Par Me Sébastien BECUE – Green Law Avocats
Les arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation abordent une question aux effets pratiques parfois radicaux, puisqu’elle se prononce sur le point de départ de la prescription de l’action en garantie des vices cachés (Civ. 3, 8 déc. 2021, n°20-21.439 et 25 mai 2022, n° 21-18.218).
La troisième chambre civile de la Cour de cassation fait ici preuve de résistance sur cette question procédurale liée aux droits de l’acquéreur d’un bien affecté de vices cachés.
Rappel des règles de délai en matière de garantie des vices cachés
Pour mémoire, l’obligation de garantie de vices cachés du vendeur est encadrée par deux délais :
une prescription de deux ans pour l’action, et un délai de cinq ans pour l’obligation.
- En premier lieu, l’article 1648 du code civil, qui prévoit l’action en garantie des vices cachés, indique qu’elle « doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice » ;
- En second lieu, l’obligation de garantie constitue une obligation commerciale soumise à prescription de cinq ans en application de l’article L. 110-4 du code de commerce qui prévoit que « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».
Le débat jurisprudentiel sur le point de départ du délai de prescription
La problématique est celle du point de départ. Si l’article 1648 du code civil précise, conformément au droit commun de la prescription, que le délai court à compter de la découverte du vice, aucun point de départ n’est précisé par l’article L. 110-4 du code de commerce.
La première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour considèrent que le point de départ du délai de cinq ans est le jour de la vente du bien. On comprend bien l’idée : l’obligation naît de la vente et se prescrit donc cinq ans après – il faut bien à un moment libérer le vendeur de son obligation.
Sauf que cinq ans, c’est évidemment trop court.
Prévoir un délai de prescription cinq années après la vente, sans considération pour la nature du bien vendu, dont la durée de vie attendue peut parfois dépasser plusieurs dizaines d’années, c’est encourager l’obsolescence programmée. Ainsi, pour les biens à durée de vie longue, le conseil du praticien pourrait bien être de former, par précaution, un recours avant la fin du délai de cinq années…
C’est exactement dans ce contexte que s’inscrivent deux récents arrêts de la troisième chambre (des 8 décembre 2021 et 25 mai 2022), compétente en matière de construction et d’immobilier, et probablement la plus habituée, à ce titre, aux affaires impliquant des biens à durée de vie longue.
Les deux affaires ont trait à des biens utilisés en toitures de bâtiment (respectivement des tuiles et des plaques en fibrociment). Dans la première affaire, le bâtiment est construit en 2008 et le sinistre se révèle en 2014. Pour la seconde, la construction date également de 2008, et le sinistre de 2018.
Si l’affaire s’était trouvée devant la chambre commerciale ou la première chambre civile, l’action des deux acquéreurs aurait été prescrite…alors même qu’ils ne pouvaient, par hypothèse, agir plus tôt et que les sinistres relevaient bien de la garantie des vices cachés.
Selon la 3ème chambre de la Cour de cassation, le point de départ du délai de prescription de l’action est le jour de la découverte du vice
Il incombe au juge d’être créatif lorsque la loi est mal pensée et que le législateur ne réagit pas suffisamment rapidement : la troisième chambre civile s’attaque frontalement au problème en retient une solution alternative à celle des deux autres chambres.
Après avoir noté que l’article L. 110-4 I du code de commerce ne précise pas le point de départ du délai de prescription de cinq ans, la 3ème chambre juge qu’il convient de se référer au régime général de la prescription civile, et en particulier à l’article 2224 du code civil qui prévoit que les actions se prescrivent « par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Le délai d’action en garantie des vices cachés de deux ans est donc bien compris dans le délai de prescription de cinq ans de l’obligation, mais ces deux délais trouvent leur point de départ commun dans la découverte du vice.
Et, comme il faut bien trouver un terme non lié à la découverte du vice pour protéger le vendeur qui ne peut être tenu indéfiniment, l’obligation de garantie en vice caché se prescrit, là encore en référence au régime général, au délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit.
Espérons que ces deux décisions auront pour conséquence d’intéresser le législateur à la question. Ou à défaut, que les autres chambres trouvent dans ces arrêts la preuve de l’iniquité de leur solution et adhèrent à celle de la troisième.