Le cheptel, l’antenne et des juges …

Le cheptel, l’antenne et des juges …

Par Maîtres David DEHARBE et Marie KERDILES (Green Law Avocats) L’ordonnance ci-dessous reproduite est rendue sur le fondement sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative qui permet au juge des référés de prononcer ce qu’on appelle couramment toute mesure utile : « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ». Saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l’urgence justifie, notamment sous forme d’injonctions adressées à l’administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. Enfin, il ne saurait faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu’il ne s’agisse de prévenir un péril grave. Or voilà une espèce rare en matière de contentieux d’antenne relai de téléphonie mobile (TA Clermont-Ferrand, ord., 24 mai 2022, n° 2200944) et qui pourrait bien  avoir une grande portée pratique. Tout commence avec l’action d’un GAEC se consacrant à l’élevage  et qui tend à obtenir l’interruption provisoire d’une antenne de radiotéléphonie mobile pour trois mois au titre d’une mesure utile de la part du juge administratif , ceci dans le cadre d’une expertise engagée contre la même antenne devant le juge judiciaire. A la suite de la mise en service d’une antenne de radiotéléphonie mobile de la SA Orange le 28 juin 2021 sur la commune de Mazeyrat d’Allier, à 250 mètres de l’exploitation laitière du GAEC de Coupet, une baisse importante de qualité et de quantité du lait produit, un trouble grave dans le comportement du cheptel et sa dénutrition volontaire et des décès anormalement élevés ont été constatés, notamment par l’expert judiciaire, M. A…, depuis le mois de juillet 2021 jusqu’à aujourd’hui, après visite des installations. Ainsi, il ressort du tableau dressé par le groupement requérant que, si la production moyenne de lait en 2019 était de 60214 litres par mois et de 66934 litres par mois en 2020, cette production, à la suite de la mise en service de l’antenne, est descendue en moyenne à 43000 litres par mois en 2021 et à 42500 litres par mois en 2022. Le juge des référés du tribunal du Puy en Velay a donc désigné un expert pour examiner l’existence de troubles anormaux de voisinage par une ordonnance du 18 février 2022 en mettant en cause la SA Orange. Cependant, cette ordonnance de référé du tribunal judiciaire du Puy-en-Velay du 18 février 2022, désignant M. A… en tant qu’expert, indique que : « la mission proposée par le GAEC de Coupet prévoit la suspension temporaire du fonctionnement de l’antenne pendant une partie des opérations d’expertise. Si effectivement une telle mesure aurait le mérite de permettre de constater in situ l’éventuelle différence de comportement des bovins, tel que décrit par leur propriétaire, lorsque l’antenne n’émet plus, le juge judiciaire n’est pas compétent pour ordonner une telle suspension, et encore moins l’expert qu’il désigne. A toutes fins utiles, la présente décision sera communiquée pour information au préfet de la Haute-Loire ». Mais c’est en vain que le préfet s’adresse effectivement à son Ministre qui va demeurer silencieux et c’est donc le GAEC qui très astucieusement saisit le juge des référés administratifs de la demande de suspension provisoire de l’antenne au titre d’une mesure utile. On l’aura compris l’antenne relai en question a été dument autorisée et son autorisation d’urbanisme purgée de tous recours, l’antenne fait l’objet d’un contentieux du trouble anormal de voisinage qui s’il relève du juge judicaire implique une suspension provisoire pour mener à bien une expertise judiciaire de ses effets … mesure que seul le juge administratif peut ordonner. En effet, comme le rappelle en l’espèce le juge clermontois : « l’action tendant, quel qu’en soit le fondement, à obtenir l’interruption, même provisoire, de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ». Effectivement la jurisprudence est ici désormais parfaitement établie depuis un décision du Tribunal des conflits (TC, 14 mai 2012, n° C-3844, C-3846, C-3848, C-3850, C-3854 reproduits in CPEN – cf. B. Steinmetz, « Antenne relais de téléphonie mobile et pluralité de compétences juridictionnelles », Environnement n° 8, Août 2012, comm. 72 ; cf. également la décision TC, 15 oct. 2012, n° 3875). Par deux décisions en date du 17 octobre 2012 (pourvois téléchargeables sur doctrine :  n° 10-26.854 et n° 11-19.259  – Cf. notre commentaire), la Première chambre civile de la Cour de cassation confirmera l’incompétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux relatif à l’implantation des antennes relais, tout en se reconnaissant compétente en matière d’indemnisation des dommages causés par ces mêmes installations. Et au final, l’ordonnance en déduit fort logiquement que « Nonobstant le fait que les titulaires d’autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d’une mission de service public, il n’appartient qu’au juge administratif, par application du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, de connaître d’une telle action ». Ainsi l’action du GAEC tendant à obtenir l’interruption provisoire d’une antenne de radiotéléphonie mobile n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative et l’exception d’incompétence soulevée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance et la société Free mobile se voit être écartée. Et in fine le juge administratif clermontois accepte d’ordonner la suspension provisoire au motif qu’il a le pouvoir de le faire et que l’urgence l’exige. D’une part,…

Rodéos urbains : condamnation de l’Etat

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Dans  les  communes  où  la  police  est  étatisée,  le maire  est  compétent  pour  réprimer  les  atteintes  à  la  tranquillité  publique  en  ce  qui  concerne uniquement les troubles de voisinage, le représentant de l’Etat dans le département étant pour sa part  compétent  pour  réprimer  les   autres   atteintes  à  la  tranquillité  publique  au  sens  des dispositions du 2° de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales. Lorsque le  préfet  des  Bouches-du-Rhône  assure,  sur  le  territoire de  la  commune  de  Marseille,  les  missions  de  police  municipale  qui  lui  sont  attribuées  par  les dispositions de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, la responsabilité de  l’Etat  peut  être  recherchée  pour  les  « fautes  simples » éventuellement  commises  dans  l’exercice  de  ces missions dans les conditions fixées par l’article L. 2216-2 du même code Ainsi selon le Tribunal administratif de Marseille « malgré  plusieurs  saisines  de Mme A…depuis  2012,  complétées  par des  appels  téléphoniques  fréquents  au  commissariat  de  quartier  et l’intervention du collectif «Vivre   au   Verduron», le   préfet   de   police   des   Bouches-du-Rhône a   pris   des   mesures insuffisantes pour restaurer la tranquillité publique sur les parties du boulevard Henri Barnier, du rond-point  Louise  Michel  et  de  la  rue  Georges  de  Beauregard  concernées  par  le  déroulement régulier de rodéos motorisés. Cette circonstance constituant une faute de la part de l’Etat, elle est susceptible  d’engager  sa  responsabilité.  Il  convient  de  considérer  que Mme A…a  subi des nuisances sonores à raison de plusieurs jours par semaine depuis au moins 2012. Il sera fait une juste appréciation des préjudices de toute nature, subis par la requérante, en condamnant l’Etat à lui  verser  une  somme  de 10000  euros,  augmentée  des  intérêts  au  taux  légal  à  compter  de  sa demande  préalable  reçue  le  2octobre2017.  La  capitalisation  des  intérêts a  été  demandée 1er février 2018. Il  y  a  lieu  de  faire  droit  à  cette  demande  à  compter  du 2 octobre2018, date  à laquelle  était  due,  pour  la  première  fois,  une  année  d’intérêts,  ainsi  qu’à  chaque  échéance annuelle à compter de cette date ». Et le jugement comporte cette réplique cinglante faite à la défense de l’Etat : « Si  l’interpellation  des  conducteurs  des  engins  présente  un  danger  pour  ces personnes,  pour  les  agents  de  police  ainsi  que  pour  les autres usagers,  cette  circonstance n’exonère pas les  services  compétents  de  leur  obligation  de  prendre des  mesures  appropriées pour assurer un niveau raisonnable de tranquillité publique ».

Riverains de la pollution de l’usine Lubrizol : comment obtenir réparation ?

Par David DEHARBE, avocat associé gérant (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, installation classée pour la protection de l’environnement et Seveso seuil haut, a été déclaré éteint le vendredi 27 septembre. Circulez, rien à voir tout va très bien il n’y a pas de risque sanitaire selon les pouvoirs publics. Il n’y a “pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués”, a assuré la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne. Il n’en demeure pas moins  que la pollution est bien présente au-delà même de l’incertitude qui entoure d’éventuelles pollutions sanitaires directes : des galettes d’hydrocarbures ont fait leur apparition sur la Seine, à Rouen et la suie à couvert à plusieurs kilomètres à la ronde les jardins. A minima les riverains sont contraints de prendre des mesures de prévenir la migration de la pollution : détruire leur légumes, renoncer à les consommer … etc. Et plus grave : les sols sont sans aucun doute impactés. Le droit de l’environnement permet avec certitude la réparation des préjudices ainsi subis (cf. notre ouvrage : Sébastien BECUE et David DEHARBE, Assurer le risque environnemental des entreprises, éditions de l’Argus de l’assurance).   D’abord une action en trouble de voisinage devant le juge judiciaire permettra assurément à tout riverain d’obtenir la remise en état de sa propriété ou de sa parcelle louée. Cette action est très simple à engager car il ne faut pas démontrer la faute de l’industriel mais seulement l’existence d’un lien de causalité entre la pollution causée par l’industriel et le préjudice anormal subi par le riverain. De surcroît les associations agréées de protection de l’environnement comme les collectivités territoriales impactées  peuvent encore agir contre l’exploitant de l’installation Seveso en réparation du préjudice écologique subi par leur territoire. Ainsi le préjudice écologique après avoir été consacré par le juge (cf. par ex. :Le préjudice écologique reconnu suite à la pollution de l’estuaire de la Loire par la raffinerie de Donges (CA RENNES, 9 déc.2016) ) a été intégré dans le code civil : “Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer” (Article 1246, créé par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 – art. 4). Ajoutons que s’agissant du préjudice écologique et du risque sanitaire une action dite de groupe à l’américaine est désormais ouverte, via une association agréée. On doit aussi signaler que sur le terrain assurantiel tous les contrats d’assurance de biens des particuliers (multirisques habitation, multirisques automobile) comportent obligatoirement une garantie qui couvre les catastrophes technologiques. La garantie peut être déclenchée si l’accident rend inhabitable au moins 500 logements et qu’un arrêté de catastrophe technologique précisant les zones et la période de survenance des dommages est publié au Journal officiel dans les quinze jours qui suivent la catastrophe. L’assuré doit déclarer le sinistre au plus tôt et respecter dans tous les cas le délai indiqué dans le contrat. On verra ce qu’il en sera ici et surtout si les collectivités locales vont exiger de l’Etat qu’il prenne un arrêté de catastrophe technologique. Pour les riverains le nettoyage des suies persistantes sur leurs biens en serait grandement facilité. Enfin on peut encore s’interroger sur d’éventuelles carences de l’Etat dans le contrôle de l’installation classée au regard de l’importance des zones impactées. Là aussi une action en responsabilité de l’Etat devant la juridiction administrative serait sans doute pertinente. Ainsi au-delà des actions pénales très médiatiques, le droit de la responsabilité civile en ce compris la réparation du préjudice environnemental devrait plus discrètement mais surement permettre d’assurer les réparations qui s’imposent. Si l’affaire AZF a accouché d’actions juridictionnelles bien décevante, la conscience environnementale du moment parait au contraire réellement favorable à ce que l’affaire de l’usine Lubrizol suscite des actions juridictionnelles exemplaires … les pistes ne manquent pas !  

Risques industriels et troubles anormaux du voisinage : les répercussions des pollutions de Fos-sur-Mer

Par Graziella Dode, Ségolène Reynal et Fanny Angevin – Avocates – Green Law Avocats Une récente étude produite par une association de protection du littoral du golfe de Fos a fait grand bruit en dévoilant que de nombreux aliments cultivés aux alentours de la zone industrielle auraient été contaminés par des rejets industriels. La zone industrielle de Fos-sur-Mer est une des plus grandes en Europe. L’étude produite, indique notamment des pollutions liées à la dioxine, à des dépassements pour les composés organiques volatils ou encore les oxydes d’azote. L’ampleur de cette pollution et de ses conséquences sur les riverains de la zone, qui auraient notamment retrouvé des traces de ces polluants dans de la viande élevée à proximité ou encore dans des œufs, rappelle que les victimes d’activités polluantes, caractérisant un préjudice direct et certain, pourraient engager des actions en troubles anormaux du voisinage à l’encontre des sociétés exploitantes. La théorie du trouble anormal de voisinage est d’origine prétorienne : le juge judiciaire doit donc apprécier souverainement l’existence d’un trouble invoqué par un requérant (Civ. 2e, 19 novembre 1986, n° 84-16.379). La particularité de cette responsabilité est qu’elle est autonome : nul besoin de démontrer l’existence d’une faute pour obtenir l’application de ce fondement, bien qu’elle soit engagée au titre de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382 du Code civil). Mais le trouble anormal ne se déduit pas de la seule violation d’une norme ou d’une prescription (Civ. 2e 28 mai 2005, n°06-19.027). Plusieurs critères doivent cependant être réunis pour pouvoir appliquer ce fondement. Tout d’abord, une relation de voisinage doit exister. Sachant que la notion de voisinage est entendue largement par le juge judiciaire. Mais encore, devront être démontrés, l’existence d’un trouble qui doit être « anormal », l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain et l’existence d’un lien de causalité entre le trouble et le préjudice. Et il convient de rappeler que l’exception de préoccupation exonère l’auteur du trouble de toute responsabilité : en effet, les personnes qui auraient décidé de s’installer sur un fonds postérieurement à l’implantation d’une activité qui est polluante, ne peuvent se prévaloir d’une action en trouble anormal du voisinage en vue d’une réparation de leur préjudice (art. L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation). Néanmoins, à ce titre, la Cour de cassation a déjà considéré que l’activité qui est source de nuisances doit être conforme aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur (Civ. 3e, 27 avr. 2000, n° 98-18.836) et surtout ne pas avoir fait l’objet d’une augmentation de capacité synonyme d’une aggravation des nuisances pour le voisinage. ADe nombreux arrêts ont déjà prononcé la responsabilité d’industriels sur le fondement du trouble anormal de voisinage : Pour le trouble causé par une centrale à béton ( 3e, 14 janv. 2014, n° 13-10.167) ; Pour des pollutions diverses (co-visibilité, bruit – 2e, 28 mai 2009, n°06-19.027) ; Le débordement d’eaux souillées par des hydrocarbures provoqué par les camions d’une entreprise de transports ( 2e, 21 févr. 2002, n° 98-19.338) ; La teneur anormale en hydrocarbures dans l’eau d’un fossé résultant de l’activité d’une usine de fabrication de peinture ( 2e, 1er mars 1989, n° 87-19.813) ; La pollution de l’eau issue de forages alimentant plusieurs propriétés, due à l’exploitation d’une porcherie et, plus particulièrement aux opérations d’épandage et à l’infiltration de lisiers dans les sols (CA Aix-en-Provence, 21 juin 1988, n° 87/1237) ; La pollution d’une amenée d’eau par des produits provenant d’une scierie ayant entraîné la mort de truites appartenant à une pisciculture ( 2e, 7 juin 1989, n° 88-11.147) ; Les infiltrations d’hydrocarbures dans le sous-sol d’un pavillon résultant de l’exploitation d’une station-service à proximité (CA Paris, 17 mai 1985) ; Le fait de laisser se répandre dans le réseau d’évacuation des eaux d’une commune, des PCB, substances polluantes, qui se retrouvent dans les boues de la station d’épuration de la commune (CA Besançon, 1ère civ., sect. A, 29 sept. 2010, n° 07-01778). A l’inverse, d’autres arrêts ont écarté la responsabilité d’industriels sur ce fondement : Pour le déversement de lixiviat d’oxyde ferrique sur la parcelle d’un fermier ( 2e, 8 mars 2012, n° 11-14.254) ; Pour la présence en petites quantités de pesticides (dinoterbe et dinosèbe) dans l’eau de puits ( 3e 10 mars 2016, n°14-29.515). Un des intérêts de l’action en troubles anormaux du voisinage c’est qu’elle autorise le juge civil à ordonner des mesures permettant de faire cesser le trouble en dépassant un éventuel laxisme administratif dans le contrôle des industriels ; à condition néanmoins que les mesures judiciaires  ne contrarient pas les prescriptions édictées par les autorités de police et n’empiètent pas sur la compétence du juge administratif. Ainsi à propos des éoliennes, la Cour de cassation a récemment jugé que “le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s’oppose, en effet, à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter ces installations, soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à obtenir l’enlèvement des éoliennes litigieuses, au motif que leur implantation et leur fonctionnement seraient à l’origine d’un préjudice visuel et esthétique et de nuisances sonores, impliquait une immixtion du juge judiciaire dans l’exercice de cette police administrative spéciale ” (Cass. 1ère civ, 25 janvier 2017, 15-25.526, Publié au bulletin, juris-data n°2017-000936 ; note Laurence Lanoy, DE n° 255, avril 2017, p. 139 ; AJDA 2017. 201, obs. Pastor ; Énergie-Env.- Infrastr. 2017. Focus 66, obs. Fourmon) . Mais si l’on réserve l’hypothèse particulière d’une demande de démantèlement ou de mise à l’arrêt des activités industrielles en cause, la pollution sur la zone de Fos-sur-Mer et ses enjeux sanitaires pourraient bien nous rappeler toute la vigueur de…

Le juge civil des référés décomplexé face à l’ICPE causant un trouble anormal à son voisinage (Cass, 14 janv.2014, n°13-10167)

Dans un arrêt en date du 14 janvier 2014 (C.cass, 14 janvier 2014, pourvoi n° 13-10167), la Cour de cassation confirme un arrêt de Cour d’appel, statuant en référé, ordonnant l’arrêt de l’activité d’une centrale à béton, sous astreinte de 700 euros par jour de retard, au titre de l’existence des troubles anormaux de voisinage. La Cour de cassation relève ainsi : « Attendu qu’ayant relevé que les attestations produites faisaient état de graves nuisances, que des constats d’huissier établissaient l’importance des dépôts de ciment et graviers maculant l’environnement immédiat du restaurant et celle des nuages de poussières provoqués par le passage des camions et que la police municipale avait relevé de nombreuses infractions de voirie, la cour d’appel statuant en référé, qui a justement retenu que les sociétés exploitantes de la centrale à béton devaient répondre des conséquences d’une exploitation gravement préjudiciable aux intérêts des tiers, a pu déduire de ses constatations, abstraction faite d’un motif surabondant relatif à l’existence d’un dommage imminent pour la pérennité de la société Pito, que les conditions d’exploitation de la centrale créaient pour cette société des nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage et que le trouble causé justifiait que soit ordonné l’arrêt de l’exploitation ». Cet arrêt souligne tout le potentiel juridique de la théorie des troubles anormaux de voisinage générés par une installation classées, de surcroît lorsque le juge civil statue en référé. D’abord, cet arrêt rappelle que dès lors que le code de l’environnement réserve les droits des tiers, la compétence exclusive du préfet en matière d’installations classées ne fait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l’exploitant ICPE pour troubles de voisinage devant le juge judiciaire (Cass. 2e civ., 22 janv. 1959 : Bull. civ. 1959, II, p. 46. – Cass. 2e civ., 29 mars 1962 : Bull. civ. 1962, II, p. 258. – Cass. 2e civ., 16 juill. 1969 : Bull. civ.1969, II, p. 184 Cass. 1re civ., 13 juill. 2004, n° 02-15.176, FS-P :      JurisData n° 2004-024670 ; Bull. civ. 2004, I, p. 174 ; Environnement 2004, comm. 111, obs. D. Gillig ; AJDA 2005, p. 1235, note M. Moliner-Dubost ; RD imm. 2005, p. 40, obs. F.-G. T. – Rép. min. n° 05959 : JO Sénat Q, 14 mai 2009, p. 1215) et donc, au cas particulier, à la constatation d’un trouble manifestement illicite par le juge des référés (Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 99-20.339, P, Divanac’h c/ Rannou : JurisData n° 2001-009553 ; Bull. civ. 2001, I, n° 135 ; RD imm. 2001, p.360, obs. M. B. ; RD imm. 2002, p. 370, obs. F.-G. T. ; D. 2001, p. 2242). Dans le cadre de cette théorie jurisprudentielle qui date du 19ème siècle, il n’est pas nécessaire, pour la victime, de démontrer la faute de voisin industriel au regard de son autorisation pour obtenir la cessation du trouble anormal de voisinage. Ce qui importe comme le rappelle la Cour c’est la démonstration d’une « exploitation […] préjudiciable aux intérêts des tiers ». Confronté à une action en trouble anormal, l’auteur du trouble ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité par la preuve de son absence de faute. La responsabilité  est engagée de manière objective dès que le trouble présente un caractère anormal et que le lien de causalité est établi entre le dommage allégué et le fait générateur invoqué. En l’espèce l’exploitation préjudiciable de l’installation se concrétise par des méconnaissances grossières des prescriptions élémentaires de fonctionnement d’une centrale à bitume. Mais rappelons que le seul respect des prescriptions techniques n’est pas exonératoire de responsabilité si la victime parvient à démontrer des conséquences résiduelles de l’exploitation encadrée en termes de dommage (Cass. 2e civ., 17 févr. 1993, n° 91-16.928, P : JurisData n° 1993-000172 ; Bull. civ. 1993, II, n° 68. Pour un cas extrême concernant des éoliennes non classées : TGI Montpellier, 17 septembre 2013, commenté ici). Gageons néanmoins que « la tendance générale en matière d’installations classées est en définitive de ne retenir l’existence d’un trouble anormal de voisinage que lorsque la réglementation n’a pas été respectée » (F. NESI, « Trouble anormal de voisinage et nuisances industrielles », Revue juridique de l’économie publique n° 696, Avril 2012,  étude 3). Ceci doit en particulier être le cas lorsque les seuils de pollution sont définis par des prescriptions ICPE, mais lorsque la règle est formulée sous la forme d’une obligation de moyen et non de résultat, la responsabilité de l’industriel n’en sera que plus exposée. Enfin et surtout  le juge des référés peut aller jusqu’à suspendre l’activité même de l’installation classée. Et c’est justement ce que confirme ici la Cour de cassation. Cette solution pour relativiser la séparation des autorités administratives et judiciaires n’est pas nouvelle : même si en principe il est interdit au juge judiciaire de « contrarie[r] les prescriptions édictées par l’Administration dans l’intérêt de la sûreté et de la salubrité publique» (Tribunal des conflits, 23 mai 1927 : S.1927, 3, p. 94), la Cour de cassation admet – sans doute contra legem – que les juridictions civiles en référé et sur la base de l’article 809 CPC puissent suspendre l’activité industrielle objet même de la police administrative (Cass. 2e civ., 10 nov. 2010, n° 09-17.147). Ainsi les exploitants d’installations classées ne peuvent ignorer l’insécurité juridique dans laquelle peut se trouver leur installation puisque leur respect des prescriptions imposées au fonctionnement de leur installation classée ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit mise en cause si leur activité génère des nuisances excédant un seuil normal pour le voisinage. La question sera alors de déterminer l’anormalité du seuil, en fonction d’un faisceau d’indices. David DEHARBE Aurélien BOUDEWEEL Green Law avocat