Participation effective à l’évaluation environnementale

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Il est parfois des décisions qui ne retiennent pas immédiatement l’attention… C’est bien le cas de l’un arrêt en date du 7 novembre 2019 rendu sur un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) qui voit la Cour préciser que la participation non-effective du public à l’évaluation environnementale fait échec à l’opposabilité du délai valant forclusion des recours engagés contre la décision autorisant le projet. En l’espèce, il était question d’un projet de création d’un complexe touristique sur une parcelle d’une surface d’environ 27 ha sur l’île d’Ilos (archipel des Cyclades, Grèce) qui s’étend elle-même sur une surface d’environ 100 km². Conformément à la législation grecque, un appel à participer à la procédure d’évaluation des incidences environnementales de ce projet a été publié dans le journal local de l’île de Syros  (archipel des Cyclades, Grèce) ainsi que dans les bureaux de l’administration de la région Égée méridionale de la même île. Un an après, une décision des ministres de l’Environnement et de l’Energie et du Tourisme est venue approuver les exigences environnementales portant sur le projet. Mécontents de l’implantation d’un projet d’une telle envergure, plusieurs propriétaires de biens immobiliers sur l’île d’Ilos ont formé un recours contre cette décision plus de 18 mois après son adoption en justifiant n’avoir pu prendre connaissance de cette dernière qu’au début des travaux d’aménagement du site. Ce contentieux a été l’occasion pour l’équivalent grec du Conseil d’Etat de renvoyer à la CJUE deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 6 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, dite directive EIE. L’article 6 de cette directive prévoit que les informations relatives au projet soumis à évaluation environnementale doivent être transmises au public à un stade précoce des procédures décisionnelles en la matière par des moyens de communication appropriés. Quant à l’article 11, il évoque notamment le fait que les Etats membres doivent déterminer à quel stade les décisions peuvent être contestées. En ce qui concerne le droit hellénique, les dispositions nationales prévoient que le processus préalable à l’approbation des conditions environnementales se déroule au niveau de la région et non pas de la municipalité  concernée, et que la publication sur Internet de l’approbation d’un projet fait courir le délai pour introduire un recours en annulation ou tout autre voie de droit. Ce délai est de 60 jours. Partant, la juridiction de renvoi a souhaité savoir si les dispositions de la directive EIE s’opposent à ces modalités de participation du public. En réponse à la première question, la Cour rappelle que l’article 6 de la directive EIE réserve expressément aux États membres le soin de déterminer les modalités précises, tant de l’information du public concerné, que de sa consultation du public. Cependant, la Cour émet plusieurs réserves s’agissant de la procédure en cause. D’abord, elle souligne que les autorités doivent s’assurer que les canaux d’information utilisés soient propres à atteindre les citoyens concernés afin de leur permettre de connaître les activités projetées, le processus décisionnel et leurs possibilités de participer en amont de la procédure. En l’espèce, les juges considèrent qu’un affichage dans les locaux du siège administratif régional, situé sur l’île de Syros, soit à une distance de 55 milles marins de l’île d’Ilos, bien qu’assorti d’une publication dans un journal local de cette première île, ne semble pas contribuer de façon adéquate à l’information du public concerné. Enfin, le dossier contenant les informations relatives au projet doit être mis à disposition du public de manière effective, c’est-à-dire dans des conditions aisées qui rendent possible l’exercice de leurs droits. Elle indique donc qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si de telles exigences ont été respectées en tenant compte notamment de l’effort que le public concerné doit fournir pour avoir accès au dossier ainsi que de l’existence d’une « charge administrative disproportionnée » pour l’autorité compétente. En l’espèce, la Cour relève que la liaison entre Ilos et Syros n’est pas quotidienne, dure plusieurs heures et n’est pas d’un coût négligeable. Au regard de ces éléments, les juges considèrent que l’article 6 de la directive EIE « s’oppose à ce qu’un État membre conduise les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu d’implantation de ce projet, lorsque les modalités concrètes mises en œuvre n’assurent pas un respect effectif de ses droits par le public concerné, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier ». La seconde question découle de la première et conduit la Cour à juger que quand le public n’est pas mis à même de participer de manière effective à l’évaluation environnementale d’un projet, il ne peut se voir opposer un délai de recours contre la décision l’autorisant. On imagine un peu ce que cette affirmation de principe peut impliquer pour les audits bancaires et pré-contentieux des projets exposés à un tel risque… la purge constatée du délai de recours devra être doublée une analyse très serrée des formalités d’information du public afférentes à l’évaluation environnementale. Dans un premier temps, elle rappelle qu’il appartient aux Etats membres de fixer les délais de forclusion des recours. A cet égard, elle admet que les délais de recours ne commencent à courir qu’à partir de la date à laquelle la personne concernée a pris connaissance de la décision. En revanche, ce délai ne saurait s’appliquer si le comportement des autorités nationales a eu pour conséquence de priver totalement la personne de la possibilité de faire valoir ses droits devant les juridictions nationales. Tel est le cas en l’espèce. En effet, en l’absence d’information suffisante sur le lancement de la procédure de participation du public il ne peut être reproché à ce dernier de ne pas s’être informé de la publication de la décision d’autorisation sur le site Internet de l’administration. Dès…

L’INDEPENDANCE DE L’AUTORITE ENVIRONNEMENTALE SE DECRETE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr En réponse à l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 (CE, 6 décembre 2017, n° 400559) le Gouvernement a soumis un projet de décret à consultation publique du 6 au 28 juillet 2018 : cf. Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement, de la sécurité sociale et de l’urbanisme. En effet, tel qu’évoqué dans un précédent article (L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !), par cet arrêt le Conseil d’Etat a annulé le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il désignait, à l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, le préfet de région à la fois comme autorité instructrice ou décisionnaire et autorité environnementale pour les projets mentionnés à l’article L. 122-1 du même code. La Haute juridiction a rappelé à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre aff. C-474/10) qu’« il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle ». Au regard de ces dispositions le Conseil d’Etat a validé, en matière de plans et programmes, la qualification d’autorité environnementale des Missions Régionales de l’Autorité environnementale (MRAe) en ce qu’elles respectent cette « séparation fonctionnelle » avec l’autorité à l’origine de l’élaboration de ces documents. L’indépendance étant le mot-clé de cette procédure, l’enjeu réside dans l’organisation de l’autorité environnementale des projets qui doit répondre aux exigences européennes. Ainsi, le Gouvernement n’a pas seulement suivi les exigences rappelées par le Conseil d’Etat, mais a tout simplement de nouveau désigné les MRAe comme compétentes en matière d’avis environnementale non plus seulement pour les plans et programmes, mais également pour les projets. Ce projet de décret qui qualifie les MRAe d’autorité environnementale des projets s’explique pour deux raisons selon le Gouvernement. D’une part, le Conseil d’Etat a déjà jugé conforme la qualification de ces dernières comme autorité environnementale en matière de plans et programmes, ce qui permet de répondre à cette exigence d’autonomie. Or pour exercer cette compétence, chaque mission régionale bénéficiera, comme pour les plans et programmes, de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale.  D’autre part, la nécessité d’une sécurité juridique car depuis cet arrêt la MARe a validé un certain nombre de projets. Pour autant, cette solution semble loin d’être idéale. Premièrement, les décisions de cas par cas demeurent du ressort du préfet de région (cf. C.env. art. L. 122-1, IV., modifié par le projet de décret), ce qui revient à admettre que ce dernier peut dispenser d’étude d’impact un projet dont il délivrera l’autorisation… Ainsi, l’instauration de l’examen au cas par cas relance le débat sur l’indépendance de l’autorité environnementale vis-à-vis de l’autorité décisionnelle car finalement l’avis de la MRAe ne dépend plus que de la décision du préfet de région pour ces projets. Ensuite la question de la régularisation des avis émis par l’autorité environnementale reste en suspens particulièrement dans le cas où le contentieux est pendant alors que la critique de l’indépendance ne résulte pas d’un arrêté d’évocation qui serait caduc. Le décret n’en confirme pas moins l’indépendance de la Mrae et cela devrait inspirer le juge administrateur… (Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?). Troisièmement, l’Autorité environnementale (Ae) a émis un avis le 11 juillet 2018 en invoquant les difficultés fonctionnelles et le manque de moyens associés à l’exercice de sa fonction. En effet, l’Ae remet en cause la sécurité juridique tant recherchée par le Gouvernement en désignant les MRAe comme autorité environnementale des projets, car ce projet de décret présenté comme simplificateur des procédures d’autorisation s’avère au contraire « complexe, voire illisible ». Le décret désigne quatre autorités environnementales (le Ministre, l’Ae, les MRAe et le préfet de région) chacune compétente selon le stade d’avancement du dossier déposé par le maître d’ouvrage, et qui selon elle ne fait que complexifier la procédure. L’Ae relève notamment l’absence de garanties sur les ressources nécessaires au bon fonctionnement de cette autorité, car si le projet de décret se veut tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017, l’autorité environnementale doit disposer « d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ». Or, l’Ae relève d’ores et déjà que ce manque de moyens aura un impact considérable sur son fonctionnement. L’insuffisance des ressources nécessaires pose la question de la qualité des avis de l’autorité environnementale notamment pour les projets importants en termes d’impacts sur l’environnement. Ainsi, selon l’Ae le projet de décret présenté en juillet ne permet pas de garantir l’indépendance de l’autorité environnementale des projets. L’indépendance est, a priori, loin d’être décrétée pour l’autorité environnementale à la française qui semble lestée de pesanteurs administratives

Evaluation environnementale des projets, plans et programmes : le formulaire de demande d’examen au cas par cas est disponible

Par Fanny ANGEVIN – GREEN LAW AVOCATS L’arrêté du 12 janvier 2017 fixant le modèle du formulaire de la « demande d’examen au cas par cas » en application de l’article R. 122-3 du code de l’environnement vient d’être publié au Journal Officiel du 21 janvier 2017. Cet arrêté est pris pour l’application de la transposition de la directive 2014/52/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement par l’ordonnance n°2016-1058 ainsi que le décret n°2016-1110, relatifs à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes. Pour rappel, l’ordonnance n°2016-1058 du 3 août 2016 ainsi que le décret n°2016-1110 du 11 août 2016, visaient à réduire le nombre d’études d’impacts requises grâce à la procédure d’examen au cas par cas. A ce titre, l’annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement liste les projets qui doivent être soumis à étude d’impact seulement à la suite d’un examen au cas par cas. L’article R. 122-3 du code de l’environnement précise ensuite les modalités d’application de cet examen. En effet, l’article R. 122-3 du code de l’environnement, prévoit, depuis sa modification par le décret n°2016-1110, que : « Pour les projets relevant d’un examen au cas par cas en application de l’article R. 122-2, le maître d’ouvrage décrit les caractéristiques de l’ensemble du projet, y compris les éventuels travaux de démolition ainsi que les incidences notables que son projet est susceptible d’avoir sur l’environnement et la santé humaine. Il décrit également, le cas échéant, les mesures et les caractéristiques du projet destinées à éviter ou réduire les effets négatifs notables de son projet sur l’environnement ou la santé humaine. La liste détaillée des informations à fournir est définie dans un formulaire de demande d’examen au cas par cas dont le contenu est précisé par arrêté du ministre chargé de l’environnement. […] »   L’arrêté du 12 janvier 2017 met en œuvre cette disposition de l’article R. 122-3 du code de l’environnement et fixe un modèle national pour les demandes d’examen au cas par cas des projets. Ce modèle est un formulaire CERFA n°14734 qui est obligatoire depuis le 22 janvier 2017. Selon cet arrêté, le formulaire comporte un bordereau des pièces à joindre et un document intitulé « informations nominatives relatives au maître d’ouvrage ou pétitionnaire », qui doit être joint à la demande. En outre, une notice explicative (qui est enregistrée sous le numéro 51656) a aussi été publiée par l’administration. Ce formulaire, selon l’article R. 122-3 du code de l’environnement, a ensuite vocation à être adressé par le maître d’ouvrage à l’autorité environnementale, qui en accuse réception. L’autorité environnementale dispose d’un délai de quinze jours afin de demander des compléments d’informations, à défaut, le formulaire est réputé complet. L’autorité environnementale met par la suite en ligne ce formulaire. Elle dispose d’un délai de trente-cinq jours à compter de la réception du formulaire afin de d’informer le maître d’ouvrage de la nécessité ou non de réaliser une évaluation environnementale. En l’absence de réponse dans un délai de trente-cinq jours de l’autorité environnementale, ce silence vaut obligation de réaliser une évaluation environnementale. La décision de l’administration imposant à un projet de faire l’objet d’une évaluation environnementale ou encore l’absence de décision qui entraîne l’obligation de faire une évaluation environnementale, est attaquable dans un délai de deux mois. Notons cependant que ces décisions doivent faire l’objet d’un recours administratif préalable, sous peine d’irrecevabilité du recours contentieux, également dans un délai de deux mois (article R. 122-3 VI du code de l’environnement). Enfin, il est intéressant de relever qu’en pratique, des décisions au cas par cas « avec réserve » ont été émises par l’administration. Cependant, ces « réserves » peuvent poser certaines difficultés. En effet, elles peuvent s’avérer être particulièrement contraignantes pour le maître d’ouvrage. Par ailleurs, il est opportun de se demander si une décision de non-soumission assortie de réserves est attaquable. Logiquement, contester des « réserves », lorsque ces dernières font grief au maître d’ouvrage, devrait être possible, néanmoins, cette possibilité n’est, à notre connaissance, nulle part mentionnée. En effet, tant l’article R. 122-3 du code de l’environnement que la notice explicative pour les demandes d’examen au cas par cas, mentionnent seulement la possibilité d’un recours contentieux à l’encontre d’une décision de l’autorité environnementale imposant au projet de faire l’objet d’une évaluation environnementale ou l’absence de décision entraînant l’obligation de faire une évaluation environnementale. Il convient néanmoins de mentionner qu’un arrêt du Conseil d’Etat du 13 mars 2015 (n°358677), a pu considérer que des prescriptions spéciales étaient divisibles de l’autorisation d’urbanisme. Une telle interprétation pourrait éventuellement être transposée en l’espèce, en détachant la décision de l’autorité environnementale des « réserves » émises. Ainsi, la procédure d’examen au cas par cas comporte encore en pratique certaines zones d’ombre, qui devront être clarifiées afin de mettre en œuvre cette procédure dans les meilleures conditions. Les documents mentionnés sont téléchargeables sur le site de l’administration au lien suivant (à noter cependant que la notice explicative comporte toujours la mention « projet » en bas de page et que cette erreur sera surement rectifiée) : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/R15289 L’arrêté est consultable au lien suivant : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033897569&dateTexte=&categorieLien=id

Contentieux des autorisations d’urbanisme : le pétitionnaire tétanise les requérants !

Par David DEHARBE (Green Law avocat)   Le droit ne s’use que si l’on ne s’en sert part. Cet adage que le Blog de Green a longtemps affiché  nous rappelle que multiplier à outrance les obstacles à l’exercice du droit au recours pourrait bien tétaniser les requérants. Imaginez un peu : le riverain attaque le permis de son voisin et se retrouve condamné à lui payer 82. 700 euros de dommages-et-intérêts ! C’est exactement ce que vient de décider le Tribunal administratif de Lyon (Jugement du Tribunal administratif de Lyon, du 17 novembre 2015, n°1303301), son jugement ayant été pour le moins remarqué (cf. JLE 31.03.16 mais aussi le Moniteur.fr 21.03016). L’on sait qu’aux termes de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. (…) ». Le Tribunal administratif de Lyon considère ces dispositions comme étant d’applicabilité directes : « ces dispositions, qui instituent des règles de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée ». Cette solution rejette implicitement l’idée que les dispositions de l’article L600-7 du code de l’urbanisme « affecte[nt] la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative » (C.E., 11 juillet 2008, n°313386). Pourtant il a été jugé que les dispositions nouvelles des articles L. 600-1-2  du code de l’urbanisme et de l’article L. 600-1-3 du même code affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative. Elles sont dès lors, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux seuls recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur (CE , avis, 18 juin 2014, SCI Mounou et a., n° 376113: Lebon; AJDA 2014. 1292; D. 2014. 1378; JCP 2014. 950, note Eveillard; AJCT 2014. 564, obs. Mehl-Schouder –  CE 8 juill. 2015, SARL Pompes Funèbres Lexoviennes, no 385043: Lebon T.; AJDA 2015. 2355). Il est vrai qu’avec l’article L600-7 du code de l’urbanisme le requérant est seulement exposé à une action reconventionnelle, au demeurant déjà ouverte par un recours direct  du pétitionnaire devant le juge civil ; le REP pour être exposé à un risque n’est pas directement affecté dans sa substance même, comme il en va par exemple d’une restriction de l’intérêt à agir du requérant (sur ce point la jurisprudence demeure nuancée précitée) ; admettons. Le jugement est encore riche d’enseignements sur les conditions d’une réussite de l’action indemnitaire et reconventionnelle, répliquant au recours abusif contre le permis de construire. D’abord s’agissant d’un recours qui excède la défense des intérêts légitimes du requérant, le jugement relève que la requête prend fait et cause pour la défense d’un chalet séparé du projet par un terrain nu et ne peut se réclamer d’une perte d’intimité ni d’ailleurs de l’exposition à un quelconque risque ;  cela fait douter le Tribunal de l’intérêt à agir des deux seuls requérants recevables qui d’ailleurs n’en justifieront que tardivement pendant l’instance, ayant très tôt suscité une fin de non-recevoir à ce sujet. Mais surtout le Tribunal relève que la requête comporte des moyens inopérants ou non fondés et s’inscrit dans un « conflit politique » ayant suscité une publicité excessive du recours et la mise en cause des fonctions d’élu d’un des défendeurs. Quant au préjudice réparé, il est apprécié par le Tribunal comme étant essentiellement constitué par la perte de la somme de 60 000 euros au titre des pertes de revenus locatifs imputables au recours abusif. De même le portage financier du projet sur fond privé ouvre ici droit à 15 000€ de réparation. Remarquons que le préjudice moral ou d’angoisse n’est pas indemnisé dès lors que le Tribunal relève qu’il s’inscrit dans le contexte du conflit politique du recours. Gageons que ce jugement fera date en ne laissant aucune partie indifférente : il tétanise le requérant et stimule le pétitionnaire pour se défendre au moyen d’une demande indemnitaire reconventionnelle !

Permis de construire : la complétude du dossier s’apprécie de manière globale (CE, 23 décembre 2015, n° 393134)

Par un arrêt en date du 23 décembre 2015 (CE, 23 décembre 2015, n°393134, consultable ici), le Conseil d’Etat confirme que la complétude ou régularité formelle d’un dossier de demande de permis de construire doit faire l’objet d’une appréciation globale de la part du juge. Le Tribunal de grande instance de Pontoise avait interrogé le juge administratif sur la légalité d’un permis de construire : les requérants soutenaient que le dossier de demande était entaché d’insuffisance quant à la description de l’insertion paysagère du projet, et que l’autorisation avait par conséquent été adoptée à l’issue d’une procédure irrégulière. Le Conseil d’Etat a profité de cette affaire pour formaliser un principe déjà reconnu par une jurisprudence constante : celui selon lequel une insuffisance ou une lacune du dossier de demande de permis peut être compensée par les autres pièces dudit dossier (CE, 26 janv. 2015, n°362019 ; CAA Bordeaux, 3 janv. 2012, n° 11BX00191 ; CAA Nantes, 25 mars 2011,  n°09NT0282 ; CAA Bordeaux, 9 déc. 2010,  n° 10BX00804 ; CAA Nantes, 13 juill. 2012, n°11NT00590 ; CAA Marseille, 20 déc. 2011,  n° 10MA00789). La Haute Juridiction a ainsi dit pour droit que : « la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ; ».   En l’espèce, au vu des différentes pièces permettant au service instructeur de se représenter l’insertion du projet dans son environnement, le dossier ne pouvait être considéré comme globalement insuffisant : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire déposée par la société A. comportait une note de présentation décrivant la construction envisagée, notamment son gabarit et son implantation au sein de la zone d’aménagement concertée de la P. et montrant sa proximité avec les constructions anciennes situées dans l’impasse de la P.; que le dossier comportait en outre un document intitulé “ volet paysager “, dans lequel figurait une vue aérienne du terrain, une description de l’intégration paysagère du projet, précisant, notamment, que l’immeuble serait bordé par trois rues dont l’impasse de la P. , et des photographies qui permettaient d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement ; que si les requérants soutiennent que les documents figurant au dossier de demande de permis de construire auraient été insuffisants, il ressort des pièces du dossier que l’autorité administrative a été mise en mesure de porter, en connaissance de cause, son appréciation sur l’insertion du projet dans son environnement ; que par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précédemment citées du code de l’urbanisme ; » Il en résulte que seules les insuffisances substantielles peuvent justifier une annulation du permis (voir par exemple pour une absence d’informations sur l’insertion paysagère du projet : CAA Lyon, 12 novembre 2013, n°13LY00048 ; CAA Bordeaux, 26 mars 2013, n°12BX00011 ; CAA Douai, 13 août 2012, n°11DA01185 ; CAA Bordeaux, 27 mai 2010, n°09BX01734 ; ou l’oubli d’une servitude de passage permettant d’accéder au terrain d’assiette du projet : CAA Douai, 27 nov. 2014, n° 13DA01003).   Notons par ailleurs qu’il a déjà été précisé que ce principe s’applique également lorsque l’administration est en mesure de trouver les informations manquantes dans le dossier de demande de permis de démolir (CE, 30 déc. 2011, n° 342398), ou dans le dossier de demande d’autorisation ICPE (CAA Lyon, 28 févr. 2012, n° 11LY00911) déposé pour une même opération que celle faisant l’objet de la demande de permis de construire.  Cela n’est cependant pas le cas lorsque le maire a pu avoir connaissance des éléments manquants à l’occasion de l’instruction d’une précédente demande (CAA Marseille, 26 janv. 2012, n° 10MA01677). En tout état de cause, cette solution illustre encore le pragmatisme qui imprègne le contentieux de l’urbanisme, et plus particulièrement la tendance à la « danthonysation » du contentieux de l’urbanisme et de l’environnement (voir notre analyse ici).

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