Distance d’épandage : pas de suspension
Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme nous l’avions évoqué, le Conseil d’Etat a statué en référé sur la possibilité de déroger aux distances d’épandages dans certains départements ce 15 mai 2020 par deux ordonnances (CE, ord. 15 mai 2020, n° 440346, Collectif des maires antipesticides et CE, ord. 15 mai 2020, n°440211, Association générationsfutures et autres). En effet, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques a instauré des distances de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités, appelées ZNT pour Zone de Non Traitement. Ces zones sont de dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, de cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux. Ces distances peuvent être divisées par deux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet après consultation publique. Par ces temps difficiles de confinement, le Ministère de l’agriculture avait permis cette réduction des distances, sans la consultation publique. Par un premier recours, le collectif des maires antipesticides demandait au juge des référés de suspendre l’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des habitations. Par un second recours, neuf associations demandaient la suspension d’une instruction technique du 3 février 2020 publiée par le ministre de l’Agriculture qui autorisait les agriculteurs, dans certaines conditions, à réduire les distances minimales fixées par l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019, ainsi que la suspension d’un communiqué de presse et d’une lettre de mise en œuvre publiés le 30 mars 2020 sur le site du ministère de l’Agriculture qui permettaient, dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. S’agissant du recours présenté par le collectif des maires antipesticides, le Conseil d’Etat, rappelle la première demande déjà jugée le 14 février 2020. De nouveaux éléments sont présentés ici, dont une étude néerlandaise. Le collectif a précisé en outre le contexte particulier créé par l’épidémie de covid-19 et l’existence d’un lien entre la pollution de l’air et le développement des maladies respiratoires en général et du covid-19 en particulier. Le Conseil d’Etat estime néanmoins : « 8. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que l’étude néerlandaise, qui porte sur le cas particulier de la culture horticole dans laquelle l’usage des pesticides est particulièrement important, si elle souligne la grande capacité de dispersion des produits en cause, n’apporte aucun élément nouveau sur les effets d’une exposition à ces produits, qui plus est à des doses plus réduites compte tenu de leur diminution avec l’éloignement, sur la santé. Par ailleurs, si certaines études récentes, en particulier une étude italienne versée au dossier par le requérant, souligne la correlation entre les dépassements répétés du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 dans l’air survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, ces études ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu ». Ainsi les éléments présentés sont toujours insuffisants pour les juges qui estiment donc que la condition d’urgence n’est pas remplie. S’agissant du recours des associations, la Haute juridiction, qui statuait le 15 mai soit après le déconfinement, a relevé dans un premier temps, s’agissant de l’instruction technique, que : « 10. Il résulte cependant de l’instruction que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d’exposition des riverains aux produits en cause lorsqu’ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c’est particulièrement le cas dans la période actuelle. En outre, la mesure en cause, si elle permet aux agriculteurs, dans les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a été élaboré conformément aux exigences des articles D. 253-46-1-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié et de son annexe 4, et soumis effectivement à la concertation publique, notamment par la mise en oeuvre effective des mesures de publicité prévues par l’article D. 253-46-1-3 de ce code, d’appliquer le contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette mesure soit de nature à présenter un risque imminent pour la santé ni à compromettre la concertation prévue par les articles R. 253-46-1-1 et suivants du même code ». Le Conseil d’Etat précise ici que l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail prend en compte la situation lorsque les riverains sont chez eux. Il précise également que la mesure concerne les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a déjà été élaboré. Cette instruction, dont les effets prendront fin le 30 juin, ne présente donc pas un risque imminent pour la santé et…