Le droit répressif des ICPE en pratique : le bilan critique du CGEDD

Par Maître Ségolène REYNAL (Green Law Avocats) Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) a commis un rapport sur l’utilisation des sanctions introduites par l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 réformant la police de l’environnement, dont le texte est entré en application le 1er juillet 2013. Le Conseil fait trois constatations. I/ L’ordonnance 2012-34 a fait évoluer le régime juridique de façon majeure Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance il existait 27 polices spéciales de l’environnement. Cette multiplicité de dispositions illustrait un manque de cohérence. C’est pourquoi l’ordonnance n°2012-34 a procédé à l’harmonisation de ces législations en renforçant les outils visant à réprimer des situations irrégulières qui conduisent à des atteintes à l’environnement et/ou faussent la concurrence entre les entreprises. Son objectif est de simplifier, réformer et unifier les dispositions de police administrative et judiciaire du Code de l’environnement. L’ordonnance a introduit de nouvelles sanctions : au plan administratif l’amende et l’astreinte administrative, et au plan pénal la transaction pénale et l’audition pénale (introduite par l‘article L.172-8 du Code de l’environnement, lui-même visé par l’ordonnance). La circulaire de la DGPR du 19 juillet 2013 en fixe les conditions d’application. Que ce soit par sa nature ou par sa taille, chaque ICPE appelle des pratiques et des choix de sanctions appropriés. En élargissant la palette des sanctions possibles, l’ordonnance marque une avancée dans la capacité d’adaptation de l’action publique. Rappelons que le contrôle des ICPE est opéré soit de manière planifiée soit sur plainte. Les visites conduisent à des constats qui sont classables en trois catégories : les infractions délictuelles, les non conformités aux prescriptions et le manque de renseignements. Les inspecteurs de l’environnement disposent désormais de cinq modalités de sanctions administratives : la consignation ; les travaux d’office ; la suspension du fonctionnement de l’installation ; l’amende et l’astreinte. Les deux dernières sanctions ont été prévues par l’ordonnance n°2012-34. L’amende administrative est la seule sanction pécuniaire, tandis que l’astreinte est une mesure de coercition visant à obtenir la satisfaction des motifs de la mise en demeure. La transaction pénale permet d’accélérer le traitement des infractions modérées et non intentionnelles. Elle est plus souple et plus rapide que les poursuites pénales. Elle s’inscrit dans une logique de proportionnalité de la réponse pénale. L’audition pénale par les inspecteurs ICPE doit permettre de consolider les enquêtes préalables aux poursuites. La circulaire CRIM/2017/G3 du 20 mars 2017 encadre cette possibilité. Néanmoins l’audition pénale est peu plébiscitée par l’inspection des installations classées. La réglementation des installations classées intègre parfaitement la notion de « droit à l’erreur » à travers l’exercice du contradictoire et la possibilité de prendre en compte les observations de l’exploitant, suite à une mise en demeure. Par ailleurs, les inspecteurs de l’environnement équilibrent bien les fonctions de conseil et le contrôle. A ce jour aucun contentieux spécifique aux nouvelles sanctions n’a été porté à la connaissance de la mission. Les préfets ont « compétence liée » en matière de mise en demeure et de sanctions administratives. Au pénal, le procureur a autorité sur les inspecteurs de l’environnement. II/ Une disparité frappante dans l’application des mesures : une harmonisation inachevée Il ressort du bilan réalisé par le CGEDD que les nouvelles sanctions prévues par l’ordonnance n°2012-34 répondent aux principes d’efficacité, d’équité d’exemplarité auxquels les services sont tenus. Néanmoins un certain nombre de difficultés dans la mise en place de ces mesures apparait. Le Conseil constate d’abord une application localisée dans certaines régions. En 2016, seules 5 régions dépassent plus de 10 procédures – amendes et astreintes- quand, dans six régions, aucun des départements n’en a mis en œuvre. Peu de service ont mis en œuvre la transaction pénale. Dans les régions où les mesures ont été éprouvées, seule la mise en œuvre des amendes et astreintes administratives a augmenté. Sur l’année 2015/2016, les amendes ont augmenté de 100% et les astreintes administratives de 65%. D’une manière générale, les procédures de mise en demeure permettent d’aboutir aux mises en conformité requises. Les difficultés évoquées ont plusieurs causes :  L’incohérence perçue de certains textes relatifs aux polices de l’environnement (montant des amendes, différences sur leur maximum et sur leur « proportionnalité ») Le défaut de références (absence de barème d’amende et d’astreinte) Les freins à la recherche d’efficacité dans la conduite des procédures (mise en œuvre de l’autorisation environnementale qui limite les capacités de projection des services vers d’autres procédures et la complexité de la chaîne de recouvrement des amendes et astreintes) La difficulté d’apprentissage et de maitrise d’une nouvelle procédure (identification du destinataire de la sanction, imputation des amendes, justification des montants) La relation avec les parquets est contrastée. Les consignes qu’ils donnent sont favorables aux alternatives aux poursuites quand les atteintes à l’environnement sont faibles et quand il peut y être remédié efficacement. En revanche les infractions seraient poursuivies dans les autres cas. En sens inverse, les services des ICPE craignent que leur mise en action de procédures pénales ne soit pas suivies d’effet. Cela peut conduire à ne pas mettre en œuvre les poursuites pénales alors que le contexte le justifierait. De telles situations sont inconfortables et malvenues au regard du principe d’équité. Elles renvoient au besoin de disposer de lignes directrices claires de la part de chaque parquet au travers du protocole que prévoit la circulaire CRIM/2015-9/G4 du 21 avril 2015 du ministre de la justice. A titre d’exemple les services des ICPE de Bretagne ont signé un protocole avec chaque procureur de la région concernant les procédures pénales en matières d’ICPE agricoles. Il faut bien garder en tête que les ICPE regroupent des réalités très diverses qu’il faut prendre en compte. Les stratégies et les pratiques doivent s’adapter à chaque ICPE en distinguant un effet « taille » de l’installation, un effet « chiffre d’affaires » et un effet « type d’activité ». Il est recommandé d’adapter sa façon de dialoguer avec les exploitants, sa manière de fonder les mises en demeure puis de prononcer les sanctions en tenant compte de la singularité de chaque ICPE. En conclusion, il semble selon le rapport que peu de services aient replacé et exploité les apports de l’ordonnance de 2012…

Infractions environnementales : nouveaux délais de prescription de l’action publique

Par Graziella Dode, Green Law Avocats La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale est entrée en vigueur le 28 février 2017. L’action publique est l’action en justice portée devant une juridiction répressive pour l’application des peines à l’auteur d’une infraction. Elle est toujours exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi (art. 1er du code de procédure pénale), et peut l’être également par la partie civile. La loi du 27 février 2017 remanie les délais dans lesquels doit être engagée l’action publique. Au-delà de ces délais, l’action publique est prescrite. Seul le délai de prescription de l’action publique en matière de contravention ne change pas et demeure d’un an. Voici un tableau de comparaison entre les anciens délais de prescription de l’action publique et les délais désormais applicables : Délais de prescription de l’action publique   Délais applicables jusqu’au 27 février 2017   Nouveaux délais applicables à compter du 28 février 2017   Contraventions   1 an 1 an   Délits   3 ans 6 ans   Crimes   10 ans 20 ans   Désormais, l’article 7 du code de procédure pénale dispose que : « L’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. L’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-16, 706-26 et 706-167 du présent code, aux articles 214-1 à 214-4 et 221-12 du code pénal et au livre IV bis du même code se prescrit par trente années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. L’action publique des crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 dudit code est imprescriptible. » L’article 8 du même code prévoit que : « L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, à l’exception de ceux mentionnés aux articles 222-29-1 et 227-26 du code pénal, se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de ces derniers. L’action publique des délits mentionnés aux articles 222-12, 222-29-1 et 227-26 du même code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers. L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-167 du présent code, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, ainsi que celle des délits mentionnés aux articles 706-16 du présent code, à l’exclusion de ceux définis aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du code pénal, et 706-26 du présent code et au livre IV bis du code pénal se prescrivent par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. »   Les délais de prescription de l’action publique courent à compter du jour où l’infraction est commise. Consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim. 4 janv. 1935, Gaz. Pal. 1935. 1. 353. – Crim. 5 juill. 1945, Bull. crim. n° 76. – Crim. 16 mars 1970, D. 1970. 497, note J.M.R. – Crim. 29 oct. 1984, Bull. crim. n° 323, – Crim. 3 janv. 1985, Bull. crim. n° 5. – Crim. 26 févr. 1990, n° 87-84.091, Dr. pénal 1990. Comm. 191. – Crim. 14 avr. 1993, D. 1993. 616, note H. Fenaux. – Crim. 30 nov. 1993, Dr. pénal 1994. Comm. 110 ; RSC 1994. 764, obs. R. Ottenhof. – Crim. 26 avr. 1994, Bull. crim. n° 149. – Crim. 26 sept. 1995, Bull. crim. n° 288. – Crim. 2 déc. 2009, n° 08-86.381. – Crim. 11 déc. 2013, n° 12-86.624, AJ penal 2014. 132, obs. J. Gallois ; JCP 2013. 1374, J. Y. Maréchal), un régime spécifique est prévu pour les infractions occultes ou dissimulées (abus de biens sociaux, tromperie, …) pour lesquelles le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à partir du moment où elles ont été découvertes. Pour ce type d’infractions, un délai butoir, qui démarre dès que l’infraction est commise, est instauré : à compter de ce délai, l’infraction sera en tout état de cause prescrite. Ce délai butoir est de 12 ans pour les délits et de 30 ans pour les crimes. La loi portant réforme de la prescription en matière pénale ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions dont la prescription n’était pas acquise au 28 février 2017 et dont la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique avaient été valablement effectués à cette date. En matière d’infractions environnementales, seuls les délits sont concernés par la réforme puisque le délai de prescription de l’action de publique en matière de contravention est inchangé et que le code pénal et le code de l’environnement ne prévoient pas de crime contre l’environnement (à l’exception de l’acte de terrorisme prévu à l’article 421-2 du code pénal). Ainsi, les infractions concernées par le nouveau délai de prescription de l’action publique sont notamment : les délits de pollution des eaux (art. L. 216-6, L. 218-73, L. 432-2 du code de l’environnement) les délits en matière d’installations classées (art. L. 173-1 à L. 173-12 du code de l’environnement), les délits en matière de rejets polluants de navires (art. L. 218-11 et suivants du code de l’environnement), ou encore les délits relatifs aux parcs nationaux et aux sites inscrits et classés (art. L. 331-26 et suivants du code de l’environnement ; art. L. 341-19 du même code). Concrètement, des poursuites pénales ne pourront être engagées que pendant une période de 6 ans à compter de la commission de ces délits, soit pendant trois années supplémentaires. Au-delà de ce délai de 6 ans, aucune poursuite ne pourra plus être engagée puisque l’action publique sera prescrite.