Par Mathieu DEHARBE, Juriste (Green Law Avocats)
Par deux décisions en date du 28 décembre 2022 (req. nos 444845, 448846 et n° 447330), la Haute juridiction a rejeté le recours d’associations concernant le délai supplémentaire accordé pour la réalisation de travaux de réparation de soudures de l’EPR de Flamanville ainsi que l’autorisation de réaliser les premiers essais de fonctionnement. (téléchargeable ci-dessous).
En particulier, les associations requérantes ont demandé au Conseil d’État :
- d’abroger le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base « Flamanville 3 », comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville ;
- d’annuler le décret n° 2020-336 du 25 mars 2020 modifiant le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 prévoyant une prolongation du délai de mise en service de l'installation ;
- d’annuler la décision n° 2020-DC-0693 8 octobre 2020 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant la mise en service partielle de l’INB de Flamanville 3.
1. Sur la légalité du décret du 25 mars 2020
Sans qu’il juge nécessaire de saisir la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE), le Conseil d’Etat considère, d’une part, que l’adoption du décret du 25 mars 2020 ne méconnaît pas l’obligation d’actualiser l’évaluation environnementale, voire n’impliquait pas à une nouvelle évaluation ou encore de saisir l’autorité environnementale.
En effet, selon la Haute juridiction administrative, les travaux prévus par le décret ne modifient pas la réalité physique du site de l’installation.
D’autre part, pour le Conseil d’Etat juge, le décret du 25 mars 2020 ne devait pas être soumis à une procédure de participation du public, sachant que le projet a déjà fait l’objet d’un débat public ainsi que d’une enquête publique.
De plus, ce décret n’entraine aucune modification de la réalité physique de l’installation, ni nouvelle incidence sur l’environnement.
Au surplus, la Haute juridiction note que la société EDF dispose des capacités techniques et financières nécessaires pour conduire le projet de création de l’INB Flamanville 3 :
- bénéfice d’une décision du Conseil d’Etat rejetant le recours contre l’autorisation de l’ASN pour la mise en service et l'utilisation de la cuve du réacteur ;
- plan de recrutement et formation de soudeurs de 100 millions d’euros ;
- réparation et remises à niveau des soudures jugées satisfaisantes par l’ASN ;
- mise en service de l’INB possible malgré les anomalies dans la cuve du réacteur et les soudures des tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur.
2. Sur la légalité du décret du 10 avril 2007
Le Conseil d’Etat estime que le décret du 10 avril 2007 ne doit pas être abrogé dès lors que :
- les associations requérantes ne démontrent pas que la mise à jour de l’évaluation environnementale serait une condition du maintien de l’autorisation de création de l’installation nucléaire de base Flamanville 3 résultant du décret du 10 avril 2007 ;
- qu’il n’est pas établit que la société EDF ne disposerait pas des capacités techniques et financières pour conduire le projet de création de l’INB dans le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1 du code de l’environnement.
3. Sur la légalité de la décision n° 2020-DC-0693 du 8 octobre 2020 de l’ASN
Au titre de la légalité externe de la décision de l’ASN, le Conseil d’Etat a écarté plusieurs moyens.
Tout d’abord, les associations ne peuvent affirmer qu’une décision implicite de l’ASN de rejet était née sur la demande d’autorisation de mise en service formée par EDF, ni, en tout état de cause, que l’ASN se trouvait dessaisie de cette demande et n’avait plus compétence pour accorder l’autorisation sollicitée.
Ensuite sans qu’il soit nécessaire de saisir la CJUE, le Conseil d’Etat estime que les requérantes ne démontrent pas que la décision de l’ASN serait irrégulière faute d’une actualisation de l’étude d’impact ou d’une demande d’avis à l’autorité environnementale sur la nécessité d’une telle actualisation :
- elles ne font état d’aucun élément sur une identification ou une appréciation incomplète sur les incidences du projet ;
- les incidences de l’INB ont été évaluées dans une étude présentant l’ensemble des impacts de la construction et de l’exploitation du réacteur ;
- il n’est pas exigé de verser au dossier de demande de mise en service une mise à jour de l’étude d’impact réalisée préalablement à la délivrance de l’autorisation de création de l’INB.
- les enjeux de radioprotection liés à la manutention du combustible nucléaire et les conséquences radiologiques d’un accident sont faibles et le risque de criticité est exclu ; ;
- les quantités totales de gaz traceurs radioactif dans les essais de filtration représentent des pourcentages très faibles des limites annuelles de rejet de gaz fixées par l’ASN pour les trois réacteurs de Flamanville ;
- l’Autorité a considéré que les retards constatés ne révélaient pas l’impossibilité pour l’exploitant de mener à terme le chantier.