitue bien une décision publique ayant une incidence sur l’environnement dès lors que l’autorité compétente doit notamment tenir compte lorsqu’il statue sur la demande, selon les dispositions de l’article en question :
- Du choix des sites ;
- Des conséquences du projet sur l’occupation de sols et l’utilisation du domaine public ;
- De l’efficacité énergétique de l’installation ;
- Et de la compatibilité du projet avec la production de l’environnement.
Le Conseil constitutionnel rappelle également que « selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’autorisation administrative ainsi délivrée désigne non seulement le titulaire de cette autorisation mais également le mode de production et la capacité autorisée ainsi que le lieu d’implantation de l’installation ».
Surtout, il écarte l’argument en défense selon lequel l’autorisation n’a pas à faire l’objet d’une procédure d’information et de participation du public dès lors que les projets concernés doivent généralement faire l’objet d’autres autorisations dont la procédure d’instruction prévoit elle l’organisation de procédures d’information et de participation du public (permis de construire, autorisation d’exploiter au titre de la législation sur les installations classées etc.).
L’article L. 311-5 dans sa version alors applicable est en conséquence jugée contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement dès lors qu’il ne prévoyait pas de procédure d’information et de participation du public.
2. La portée pratique relative de la décision s’agissant du régime de l’autorisation d’exploiter
En premier lieu, comme le note le Conseil constitutionnel dans sa décision, depuis une ordonnance du 5 août 2013, l’article L. 120-1-1 du code de l’environnement prévoit que toute décision ayant une incidence sur l’environnement et qui ne fait pas l’objet d’une procédure d’information et de participation spécifique, doit faire l’objet d’une mise en ligne sur internet et d’une possibilité de dépôt d’observations par le public.
Nous ne savons pas si en pratique l’administration prévoyait effectivement cette mise à disposition des demandes d’autorisation d’exploiter sur internet, mais en tout cas, le Conseil considère que cette « clause de sauvegarde » est suffisante pour considérer que le régime est conforme à l’article 7 depuis l’ordonnance du 5 août 2013.
Les porteurs de projets soumis à l’autorisation auront donc tout intérêt le cas échéant à solliciter de l’administration qu’elle publie leur demande sur internet, afin de la sécuriser.
Surtout, en second lieu, le champ d’application de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité est aujourd’hui considérablement réduit.
D’une part, depuis un décret du 27 mai 2016 (voir notre article sur ce décret), en sont notamment exonérés :
- les centrales solaires, éoliennes, biogaz, géothermiques, houlomotrices de moins de 50 MW ;
- les parcs éoliens marins de moins de 1GW.
D’autre part, à supposer qu’une installation entre dans le champ de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité, ce qui est ainsi de plus en plus rare, celle-ci est en tout état de cause comprise, en vertu de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, dans l’autorisation environnementale délivrée.
Elle en est donc une composante, et la partie du dossier de demande qui est consacrée à cette autorisation est donc soumis, comme le reste du dossier du demande d’autorisation environnementale, à enquête publique.
Ne sont donc concernés par la « clause de sauvegarde » et objet notre recommandation supra, que les projets soumis à autorisation d’exploiter non soumis à autorisation environnementale ; hypothèse assez rare en pratique.
3. Une portée générale intéressante
Il est intéressant de constater que le Conseil constitutionnel précise clairement les conséquences de sa décision :
- d’abord, l’article L. 311-5 du code de l’énergie n’est jugé inconstitutionnel qu’entre le 1er juin 2011 et le 1er septembre 2013, date d’adoption de la « clause de sauvegarde » de l’article L. 120-1-1 du code de l’environnement ;
- ensuite, le Conseil constitutionnel estime que dès lors que la remise en cause des autorisations délivrées sur le fondement de l’article L 311-5 lorsque celui-ci était inconstitutionnel aurait des conséquences manifestement excessives, ces autorisations ne peuvent en conséquences « être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
C’est un revers important pour les requérants, qui ne pourront bénéficier de l’inconstitutionnalité qu’ils ont identifiée dans le cadre du recours à l’encontre de l’autorisation d’exploiter. On peut néanmoins relativiser la conséquence de la perte de ce bénéfice : d’un point de vue pratique, il est évident que l’autorisation d’exploiter n’est pas réellement le lieu de la discussion des mérites écologiques du projet. Ce débat a en réalité lieu dans le cadre des recours à l’encontre de l’autorisation d’exploiter ICPE du projet.
Cette volonté du Conseil constitutionnel de s’intéresser directement dans sa décision à l’impact de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition pour les autorisations délivrées sur le fondement de cette disposition nous semble en tout état de cause intéressant.
Le Conseil d’Etat n’a pas toujours cet égard et il faut parfois attendre plusieurs années afin de connaître les conséquences de l’annulation d’une disposition règlementaire pour les décisions individuelles délivrées sur son fondement.
C’est par exemple le cas de la déclaration d’inconventionnalité du régime de l’autorisation environnementale, qui a entraîné l’annulation de nombreuses autorisations, avant que, finalement, plusieurs années après, le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles les autorisations pouvaient bénéficier d’un mécanisme de régularisation.