Régularisation d’une DUP dans l’instance : précisions de l’office du juge

Régularisation d’une DUP dans l’instance : précisions de l’office du juge

Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Dans un arrêt du 29 mai 2024, le Conseil d’État précise l’office du juge de cassation lorsqu’il doit examiner, en tant que juge d’appel, une décision de refus de sursis à statuer afin de permettre la régularisation du vice qui entache une déclaration d’utilité publique qui emporte mise en compatibilité d’un document d’urbanisme.

Participation effective à l’évaluation environnementale

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Il est parfois des décisions qui ne retiennent pas immédiatement l’attention… C’est bien le cas de l’un arrêt en date du 7 novembre 2019 rendu sur un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) qui voit la Cour préciser que la participation non-effective du public à l’évaluation environnementale fait échec à l’opposabilité du délai valant forclusion des recours engagés contre la décision autorisant le projet. En l’espèce, il était question d’un projet de création d’un complexe touristique sur une parcelle d’une surface d’environ 27 ha sur l’île d’Ilos (archipel des Cyclades, Grèce) qui s’étend elle-même sur une surface d’environ 100 km². Conformément à la législation grecque, un appel à participer à la procédure d’évaluation des incidences environnementales de ce projet a été publié dans le journal local de l’île de Syros  (archipel des Cyclades, Grèce) ainsi que dans les bureaux de l’administration de la région Égée méridionale de la même île. Un an après, une décision des ministres de l’Environnement et de l’Energie et du Tourisme est venue approuver les exigences environnementales portant sur le projet. Mécontents de l’implantation d’un projet d’une telle envergure, plusieurs propriétaires de biens immobiliers sur l’île d’Ilos ont formé un recours contre cette décision plus de 18 mois après son adoption en justifiant n’avoir pu prendre connaissance de cette dernière qu’au début des travaux d’aménagement du site. Ce contentieux a été l’occasion pour l’équivalent grec du Conseil d’Etat de renvoyer à la CJUE deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 6 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, dite directive EIE. L’article 6 de cette directive prévoit que les informations relatives au projet soumis à évaluation environnementale doivent être transmises au public à un stade précoce des procédures décisionnelles en la matière par des moyens de communication appropriés. Quant à l’article 11, il évoque notamment le fait que les Etats membres doivent déterminer à quel stade les décisions peuvent être contestées. En ce qui concerne le droit hellénique, les dispositions nationales prévoient que le processus préalable à l’approbation des conditions environnementales se déroule au niveau de la région et non pas de la municipalité  concernée, et que la publication sur Internet de l’approbation d’un projet fait courir le délai pour introduire un recours en annulation ou tout autre voie de droit. Ce délai est de 60 jours. Partant, la juridiction de renvoi a souhaité savoir si les dispositions de la directive EIE s’opposent à ces modalités de participation du public. En réponse à la première question, la Cour rappelle que l’article 6 de la directive EIE réserve expressément aux États membres le soin de déterminer les modalités précises, tant de l’information du public concerné, que de sa consultation du public. Cependant, la Cour émet plusieurs réserves s’agissant de la procédure en cause. D’abord, elle souligne que les autorités doivent s’assurer que les canaux d’information utilisés soient propres à atteindre les citoyens concernés afin de leur permettre de connaître les activités projetées, le processus décisionnel et leurs possibilités de participer en amont de la procédure. En l’espèce, les juges considèrent qu’un affichage dans les locaux du siège administratif régional, situé sur l’île de Syros, soit à une distance de 55 milles marins de l’île d’Ilos, bien qu’assorti d’une publication dans un journal local de cette première île, ne semble pas contribuer de façon adéquate à l’information du public concerné. Enfin, le dossier contenant les informations relatives au projet doit être mis à disposition du public de manière effective, c’est-à-dire dans des conditions aisées qui rendent possible l’exercice de leurs droits. Elle indique donc qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si de telles exigences ont été respectées en tenant compte notamment de l’effort que le public concerné doit fournir pour avoir accès au dossier ainsi que de l’existence d’une « charge administrative disproportionnée » pour l’autorité compétente. En l’espèce, la Cour relève que la liaison entre Ilos et Syros n’est pas quotidienne, dure plusieurs heures et n’est pas d’un coût négligeable. Au regard de ces éléments, les juges considèrent que l’article 6 de la directive EIE « s’oppose à ce qu’un État membre conduise les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu d’implantation de ce projet, lorsque les modalités concrètes mises en œuvre n’assurent pas un respect effectif de ses droits par le public concerné, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier ». La seconde question découle de la première et conduit la Cour à juger que quand le public n’est pas mis à même de participer de manière effective à l’évaluation environnementale d’un projet, il ne peut se voir opposer un délai de recours contre la décision l’autorisant. On imagine un peu ce que cette affirmation de principe peut impliquer pour les audits bancaires et pré-contentieux des projets exposés à un tel risque… la purge constatée du délai de recours devra être doublée une analyse très serrée des formalités d’information du public afférentes à l’évaluation environnementale. Dans un premier temps, elle rappelle qu’il appartient aux Etats membres de fixer les délais de forclusion des recours. A cet égard, elle admet que les délais de recours ne commencent à courir qu’à partir de la date à laquelle la personne concernée a pris connaissance de la décision. En revanche, ce délai ne saurait s’appliquer si le comportement des autorités nationales a eu pour conséquence de priver totalement la personne de la possibilité de faire valoir ses droits devant les juridictions nationales. Tel est le cas en l’espèce. En effet, en l’absence d’information suffisante sur le lancement de la procédure de participation du public il ne peut être reproché à ce dernier de ne pas s’être informé de la publication de la décision d’autorisation sur le site Internet de l’administration. Dès…

Le vice de l’information du public, régularisable en contentieux de l’autorisation environnementale !

Par Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Aux termes d’un avis en date du 22 mars 2018 (téléchargeable ici), le Conseil d’Etat considère que, face à une irrégularité procédurale classiquement non « danthonysable » car ayant eu pour effet de vicier l’information du public, le juge des installations classées est susceptible de « fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». Ce pouvoir de régularisation pourra de surcroît potentiellement être mis en œuvre sans que l’exploitation de l’installation soit suspendue. En effet, le juge a la possibilité, depuis la création de l’article L. 181-18 du code de l’environnement par l’ordonnance sur l’autorisation environnementale, de ne pas suspendre l’exécution de l’autorisation illégale le temps de sa régularisation, dès lors qu’il estime que la poursuite de l’exploitation ne pose pas de risque réel pour les intérêts environnementaux… Pragmatique et finalement très cohérent : le principe de participation peut être aménagé pour ne pas sacrifier la sécurité juridique. Ce double mécanisme devrait permettre de sauver nombre d’autorisations affectées d’irrégularités procédurales mineures mais que l’effet sur l’information du public expose à l’annulation.

Le Conseil d’Etat et la vocation informative du DDAE : ne pas oublier le public !

Dans un arrêt particulièrement intéressant du 15 mai dernier (Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010), le Conseil d’Etat a été amené, en tant que juge des installations classées, à confirmer les standards de jugement de la complétude du DDAE (dossier de demande d’autorisation d’exploiter) mais aussi à préciser une fois encore l’office du « juge administrateur ».   Le contentieux avait été engagé devant le Tribunal administratif d’Amiens avec succès contre l’autorisation d’exploiter un incinérateur industriel, au motif que le DDAE était incomplet au regard du 5° de l’ancien article 2 du décret du 21 septembre 1977 dès lors que pour justifier de ses capacités financières la société pétitionnaire s’était bornée à citer ses partenaires industriels et son capital social et à communiquer les autres justificatifs confidentiellement au Préfet  (TA Amiens 21 avril 2009, n° 0601680,0601803 et 0700315). Et par un arrêt du 15 juin 2010, Cour administrative d’appel de Douai a écarté les moyens portant sur la régularité du jugement puis a enjoint aux parties de produire les éléments de nature à lui permettre de déterminer, pour le cas où elle confirmerait la décision des premiers juges, si l’intérêt général justifie que les effets de l’annulation de l’autorisation litigieuse soient retardés jusqu’à ce qu’une nouvelle autorisation soit délivrée ainsi que le délai nécessaire au dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation et à l’instruction de celle-ci. Finalement par un arrêt du 30 juin 2011 (CAA Douai, 30 juin 2011, n° 09DA00764, 09DA00961),  elle a rejeté la requête d’appel en retenant deux motifs d’annulation de l’arrêté préfectoral, tirés – l’un de l’insuffisance de l’étude d’impact (à propos des conditions de remise en état du site telle que fixées désormais au I et au 5° du II de l’article R. 512-8 du code de l’environnement) – et l’autre de l’irrégularité de l’enquête publique (eu égard aux lacunes des informations relatives aux capacités financières de l’exploitant contenu dans le DDAE soumis à enquête), sans faire droit à la demande de modulation dans le temps des effets de l’annulation. C’est l’arrêt objet du pourvoi.   La vocation informative, standard de jugement de la complétude du DDAE En cassation le Conseil d’Etat rappelle ce considérant de principe : « considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ». On le voit pour la Haute juridiction la vocation informative du DDAE est double : d’une part, via l’enquête publique le public doit bénéficier d’une information complète et, d’autre part, le Préfet ne doit pas avoir été privé d’une information qui l’aurait conduit aurait faussé son appréciation et l’exercice de sa compétente.   Antérieurement, le principe de participation n’avait pas une telle emprise sur la vocation informative du DDAE. Ainsi la CAA de Nancy pouvait-elle réduire l’exigence à la seule information de l’autorité de police décisionnelle : « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances de l’étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et, partant, d’entraîner l’illégalité de la décision d’autorisation que dans l’hypothèse où elles ont pu avoir pour effet de nuire aux objectifs susmentionnés, et notamment si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative en la conduisant à sous-estimer l’importance des conséquences du projet sur l’environnement et sur la commodité du voisinage » (CAA Nancy, du 4 novembre 1993, 92NC00611, SA Union Française des Pétroles, publié au recueil Lebon – reprenant le même considérant : CAA Nancy, 4 mars 2004, 99NC00567, inédit au recueil Lebon).   C’est d’ailleurs la Cour administrative d’appel de Nancy qui sera la première à faire évoluer le considérant pour y intégrer la vocation informative du public : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision d’autorisation d’une installation classée que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’expression de ses observations par la population à l’occasion de l’enquête publique ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative en la conduisant à sous-estimer l’importance des conséquences du projet sur l’environnement et la commodité du voisinage » (CAA Nancy, 19/11/2007, 07NC00106, Inédit au recueil Lebon).   C’est la Cour administrative d’appel de Marseille qui préfèrera la formule « l’information complète de la population » à celle « [d]’expression de ses observations par la population » (CAA Marseille, 02/10/2008, 07MA01524, Inédit au recueil Lebon).   In fine le Conseil d’Etat a lui-même fait évoluer dans son arrêt u 14 octobre 2011, Société Ocréal, n° 323257,  le considérant pour en retenir la version contemporaine qu’il décline dans l’arrêt commenté.   Mais il faut ici apprécier toute la singularité de l’espèce occasionnant son rappel. Passons rapidement sur le fait que le Conseil reproche à la Cour de « s’être bornant à relever que la mention figurant dans l’étude d’impact et relative aux conditions de remise en état du site n’était pas suffisante pour en déduire que l’arrêté litigieux était entaché d’irrégularité, sans rechercher si l’insuffisance ainsi relevée avait pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elle avait été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».   Bien plus riche d’enseignements, le Conseil d’Etat admet dans notre arrêt que la Cour a pu, sans commettre une erreur de droit, reprocher au pétitionnaire d’informer totalement le préfet mais partiellement le public de ses capacités financières. Le juge d’appel avait décidé qu’eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et à l’exhaustivité des indications à fournir sur ses capacités techniques et financières, pour permettre au public de les apprécier, l’exploitant doit joindre au dossier d’enquête publique son chiffre d’affaire et son résultat qui ne sont pas des informations présentant un caractère confidentiel. En effet, en transmettant seulement les informations précitées sous pli confidentiel à l’autorité compétente…