L’été meurtrier : Tribune sur les effets du dérèglement climatique (revue droit de l’environnement n°314)

L’été meurtrier : Tribune sur les effets du dérèglement climatique (revue droit de l’environnement n°314)

Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant (Green Law Avocats)

Dans le numéro n°314 de la revue de “Droit de l’environnement” de septembre 2022, le Cabinet Green Law Avocats a publié une tribune sur les effets du dérèglement climatique, en particulier sur les incendies subis par la France durant cet été.

“Le contentieux climatique : un nouveau procès administratif”

C’est le thème d’un colloque qui est organisé par la Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier sous la direction scientifique du Professeur FRANÇOIS-XAVIER FORT et dont les travaux se déroulent. ce 25 mars 2022 Le programme est reproduit ci-dessous. Le colloque peut être suivi en direct live en cliquant sur le lien https://video.umontpellier.fr/live/ Après avoir suivi ce lien il faut cliquer sur l’amphi C. Le lien sera public pendant la durée du colloque.

Climat : le TA de Paris ordonne au Gouvernement de réparer et prévenir le préjudice écologique

Par Clémence AUQUE, Juriste doctorante (Green Law Avocats) Par un jugement du 14 octobre 2021 (TA Paris, 4ème section, 1ère ch., 14 oct. 2021, n°1904967, 1904968, 1904972, 1904975/4-1), le Tribunal administratif de Paris ordonne à l’Etat « de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO²eq […] ». En mars 2019, plusieurs associations avaient introduit un recours indemnitaire devant le Tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la condamnation de l’Etat à prendre les mesures nécessaires à la cessation et à la réparation du préjudice écologique aggravé par son inertie. Par un jugement avant-dire droit du 3 février 2021 (cf. notre commentaire), le Tribunal admettait déjà le préjudice écologique au nombre des préjudices réparables par le juge administratif sur le fondement des articles 1246, 1247 et 1249 du Code civil. Ainsi, le Tribunal jugeait l’Etat responsable du préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ordonnait un supplément d’instruction pour « déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’Etat » afin de réparer le préjudice écologique. Par son jugement du 14 octobre 2021, s’il constate que le préjudice écologique perdure à hauteur de 15 Mt CO²eq, le juge réitère sa précédente décision et ordonne « simplement » au Gouvernement, dans toute la latitude de son appréciation, de prendre les mesures nécessaires à la cessation rapide du préjudice écologique avant le 31 décembre 2022. Ce faisant, le Tribunal se garde encore de porter une quelconque appréciation sur la pertinence des mesures prises par l’Etat pour respecter les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, lesquelles « expriment […] des choix relevant de la libre appréciation du Gouvernement » et suit en substance l’obligation faite au Gouvernement par le Conseil d’Etat dans son arrêt « Les amis de la Terre » de respecter les engagements environnementaux auxquels il souscrit (CE, 10 juil. 2017, « Association les Amis de la Terre France et autres », n°394254). Le Gouvernement dispose donc d’une nouvelle chance de respecter ses obligations, sans la menace d’une astreinte cette fois-ci. Si les modalités de réparation du préjudice écologique multifactoriel et diffus tiennent dans l’injonction faite aux pouvoirs publics de donner toute leur effectivité aux engagements environnementaux et au principe de prévention, la question des modalités d’évaluation et de réparation du préjudice écologique ponctuel, local et in fine explicable par une causalité plus circonscrite, reste en suspens (voir sur cette thématique AUQUE Clémence, « Responsabilité administrative et préjudice écologique », Mémoire de fin de cycle (mention droit public de l’environnement et de l’urbanisme), dir. MEUNIER Patrick., Lille, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, sept. 2020). 

Inaction climatique : le Conseil d’Etat fixe son calendrier prévisionnel après les condamnations de l’Etat

Par Maître David Deharbe (GREEN LAW AVOCATS) Par un communiqué de presse du 22 février 2021, le Conseil d’Etat est venu dérouler les étapes du calendrier des suites qu’il réserve à ses décisions de juillet et novembre 2020 relatives à la pollution de l’air et à la réduction des gaz à effet de serre. Pour mémoire, dans la première affaire, le Conseil d’Etat, saisi par des associations et collectivités territoriales, avait ordonné, le 12 juillet 2017, au gouvernement d’élaborer des plans conformes à la directive du 21 mai 2008 sur la qualité de l’air afin de réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans 13 zones en France. Le 10 juillet 2020, constatant que cette injonction n’avait pas été respectée dans 8 zones, la Haute juridiction a ordonné à l’Etat d’agir dans un délai de 6 mois, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Le 25 janvier 2021, le ministère de la transition écologique a adressé un mémoire au Conseil d’Etat précisant les mesures prises en faveur de la qualité de l’air depuis le mois de juillet. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant : Début mars 2021 : analyse du mémoire transmis par le ministère de la transition écologique par la section du rapport et des études du Conseil d’Etat et transmission d’un avis à la section du contentieux répondant à la question suivante : « est-ce que le gouvernement a pris ou non les mesures nécessaires dans les 8 zones pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) ? » ; Mi-mars 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat juge que le gouvernement n’a pas pris les mesures de lutte contre la pollution de l’air ordonnées et qu’il prend une décision sur le paiement de l’astreinte pour le premier semestre de retard (janvier-juillet 2021), le processus sera renouvelé tous les semestres jusqu’à ce qu’il juge que sa décision a été pleinement exécutée. Dans la seconde affaire, le Conseil d’Etat avait admis, par un arrêt du 19 novembre 2020, le recours de la commune de Grande-Synthe contre l’inaction de l’Etat à respecter sa trajectoire de réduction des gaz à effet de serre (- 40% par rapport à 1990 d’ici 2030). Il a alors laissé au gouvernement un délai de 3 mois pour justifier que cette trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être respectée sans qu’il soit besoin de prendre des mesures supplémentaires. Le 22 février dernier, le gouvernement a adressé au Conseil d’Etat un mémoire dans lequel il affirme que les mesures prises sont suffisantes pour atteindre la trajectoire d’ici 2030. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant: Avril 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat ordonne des mesures supplémentaires, il réalisera un suivi de leur exécution selon le même processus (instruction contradictoire, nouvelle audience publique, possibilité d’une astreinte). Remarquons par ailleurs que pour sa part et c’est une première, la Cour administrative d’appel de Paris vient d’ordonner une expertise dans un contentieux en réparation de la pollution de l’air pour carence fautive de l’Etat (CAA Paris, 11 mars 2021, n°19PA02868 ; BRIMO Sara, « Responsabilité – Changer d’air ? », AJDA, n°19, 31 mai 2019, p.1104). Si les juges du fond ont conclu à la faute de l’Etat en la matière, ils n’ont jamais admis le lien de causalité entre les pathologies des requérants et les carences étatiques (https://www.green-law-avocat.fr/air-toujours-des-declarations-de-carences-sans-condamnation-a-reparer/).

Le juge, le climat et l’exécutif…

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, GREEN LAW AVOCATS et Maître David DEHARBE, Avocat associé gérant, GREEN LAW AVOCATS Le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu une décision inédite à propos du respect, par l’Etat français, de ses engagements en matière de lutte contre le dérèglement climatique (CE 19 nov. 2020, n° 427301, COMMUNE DE GRANDE-SYNTHE et a). Les conclusions du rapporteur public sont publiées avec la présente note au Bulletin Juridique des Collectivités Locales cf. : Saisie par la commune de Grande-Synthe (Nord) et par son maire agissant à titre personnel, la Haute Assemblée s’est prononcée sur la légalité des décisions implicites de refus opposées par le Président de la République, le Premier ministre et le Ministre de la Transition Ecologique à la demande tendant notamment à ce que soient prises « toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national ». Pour statuer sur la légalité de ces refus implicites, le Conseil d’Etat était tout d’abord tenu d’examiner les différents engagements souscrits par la France en matière climatique sur le plan international, européen et national. Il s’agissait, ensuite, de vérifier si ces engagements étaient respectés par l’Etat, justifiant que celui-ci puisse se permettre de refuser l’édiction de mesures supplémentaires permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. L’arrêt commenté présente tout d’abord l’intérêt de recenser d’une manière didactique les différentes normes auxquelles la France est liée en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Le Conseil d’Etat dresse ainsi la liste des règles juridiques applicables en la matière, en débutant par le droit international pour terminer par les textes de droit national. Sur le plan international, le Conseil d’Etat rappelle les termes des articles 2 et 3 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992, à laquelle la France est partie, avant de mentionner le fameux article 2 de l’accord de Paris du 12 décembre 2015 conclu dans le cadre de la CCNUCC, lequel contient l’objectif – âprement débattu – consistant à contenir l’élévation de la température moyenne « nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels » et à « poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels ». Au niveau communautaire, le Conseil d’Etat mentionne : – la décision 94/69/CE du 15 décembre 1993 par laquelle le Conseil a approuvé la CCNUCC au nom de la Communauté européenne, devenue l’Union européenne ; – le premier « Paquet Energie Climat 2020 », composé en particulier de la décision n° 406/2009/CE du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020, ayant notamment pour objectif une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Aux termes de l’annexe II de cette décision, la France s’est vue définir un objectif de réduction de 14% de ses émissions de CO2 par rapport aux niveaux d’émissions de 2005. – le second « Paquet Energie Climat » reposant notamment sur le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018, édicté afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Aux termes de l’annexe I de ce règlement, la France est tenue de réduire ses émissions de CO2 de – 37% en 2030 par rapport à leur niveau de 2005. Enfin, à l’échelle nationale, il est rappelé que le législateur français a institué l’article L. 100-4 du code de l’énergie fixant un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 et l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. L’objectif de – 40% en 2030 que s’est fixé la France est ainsi plus ambitieux que ce qui lui a été attribué au niveau communautaire. Le Conseil d’Etat rappelle qu’en vue d’atteindre cet objectif, l’article L. 222-1 A du code de l’énergie prévoit un dispositif de « budget carbone » fixé par décret, pour la période 2015-2018 puis pour chaque période consécutive de cinq ans. Le budget carbone correspond ainsi à un total d’émission de gaz à effet de serre pour une période déterminée, qui ne doit pas être dépassé. Le Conseil d’Etat indique qu’en vertu de l’article 2 du décret du 18 novembre 2015 : « Les budgets carbone des périodes 2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028 sont fixés respectivement à 442, 399 et 358 Mt de CO2eq par an, à comparer à des émissions annuelles en 1990, 2005 et 2013 de, respectivement, 551, 556 et 492 Mt de CO2eq. ». Après avoir listé les engagements que s’est fixés la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, la Haute Assemblée rappelle que les stipulations de la CCNUCC et de l’accord de Paris sont dépourvues d’effet direct mais doivent néanmoins être prises en considération pour l’interprétation des dispositions de droit national, qui ont pour objet de les mettre en œuvre. Ensuite, pour apprécier la légalité des décisions de refus des autorités sollicitées d’édicter des mesures supplémentaires permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre, le Conseil d’Etat constate tout d’abord que la France a « substantiellement dépassé » le premier budget carbone qu’elle s’était allouée pour la période 2015-2018, d’environ 62 Mt de CO2eq par an. Cependant, pour le Conseil d’Etat, cette circonstance n’est à elle seule pas de nature à caractériser une insuffisance des efforts pour atteindre les objectifs de réduction fixés. En effet, pour effectuer cette analyse, la Haute Assemblée a entendu prendre en considération les différentes périodes pour lesquelles un budget carbone a été fixé, soit 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033. En d’autres termes, pour le…