Par maître THOMAS RICHET (Green Law Avocats)
La réforme de l’autorisation environnementale unique par l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale s’est efforcée de moderniser les pouvoirs du juge de plein contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement. Comme toutes les réformes, cette ordonnance apporte son lot d’interrogations… Ainsi la cour administrative d’appel de Douai n’a pas hésité à poser les questions indispensables à la mise en œuvre efficace de ce nouveau dispositif dans le cadre d’une demande d’avis au Conseil d’Etat (CAA Douai, 16 décembre 2017, n°15DA01535, « Association Novissen et autres »).
Dans cette affaire dite « des 1000 vaches », le préfet de la Somme a autorisé par un arrêté du 1er février 2013 la SCEA Côte de la Justice (ci-après la « SCEA ») à exploiter un élevage bovin de 500 vaches laitières, un méthaniseur et une unité de cogénération (1,338 MW électrique, 1,75 MW thermiques) sur le territoire de la commune de Buigny-Saint-Maclou et de Drucat-Le-Plessiel.
Par un jugement du 30 juin 2015, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté la demande de l’association Novissen et autres visant à demander l’annulation de cette autorisation. Ces derniers ont d’interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Douai.
Après avoir constaté que les justifications en matière de capacités financières étaient insuffisantes et viciaient donc la phase de l’enquête publique (I.), la cour s’est interrogée sur les pouvoirs du juge du plein contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (II.).
I/La question des capacités financières et de la bonne information du public lors de l’enquête publique
Après avoir rejeté de nombreux moyens relatifs notamment à l’incomplétude du dossier de demande initiale, à l’analyse des conditions de remise en l’état du site, à la production de l’avis des personnes publiques au dossier d’enquête, ou encore aux capacités techniques du pétitionnaire, la cour a examiné la problématique des capacités financières de l’exploitant.
Cette dernière pose actuellement de réelles difficultés aux juridictions (Cf. Jugement du TA de Lille, portant également une demande d’avis au Conseil d’Etat, en date du 14 décembre 2017, req. n°1602467, « Association « Non au Projet Eolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis » et autres »), mais aussi et surtout, aux exploitants (Cf. notre précédent commentaire sur le sujet).
- L’obstacle des capacités financières
Par une lecture combinée des articles L. 521-1 et R. 123-6 du code de l’environnement, la cour indique que, pour permettre une bonne information du public lors de l’enquête publique, le dossier d’enquête doit comprendre la demande d’autorisation initiale et donc les capacités financières prévues au 5° de l’article L. 512-3 du code de l’environnement.
En l’espèce, les juges considèrent que les justifications relatives aux capacités financières ne sont pas suffisantes.
A ce titre, ils relèvent tout d’abord que le dossier ne comporte « aucune précision sur les capacités financières dont dispose, en propre, la SCEA Côte de la Justice, tels par exemple des éléments de bilans et de comptes de résultats » alors même que le projet nécessite de lourds investissements. En effet, le dossier de demande d’autorisation mentionne un investissement de 12 millions d’euros et la nécessité d’une injection de trésorerie à hauteur de 1,5 millions d’euros. De même, alors que le projet « doit se réaliser sous la forme d’un montage administratif et financier dans lequel [la SCEA] doit bénéficier du soutien financier des sociétés Ramery SA et Ramery environnement, il résulte de l’instruction que ne figurait au dossier aucun élément probant de nature à lui permettre d’accréditer ces allégations ». Enfin, l’atelier de méthanisation ne faisait pas l’objet d’un document prévisionnel d’exploitation, et ce, contrairement à l’atelier laitier.
- Des études financières confidentielles remises au préfet
La SCEA soutenait pourtant que « deux études financières avaient été remises à la préfecture sous condition de confidentialité » et que cette information figurait au sein de la présentation des garanties financières du dossier d’enquête publique.
Or, le juge a relevé sur ce point qu’ « il n’est pas établi ni même allégué (…) qu’aucune information concrète n’était susceptible d’être produite dans le dossier soumis à enquête publique, tant en ce qui concerne les éléments financiers de base concernant la SCEA Côte de la Justice ou ses partenaires financiers que la nature juridique des liens les unissant pour la mise en œuvre de ce projet, sans méconnaître d’éventuelles règles de confidentialité qu’il se serait agi de protéger ».
On peut s’interroger sur la pertinence de la délivrance d’une telle information au public. En effet, pouvait-il la comprendre ? Etait-elle véritablement nécessaire pour permettre au public de comprendre les caractéristiques du projet et ses enjeux ? On retrouve ici un scénario assez comparable à l’affaire qui donné lieu à la jurisprudence ARF : là aussi ce sont des informations retirées du dossier d’enquête publique et relatives aux capacités financières du prétendant à l’exploitation d’un incinérateur qui avaient justifié que le Tribunal administratif d’Amiens annule l’autorisation d’exploiter, en considérant que l’irrégularité n’était pas ‘danthonisable » (TA Amiens, 21 avril 2009, Sté ARF, nos 0601680-0601803-0700315/ CAA Douai, 17septembre 2009,
N° 09DA00765). Or il est essentiel de rappeler cette précision de l’arrêt ARF du Conseil d’Etat que nombre de juridictions oublient aujourd’hui lorsqu’elles contrôlent la légalité externe du dossier d’enquête publique à l’aune de la régularité de la présentation des capacités techniques et financières : « contrairement à ce qui est soutenu, la cour a ce faisant recherché si, en l’espèce, l’absence de ces indications dans le dossier soumis à l’enquête publique avait eu pour effet de nuire à l’information complète de la population »… C’est bien une obligation du juge d’apprécier au cas par cas si certaines informations sur les capacités financières sont ou non nécessaires au public (CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 15/05/2013, 353010).
Quoi qu’il en soit, la cour a relevé que l’incomplétude du dossier soumis à enquête publique, du fait de ce manque de justification des capacités financières, a pu nuire à la bonne information du public et que ce vice était de nature à entacher d’illégalité de l’arrêté d’autorisation du préfet.
Ayant certainement anticipé cette difficulté, la SCEA a sollicité l’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
II/ L’épineuse question des nouveaux pouvoirs du juge administratif issus de l’article L. 181-18 du code de l’environnement
A titre subsidiaire, la SCEA demandait à la cour, dans l’hypothèse où un vice serait de nature à affecter la légalité de l’autorisation délivrée par le Préfet, de surseoir à statuer en vertu des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement issues de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, et ce, dans l’attente de la délivrance d’une autorisation modificative.
Cet article dispose que : « I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : 1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demander à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ; 2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.
II.- En cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l’autorisation environnementale, le juge détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation non viciées. »
Cette demande, présentée à titre subsidiaire, a amené la cour à se poser deux séries de questions.
- La question de l’applicabilité dans le temps des dispositions de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale
La première question concerne l’applicabilité dans le temps de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
Sur ce point, le juge indique qu’ « aux termes de l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale : » Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : 1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance (…) avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code (…) ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont (…) contestées (…) « ».
Selon la cour, les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement étaient donc applicables au présent litige.
- La question des pouvoirs du juge administratif en matière d’autorisation environnementale
La seconde question concerne les pouvoirs du juge du plein contentieux dans le cadre du contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement.
A ce stade de l’arrêt, la cour a constaté le vice affectant la phase d’instruction de la demande d’autorisation du fait de l’insuffisance des justifications des capacités financières de l’exploitant lors de l’enquête publique. Or, la SCEA dans le cadre d’une lecture combinée des 1° et 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, sollicitait du juge, « dans l’hypothèse où la cour estimerait un des moyens fondés, de faire usage des pouvoirs prévus par l’article L. 181-18 du code de l’environnement et de surseoir à statuer dans l’attente de la délivrance d’une autorisation modificative ».
Une telle demande pose indéniablement la question de l’office du juge dans ce type de contentieux.
En effet, si le 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement prévoit la possibilité pour le juge de surseoir à statuer dans l’attente d’une autorisation modificative qui doit intervenir dans un délai qu’il aura préalablement fixé, ce pouvoir reconnu au juge par le législateur est lié au vice tiré de l’illégalité de l’autorisation environnementale initiale. Il ne vise pas expressément le cas du vice n’affectant qu’une phase de l’instruction prévu au 1° du même article.
Le juge administratif pouvait-il combiner les pouvoirs qui lui sont octroyés au sein du 1° et du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ? Cette seconde question, plus complexe, a donc amené la cour à solliciter l’avis du Conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative.
Cette demande d’avis formule les quatre questions suivantes :
1°) La combinaison des dispositions du 1° et du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement permet-elle à la juridiction administrative d’ordonner le sursis à statuer en vue d’une régularisation lorsque le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation ou ces dispositions sont-elles exclusives l’une de l’autre ?
2°) Les dispositions du II de l’article L. 181-18 du code de l’environnement concernant les cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant » une partie seulement de l’autorisation environnementale » sont-elles applicables lorsque le juge met en oeuvre les dispositions du 1° en limitant la portée de l’annulation qu’il prononce à la » phase de l’instruction » viciée ? Dans le cas où ces dispositions ne seraient pas applicables dans un tel cas, peut-on faire application de la règle posée par la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, du 15 mai 2013 ARF n° 353010 concernant l’office du juge lorsqu’il annule une autorisation relative à l’exploitation d’une installation classée ?
3°) Dans l’hypothèse où la juridiction administrative se plaçant sur le terrain du 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, prononce une annulation limitée à une phase de l’instruction de la demande et enjoint à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase de l’instruction ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité, cette autorité administrative doit-elle nécessairement prendre une nouvelle décision à l’issue de cette procédure ? La juridiction peut-elle le lui ordonner ?
4°) Lorsque la mise en service de l’installation a eu lieu à la date à laquelle la juridiction administrative statue, y a-t-il encore lieu, au regard notamment des dispositions du 3° du I de l’article D. 181-15-2 du code de l’environnement, d’exiger la régularisation de cette phase de l’instruction alors que l’autorité administrative compétente est réputée avoir reçu, au plus tard à la date de cette mise en service, les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières qui auraient pu manquer initialement au dossier ? Si une telle régularisation doit continuer à être exigée, y a-t-il lieu d’ordonner une nouvelle enquête publique si le défaut d’information se situait à ce stade de la phase d’instruction ? ».
L’avis du Conseil d’Etat sur ces questions ne devrait pas tarder à être délivré puisque que ce dernier dispose, en principe, d’un délai de trois mois à compter de la transmission de l’arrêt de la cour pour répondre. Espérons que les 1000 vaches bénéficieront de la part du juge d’autant de compensation que celle qui en son temps a crevé l’écran avec un célèbre prisonnier !