Urbanisme: comment apporter la preuve d’une violation d’une règle d’urbanisme? (Cass, 23 octobre 2013, n°12-24.919)

Dans un arrêt en date du 23 octobre, la Cour de cassation rappelle que la preuve d’une faute résultant de la violation d’une règle d’urbanisme peut être établie par tous moyens (Civ. 3e, 23 oct. 2013, FS-P+B, n° 12-24.919), ce qui peut relativiser la portée d’un certificat de conformité des travaux. En l’espèce, un voisin avait obtenu dans le cadre d’une procédure en référé la désignation d’un expert afin que ce dernier détermine si l’habitation voisine à sa propriété dépassait la hauteur autorisée par le plan d’occupation des sols. Fort du rapport remis, le requérant avait assigné son voisin aux fins de solliciter la démolition de l’habitation et des dommages et intérêts. La Cour d’appel avait rejeté les demandes du requérant aux motifs que le propriétaire attaqué avait obtenu une décision administrative, en l’espèce, un certificat de conformité des travaux eu égard au permis de construire délivré. De cette seule constatation, la Cour avait estimé que la preuve de la  violation des règles d’urbanisme n’est pas apportée et qu’en tout état de cause cette décision administrative prévaut sur le rapport d’expertise judiciaire. La cour de cassation casse le raisonnement de la cour d’appel et précise : « Attendu que pour débouter M. X… de sa demande de dommages intérêts, l’arrêt retient que le 4 octobre 2004, M. Y… s’est vu accorder un certificat de conformité pour les travaux ayant fait l’objet du permis de construire accordé le 12 octobre 2001, que ce certificat, dont la légalité n’est pas contestée, atteste de la conformité des travaux au permis de construire, que cette décision administrative, que le juge de l’ordre judiciaire ne saurait remettre en cause, prévaut sur les constatations effectuées par les experts judiciaires et apporte la preuve qu’aucune violation des règles d’urbanisme ne saurait être reprochée à M. Y… et qu’en l’absence de faute imputable à M. Y… celui-ci ne saurait voir engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil ; Qu’en statuant ainsi, alors que la faute de M. Y…, résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, pouvait être établie par tous moyens, la cour d’appel a violé le texte ».   En l’espèce, l’arrêt de la Cour de cassation met en relief l’interaction des décisions administratives dans le cadre d’un litige judiciaire. Une fois n’est pas coutume, l’arrêt de cassation souligne la portée trop importante qu’ont accordé les juges du fond à un acte administratif (au demeurant un certificat de conformité) et ce en méconnaissance d’une règle générale de droit civil qui prévoit que la preuve de prétentions peut être apportée par tous moyens.   Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Démontage des éoliennes industrielles : pourquoi cela restera exceptionnel (TGI Montpellier, 17 septembre 2013)

Faut il pour les opérateurs désespérer d’avoir tenté d’implanter des éoliennes en milieu rural? Nous ne le pensons pas, même à la lecture du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Montpellier le 17 septembre 2013, qui a fait grand bruit au-delà même de la seule filière éolienne, qui se devait d’être scrupuleusement analysé avant d’en tirer d’hâtives conclusions. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une décision de justice isolée et rarissime. Il s’agit, à l’analyse du jugement motivé qui a été rendu, d’une appréciation conservatrice et finalement peu cohérente avec la réglementation de l’éolien en France. Rappelons tout d’abord les faits : les requérants sont une société et un couple d’habitants d’un Château, classé au titre de la législation sur les monuments historiques et situé sur une commune voisine d’un parc de 10 éoliennes. La construction, autorisée par arrêté de permis de construire, a eu lieu entre 2005 et 2006. Les requérants n’ont semble t-il pas jugé opportun de contester les autorisations d’urbanisme. Ils ont assigné la société exploitante du parc éolien, ainsi que les propriétaires fonciers ayant donné leurs parcelles à bail. Précisons d’emblée que les propriétaires ont été condamnés solidairement au paiement des diverses sommes d’argent par le Tribunal, mais que dans ces rapports solidaires, les sommes resteraient à l’entière charge de l’exploitant éolien. Les requérants ont assigné l’exploitant et les propriétaires devant le TGI de Montpellier, selon la règle classique de la compétence territoriale dépendant du siège du défendeur. Leurs demandes étaient fondées sur l’article 544 relatif au droit de propriété et sur l’article 1382 du code civil (fondement légal de la responsabilité pour faute), double fondement qui rejoint la théorie des troubles anormaux de voisinage. Rappelons le principe dégagé par la Cour de cassation selon lequel « nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage » (Cass, 2ème civ., 19 décembre 1986 ; Civ. 2e, 23 oct. 2003, Elissondo et autres c/ SA Intercoop, no 02-16.303, RDI 2004. 276, obs. Bergel). Sur ce fondement, ils demandaient : le démontage des 10 éoliennes sous astreinte de 1500€ par jour de retard et par éoliennes ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 30 000€ pour le « préjudice de jouissance déjà subi » ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 20 000€ pour le « préjudice moral déjà subi » ; le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 15000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile (c’est-à-dire les frais de procédure et d’avocat). Par jugement du 17 septembre 2013, le TGI de Montpellier a fait partiellement droit à leurs demandes : en condamnant l’exploitant éolien à démonter les 10 éoliennes dans un délai de 4 mois à compter de la signification du jugement et en prévoyant une astreinte de 500€ par jour de retard et par éolienne non démontée ; en condamnant l’exploitant éolien et les propriétaires à payer solidairement aux trois demandeurs une somme totale de 37 500€ à titre de dommages et intérêts, une somme de 5000€ au titre des frais de procédure, ainsi qu’aux dépens. Ce faisant, le Tribunal s’est fondé en réalité sur des éléments factuels apparaissant pour le moins ténus (tels que ressortant du jugement du moins) et en tout état de cause partiels pour qui a déjà ouvert des études d’impact éoliennes : –        deux constats d’huissier de 2009 et de 2012 constatant que les éoliennes étaient visibles depuis la propriété des requérants ; –        un constat d’huissier désigné par requête (de façon non contradictoire donc) ayant interrogé pendant 8 semaines « divers habitants du village » où est situé le château, et « plus éloigné des éoliennes », ce qui fait dire au Tribunal que « les habitants subissent donc un préjudice moindre que les occupants du château » ; On apprend ainsi que 26 personnes ont été interrogées et que 18 d’entre elles ont fait état de nuisances. Il ressort de ces seuls éléments qu’un préjudice de divers ordre est constitué : « En premier lieu un préjudice esthétique de dégradation de l’environnement résultant d’une dénaturation totale d’un paysage bucolique et champêtre, ce qui est d’une gravité bien plus importante et non comparable avec la modification d’un paysage urbain  environnant par la construction d’un immeuble ou d’un mur dans un espace encore non construit ; En deuxième lieu un préjudice auditif dû au ronronnement et sifflement des éoliennes et existant en raison de son caractère permanent même en dessous des limites réglementaires d’intensité du bruit, obligeant à des mesures de protection élémentaires contre le bruit et créant un trouble sanitaire reconnu par l’académie nationale de médecine dans un rapport du 14 mars 2004, visé dans le jugement rendu le 4 février 2010 entre les consorts A. et la Sté Y. et versé aux débats (page 10); » En troisième lieu et surtout un préjudice d’atteinte à la vue dû au clignotement de flashs blancs ou rouges toutes les deux secondes de jour et de nuit, fatiguant les yeux et créant une tension nerveuse auquel s’ajoutent en cas de soleil rasant des phénomènes stroboscopiques et de variation d’ombre, étant précisé que le parc éolien Z., même en admettant comme soutenu en défense qu’il soit situé à 3,3 km du château, cause à ce titre un préjudice supérieur à celui de X. du fait de sa localisation en face du château et non sur son aile ; » Une fois les préjudices constitués selon le Tribunal, il procède à une appréciation, par nature souveraine, de l’ « anormalité » des troubles : « Attendu que cet ensemble de nuisances, de caractère tout à fait inhabituel, permanent et rapidement insupportable crée un préjudice dépassant les inconvénients normaux de voisinage, constituant une violation du droit de propriété des époux W. contraire à l’article 544 du code civil auquel il convient de mettre fin pour l’avenir par démontage des éoliennes, et qui justifie une indemnisation en dommages-intérêts pour ce qui est du préjudice déjà réalisé ; » En l’espèce, on pourra s’étonner à plusieurs égards : 1)      il ne ressort pas qu’une étude acoustique ait été diligentée par les requérants, de sorte qu’à la seule lecture du jugement, il n’est pas établi précisément le niveau sonore des éoliennes, et…