Quels recours contre les mesures COVID 19 ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM avocat Of counsel (GREEN LAW AVOCATS) A la suite des annonces datées du 23 septembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé, de nombreux arrêtés préfectoraux ont été édictés afin de renforcer les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19. A titre d’illustration, le préfet du Nord a publié, dans le recueil des actes administratifs n° 248 du 25 septembre 2020, trois arrêtés aux fins : de réduire le nombre maximum de personnes pouvant se réunir ou se rassembler sur la voie ou l’espace public, d’interdire le sport dans les établissements sportifs clos et couverts, de fermer les débits de boissons de 22h00 à 6h00.   Les arrêtés préfectoraux fixant des mesures destinées à la lutte contre le virus peuvent évidemment faire l’objet d’un recours juridictionnel dit « recours pour excès » de pouvoir devant le Tribunal administratif compétent. Reste que ce type de recours est dépourvu d’effet suspensif : en d’autres termes, l’acte continuera à être exécuté et à produire des effets juridiques tant que le juge ne prononcera pas son annulation. Or les délais moyens de traitement de ces recours sont en moyenne d’un an et demi. En réalité, une contestation efficace de ces arrêtés ne pourra intervenir que par la demande de suspension de ces actes. Il s’agit là de la seule possibilité d’interrompre les effets juridiques (et économiques) des mesures prises. A cet égard, deux types de procédures peuvent être envisagés : le référé « suspension » et le référé « liberté ». S’agissant du référé suspension, ce dernier est régi par les dispositions de l’article L521-1 du code de justice administrative (CJA). Cette procédure permet à l’auteur d’un recours au fond contre un acte de solliciter, en parallèle, la suspension de son exécution. Il est donc ici indispensable que le requérant ait formulé initialement une demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. La suspension d’un acte en vertu de l’article L521-1 du CJA suppose de démontrer, d’une part, l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte administratif, et d’autre part, un caractère urgent justifiant que le juge fasse droit à la demande de suspension. En l’espèce, la condition tenant à l’urgence de suspendre un arrêté préfectoral fermant notamment les salles de sport et les bars après 22h00 paraît relativement aisée à démontrer : en effet, le juge administratif considère traditionnellement que l’urgence s’attachant à la suspension d’un acte s’apprécie notamment compte tenu des effets préjudiciables que cet acte revêt pour le requérant. Au regard des conséquences économiques qu’emportent les mesures destinées à enrayer l’épidémie sur les restaurants, bars et salles de sport, il paraît ainsi vraisemblable que le juge des référés saisi reconnaisse l’existence d’une urgence. C’est davantage la condition du doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral contesté qui s’avérera certainement plus complexe à démontrer.  S’agissant du référé liberté, procédure prévue à l’article L521-2 du CJA, notons tout d’abord qu’il s’agit ici d’une procédure « autonome », contrairement au référé-suspension. En effet, sous l’angle de cette procédure, il ne sera pas exigé du requérant qu’il ait préalablement formé une demande d’annulation de l’acte contre lequel il forme un référé-liberté. Ensuite, le succès de cette procédure nécessite de remplir deux conditions cumulatives : la démonstration de l’urgence s’attachant à la demande, ainsi qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale causée par l’acte en litige. Cette procédure d’urgence, destinée à permettre au juge administratif d’assurer la protection des libertés fondamentales lorsque celles-ci sont bafouées par l’administration ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, impose que le magistrat se prononce dans les 48 heures suivant sa saisine. Bien que, dans le cadre du référé liberté, l’urgence soit appréciée de façon plus stricte par rapport au référé suspension, il est vraisemblable que cette condition soit aisément démontrable dans le cas d’une contestation de l’un des arrêtés préfectoraux précités. Plus ardue sera la démonstration de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. L’appréciation de cette condition s’effectue en effet en deux temps : le juge vérifie tout d’abord l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale, puis du caractère grave et manifestement illégal de cette atteinte. S’agissant des arrêtés préfectoraux précités, l’atteinte à une liberté fondamentale paraît caractérisée. En effet, la liberté de commerce et d’industrie, reconnue par le juge administratif comme étant une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du CJA (voir par exemple : CE, ord., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840), est ici impactée pour les bars et les salles de sport. Pour prouver le caractère grave et manifestement illégal de l’atteinte à cette liberté, le requérant devra notamment faire la démonstration que la mesure apparaît disproportionnée compte tenu de ses conséquences sur les personnes concernées et au regard du but d’intérêt général poursuivi. Récemment, le Tribunal administratif de Rennes a ainsi suspendu l’exécution d’un arrêté préfectoral imposant la fermeture des salles de sport de la ville, notant que « La liste exhaustive des foyers de contamination recensés en Bretagne au 11 septembre 2020, en cours d’investigation ou maîtrisés, ne comporte aucun établissement de cette catégorie », et soulignant que l’interdiction porte « une atteinte grave et immédiate » à la situation économique et financière de ces établissements, déjà impactée par la fermeture imposée durant le confinement. Enfin, l’édiction de nombreux arrêtés de restrictions s’accompagnera nécessairement d’une multitude de manquements de la part des établissements visés, passibles de sanctions. En particulier, le non-respect des mesures de lutte contre l’épidémie par les établissements visés peut conduire l’administration à prononcer à leur encontre une sanction radicale : la fermeture administrative. Rappelons tout d’abord que les deux procédures de référés présentées plus haut peuvent également être mises en œuvre à l’encontre d’une sanction administrative. On notera que le juge administratif exerce sur ce type d’acte un contrôle plein et entier, et exige qu’une sanction administrative soit justifiée d’après les faits reprochés et proportionnée au but poursuivi. Au demeurant, l’administration doit avoir respecté au préalable un certain nombre de formalités procédurales : – ainsi la fermeture administrative doit obligatoirement être précédée d’un avertissement…

Coup d’arrêt aux travaux d’infrastructure des JO 2024

Par Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, GREEN LAW AVOCATS Par une ordonnance en date du 5 mai 2020, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a décidé de suspendre l’exécution de l’arrêté du Préfet de Région Ile-de-France en date du 22 novembre 2019 déclarant d’intérêt général les travaux d’aménagement de l’échangeur de Pleyel (A86) et de Porte de Paris (A1) à Saint-Denis. Pour solliciter la suspension de l’arrêté litigieux, le conseil départemental des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis et l’association « Vivre à Pleyel » avaient soulevé toute une série de moyens tenant tant à la légalité externe qu’à la légalité interne de l’acte. En premier lieu, l’ordonnance retiendra l’attention s’agissant de la question de la compétence du juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris. Les requérants s’étaient en effet adressés à cette juridiction en vertu des dispositions dérogatoires de droit commun instituées par le décret n°2018-1249 du 26 décembre 2018 (aujourd’hui codifiées au 5°de l’article R311-2 du code de justice administrative), qui confèrent à la Cour compétence pour connaître en premier ressort des litiges afférents aux « aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu’aux voiries dès lors qu’ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». Le juge des référés a estimé qu’au regard de sa portée et de ses effets, l’arrêté litigieux devait être regardé comme portant effectivement sur les opérations susmentionnées. Après avoir aisément retenu la condition d’urgence requise par l’article L521-1 du code de justice administrative, le juge des référés s’est penché sur l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 22 novembre 2019. Par un considérant rédigé en des termes relativement cinglants, le juge des référés énonce que plusieurs des moyens soulevés par les requérants sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Et de citer d’une part le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure de concertation avec le public dans la mesure où celui-ci n’a pu avoir accès aux informations suffisantes et pertinentes au sens de l’article L122-1 du code de l’environnement et, d’autre part, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, en ce que le Préfet de région n’a pas suffisamment pris en considération l’impact sanitaire négatif du projet, ni son impact sur la dégradation de la qualité de l’air au niveau des sites à proximité des sites sensibles. C’est ce deuxième point qui retiendra davantage notre attention, dans la mesure où il symbolise l’importance prépondérante des enjeux liés à la qualité de l’air en région parisienne, et plus généralement à l’échelle nationale et européenne. Cette décision s’inscrit ainsi dans le cadre d’une jurisprudence de plus en plus fournie du juge administratif à propos de cette problématique. Rappelons sur ce point que la directive européenne 2008/50/CE du 21 mai 2008 dite « Air pur pour l’Europe » impose aux Etats membres une obligation de résultat tenant à ce que les niveaux de certains polluants dans l’air ambiant ne dépassent pas des valeurs limites. A défaut, les Etats  doivent mettre en place des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que cette période de dépassement soit la plus courte possible. A cet égard, en octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu que la France avait manqué à ses obligations au titre de cette directive (lire notre commentaire de cette décision ici). Et, très récemment, la Commission européenne a mis en demeure la France de transposer correctement en droit national les dispositions issues de la Directive 2016/2284 du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques. Sur le plan interne, la responsabilité de l’Etat français a été reconnue par certains tribunaux administratifs qui ont caractérisé la carence fautive de l’Etat en raison de l’insuffisance des mesures prises pour réduire la pollution de l’air, notamment en Ile-de-France et dans l’agglomération lilloise (voir par exemple : TA Montreuil, 25 juin 2019, n°1802202  / TA Paris, 4 juillet 2019, n°17093334 / TA Lille, 9 janvier 2020, n°1709919 ; lire nos analyses ici et ici). Egalement, les juges ont pu considérer que les plans régionaux adoptés pour améliorer la qualité de l’air ne sont pas satisfaisants pour remplir l’obligation de résultat imposée par l’UE. Dans son jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a ainsi souligné que la persistance des dépassements observés dans la région traduit l’incapacité du plan de protection régional de l’atmosphère d’Ile-de-France à permettre une réduction rapide des valeurs de dioxyde d’azote et de particules fines dans l’air, en méconnaissance des objectifs européens. Et la problématique de la qualité de l’air est en passage de devenir une préoccupation d’autant plus majeure au regard du contexte épidémique actuel, alors que les liens entre pollution de l’air et mortalité liée au Covid-19 ont été mis en évidence par plusieurs études scientifiques. Parmi les plus récentes nous citerons une étude en date du mois d’avril 2020 publiée par des chercheurs de l’université d’Harvard aux Etats-Unis qui concluent, à partir de l’analyse des données d’environ trois mille comités américains, qu’ « une légère augmentation de l’exposition à long terme [dix ou quinze ans] aux particules fines PM2,5 entraîne une forte augmentation du taux de mortalité par Covid-19 ». Récemment, l’association Respire s’est appuyée sur cette étude pour demander au Conseil d’Etat d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures pour limiter les sources de pollution dans ce contexte sanitaire incertain. Même si le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association (CE, 20 avril 2020, n°440005) il a toutefois  encouragé l’administration à « faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire, en veillant à ce que soient prises, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils (…) ». Dans ce contexte, la décision du juge des référés de la Cour administrative…

Distance d’épandage : pas de suspension

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme nous l’avions évoqué, le Conseil d’Etat a statué en référé sur la possibilité de déroger aux distances d’épandages dans certains départements ce 15 mai 2020 par deux ordonnances (CE, ord. 15 mai 2020, n° 440346, Collectif des maires antipesticides et CE, ord. 15 mai 2020, n°440211, Association générationsfutures et autres). En effet, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques a instauré des distances de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités, appelées ZNT pour Zone de Non Traitement. Ces zones sont de dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, de cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux. Ces distances peuvent être divisées par deux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet après consultation publique. Par ces temps difficiles de confinement, le Ministère de l’agriculture avait permis cette réduction des distances, sans la consultation publique. Par un premier recours, le collectif des maires antipesticides demandait au juge des référés de suspendre l’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des habitations. Par un second recours, neuf associations demandaient la suspension d’une instruction technique du 3 février 2020 publiée par le ministre de l’Agriculture qui autorisait les agriculteurs, dans certaines conditions, à réduire les distances minimales fixées par l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019, ainsi que la suspension d’un communiqué de presse et d’une lettre de mise en œuvre publiés le 30 mars 2020 sur le site du ministère de l’Agriculture qui permettaient, dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. S’agissant du recours présenté par le collectif des maires antipesticides, le Conseil d’Etat, rappelle la première demande déjà jugée le 14 février 2020. De nouveaux éléments sont présentés ici, dont une étude néerlandaise. Le collectif a précisé en outre le contexte particulier créé par l’épidémie de covid-19 et l’existence d’un lien entre la pollution de l’air et le développement des maladies respiratoires en général et du covid-19 en particulier. Le Conseil d’Etat estime néanmoins : « 8. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que l’étude néerlandaise, qui porte sur le cas particulier de la culture horticole dans laquelle l’usage des pesticides est particulièrement important, si elle souligne la grande capacité de dispersion des produits en cause, n’apporte aucun élément nouveau sur les effets d’une exposition à ces produits, qui plus est à des doses plus réduites compte tenu de leur diminution avec l’éloignement, sur la santé. Par ailleurs, si certaines études récentes, en particulier une étude italienne versée au dossier par le requérant, souligne la correlation entre les dépassements répétés du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 dans l’air survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, ces études ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu ». Ainsi les éléments présentés sont toujours insuffisants pour les juges qui estiment donc que la condition d’urgence n’est pas remplie. S’agissant du recours des associations, la Haute juridiction, qui statuait le 15 mai soit après le déconfinement, a relevé dans un premier temps, s’agissant de l’instruction technique, que : « 10. Il résulte cependant de l’instruction que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d’exposition des riverains aux produits en cause lorsqu’ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c’est particulièrement le cas dans la période actuelle. En outre, la mesure en cause, si elle permet aux agriculteurs, dans les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a été élaboré conformément aux exigences des articles D. 253-46-1-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié et de son annexe 4, et soumis effectivement à la concertation publique, notamment par la mise en oeuvre effective des mesures de publicité prévues par l’article D. 253-46-1-3 de ce code, d’appliquer le contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette mesure soit de nature à présenter un risque imminent pour la santé ni à compromettre la concertation prévue par les articles R. 253-46-1-1 et suivants du même code ». Le Conseil d’Etat précise ici que l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail prend en compte la situation lorsque les riverains sont chez eux. Il précise également que la mesure concerne les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a déjà été élaboré. Cette instruction, dont les effets prendront fin le 30 juin, ne présente donc pas un risque imminent pour la santé et…

Le juge administratif des référés et le COVID-19 : maigre bilan pour la suspension !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) En cette période de crise sanitaire où l’on ne peut constater que le Conseil d’Etat n’est guère enclin à suspendre les mesures d’exceptions prises par le Gouvernement, on se rassure de retrouver le juge administratif dans son rôle de gardien des libertés publiques au moins contre le risque d’arbitraire des édiles locaux ! Certes nos Conseillers d’Etats semblent particulièrement dévoués à la vision que se fait l’exécutif et ses administrations déconcentrées de la bonne façon de gérer la crise sanitaire. D’abord ce sont les demandes d’injonction de mesures incombant à l’Etat pour mieux protéger les libertés publiques de citoyens qui sont finalement rejetées in abstracto par le juge des référés au Conseil d’Etat (CE ord. 4 avril 2020, Mme E. et autres, n° 439816). Certains ont voulu d’emblée durcir le confinement en sollicitant du Conseil d’Etat qu’il enjoigne au premier Ministre de prendre les mesures suivantes : – isolement et mise en quarantaine systématique de tous les nouveaux arrivants sur le territoire ; – mise en place des dépistages au départ dans les aéroports et les ports internationaux, tout en réduisant au minimum les perturbations du trafic international ; – fourniture de masques et de matériels de santé nécessaires pour la lutte contre l’épidémie en quantité et en qualité au personnel de santé dans les plus brefs délais ; – instauration d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire à compter de 22 heures jusqu’à 5 heures du matin, sauf pour des motifs qui devront être précisés, notamment pour la continuité des services publics ; – réquisition de tous locaux nécessaires à la protection et au confinement de l’ensemble des personnes sans domicile fixe sur tout le territoire ; – mise en place de points de contrôle dans les grands axes des villes, au besoin en recourant à l’armée ; – mise en quarantaine systématique des récidivistes contrevenant aux règles de confinement ; – réquisition des hôtels ou de tout bâtiment pouvant offrir des conditions d’hébergement dignes pour les personnels soignants et l’ensemble des agents publics particulièrement exposés aux personnes contaminées à proximité des hôpitaux privés ou publics, ou des cliniques ; – confinement strict des personnels soignants ; – organisation pour le personnel hospitalier des tests généralisés et automatiques en vue de lutter efficacement contre la pandémie à l’hôpital ; – organisation d’un service d’acheminement de la nourriture et des produits de première nécessité dans les hôpitaux afin de permettre aux personnels soignants de ne pas sortir de l’hôpital pour réaliser ces achats ; – prise en charge, aux frais de l’Etat, du coût de l’ensemble de ces mesures ; – mise en place dans chaque hôpital ou clinique d’une télé-cérémonie funéraire pour les proches d’un patient décédé du coronavirus et d’une prise en charge des frais funéraires par l’Etat ; – interdiction des rassemblements de plus de deux personnes ; – mise à disposition de tous les hôpitaux du matériel adéquat pour assurer la possibilité des proches de rester en contact visuellement avec leurs proches ; Mais pour le Conseil d’Etat « les requérants ne peuvent utilement se prévaloir à ce titre de l’atteinte susceptible d’être portée aux libertés fondamentales qu’ils invoquent au motif qu’un confinement insuffisamment rigoureux risquerait de durer plus longtemps ». Plus largement toutes les tentatives en référé pour obtenir une censure des décisions administratives prises par l’Etat au titre de la crise sanitaire ont été vaines ou presque. C’est ainsi sans succès que le Syndicat des avocats de France, d’une part, et l’Union des jeunes avocats de Paris, de l’Association des avocats pénalistes et du Conseil national des barreaux, d’autre part, demandaient de suspendre l’exécution des plusieurs dispositions de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ainsi que l’exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (CE ord. 3 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439894 ; CE ord. 3 avril 2020, Union des jeunes avocats de Paris et autre, n° 439877). On demeure néanmoins très dubitatif de voire le Conseil d’Etat juger que les articles 13 et 14 de l’ordonnance qui dérogent à la présence de l’avocat durant une garde à vue ou une rétention douanière ainsi que la prolongation de la durée des gardes à vue, y compris de mineurs « ne portant, eu égard aux circonstances actuelles, pas d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale »… D’ailleurs la tentation des tribunaux administratifs d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures auxquelles il se refuse ne passe pas au Conseil d’Etat. Ainsi le syndicat de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) avait obtenu des juges des référés du tribunal administratif de Guadeloupe qu’il soit enjoint au centre hospitalier universitaire et à l’agence régionale de la santé de la Guadeloupe de passer commande de tests de dépistage du Covid-19 et des doses nécessaires au traitement de l’épidémie de Covid-19 par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, comme défini par l’IHU Méditerranée infection, pour être capable de diagnostiquer et traiter la population guadeloupéenne. Mais par une ordonnance du 4 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat (CE ord. 4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe et autre, n° 439904) a affirmé que si l’autorité administrative est en droit, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées, en revanche, l’existence de telles incertitudes fait, en principe, obstacle à ce que soit reconnue une atteinte grave et manifestement illégale d’une liberté fondamentale, justifiant que le juge des référés fasse usage de ses pouvoirs. Même si l’ordonnance rendue au Palais royal est particulièrement motivée, le risque que l’on fait prendre à la population locale depuis paris expose sans doute moins celui qui juge … Et d’ailleurs les conseillers d’Etat sont pour ainsi dire obéis. Ainsi le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille juge par une ordonnance du 6 avril 2020, considère qu’il n’y a pas de carence dans la constitution de…

ANTENNE RELAIS : LE PAYSAGE DERNIER REMPART CONTRE LES ONDES ?

Par Maître Thomas RICHET (GREEN LAW AVOCATS) A l’heure de l’ultra-connexion et de l’avènement de la 5G, le gouvernement français s’attache à mettre fin aux « zones blanches » d’ici 2020. Les opérateurs de téléphonie mobile sont les partenaires privilégiés de ce développement et bénéficie, à ce titre, d’un régime juridique favorable pour implanter les pylônes de radiotéléphonie ou « antenne relais » nécessaires à la transmission des ondes. La multiplication de ces « tours de métal » suscite une vive résistance des habitants qui vivent à proximité et qui sont particulièrement inquiets pour leur cadre de vie notamment d’un point de vue sanitaire et paysager. C’est dans ce contexte anxiogène que de nombreux riverains multiplient les actions : mobilisation de la presse locale, pétitions, formation de collectifs, manifestations et pour un nombre croissant d’entre eux, recours au juge administratif en vue de contester l’autorisation d’urbanisme. Il convient d’ailleurs de rappeler que cette autorisation prend désormais la forme d’une simple décision de non-opposition à déclaration préalable en lieu et place d’un permis de construire (sur ce point voir notre article Loi ELAN et décret du 10 décembre 2018 : un nouvel assouplissement des contraintes applicables aux antennes relais). Ces décisions peuvent, à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif, faire l’objet de plusieurs griefs. En premier lieu, les risques sanitaires sont régulièrement invoqués devant le juge au travers d’une part, de la violation des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme (sécurité publique) et, d’autre part, de la méconnaissance de l’article 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution). Actuellement, le juge administratif rejette de manière constante ces moyens considérant qu’il n’existe, en l’état des connaissances scientifiques, aucun risque lié à l’exposition aux champs électromagnétiques (voir par exemple Conseil d’Etat, 30 janvier 2012, req. n° 344992). Bien que les moyens tenant à la contestation du risque sanitaire aient été « neutralisés » devant le juge administratif, le débat ne semble pas totalement arrêté d’un point de vue scientifique. Ainsi le rapport international BioInitiative réalisé en 2007 met en évidence l’existence de risques pour la santé humaine (les conclusions sont consultables ici). Dès lors, et malgré la jurisprudence actuelle, il nous semble donc tout à fait pertinent de continuer à soulever les moyens tenant à dénoncer les risques sanitaires qu’impliquent les antennes relais. En deuxième lieu, les riverains des projets de pylônes de radiotéléphonie peuvent également contester la légalité de la décision de non-opposition à déclaration préalable au regard du document d’urbanisme en vigueur qui sera, le plus souvent, un Plan Local d’Urbanisme (PLU). Le projet d’antenne relais doit en effet respecter le règlement du PLU et sa méconnaissance est susceptible d’être sanctionnée par le juge administratif. Cependant, là encore, ce moyen jouit d’une efficacité relative dès lors que les antennes sont qualifiables de « constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics » et peuvent ainsi déroger à certaines règles du règlement précité (exemples : hauteur des constructions, implantation au sein d’une zone « naturelle » ou encore « agricole », etc.). Le moyen s’il reste pertinent nécessitera en tout état de cause une instruction approfondie du PLU et du dossier de déclaration préalable de l’opérateur de téléphonie mobile. En troisième et dernier lieu, le moyen qui nous semble être le plus à même d’emporter l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable concerne la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, à savoir l’atteinte « au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Il apparaît en effet incontestable que ces installations, qui peuvent atteindre une quarantaine de mètres de hauteur et qui prennent la forme d’une structure métallique dite en « treillis » ou d’un monotube, sont particulièrement disgracieuses et peuvent donc porter atteinte à la beauté des paysages locaux. Saisi d’un tel moyen le juge procèdera en deux temps : il appréciera d’abord la qualité paysagère du site puis l’impact qui lui est porté par le projet de construction. Ce moyen a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment, en vue d’obtenir la suspension de la construction dans le cadre d’un référé suspension formé sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (voir par exemple, Tribunal administratif de Lille, ord. du 11 février 2019, req. n° 1900166, jurisprudence cabinet). Une récente décision a également attiré notre attention : par une ordonnance du 3 octobre 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de suspension formulée par un opérateur de téléphonie contre une décision d’opposition à déclaration préalable en considérant que : « La commune fait valoir que le terrain d’assiette du projet, bien que séparé par plusieurs parcelles du marais d’Olonne dont certaines sont bâties, se situe, d’une part, dans une zone de co-visibilité majeure, identifiée par le schéma de cohérence territoriale et qualifiée de « très sensible aux évolutions de plantations et construction, infrastructures et clôtures » et, d’autre part, au sein d’un corridor écologique où les équipements d’intérêt général ne peuvent être implantés que sous réserve de l’impossibilité de les implanter en d’autres lieux. (…) En conséquence les moyens tirés de ce que le projet litigieux ne méconnaîtraient pas l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (…) ne sont pas de propres, en l’état de l’instruction à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ». (Tribunal administratif de Nantes, ord. du 3 octobre 2019, req. n° 1909388). Pour conclure, même si les moyens tirés du risque sanitaire et de la méconnaissance du PLU restent pertinents, le moyen tiré de l’atteinte portée au paysage semble être, en l’état de la jurisprudence, le plus efficace pour obtenir l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable. Précisons encore que certains PLU peuvent prévoir au sein de leur règlement des dispositions en vue de limiter l’impact paysager des antennes et qu’il conviendra alors d’invoquer ces dispositions en lieu et place de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme.