Les polices environnementales : un enjeu pour les magistrats… et les avocats !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) A l’heure où les magistrats disent s’organiser pour mener la grande croisade environnementale (L’association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale – AFME – est née d’un groupe de discussion qui réunit 200 magistrats du siège et du parquet, dont quelques premiers présidents et procureurs généraux) et où le législateur se saisit de l’écocide, le Conseil d’Etat donne les grandes lignes d’une réformes des polices environnementales. Dans un rapport (téléchargeable ici) sur « les pouvoirs d’enquête de l’administration », paru le 6 juillet, la Haute juridiction prône un grand ménage dans les polices de l’environnement. Certes le rapport rappelle le travail déjà engagé en 2012 et poursuivi en 2016 par le législateur. ” L’ordonnance n° 2012‐34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, a défini un socle commun de dispositions applicables à 25 polices environnementales, qui présentent des caractères hétérogènes et sont mises en œuvre par de très nombreuses catégories d’agents. La refonte a été opérée selon le même parti légistique de séparation des dispositions relatives aux contrôles administratifs et à la police judiciaire que celle des livres II et IX du code rural et de lapêche maritime. Les dispositions antérieures reposaient sur des procédures propres à chaque police, certaines entièrement pénales (chasse, déchets), d’autres mettant en œuvre un corps unique de pouvoirs de contrôle pouvant aboutir, dans une situation donnée, à une combinaison de réponses administratives et judiciaires (installations classées). L’harmonisation des pouvoirs opérée en 2012 a été faite « par le haut », en consolidant des régimes de contrôle qui obéissaient à des logiques différentes ou procédaient de constructions ad hoc dans le cas des polices des déchets, de la lutte contre le bruit et des enseignes et pré‐enseignes. Ces pouvoirs ont été étendus par l’ordonnance du 10 février 2016 portant diversesdispositions en matière nucléaire aux inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’office français de la biodiversité aux agents chargés des forêts qui, lorsqu’ils sont également investis de missions de police judiciaire en application du code de l’environnement, interviennent dans les conditions définies par le celui‐ci et non par le code forestier. Les dispositions de ce code relatives à la recherche et à la constatation des infractions, qui ne sont plus utilisées à une échelle significative, n’ont cependant pas été abrogées. ” (pp. 57-58 du rapport) Et finalement on constate que cette réforme ne laisse son autonomie réelle qu’au régime des contraventions de grande voirie, qui sanctionne avec tellement de singularité les atteintes au domaine public. Il est principalement mis en œuvre pour la protection du domaine public naturel. Il repose sur un simple pouvoir de constatation par procès‐verbal, complété par celui de relever l’identité des contrevenants dans le cas des agents chargés de la police des ports maritimes et du domaine public fluvial. Mais la plus haute juridiction administrative fait surtout cette critique cinglante du code de l’environnement : “70 catégories d’agents compétents pour rechercher et constater les infractions en matière environnementaleLes compétences pour la recherche et la constatation des infractions en matière environnementale sont définies par 28 articles du code de l’environnement, relatifs à 25 polices environnementales, qui visent chacun, outre les officiers de police judiciaire et les inspecteurs de l’environnement, jusqu’à 14 catégories d’agents – soit au total plus de 70 catégories, pour autant que ce nombre puisse être déterminé précisément, compte tenu de l’effet des renvois indirects à des listes fixées par d’autres textes – parfois abrogés – ou d’autres codes. Elles sont le résultat d’une stratification historique qui n’a jamais été réexaminée depuis la création de la plupart de ces polices, y compris lorsque les dispositions relatives aux pouvoirs de ces agents ont été harmonisées, en 2012. La justification de ces attributions de compétences a été oubliée. Il ne s’en dégage pas de logique d’intervention claire, même si l’on peut supposer que ces listes ont parfois été conçues, au fil de l’évolution des textes relatifs à ces différentes polices, en fonction d’une combinaison de critères tenant à la couverture territoriale, aux spécificités des milieux et à la complémentarité et à la connexité des expertises, ainsi qu’à une forte demande sociale de contrôle. Elles reflètent souvent un « saupoudrage » des compétences, conçu à des époques où les administrations spécialisées en matière environnementale n’avaient pas encore émergé. Si des chefs de file et des mécanismes de coordination existent désormais dans la plupart des cas, le ministère de la transition écologique ne dispose de données sur la mise en œuvre, de ces pouvoirs que pour certaines de ces catégories“. Et le Conseil d’Etat de préconiser le regroupement dans les rubriques suivantes, autour de logiques d’intervention communes, qui peuvent également se rattacher aux différents livres du code de l’environnement : ” 1° (Livre II) Police de l’eau et des milieux aquatiques, relevant des inspecteurs de l’environnement des DDTM et de l’Office français de la biodiversité,2° (Livre II) Polices des pollutions en mer811 , relevant du contrôle des affaires maritimes, et de façon incidente des autres capacités maritimes de l’Etat (marine nationale, douanes, Ifremer) et des officiers des ports,3° (Livre III) Polices des espaces naturels (littoral, parcs nationaux, réserves naturelles, sites, circulation motorisée dans les espaces naturels), exercées par les agents des établissements chargés de leur conservation, par les agents des DREAL et par les agents chargés de la police du domaine public (DDTM),4° (Livre IV) Protection de la faune et de la flore (accès aux ressources génétiques, espèces protégées, chasse, pêche), exercée par l’Office français de la biodiversité, par les agents des établissements chargés des espaces naturels et de l’ONF, et sur certains enjeux par les agents des douanes, avec les gardes champêtres, les gardes particuliers et les agents de développement des fédérations de chasse et de pêche,5° (Livre IV, se substituant au code forestier) Police de la forêt, relevant de l’Office national des forêts, des DDTM…

Inaction climatique : le Conseil d’Etat fixe son calendrier prévisionnel après les condamnations de l’Etat

Par Maître David Deharbe (GREEN LAW AVOCATS) Par un communiqué de presse du 22 février 2021, le Conseil d’Etat est venu dérouler les étapes du calendrier des suites qu’il réserve à ses décisions de juillet et novembre 2020 relatives à la pollution de l’air et à la réduction des gaz à effet de serre. Pour mémoire, dans la première affaire, le Conseil d’Etat, saisi par des associations et collectivités territoriales, avait ordonné, le 12 juillet 2017, au gouvernement d’élaborer des plans conformes à la directive du 21 mai 2008 sur la qualité de l’air afin de réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans 13 zones en France. Le 10 juillet 2020, constatant que cette injonction n’avait pas été respectée dans 8 zones, la Haute juridiction a ordonné à l’Etat d’agir dans un délai de 6 mois, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Le 25 janvier 2021, le ministère de la transition écologique a adressé un mémoire au Conseil d’Etat précisant les mesures prises en faveur de la qualité de l’air depuis le mois de juillet. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant : Début mars 2021 : analyse du mémoire transmis par le ministère de la transition écologique par la section du rapport et des études du Conseil d’Etat et transmission d’un avis à la section du contentieux répondant à la question suivante : « est-ce que le gouvernement a pris ou non les mesures nécessaires dans les 8 zones pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) ? » ; Mi-mars 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat juge que le gouvernement n’a pas pris les mesures de lutte contre la pollution de l’air ordonnées et qu’il prend une décision sur le paiement de l’astreinte pour le premier semestre de retard (janvier-juillet 2021), le processus sera renouvelé tous les semestres jusqu’à ce qu’il juge que sa décision a été pleinement exécutée. Dans la seconde affaire, le Conseil d’Etat avait admis, par un arrêt du 19 novembre 2020, le recours de la commune de Grande-Synthe contre l’inaction de l’Etat à respecter sa trajectoire de réduction des gaz à effet de serre (- 40% par rapport à 1990 d’ici 2030). Il a alors laissé au gouvernement un délai de 3 mois pour justifier que cette trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être respectée sans qu’il soit besoin de prendre des mesures supplémentaires. Le 22 février dernier, le gouvernement a adressé au Conseil d’Etat un mémoire dans lequel il affirme que les mesures prises sont suffisantes pour atteindre la trajectoire d’ici 2030. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant: Avril 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat ordonne des mesures supplémentaires, il réalisera un suivi de leur exécution selon le même processus (instruction contradictoire, nouvelle audience publique, possibilité d’une astreinte). Remarquons par ailleurs que pour sa part et c’est une première, la Cour administrative d’appel de Paris vient d’ordonner une expertise dans un contentieux en réparation de la pollution de l’air pour carence fautive de l’Etat (CAA Paris, 11 mars 2021, n°19PA02868 ; BRIMO Sara, « Responsabilité – Changer d’air ? », AJDA, n°19, 31 mai 2019, p.1104). Si les juges du fond ont conclu à la faute de l’Etat en la matière, ils n’ont jamais admis le lien de causalité entre les pathologies des requérants et les carences étatiques (https://www.green-law-avocat.fr/air-toujours-des-declarations-de-carences-sans-condamnation-a-reparer/).

Les mesures d’effarouchement de l’ours bruns sont illégales

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme le démontre ce nouvel arrêt du Conseil d’Etat (CE, 4 février 2021, n° 434058), la pression se resserre autour de l’État concernant la protection de la population des ours bruns dans les Pyrénées. Après, une condamnation de l’État pour la méconnaissance de ses obligations de protection de la population des ours dans la région pyrénéenne (TA Toulouse, 6 mars 2018, n° 1501887, 1502320), le Conseil d’État a partiellement annulé un arrêté autorisant de manière dérogatoire les tirs d’effarouchement sur les ours bruns. Dans cette décision du 4 février 2019, la Haute juridiction a jugé que des tirs d’effarouchement d’une espèce protégée ne peuvent être instaurés pour protéger les troupeaux, même à titre expérimental, que si ces tirs ne risquent pas de porter atteinteau maintien des populations dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce (CE, 4 février 2021, n° 434058). Était en cause, un arrêté du 27 juin 2019 du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’agriculture et de l’alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux pris en application de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Pour mémoire, l’article L.411-1 du code de l’environnement énumère une série d’interdictions de principe qui prohibent la destruction des espèces protégées et de leurs habitats et, plus généralement, toute action susceptible de perturber le cycle de vie et la reproduction de ces espèces. Cependant, l’article L. 411-2 poursuit en permettant que des dérogations soient accordées par les préfets sous certaines conditions. L’article R.411-13 du code de l’environnement précise que les ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture peuvent fixer par arrêté conjoint les conditions et limites dans lesquelles sont délivrées ces dérogations dès lors que l’aire de répartition excède le territoire d’un département. C’est sur le fondement de ces dispositions qu’a été pris l’arrêté attaqué. Celui-ci a pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu’au 1er novembre 2019, le cadre dans lequel les préfets peuvent accorder des dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns, afin de mettre en œuvre des mesures d’effarouchement pour protéger les troupeaux des dommages causés par la prédation. Plus précisément, les articles 2 à 4 de l’arrêté prévoient deux types de mesures d’effarouchement : D’abord, est prévu l’effarouchement dit simple qui consiste en l’utilisation de moyens lumineux (torches, guirlandes, phares), olfactifs ou sonores (cloches, sifflets, sirènes) pour faire fuir l’animal. La mise en place de ces mesures est conditionnée. Il convient en effet qu’au moins une attaque sur l’estive soit survenue au cours de l’année précédant la demande ou quatre attaques au cours des deux années précédant la demande. L’arrêté définit une « attaque » comme étant celle « pour laquelle la responsabilité de l’ours n’a pas pu être exclue et donnant lieu à au moins une victime indemnisable au titre de la prédation de l’ours ». Par ailleurs, l’effarouchement simple n’est possible que si l’utilisation de moyens de protection du troupeau prévus par les plans de développement ruraux ou des mesures équivalentes existent. Ensuite, si cette première réponse est inefficace, un effarouchement dit renforcé peut être autorisé. Cela consiste pour les personnes énumérées au présent arrêté (agents de l’office chargé de la chasse après formation, éleveurs ou bergers titulaires d’un permis de chasser, chasseurs, lieutenants de louveterie) à effectuer des tirs non létaux. Pour ce faire, une deuxième attaque doit intervenir moins d’un mois après la première ou dès la première pour les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années. Le Conseil d’État était alors amené à s’interroger sur la conformité de ces mesures d’effarouchement prises à l’encontre des ours bruns au regard des articles L.411-1 et L.411-2 du code de l’environnement. Pour solliciter l’annulation de cet arrêté, les associations de protection de l’environnement requérantes n’ont soulevé que des moyens de légalité interne tirés de la méconnaissance de chacune des conditions énoncées à l’article L.411-2 du code de l’environnement. En vertu de cet article, il est possible de déroger aux interdictions de destruction et de dérangement des espèces « à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Les requérantes soutenaient que la présence des ours bruns ne conduit pas à une perturbation importante des troupeaux dans la région et que la mise en place de telles mesures risque de nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des ours bruns dans leur aire de répartition naturelle. En sus, elles soutenaient que l’arrêté a méconnu la condition relative à l’absence de solution alternative pour la mise en place des mesures d’effarouchement simple. Elles invoquent également la méconnaissance du principe de précaution. Le Conseil d’État juge qu’il y a lieu d’annuler partiellement l’arrêté attaqué dans ses dispositions relatives à la mise en place, à titre expérimental, de mesures d’effarouchement renforcé de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux. Tout d’abord, la Haute juridiction relève que l’ours brun ne vit plus en France que dans le massif des Pyrénées et que l’espèce a connu un fort déclin au cours du XXème siècle. Elle relève également qu’en dépit du régime de protection institué en 1981 et des réintroductions effectuées à compter de 1996, l’état de conservation de l’espèce n’a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l’article 1er de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992. Après avoir fait ce constat le Conseil d’État examine les différents moyens soulevés et commence par écarter celui tiré de la méconnaissance du principe de précaution au regard de la nature du risque en cause qui n’est pas de ceux visés par l’article 5 de la Charte de l’environnement. Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l’article L.411-2 du code de l’environnement, le Conseil d’Etat raisonne en deux temps. D’abord, il écarte le moyen tiré de la méconnaissance de…

Distance d’épandage : pas de suspension

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme nous l’avions évoqué, le Conseil d’Etat a statué en référé sur la possibilité de déroger aux distances d’épandages dans certains départements ce 15 mai 2020 par deux ordonnances (CE, ord. 15 mai 2020, n° 440346, Collectif des maires antipesticides et CE, ord. 15 mai 2020, n°440211, Association générationsfutures et autres). En effet, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques a instauré des distances de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités, appelées ZNT pour Zone de Non Traitement. Ces zones sont de dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, de cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux. Ces distances peuvent être divisées par deux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet après consultation publique. Par ces temps difficiles de confinement, le Ministère de l’agriculture avait permis cette réduction des distances, sans la consultation publique. Par un premier recours, le collectif des maires antipesticides demandait au juge des référés de suspendre l’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des habitations. Par un second recours, neuf associations demandaient la suspension d’une instruction technique du 3 février 2020 publiée par le ministre de l’Agriculture qui autorisait les agriculteurs, dans certaines conditions, à réduire les distances minimales fixées par l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019, ainsi que la suspension d’un communiqué de presse et d’une lettre de mise en œuvre publiés le 30 mars 2020 sur le site du ministère de l’Agriculture qui permettaient, dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. S’agissant du recours présenté par le collectif des maires antipesticides, le Conseil d’Etat, rappelle la première demande déjà jugée le 14 février 2020. De nouveaux éléments sont présentés ici, dont une étude néerlandaise. Le collectif a précisé en outre le contexte particulier créé par l’épidémie de covid-19 et l’existence d’un lien entre la pollution de l’air et le développement des maladies respiratoires en général et du covid-19 en particulier. Le Conseil d’Etat estime néanmoins : « 8. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que l’étude néerlandaise, qui porte sur le cas particulier de la culture horticole dans laquelle l’usage des pesticides est particulièrement important, si elle souligne la grande capacité de dispersion des produits en cause, n’apporte aucun élément nouveau sur les effets d’une exposition à ces produits, qui plus est à des doses plus réduites compte tenu de leur diminution avec l’éloignement, sur la santé. Par ailleurs, si certaines études récentes, en particulier une étude italienne versée au dossier par le requérant, souligne la correlation entre les dépassements répétés du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 dans l’air survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, ces études ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu ». Ainsi les éléments présentés sont toujours insuffisants pour les juges qui estiment donc que la condition d’urgence n’est pas remplie. S’agissant du recours des associations, la Haute juridiction, qui statuait le 15 mai soit après le déconfinement, a relevé dans un premier temps, s’agissant de l’instruction technique, que : « 10. Il résulte cependant de l’instruction que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d’exposition des riverains aux produits en cause lorsqu’ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c’est particulièrement le cas dans la période actuelle. En outre, la mesure en cause, si elle permet aux agriculteurs, dans les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a été élaboré conformément aux exigences des articles D. 253-46-1-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié et de son annexe 4, et soumis effectivement à la concertation publique, notamment par la mise en oeuvre effective des mesures de publicité prévues par l’article D. 253-46-1-3 de ce code, d’appliquer le contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette mesure soit de nature à présenter un risque imminent pour la santé ni à compromettre la concertation prévue par les articles R. 253-46-1-1 et suivants du même code ». Le Conseil d’Etat précise ici que l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail prend en compte la situation lorsque les riverains sont chez eux. Il précise également que la mesure concerne les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a déjà été élaboré. Cette instruction, dont les effets prendront fin le 30 juin, ne présente donc pas un risque imminent pour la santé et…

Guérilla juridique des associations contre l’épandage

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La pression des associations de protection de l’environnement contre l’épandage agricole est de plus en plus forte et prend même la forme d’une véritable guérilla en particulier devant le Conseil d’Etat. Première illustration : CE, ord. 20 avril 2020, n° 440005 L’association Respire a demandé au Conseil d’État, Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020, d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016, relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant. L’association requérante saisissait le juge des référés liberté du conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux termes : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». L’association Respire faisait valoir que : –    la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; –    selon les différentes études, notamment une étude chinoise de 2003 ainsi qu’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures Ainsi l’Association soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules. Le juge des référés a tout d’abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l’administration lors de l’audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l’activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d’information-recommandation avaient été moins importants qu’en 2019. Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires : « il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements. » Il faut bien comprendre…