Par Maître Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS)
Le principe de sécurité juridique (des actes administratifs) prend de plus en plus de place au sein du contentieux administratif.
Rappelons-le, le Conseil d’Etat a récemment jugé, par un arrêt Czabazj (13 juil. 2016, n°387763) que le principe de sécurité juridique « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance », alors même que l’article R. 421-5 du CJA « semblait » indiquer précisément le contraire…
C’est encore en considération de la sécurité juridique – même si plus implicitement – que les possibilités de régularisation dans le cadre de l’instance se multiplient dans les différents pans du contentieux administratif (voir pour un excellent article de portée générale sur ce point : « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation », H. Bouillon, AJDA 2018, 142 ou encore, en matière d’installations classées, le récent avis du Conseil d’Etat dans l’affaire dite des « Mille vaches » : 22 mars 2018, n°415852 et notre commentaire).
Aux termes d’une récente décision (CE, 18 mai 2018, n°414583), le Conseil d’Etat a rejeté le recours introduit par la CFDT à l’encontre d’un refus d’abroger un décret du 29 mars 2017 fixant la liste des emplois et types d’emplois des établissements publics administratifs de l’Etat prévue au 2° de l’article 3 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat en tant qu’il détermine la liste des emplois pour lesquels l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).
Deux moyens de légalité externe étaient invoqués par le syndicat contre le décret :
- l’un tenant à une possible irrégularité de la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat,
- et l’autre tenant à ce que le décret finalement adopté différerait de celui soumis le gouvernement au Conseil d’Etat et de celui adopté par le Conseil d’Etat.
Ces deux moyens sont purement et simplement écartés par le Conseil d’Etat après formulation d’un nouveau principe selon lequel les vices de forme et de procédure ne peuvent être invoqués contre un acte règlementaire après l’expiration du délai de recours contentieux ; implicitement mais nécessairement au nom là encore de la sécurité juridique.
En conséquence, ces types de vice ne peuvent plus être invoqués :
- dans le cadre d’une action par voie d’exception dans le cadre d’un recours contre une décision administrative ultérieure prise pour l’application de l’acte règlementaire (« l’exception d’illégalité »),
- ni dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger l’acte règlementaire (comme c’était le cas dans l’espèce).
Restent cependant invocables les moyens de légalité interne, c’est-à-dire ceux relatifs à « la légalité des règles fixées par l’acte règlementaire », ainsi que les moyens relatifs à la compétence de l’auteur ou à l’existence d’un détournement de pouvoir.
Notons que cette décision présente également un intérêt pour le mode d’emploi très clair qu’elle propose des modalités de recours à l’encontre d’un acte règlementaire.
Pour le praticien du contentieux de l’urbanisme, le nouveau principe fait immédiatement écho aux dispositions de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme selon lesquelles l’illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un document d’urbanisme ne peut être invoquée par voie d’exception après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document en cause.
Comme dans le cas de la jurisprudence Czabazj, le nouveau principe apparaît encore contra legem au contentieux de l’urbanisme, une lecture a contrario de cet article L. 600-1 semblant explicitement permettre la contestation d’un document d’urbanisme, acte qui présente à n’en pas douter un caractère réglementaire, pendant un délai de six mois…
On verra quelles seront les conséquences de ce revirement de jurisprudence sur la substance du droit au recours : certaines obligations de forme et de procédure sont d’une telle importance qu’elles impactent le fond de la règle fixée par l’acte règlementaire (ainsi par exemple de certaines consultations obligatoires dans les matières techniques…)…raison pour laquelle aux termes de sa décision Danthony, le Conseil d’Etat avait à l’époque (peut-être plus subtilement que dans cette nouvelle décision) fait la différence entre ceux des vices qui doivent être considérés comme substantiels de ceux qui ne le sont pas, en considération de l’effet réel du vice sur le sens de la règle finalement adoptée.