Effacement des clôtures : incompétence des ministres en matière de régulation des espèces

Effacement des clôtures : incompétence des ministres en matière de régulation des espèces

effacement des clôtures

Par Maître David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Depuis la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, l’article L. 372-1 du code de l’environnement reconnaît un principe de « libre circulation des animaux sauvages ».

En parallèle, l’article 3 de cette loi a instauré un régime de déclaration auquel sont soumis les propriétaires d’un enclos préalablement à la suppression ou à la mise aux normes de leur clôture lorsque l’opération est susceptible de porter des atteintes à l’environnement ou aux tiers.

Figurant à l’article L. 424-3-1 du code de l’environnement, il revient aux ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture d’en définir les modalités :

« I. – Tout propriétaire d’un enclos prenant la décision d’en supprimer la clôture ou se conformant à l’article L. 372-1 procède à l’effacement de celle-ci dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l’état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire.

II. – Dans le cas où une des atteintes mentionnées au I du présent article résulte de l’effacement d’une clôture, celui-ci est soumis à déclaration préalable auprès du représentant de l’État dans le département où l’enclos est situé.

III. – Les modalités de déclaration préalable prévoient notamment d’informer l’administration des mesures qui sont prises préalablement à l’effacement de la clôture en vue de la régulation des populations de grand gibier contenues dans l’enclos.

Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture détermine ces modalités de déclaration préalable. »

Malgré cette habilitation octroyée aux ministres par le législateur, on ne peut écarter d’emblée un risque d’empiètement sur la police de la chasse.

Pour mémoire, cette police est exercée principalement par le préfet (article L. 420-2 du code de l’environnement; CE, 13 septembre 1995, n° 127553 ) mais aussi par Premier ministre (décision n° 2000-434 DC du 20 juillet 2000, cons. 19 ; article L. 420-2 du code de l’environnement ).

Certes, la Haute juridiction a reconnu la possibilité pour le maire de réglementer la chasse en se fondant sur ses pouvoirs de police générale (CE, 13 septembre 1995, n° 127553 ) pour des raisons de sécurité ou de circonstances locales (CAA de Douai 25 mai 2021, n° 20DA00793 ).

Pour autant récemment, le Conseil d’État n’a pas manqué de vérifier si l’article L. 424-3-1 du code de l’environnement permettait ou non à des ministres de prendre des mesures au titre de police de la chasse (décision commentée : CE, 18 juillet 2025, n° 493887 ).

Le 8 avril 2024, le ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont pris un arrêté fixant les modalités de déclarations préalables à l’effacement de clôtures en application de l’article L. 424-3-1 du Code de l’environnement.

Entre le 29 avril et le 10 juin 2024, le Groupement forestier Forêt de Teillay et d’autres requérants ont déposé des recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté.

D’après les requérants, l’arrêté attaqué était entaché d’incompétence en ce que la loi n’aurait pas prévu d’obligation de déclaration préalable en cas de mise en conformité d’une clôture. Parmi les dispositions contestées, certaines imposaient donc une déclaration préalable avant l’effacement de la clôture ou sa mise en conformité en cas de présence dans l’espace clos de sangliers, cerfs élaphes et chevreuils au-delà de certaines densités, ainsi qu’en cas de présence d’espèces non indigènes ou d’espèces exotiques envahissantes.

Ainsi, afin d’abaisser la densité moyenne de sangliers, cerfs et chevreuils en-dessous des seuils indiqués, les propriétaires étaient dans l’obligation de procéder à des actions de régularisation préalables par la chasse ou par destruction, ou de retirer tous les individus de l’enclos pour les autres espèces.

Dans la mesure où toutes ces requêtes étaient dirigées contre le même arrêté, elles ont été jointes afin de statuer par une seule décision.

Parallèlement à leur recours, les requérants avaient posé une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre quatre articles du Code de l’environnement issus de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

Le 24 juillet 2024, cette question prioritaire de constitutionnalité a été transmise par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel (CE, 24 juillet 2024, n° 493887 ).

Le 18 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions législatives déférées conformes à la Constitution (décision n°2024-1109 QPC ).

L’arrêté du 8 avril 2024 fixant les modalités de déclarations préalables à l’effacement de clôtures en application de l’article L. 424-3-1 du Code de l’environnement est-il légal ?

Le Conseil d’État a partiellement répondu à cette question par la négative, en annulant l’article 4, le h) de son article 3 et le second alinéa de l’article 1er de cet arrêté (décision commentée : CE, 18 juillet 2025, n° 493887 ).

Pour annuler ces dispositions, le Conseil d’État a commencé par analyser les articles litigieux :

« (…) le second alinéa de l’article 1er de l’arrêté attaqué impose une déclaration préalable avant l’effacement de la clôture ou sa mise en conformité au sens de l’article L. 372-1 du code de l’environnement en cas de présence dans l’espace clos de sangliers, cerfs élaphes et chevreuils à des densités supérieures à celles indiquées à l’article 4, ainsi qu’en cas de présence dans cet enclos d’espèces non indigènes notamment de grands ongulés (daim, mouflon, chamois, isard) ou d’espèces exotiques envahissantes listées aux annexes I et II de l’arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain. L’article 4 de cet arrêté, auquel renvoie donc le second alinéa de l’article 1er, prévoit que si la densité estimée des populations à l’intérieur de l’espace clos est supérieure à 5 sangliers/100 ha ou 2 cerfs élaphes/100 ha ou 6 chevreuils/100 ha, le propriétaire procède ou fait procéder, au moins deux mois en amont de l’effacement de ses clôtures, à des actions de régulation, par la chasse ou par destruction selon la période de l’année, visant à abaisser la densité moyenne aux 100 hectares à un niveau inférieur ou égal à cette valeur seuil. Pour les autres espèces, l’article 4 prévoit que les actions de régulation par la chasse ou par destruction, voire par capture autorisée, doivent viser au retrait de tout individu. Le h) de l’article 3 prévoit que la déclaration préalable doit comprendre la proposition de gestion conduisant à une densité d’animaux inférieure ou égale aux valeurs seuils mentionnées à l’article 4 » (décision commentée : CE, 18 juillet 2025, n° 493887, point 9 ).

En premier lieu, le second alinéa de l’article 1er de l’arrêté querellé prévoit que le régime de déclaration préalable s’applique aux espaces clos dépassant un seuil de densité de population de certains animaux ou contenant des espèces non indigènes ou exotiques envahissantes.

En deuxième lieu, l’article 4 définit ces seuils à partir desquels le propriétaire est tenu de procéder ou de faire procéder à des actions de régulation (chasse, destruction ou capture) deux mois avant l’effacement des clôtures.

En troisième lieu, le h de l’article 3 de l’arrêté prévoit que la proposition de gestion soumise par le propriétaire doit aboutir à une densité d’animaux inférieure à ces mêmes seuils.

En mettant en mise en perspective de ces dispositions avec l’article L. 424-3-1 du Code de l’environnement, le juge a prononcé leur annulation :

« Or, l’article L. 424-3-1 du code de l’environnement cité au point 3, qui se borne, en ses II et III, à prévoir qu’un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture détermine les modalités de déclaration préalable à l’effacement des clôtures si cet effacement porte atteinte à l’état sanitaire, aux équilibres écologiques, ou aux activités agricoles du territoire, n’a pas pour objet d’autoriser le pouvoir réglementaire à fixer des règles relatives à la régulation, notamment par la chasse, des espèces sur le territoire national, par dérogation à la réglementation sur la chasse. Dès lors, l’article 4 de l’arrêté attaqué est entaché d’incompétence. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler l’article 4, ensemble le second alinéa de l’article 1er et le h) de l’article 3 qui n’en sont pas divisibles » (décision commentée : CE, 18 juillet 2025, n° 493887, point 10 ).

Comme le relèvent les conclusions du rapporteur public, les ministres ne peuvent fixer eux-mêmes le contenu ni, a fortiori, à imposer un seuil d’abattage uniforme, opposable sur l’ensemble du territoire.

A l’instar du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État adopte une lecture stricte de l’habilitation donnée par le législateur aux ministres, en ce qu’elle ne saurait concerner que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu (décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008, cons. 6 ).

Par conséquent, le Conseil d’État a donc annulé l’obligation de réduction de la densité des ongulés.

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