La doctrine de l’armée en matière d’éoliennes : du vent ? (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, gardien de l’Etat de droit, a, dans une décision du 11 décembre 2015, précisé que les changements de doctrine de l’armée ne devaient pas préjudicier aux opérateurs éoliens lorsqu’ils demandaient une prorogation de permis de construire. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un préfet a délivré à un opérateur éolien un permis de construire pour l’implantation de sept éoliennes et d’un poste de livraison, au vu notamment d’un avis favorable rendu par l’autorité militaire en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile. L’opérateur éolien a alors déposé une demande de permis de construire modificatif afin d’augmenter la longueur des pales des sept éoliennes autorisées mais, à la suite d’un avis défavorable de l’autorité militaire, sa demande a été refusée. L’opérateur éolien a également déposé une demande de prorogation du permis de construire, elle aussi rejetée. Ces deux refus ont été contestés devant le tribunal administratif de Rennes. Le tribunal administratif, confirmé ensuite par la Cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03252), a rejeté la requête dirigé contre le refus de prorogation du permis de construire. Le tribunal a, en revanche, fait droit à la demande d’annulation du juillet refus de permis de construire modificatif au motif que le préfet avait porté son appréciation sur l’intégralité du projet et non sur les modifications faisant l’objet du permis de construire modificatif. La Cour administrative d’appel de Nantes a toutefois censuré ce raisonnement dans un autre arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03253) en estimant que la décision par laquelle le préfet s’était prononcé sur le permis de construire modificatif n’avait pas eu pour objet de retirer le permis de construire initial qui demeure. L’opérateur éolien a alors formé deux pourvois en cassation devant le Conseil d’Etat qui s’est prononcé par une seule décision le 11 décembre 2015. Il s’agit de la décision présentement commentée. (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Après s’être prononcé sur le refus de prorogation du permis de construire (I), le Conseil d’Etat a examiné le refus de permis de construire modificatif (II). I. Sur le refus de prorogation du permis de construire Aux termes du premier alinéa de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme alors applicable : ” Le permis de construire, d’aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé pour une année, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard. (…) ». Il convenait donc de déterminer si les servitudes administratives avaient évolué sur le terrain d’assiette du site. En vertu de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme: ” Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d’aménager tient lieu de l’autorisation prévue par l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile dès lors que la décision a fait l’objet d’un accord du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre de la défense. ” ; De plus, l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur (désormais codifié à l’article L. 151-43 du code de l’urbanisme) prévoyait que les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales devaient comporter en annexe les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol et qui figurent sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat. Parmi cette annexe figuraient les « Servitudes établies à l’extérieur des zones de dégagement en application des articles R. 244-1 et D.244-1 à D. 244-4 du code de l’aviation civile ». Il n’est donc pas contestable que les servitudes aéronautiques issues de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile sont des servitudes administratives au sens de l’article L. 424-21 du code de l’urbanisme. Or, l’article R.244-1 du code de l’aviation civile complété par un arrêté du 25 juillet 1990 soumet la construction d’éoliennes à autorisation du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre chargé de la défense. Toutefois, en l’espèce, la difficulté résultait dans le fait que si les servitudes aéronautiques n’avaient pas changé, leur appréciation par l’autorité militaire était devenue plus stricte. En effet, une circulaire du 3 mars 2008 créant des lignes directrices, complétée par des études de la défense datant de 2009, conduisait l’autorité militaire à apprécier plus strictement les servitudes issues de l’arrêté du 25 juillet 1990. Celle-ci a donc émis, du fait de cette modification de son appréciation, un avis défavorable sur le projet en cause. La question posée au Conseil d’Etat était donc de savoir si la modification de l’appréciation, par l’autorité militaire, des conditions dans lesquelles une servitude s’appliquait au terrain d’assiette d’un projet éolien devait être considérée comme une modification de la servitude au sens de l’article R.424-21 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’Etat répond à cette question en deux temps. Dans un premier temps, il précise que : « l’autorité administrative, saisie d’une demande de prorogation d’un permis de construire par une personne ayant qualité pour présenter une telle demande, ne peut refuser d’y faire droit que si les règles d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable ; qu’elle ne peut fonder un refus de prorogation sur une évolution des autres éléments de droit ou circonstances de fait, postérieure à la délivrance de l’autorisation ». Il avait déjà posé ce principe quelques années auparavant, dans une décision du 5 novembre 2003 (Conseil d’Etat, section, 5 novembre 2003, n°230535, publié au recueil Lebon). Il complète ensuite son analyse en ajoutant que : « la modification, dans un sens plus restrictif, de l’appréciation portée par l’autorité administrative…

Urbanisme : détermination de l’autorité compétente lorsque le permis de construire est attribué au nom de l’Etat (CE, 25 novembre 2015, n°372045)

Par Me Marie-Coline Giorno Green Law Avocat   « L’État, c’est moi », aurait affirmé Louis XIV le 13 avril 1655 devant les parlementaires parisiens… Louis XIV disparu, il devient difficile de savoir qui désormais représente l’Etat…et ce plus particulièrement en matière de permis de construire délivrés “au nom de l’Etat”, lorsqu’il existe un désaccord entre le maire et le Préfet lors de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme. Aux termes d’une décision du 25 novembre 2015 (CE, 1ère / 6ème SSR, 25 novembre 2015, n°372045, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil d’Etat a déterminé qui, en cas de désaccord sur le permis de construire, aurait le dernier mot entre le maire ou le Préfet dans l’hypothèse où le maire reviendrait sur l’avis qu’il avait émis initialement. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un permis de construire avait été sollicité sur le territoire d’une commune dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale et n’ayant pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme. Dans cette commune, les autorisations d’urbanisme étaient donc délivrées au nom de l’Etat. Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction s’était déclaré favorable au projet, tandis que le maire, postérieurement à l’expiration du délai au terme duquel son avis était réputé favorable, avait émis un avis négatif. Le Préfet avait alors décidé d’accorder le permis de construire sollicité. La commune avait saisi le tribunal administratif qui avait annulé ce permis au motif qu’il émanait d’une autorité incompétente. Par un arrêt du 12 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Lyon avait confirmé le jugement grâce au motif suivant: « 7. Considérant qu’il est constant que la commune […], dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale, n’a pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme ; qu’il ressort des pièces produites […]que le responsable de ce service de la direction départementale des territoires, qui y a d’ailleurs expressément visé l’article R. 422-2 e) précité du code de l’urbanisme, s’est déclaré favorable au projet, manifestant ainsi un désaccord avec le maire […], lequel avait porté sur le formulaire de demande de permis un avis négatif ; que, toutefois, cet avis, daté du 30 mars 2010, est intervenu plus d’un mois après que, le 18 janvier 2010, [le pétitionnaire] a renouvelé sa demande de permis de construire et en a déposé le dossier à la mairie de […]; que le maire de cette commune avait ainsi déjà émis, par son silence, un avis réputé favorable et épuisé sa compétence consultative ; qu’il n’existait en conséquence, l’avis défavorable du 30 mars 2010 devant être ignoré, aucun désaccord entre ce maire et le responsable du service instructeur ; que les faits antérieurs à cet avis réputé favorable, et notamment le refus de permis de construire opposé le 5 mai 2007, sont sans incidence ; que le préfet était dès lors incompétent, comme l’a jugé le tribunal, pour délivrer [au pétitionnaire] le permis de construire en litige ; » (CAA Lyon, 12 juillet 2013, n°13LY00643)   Le pétitionnaire s’était alors pourvu en cassation. Le Conseil d’Etat devait donc désigner qui était l’autorité compétente pour prendre la décision sur la demande d’autorisation d’urbanisme, question qui nécessitait de déterminer si un maire pouvait changer d’avis après avoir émis un premier avis favorable. Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a censuré la position de la Cour administrative d’appel de Lyon. Il a, tout d’abord, indiqué à qui devait en principe échoir la compétence en matière d’urbanisme. Principe de compétence du Maire: dans les communes qui ne sont pas dotées d’un document d’urbanisme ou qui sont dotées d’une carte communale mais dans lesquelles le conseil municipal n’a pas délibéré pour donner la compétence au maire en matière d’instruction d’autorisations d’urbanisme, l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme dispose que le permis de construire est délivré au nom de l’Etat, par le maire ou par le Préfet. Plus exactement, l’article R.422-1 du code de l’urbanisme précise que « Lorsque la décision est prise au nom de l’Etat, elle émane du maire, sauf dans les cas mentionnés à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme où elle émane du préfet. » Exceptions à la compétence du Maire: Parmi les exceptions listées à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme, il est notamment exposé que le Préfet est compétent pour délivrer le permis de construire dans les communes visées au b de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme « En cas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction mentionné à l’article R. 423-16 » du code de l’urbanisme. Ces précisions sur la compétence apportées, le Conseil d’Etat a alors examiné quelle était la procédure lors de l’instruction d’un permis de construire délivré au nom de l’Etat. Il a notamment souligné qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 423-72 du code de l’urbanisme, «  Lorsque la décision est de la compétence de l’Etat, le maire adresse au chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction son avis sur chaque demande de permis et sur chaque déclaration. Cet avis est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans le délai d’un mois à compter du dépôt à la mairie de la demande de permis […] ». De plus, le Conseil d’Etat a relevé que, selon l’article R. 423-74 du même code : « Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction adresse un projet de décision au maire ou, dans les cas prévus à l’article R. 422-2, au préfet. / Dans les cas prévus à l’article R. 422-2, il en adresse copie au maire […] ». Cet état du droit rappelé, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si le maire pouvait retirer son avis favorable pour…

Urbanisme / responsabilité administrative : l’absence de contestation d’une décision illégale n’empêche pas nécessairement le pétitionnaire d’engager la responsabilité pour faute de l’administration (CE, 21 sept. 2015, n°371205)

On sait que le contentieux urbanistique est abondant et qu’il n’est pas rare que des décisions administratives soient jugées illégales. On oublie toutefois souvent qu’une telle décision peut ensuite fonder une action indemnitaire contre la personne publique auteur de la décision. En effet, la responsabilité extracontractuelle de l’autorité administrative dans l’exercice de ses compétences d’urbanisme peut être engagée par le pétitionnaire qui a subi un dommage en raison d’une décision ou d’un agissement illégal. Une telle action doit être portée devant le juge administratif, et elle suppose la démonstration de trois éléments : une faute, un dommage et un lien de causalité. Pour faire échec à un tel recours, l’administration peut néanmoins invoquer des causes exonératoires : il a ainsi déjà été jugé que l’imprudence ou la faute du demandeur est de nature à justifier une atténuation de la responsabilité de l’administration, voire une exonération totale (CE, 2 oct. 2002, n° 232720 ; CE, 25 avr. 2003, n° 237888 ; CAA Paris, 27 avr. 1999, n° 96PA00435 ; CAA Bordeaux, 26 avr. 2011, n° 10BX01153 ; TA Versailles, 3e ch., 6 nov. 1997, n° 913211 ; CAA Lyon, 26 nov. 2009, n° 07LY01503 ; CE, 1er oct. 1993, n° 84593). En effet, dans cette hypothèse, le juge estime que le dommage découle non pas de la faute de l’administration mais de celle de la victime, et que le lien de causalité est alors rompu (CAA Lyon, 9 juill. 2013, n° 12LY02382). C’est précisément sur ce point que porte l’arrêt commenté (CE, 21 sept. 2015, n° 371205, consultable ici). En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré à une société puis retiré un permis de construire portant sur un projet de station de distribution de carburant. Ayant déjà engagé des travaux d’aménagement à la date du retrait du permis, la société avait alors engagé la responsabilité de la commune pour être indemnisée des préjudices que lui avait causés cette décision. Les juges du fond avaient toutefois rejeté ses demandes au motif que, n’ayant pas contesté le retrait illégal (elle n’avait pas demandé au Tribunal administratif de l’annuler en d’autres termes), elle avait elle-même contribué à la réalisation de son préjudice, ce qui faisait obstacle à la reconnaissance du lien de causalité requis : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’après avoir présenté un recours gracieux contre le retrait du permis de construire qui lui avait été accordé, la société TC s’est engagée avec la commune dans un processus transactionnel consistant à rechercher, en contrepartie de l’abandon de son projet, un autre terrain lui permettant d’implanter une station de distribution de carburant ; que la société requérante n’a pas, bien que la recherche d’une transaction n’y aurait pas fait obstacle, présenté, à titre conservatoire, de recours tendant à l’annulation de l’arrêté portant retrait du permis de construire ni n’a demandé la suspension de l’exécution de cette décision sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative ; que la société TC  s’est finalement bornée, par la requête enregistrée sous le n° 0900101, à présenter devant le tribunal administratif de Fort-de-France des conclusions tendant à la condamnation de la commune du Lamentin au versement d’indemnités qu’elle n’avait pu obtenir par voie transactionnelle ; qu’en s’abstenant ainsi de mettre en œuvre les recours effectifs dont elle disposait pour solliciter la suspension et l’annulation du retrait de permis de construire, lesquels lui auraient permis d’obtenir satisfaction au regard du motif d’illégalité précédemment rappelé, et en préférant la stratégie consistant à s’engager dans la négociation d’un échange de parcelles avec la commune ou d’une transaction, la société TC doit être regardée comme ayant abandonné son projet initial, dont il ressort au demeurant des pièces du dossier qu’il avait principalement pour objet d’empêcher l’installation d’un concurrent ; que cette circonstance fait obstacle à ce que les préjudices qu’elle allègue puissent être regardés comme en lien direct avec l’illégalité de la décision portant retrait du permis de construire ; que, par suite, la société TC n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté ses demandes indemnitaires ; » (CAA Bordeaux, 16 mai 2013, n°11BX01823) Or le Conseil d’Etat censure ce raisonnement : la Haute Juridiction considère ainsi que le choix du pétitionnaire de ne pas attaquer l’acte litigieux sur le terrain de la légalité ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée : « Considérant qu’en statuant ainsi, alors que les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire et, qu’en tout état de cause, l’absence d’exercice de voies de recours contre ce retrait ne peut avoir pour effet de rendre indirect le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité fautive qu’elle avait constatée, la cour administrative d’appel a procédé à une inexacte qualification juridique des faits ; qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, que son arrêt doit être annulé ; »   Notons que cette décision peut sembler contredire un arrêt rendu en novembre 2014 (CE, 14 nov. 2014, n° 366614, voir notre analyse ici), dans lequel le Conseil d’Etat avait jugé que des requérants ne pouvaient engager la responsabilité d’une commune alors que leur dommage n’était pas imputable à la décision illégale du maire, mais au manque de diligence dont ils avaient fait preuve pour prévenir la réalisation de leur dommage, en n’engageant la procédure de référé adéquate que plus de deux ans après l’intervention de ladite décision… En réalité, les deux affaires diffèrent, puisque dans l’arrêt de 2015, le juge précise bien que « les faits relevés n’étaient pas de nature à faire apparaître que l’abandon du projet de construction ne résultait pas du retrait illégal du permis de construire » : l’origine du dommage n’était donc pas certaine. C’est donc à la Cour administrative d’appel de Bordeaux, à qui l’affaire a été renvoyée, qu’il appartiendra de déterminer si le dommage de la société requérante a été causé…

Plantez si vous pouvez !

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Pour la première fois à notre connaissance, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le respect des droits des tiers lorsque des prescriptions spéciales sont imposées au pétitionnaire pour accompagner des permis de construire éoliens (Conseil d’Etat, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 16 octobre 2015, n°385114, mentionné dans les tables du recueil Lebon, consultable ici). Les faits de l’espèce ayant donné lieu à cette décision sont les suivants. Le Préfet de la Nièvre a accordé à un opérateur éolien six permis de construire en vue de l’implantation d’un parc de cinq éoliennes et d’un poste de livraison. Les autorisations de construire pour les éoliennes comportaient, en leur article 2, des prescriptions d’ordre technique, indivisibles du reste du permis imposant, au titre de la protection de l’environnement, la plantation de haies sur des parcelles appartenant à des propriétaires privés. Plusieurs requérants ont demandé au tribunal administratif de Dijon l’annulation de ces six arrêtés. Par un jugement n°1102113 du 4 avril 2013, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les requérants ont ensuite interjeté appel auprès de la Cour administrative d’appel de Lyon. Par un arrêté n°13LY01455 du 19 août 2014, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Dijon en tant qu’il avait rejeté les conclusions des requérants tendant à l’annulation des cinq arrêtés du Préfet relatifs à la construction des cinq éoliennes en tant que, dans leur article 2, ces arrêtés prescrivaient la plantation de haies et a annulé dans cette mesure les arrêtés en cause. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Les requérants ont alors formé un pouvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. Aux termes de sa décision, la Haute Juridiction a annulé l’arrêt de la Cour administrative de Lyon au motif qu’elle avait omis de statuer sur un moyen qui n’était pas inopérant. Décidant de régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a alors successivement écarté les moyens tirés de : – L’absence de réponse à certains arguments relatifs à l’insuffisance de l’étude d’impact ; – L’insuffisance de l’analyse de l’étude d’impact sur les chiroptères ; – L’inexactitude de l’étude d’impact et de ses annexes en ce qui concerne l’axe du couloir de migration des grues cendrées ; – L’insuffisance des mesures acoustiques ; – La méconnaissance de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme relatif au contenu du dossier de permis de construire lorsque tout ou partie de l’installation est implantée sur du domaine public ; – La méconnaissance de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme en ce qui concerne l’impact sur l’avifaune ; – La méconnaissance de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte à l’activité agricole et à la promotion d’une urbanisation dispersée ; – La méconnaissance de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme relatif à l’atteinte au paysage ou à l’environnement visuel. Puis, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’Etat se prononce sur le moyen selon lequel le Préfet aurait commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires. En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que « si les requérants soutiennent que le préfet de la Nièvre a commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires, cette circonstance, à supposer que les propriétaires concernés n’aient pas donné leur accord à la date de délivrance des permis attaqués, n’est pas de nature à entacher d’illégalité ces derniers, qui ont été délivrés sous réserve des droits des tiers ». Cette position était prévisible. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les permis de construire sont délivrés sous réserve des droits des tiers (pour les premières occurrences de ce principe que nous avons recensées : Conseil d’Etat, 5 mars 1965, n°57315 ou encore Conseil d’Etat, 18 octobre 1968, n°65358, publié au recueil Lebon ; pour des décisions très récentes : Conseil d’Etat, 19 juin 2015, n°368667, publié au recueil Lebon ; Conseil d’Etat, 23 mars 2015, n°348261, publié au recueil Lebon ou encore Conseil d’Etat, 9 mai 2012, n°335932, mentionné aux tables du recueil Lebon). En outre, bien que le Conseil d’Etat ne vise aucun texte pour affirmer ce principe, il convient de constater que ce dernier est désormais codifié à l’article A.424-8 du code de l’urbanisme aux termes duquel : « […] Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme. » A cet égard, il convient de souligner que les juridictions du fond n’hésitent pas à viser expressément l’article A.424-8 du code de l’urbanisme dans leurs arrêts (voir, pour quelques exemples, CAA Nantes, 3 avril 2015, n°14NT00188 ; CAA Bordeaux, 2 octobre 2014, n°13BX00806 ; CAA Marseille, 12 décembre 2013, n°11MA04657 ; CAA Lyon 12 novembre 2013, n°13LY01123). Il résulte de la rédaction de ces dispositions que le Conseil d’Etat ne pouvait reconnaître une quelconque erreur de droit du Préfet lorsqu’il a prescrit la plantation de haies sur des parcelles privées sans l’accord de leurs propriétaires. Cette position qui affirme la légalité des permis délivrés n’en présente pas moins une conséquence à ne pas perdre de vue pour les opérateurs. En effet, en second lieu, le Conseil d’Etat précise très logiquement que : « la construction du parc d’éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu’à la condition que les haies aient pu être plantées ». Il en déduit alors que « le moyen tiré de ce que ces prescriptions seraient entachées d’illégalité…

Immobilier: Contrat de vente immobilière / contrat de crédit affecté : une interdépendance parfois bien utile ! (Cass, 18 déc.2014)

Par Aurélien BOUDEWEEL – Green Law Avocat   Par un arrêt en date du 18 décembre 2014 (C.cass, 18 décembre 2014, 1ère chambre civile, n° de pourvoi 13-24385), la Cour de cassation confirme donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (Article du 14 avril 2014, C. d’appel de LIMOGES, 24 janvier 2014, RG n°12/01358), sur l’interdépendance d’un contrat de crédit affecté et du contrat de vente principal. En l’espèce, un immeuble a été acheté par des particuliers. Pour financer cette acquisition, un contrat de prêt a été contracté (on parle de « contrat de crédit affecté »). Un litige est intervenu entre les parties sur la livraison du bien immobilier. Dans ce contexte, les acheteurs ont porté l’affaire devant la juridiction civile et ont sollicité la suspension du contrat de prêt. Saisie du litige, la Cour d’appel a débouté les particuliers de leurs demandes de suspension du contrat de prêt au motif qu’aucun élément de contestation du contrat de prêt ne justifiait sa suspension. La Cour de cassation censure cette appréciation en jugeant :  « Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte notarié du 26 octobre 2006, la société civile de construction Y (la société) a vendu en l’état futur d’achèvement à M. X… un immeuble financé à l’aide d’un prêt souscrit auprès de la banque Z (…), que M. X… a assigné la société Y et la banque Z aux fins de voir ordonner la suspension de l’exécution du contrat de prêt immobilier jusqu’à la solution du litige l’opposant à la société relativement à la livraison du bien vendu ; Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que le seul fait d’avoir à rembourser les échéances du contrat de prêt ne caractérise pas un accident affectant son exécution alors, d’une part, que M. X… a obtenu un différé d’amortissement du prêt et que, d’autre part, il ne fournit aucun élément d’ordre économique relativement à sa situation de nature à fonder la suspension du contrat de prêt ; Qu’en statuant ainsi, alors que seuls les accidents ou la contestation affectant l’exécution du contrat principal déterminent la suspension du contrat de prêt destiné à le financer, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé».   Rappelons que le crédit affecté est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-20 à L. 311-28 du Code de la consommation. Il est utile de préciser que le lien d’interdépendance est une règle d’ordre public à laquelle le consommateur ne saurait renoncer d’une manière ou d’une autre (Cass, 1ère civ., 17 mars 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 116 ; D. 1993). Plus encore, l’obligation de l’emprunteur de rembourser le prêt d’argent ne commence qu’avec la livraison de la marchandise ou l’exécution de la prestation (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997 : Contrats, conc. consom. 1997, comm. 86. – Cass. 1re civ., 7 févr. 1995 : Contrats, conc. consom. 1995, comm. 166. – CA Douai, 8 sept. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 116). De fait, en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal pourra, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit (C. consom., art. L. 312-19). L’arrêt de la Cour de cassation en date du 18 décembre 2014 met en pratique la disposition du Code de la consommation susvisée et sanctionne la Cour d’appel qui avait méconnu ces dispositions. Cet arrêt est intéressant puisqu’il permet de rappeler aux particuliers qu’en cas de conclusion de contrat de crédit (contrat de crédit affecté) destiné à financer un achat immobilier, ces derniers ont la possibilité de solliciter la suspension des échéances de leur contrat de crédit dès lors que des contestations s’élèvent autour du contrat principal d’achat. Si l’arrêt ici commenté concerne un bien immobilier, rappelons que la solution dégagée tendant à obtenir la suspension du contrat de crédit est identique lorsque des particuliers contestent des contrats de vente d’installation photovoltaïque ou toutes autres installations de production d’énergie. C’est d’ailleurs parfois le seul moyen pour bon nombre de particulier de limiter leurs préjudices au regard des entreprises placées en procédure collective dans ce secteur et contre qui les actions judiciaires sont limitées.