Sanction administrative : la suspension suspendue

Par Maître David DEHARBE (Green Law avocats) Le contentieux des sanctions administratives est difficile, particulièrement en référé. Il a permis devant le Tribunal administratif de Toulouse un succès qui mérite d’être relevé. Par une ordonnance du 2 octobre 2020 (consultable ici),  le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Toulouse suspend un arrêté de la préfète du Tarn fermant un parc animalier en urgence, sans mise en demeure préalable. En l’espèce, la préfète du Tarn, par un arrêté du 22 octobre 2020, avait ordonné la fermeture d’un parc zoologique ainsi que le transfert des animaux de la faune sauvage captive, ceci dans un délai d’un mois.  Pour prononcer la fermeture et le transfert, l’autorité de police s’est fondée sur un rapport d’inspection réalisé le 19 octobre 2020 ayant relevé plusieurs non-conformités : D’une part, au titre de la santé et de la protection animale, notamment en matière de conditions de détention, d’alimentation des animaux de la faune sauvage captive et domestiques D’autre part, au titre de l’entretien général du parc, des enclos et autres lieux de détention des animaux Enfin, au titre de la sécurité physique et sanitaire des visiteurs. Le 26 octobre 2020, la SARL Parc zoologique des trois vallées et la SARL Zoo-parc des félins des trois vallées saisissent le juge des référé afin de suspendre cet arrêté.  Le référé liberté permet, en vertu de l’article L521-1 du Code de justice administrative de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde des libertés fondamentales si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale. Afin que le recours référé liberté soit accepté il faut donc réunir trois critères : Justifier de l’urgence ; Montrer qu’une liberté fondamentale est en cause ; Montrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale. Les requérants justifaient la condition d’urgence nécessaire à la saisine du juge des référés par le fait que cet arrêté préjudicie de manière extrêmement grave et immédiate à leurs intérêts, notamment car la fermeture du parc entraine des conséquences économiques difficilement réparables pour les sociétés qui exploitent et détiennent cet établissement.  La requête est instruite de façon accélérée, le juge des référés, statuant comme juge unique, doit se prononcer dans les 48h du dépôt de la requête. En l’espèce le juge des référés rappelle qu’il « est de jurisprudence constante que la condition d’urgence est satisfaite quand un acte administratif a pour conséquence d’entraîner des conséquences économiques difficilement réparables ». En effet, le Conseil d’État considère que la condition d’urgence posée à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative doit être regardée comme remplie lorsque l’équilibre financier d’une entreprise est menacé à brève échéance (CE 28 oct. 2011, SARL PCRL Exploitation, req. n° 353553). Et pour le juge toulousain « Dès lors, l’arrêté, dont la suspension est demandée, préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts des sociétés requérantes en ce qu’il porte atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie. Par suite, la condition d’urgence doit être regardée comme se trouvant satisfaite ». Mais on le sait, le référé liberté, encore dit référé-sauvegarde, se singularise encore et surtout par son exigence d’une l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : La notion de liberté fondamentale n’est pas définie par le Code de justice administrative. Si elle est employée aussi bien par le Conseil constitutionnel, par la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par les juridictions judiciaires, le Conseil d’État n’en adopte pas une définition précise mais, limite la portée de sa jurisprudence casuistique en précisant qu’une liberté est ou non fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Le droit de propriété est garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.  Le Conseil d’État considère logiquement que le droit de propriété a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CE, ord., 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-Palmiers, req. no 234226). Le Conseil d’État a également reconnu à plusieurs reprises le caractère de libertés fondamentales à la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie qui en est une composante (CE, ord., 12 nov. 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840 ; CE, ord., 25 avr. 2002, Sté Saria Industries, req. n° 245414 ; CE 26 mai 2006, Sté du Yatcht Club International de Marina Baie-des-Anges, req. n° 293501). Au vue de cette jurisprudence il est donc logique que le juge des référés du TA de Toulouse considère que le droit de propriété ainsi que de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie sont des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Des restrictions peuvent néanmoins s’opérer sur ces libertés fondamentales lorsque l’intérêt général le justifie. Le juge précise : « Il en ressort que le respect de la liberté du commerce et de l’industrie impose que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. ». En l’espèce, l’article 206-2 du Code rural et de la pêche maritime était d’ailleurs invoqué par la préfète : « I. – Lorsqu’il est constaté un manquement aux dispositions suivantes (…) et sauf urgence, l’autorité administrative met en demeure l’intéressé de satisfaire à ces obligations dans un délai qu’elle détermine. Elle l’invite à présenter ses observations écrites ou orales dans le même délai en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix ou en se faisant représenter. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas obtempéré à cette injonction, ou sans délai en cas d’urgence, l’autorité administrative peut ordonner la suspension de l’activité en cause jusqu’à ce que l’exploitant se soit conformé à son injonction. / II. – L’autorité administrative peut aussi, dans les…

Quels recours contre les mesures COVID 19 ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM avocat Of counsel (GREEN LAW AVOCATS) A la suite des annonces datées du 23 septembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé, de nombreux arrêtés préfectoraux ont été édictés afin de renforcer les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19. A titre d’illustration, le préfet du Nord a publié, dans le recueil des actes administratifs n° 248 du 25 septembre 2020, trois arrêtés aux fins : de réduire le nombre maximum de personnes pouvant se réunir ou se rassembler sur la voie ou l’espace public, d’interdire le sport dans les établissements sportifs clos et couverts, de fermer les débits de boissons de 22h00 à 6h00.   Les arrêtés préfectoraux fixant des mesures destinées à la lutte contre le virus peuvent évidemment faire l’objet d’un recours juridictionnel dit « recours pour excès » de pouvoir devant le Tribunal administratif compétent. Reste que ce type de recours est dépourvu d’effet suspensif : en d’autres termes, l’acte continuera à être exécuté et à produire des effets juridiques tant que le juge ne prononcera pas son annulation. Or les délais moyens de traitement de ces recours sont en moyenne d’un an et demi. En réalité, une contestation efficace de ces arrêtés ne pourra intervenir que par la demande de suspension de ces actes. Il s’agit là de la seule possibilité d’interrompre les effets juridiques (et économiques) des mesures prises. A cet égard, deux types de procédures peuvent être envisagés : le référé « suspension » et le référé « liberté ». S’agissant du référé suspension, ce dernier est régi par les dispositions de l’article L521-1 du code de justice administrative (CJA). Cette procédure permet à l’auteur d’un recours au fond contre un acte de solliciter, en parallèle, la suspension de son exécution. Il est donc ici indispensable que le requérant ait formulé initialement une demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. La suspension d’un acte en vertu de l’article L521-1 du CJA suppose de démontrer, d’une part, l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte administratif, et d’autre part, un caractère urgent justifiant que le juge fasse droit à la demande de suspension. En l’espèce, la condition tenant à l’urgence de suspendre un arrêté préfectoral fermant notamment les salles de sport et les bars après 22h00 paraît relativement aisée à démontrer : en effet, le juge administratif considère traditionnellement que l’urgence s’attachant à la suspension d’un acte s’apprécie notamment compte tenu des effets préjudiciables que cet acte revêt pour le requérant. Au regard des conséquences économiques qu’emportent les mesures destinées à enrayer l’épidémie sur les restaurants, bars et salles de sport, il paraît ainsi vraisemblable que le juge des référés saisi reconnaisse l’existence d’une urgence. C’est davantage la condition du doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral contesté qui s’avérera certainement plus complexe à démontrer.  S’agissant du référé liberté, procédure prévue à l’article L521-2 du CJA, notons tout d’abord qu’il s’agit ici d’une procédure « autonome », contrairement au référé-suspension. En effet, sous l’angle de cette procédure, il ne sera pas exigé du requérant qu’il ait préalablement formé une demande d’annulation de l’acte contre lequel il forme un référé-liberté. Ensuite, le succès de cette procédure nécessite de remplir deux conditions cumulatives : la démonstration de l’urgence s’attachant à la demande, ainsi qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale causée par l’acte en litige. Cette procédure d’urgence, destinée à permettre au juge administratif d’assurer la protection des libertés fondamentales lorsque celles-ci sont bafouées par l’administration ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, impose que le magistrat se prononce dans les 48 heures suivant sa saisine. Bien que, dans le cadre du référé liberté, l’urgence soit appréciée de façon plus stricte par rapport au référé suspension, il est vraisemblable que cette condition soit aisément démontrable dans le cas d’une contestation de l’un des arrêtés préfectoraux précités. Plus ardue sera la démonstration de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. L’appréciation de cette condition s’effectue en effet en deux temps : le juge vérifie tout d’abord l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale, puis du caractère grave et manifestement illégal de cette atteinte. S’agissant des arrêtés préfectoraux précités, l’atteinte à une liberté fondamentale paraît caractérisée. En effet, la liberté de commerce et d’industrie, reconnue par le juge administratif comme étant une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du CJA (voir par exemple : CE, ord., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840), est ici impactée pour les bars et les salles de sport. Pour prouver le caractère grave et manifestement illégal de l’atteinte à cette liberté, le requérant devra notamment faire la démonstration que la mesure apparaît disproportionnée compte tenu de ses conséquences sur les personnes concernées et au regard du but d’intérêt général poursuivi. Récemment, le Tribunal administratif de Rennes a ainsi suspendu l’exécution d’un arrêté préfectoral imposant la fermeture des salles de sport de la ville, notant que « La liste exhaustive des foyers de contamination recensés en Bretagne au 11 septembre 2020, en cours d’investigation ou maîtrisés, ne comporte aucun établissement de cette catégorie », et soulignant que l’interdiction porte « une atteinte grave et immédiate » à la situation économique et financière de ces établissements, déjà impactée par la fermeture imposée durant le confinement. Enfin, l’édiction de nombreux arrêtés de restrictions s’accompagnera nécessairement d’une multitude de manquements de la part des établissements visés, passibles de sanctions. En particulier, le non-respect des mesures de lutte contre l’épidémie par les établissements visés peut conduire l’administration à prononcer à leur encontre une sanction radicale : la fermeture administrative. Rappelons tout d’abord que les deux procédures de référés présentées plus haut peuvent également être mises en œuvre à l’encontre d’une sanction administrative. On notera que le juge administratif exerce sur ce type d’acte un contrôle plein et entier, et exige qu’une sanction administrative soit justifiée d’après les faits reprochés et proportionnée au but poursuivi. Au demeurant, l’administration doit avoir respecté au préalable un certain nombre de formalités procédurales : – ainsi la fermeture administrative doit obligatoirement être précédée d’un avertissement…

Le Conseil d’Etat suspend le zoom par drone des individus

Par Maître David DEHARBE (green Law Avocats) Chaque saut technologique voit l’Etat rarement résister à la tentation de détourner ces nouveaux moyens pour les mettre au service du contrôle social. De l’invention du fusil, de la poste, du moteur à explosion  au panoptique de Bentham, en passant par le téléphone ou le web, il ne faut jamais perdre de vue que le danger pour le citoyen n’est pas son congénère mais celui qui exerce le pouvoir et l’Etat le concentre de façon monopolistique. La période de crise sanitaire que nous traversons illustre avec l’application « stop covid » mais aussi avec la surveillance par drone le risque en question… Saisi de ce dernier sujet, le Conseil d’Etat vient justement d’endosser ses plus beaux habits de gardien des libertés publiques. Par une ordonnance en date du 18 mai 2020, le juge des référés du palais Royal  (CE, 18 mai 2020, n° 440442, 440445) ordonne à l’État de cesser immédiatement les mesures de surveillance par drone du respect à Paris des règles sanitaires applicables à la période de déconfinement. En dépit des limites inhérentes à la nature du contentieux en référé-liberté, cette décision rappelle un principe désormais plus que bicentenaire : peu importe le contexte, le respect des libertés individuelles doit demeurer le principe et leur atteinte l’exception. Partant, la Haute-Juridiction adresse une réminiscence bienvenue à l’État : nul n’est au-dessus du cadre légal, et le juge entend bien y veiller en dépit de l’exceptionnel. A l’origine ce cette affaire, une saisine du juge des référés du tribunal administratif de Paris par l’association « La Quadrature du Net » et la Ligue des droits de l’homme sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, tendant à ce qu’il soit enjoint au Préfet de police de cesser la capture, l’enregistrement, la transmission ou l’exploitation d’images par drone aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d’état d’urgence sanitaire, ainsi que de détruire toute image déjà capturée par ce dispositif. Pour cause, depuis le 18 mars 2020, un drone d’une flotte de quinze appareils que comptait la préfecture de police avait été utilisé quotidiennement pour réaliser une surveillance du respect des mesures de confinement. La préfecture continuait d’ailleurs de recourir à cette surveillance dans le cadre du plan de déconfinement mis en œuvre depuis le 11 mai dernier. Le juge de premier ressort a rejeté ces demandes par une ordonnance du 5 mai 2020 (n° 2006861), au motif qu’une des trois conditions subordonnant le succès d’un référé-liberté n’était pas remplie, à savoir qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées n’était à relever. Sur le fondement des dispositions de l’article L. 523-1 du CJA, les requérants ont alors interjeté appel devant le Conseil d’État de cette décision. Dans son ordonnance du 18 mai 2020, le juge des référés procède méthodiquement et consciencieusement, semblant dépasser à bien des égards son rôle communément admis de juge de l’urgence et de l’évidence. Tout d’abord, le Conseil d’État dresse un état des lieux de l’ensemble des mesures attentatoires aux libertés prises dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 : fermeture des ERP, interdiction des rassemblements, fermeture des établissements scolaires, interdictions de déplacement, etc. La Haute-Juridiction procède ensuite à un rappel de l’office du juge en matière de référé-liberté. A cet égard, le point 4 de la décision se veut très solennel et prend des allures de véritable rappel à l’ordre : « Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. » Cette énonciation appelle trois remarques : 1° L’ordonnance commentée réaffirme la dialectique exposée ci-avant : le respect des libertés constitue le principe, et ses atteintes demeurent l’exception et seront contrôlées peu importe le caractère exceptionnel ou non des circonstances. Autrement dit, l’État de Droit survit à l’exceptionnel. 2° L’étendue du contrôle annoncé correspond à l’office classique du juge en matière de mesures de police attentatoires aux libertés, à savoir un contrôle de la proportionnalité des restrictions par rapport à l’objectif poursuivi, en l’espèce la sauvegarde de la santé publique. 3° Initié par le célèbre arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 ; 17520), il s’agit d’un triple contrôle de proportionnalité, portant sur les caractères nécessaire, adapté, et proportionné de la mesure attentatoire aux libertés. Ensuite, le Conseil d’État procède à l’examen des trois conditions auxquelles l’intervention du juge est assujettie en matière de référé-liberté : (1) Une liberté fondamentale : En l’espèce, la décision procède à une forme d’ordonnancement des libertés invoquées, et énonce que « le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir constituent des libertés fondamentales » au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du CJA. Notons que la qualification du droit au respect de la vie privée comme liberté fondamentale n’est pas nouvelle (CE, 25 juillet 2003, Ministre de la jeunesse, n° 258677), tout comme celle de la liberté d’aller et venir (CE, 26 Août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 402742). (2) Une urgence : Parfois présumée, mais le plus souvent appréciée au stade de la condition relative à l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le Conseil d’État rejoint ce mode d’analyse, considérant qu’il résulte de l’espèce une situation d’urgence à la fois du fait du nombre de personnes susceptibles de faire l’objet de ces mesures de surveillance, mais également de leur effet, leur fréquence, ainsi que de leur caractère répété. (3) Une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : C’est précisément à ce stade qu’est mis en œuvre le contrôle de proportionnalité annoncé, sachant que, comme le rappelle la décision commentée, cette appréciation tient compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente…

Guérilla juridique des associations contre l’épandage

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La pression des associations de protection de l’environnement contre l’épandage agricole est de plus en plus forte et prend même la forme d’une véritable guérilla en particulier devant le Conseil d’Etat. Première illustration : CE, ord. 20 avril 2020, n° 440005 L’association Respire a demandé au Conseil d’État, Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020, d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016, relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant. L’association requérante saisissait le juge des référés liberté du conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux termes : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». L’association Respire faisait valoir que : –    la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; –    selon les différentes études, notamment une étude chinoise de 2003 ainsi qu’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures Ainsi l’Association soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules. Le juge des référés a tout d’abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l’administration lors de l’audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l’activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d’information-recommandation avaient été moins importants qu’en 2019. Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires : « il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements. » Il faut bien comprendre…

COVID 19 : le maire ne peut imposer le masque

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) A l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme, le juge administratif des référés a du arbitrer, au moins à titre provisoire, une délicate question : un maire peut-il légalement imposer à ses concitoyens le port de masques sur sa commune et ainsi aggraver les mesures nationales déjà prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 ? Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 9 avril 2020, n°2003905) a suspendu l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020 par lequel le maire de Sceaux oblige les habitants de plus de dix ans à se couvrir le nez et le visage avant de sortir. Le juge des référés rappelle au préalable qu’il appartient à l’Etat face à une épidémie telle que celle que connaît aujourd’hui la France, de prendre, afin de sauvegarder la santé de la population, toute mesure de nature à prévenir ou limiter les effets de cette épidémie. Parmi ces mesures, figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules. Mais ce pouvoir de police spécial  ne fait pas obstacle à ce que, le maire adopte, au titre de la police générale du maire pour sa commune des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, pour autant que les circonstances locales particulières le justifient notamment au regard de la menace de l’épidémie. Pour justifier l’arrêté contesté, la commune de Sceaux a fait valoir que le port d’un masque ne faisait que renforcer les « mesures barrières » actuellement en vigueur et que ce port était d’ailleurs recommandé par l’Académie nationale de Médecine pour les sorties nécessaires en période de confinement. Le juge des référés considère d’abord que l’importance de la restriction immédiate apportée à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle justifie qu’il intervienne en urgence. Le juge des référés estime ensuite, qu’en se prévalant de telles considérations générales, dépourvues de tout retentissement local, le maire de Sceaux ne justifie pas que des risques sanitaires sont encourus, sur le territoire communal, du fait de l’absence de port d’un masque lors des déplacements des habitants. Le maire de la commune a également soutenu que cette mesure répondait au souci de protéger les personnes âgées, population particulièrement vulnérable face au virus, lors de la levée future du confinement. Mais le juge des référés relève que toutes considérations liées à la levée du confinement concernent une situation future qui n’est, pour l’heure, pas envisagée. En outre, le juge des référés souligne que s’agissant des personnes âgées, des mesures ont déjà été mises en place par la commune pour protéger cette population, notamment à travers un service de courses livrées à domicile. Au demeurant si la commune faisait valoir les flux importants de personnes dans une rue piétonne le juge oppose à la commune les propres affirmations de la police municipale pour qui « les gestes barrière sont, dans l’ensemble assez bien respectés par les usagers ». Enfin, le juge des référés ajoute que rien ne permet de retenir que la protection des personnes âgées ne pouvait pas être assurée par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales. Il est ici très intéressant de constate que le pouvoir local contestait très frontalement les choix du gouvernement et que le juge lui répond de façon assez catégorique : “En dernier lieu, il a été énoncé au cours des débats à l’audience que la mesure en litige était destinée à protéger les personnes âgées de la commune, qui constituent une part importante de la population dès lors que les plus de 65 ans en représentent 25%, et qui sont contraintes de faire leurs courses dans l’unique rue piétonne de la commune où sont regroupés tous les commerces et où se retrouve la plus grande concentration de personnes. Mais ces débats ont aussi fait apparaître que la commune avait mis en place un service de courses livrées à domicile au bénéfice des personnes âgées, susceptible de leur permettre d’éviter des déplacements présentant un risque excessif de côtoyer le virus. Par ailleurs, et alors qu’il a été reconnu par l’adjoint au maire présent à l’audience que la mesure en litige résulte du choix de la commune de ne pas imposer un confinement aux personnes âgées, lequel est apparu plus attentatoire aux libertés que l’obligation du port d’un dispositif de protection à l’ensemble de la population, il n’est pas établi que le même objectif de protection des personnes âgées n’aurait pu être atteint par une mesure moins contraignante, telle celle d’imposer le port d’un dispositif de protection efficace aux seules personnes âgées ou de leur réserver l’usage des commerces à certaines heures de la journée.” Cette ordonnance comme toute décision des juges des référés est dépourvue de l’autorité de al chose jugée, même si bien évidemment l’arrêté du maire de sceau est non seulement suspendu jusqu’à une décision du Tribunal administratif qui on l’espère n’aura plus aucun effet pratique dans six mois … Mais d’ici là des maires seront sans doute tentés de tenter d’imposer à nouveau le port du masque avec avec la clef des arrêtés mieux motivés et défendus. Ils seront sans doute là aussi déférés au juge par les associations. Le Conseil d’Etat a finalement été saisi de l’affaire du maire de sceaux (cf. : CE, ord. 17 avril 2020, n°440057, COMMUNE DE SCEAUX). La haute juridiction va confirmer la suspension de l’arrêté du maire de Sceaux, tout en initiant un nouveau considérant de principe très restrictif sur les pouvoirs du maire en période d’urgence sanitaire : “la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités…