P.P.R.T. : nouveau toilettage sur ordonnance

Par David DEHARBE A la suite de la catastrophe AZF, c’est par la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages que l’obligation pour l’Etat de créer des PPRT a été instituée aux articles L. 515-15 à L. 515-26 du code de l’environnement du Code de l’environnement. Le décret n°2005-1130 du 7 septembre 2005 définit les modalités et les délais d’élaboration de ces plans (cf. ses dispositions codifiées aux articles R. 515-39 à R. 515-50 du code de l’environnement). Un PPRT est constitué d’un plan de zonage réglementaire, d’un règlement, d’un cahier de recommandations et d’une note de présentation. En localisant son bien sur le plan le riverain pourra identifier les prescriptions de travaux et les recommandations qui s’y appliquent. Le guide d’élaboration des PPRT, en ligne sur le site Internet du ministère, donne les outils méthodologiques d’élaboration des plans, de l’examen des études de dangers à la définition de la stratégie du plan, combinant réglementation de l’urbanisme, de la construction et des usages, mesures foncières et actions de réduction des risques à la source. Ces plans doivent délimiter un périmètre d’exposition aux risques technologiques à l’intérieur duquel peuvent être instituées dans certaines zones prévues par l’article L. 515-16 du Code de l’environnement, des prescriptions relatives à la construction, à l’utilisation ou à l’exploitation d’ouvrages, un droit de délaissement des bâtiments existants, un droit d’expropriation pour les communes à l’encontre des immeubles et droits réels immobiliers. Le dispositif a du subir plusieurs modifications tant la mise en œuvre des PPRT a posé problème, au-delà de la difficulté de les élaborer. Leurs mesures foncières devant être financées par l’Etat, les collectivités territoriales et l’exploitant, à des parts de contribution déterminées par convention négociée entre ces parties, il n’était pas rare qu’aucun accord ne soit trouvé. Une circulaire du 3 mai 2007 de la Ministre de l’écologie adressée aux préfets tentait de résoudre ce problème en fixant la part de contribution de l’état entre 25 et 40% du coût total des mesures foncières en fonction de certains critères. Cependant, le rapport du Sénat n°107 pour la période 2011-2012 note que seulement trois conventions de financement ont étaient signées fin 2011 … Pour tenter de remédier à ce problème, la loi de finance pour 2012 (loi n°2011-1977 du 28 décembre 2011) est venue prévoir expressément la part de contribution de chaque partie aux mesures foncières (un tiers du coût total). En tout état de cause si l’absence de signature des conventions n’empêche pas l’approbation des PPRT, les réticences des collectivités et des exploitants à supporter la charge de ces plans expliquent sans aucun doute que 10 ans après l’entrée en vigueur de la loi “Risques”, faussement flatteur le bilan par le avancé Ministère de l’Ecologie. Certes en 2013 les PPRT « concernent 407 bassins industriels et plus de 800 communes et 99% d’entre eux sont désormais prescrits et 73 % approuvés. Plus de 10 000 personnes sont concernées par des mesures foncières, dont le coût s’élève à environ 2 Md€, et plus de 100 000 par des travaux de renforcement. Par ailleurs, les investissements réalisés par les industriels afin de réduire les risques de leurs établissements se sont élevés à des montants annuels compris entre 200 et 300 M€ et ont permis de réduire les zones soumises aux mesures foncières d’environ 350 km ² ». Mais derrière ce bilan se cache une toute autre réalité : celle du financement, à penser comme à trouver. D’abord le Conseil constitutionnel (Décision n° 2012-662DCLoi de finances pour 2013 Article104 (ex 64 bis) Financement des travaux prescrits dans le cadre d’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT)) a censuré le dispositif d’aide aux riverains des établissements soumis à PPRT contenu dans la loi de finances pour 2013, cette disposition étant jugée étrangère au domaine des lois de finances et donc constitutive d’un censure des «cavalier budgétaires ». Le dispositif visait à porter à 90% la prise en charge du coût des travaux de renforcement du bâti dans les habitations des riverains des sites concernés : l’Etat accordant un crédit d’impôt porté de 30 à 40%, et la loi rendait obligatoire l’engagement auparavant volontaire intervenu d’un cofinancement des travaux par les collectivités et les industriels à hauteur de 25% chacun – solution tendant à généraliser l’accord national établi entre les représentants de l’Association des maires de France, Amaris et les principales fédérations d’industriels concernées.. Puis c’est la loi n°2013-619 du 16 juillet 2013, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne dans le domaine de l’environnement qui a du lever les freins à l’élaboration et à l’approbation des Plans de Préventions des Risques Technologiques (PPRT) en prévoyant : – Un délai de 6 ans à compter du bouclage financier du PPRT pour les riverains pour exercer le droit de délaissement lorsque celui-ci leur a été accordé par le PPRT. On notera que pour les plans approuvés avant le 30 juin 2013, les riverains ont jusqu’au 30 juin 2020 pour exercer ce droit (loi n°2013-619, art. 4); – Une clarification des travaux prescrits par le PPRT éligibles au crédit d’impôt à hauteur de 40% de leur coût total en y intégrant expressément le diagnostic préalable aux travaux (loi n°2013-619, art. 6) ; – L’harmonisation du plafonnement du montant des travaux prescrits aux riverains par le PPRT avec le plafond prévu pour le crédit d’impôt au bénéfice des personnes physiques, fixé à l’article 200 quater A du code général des impôts . Ainsi désormais, le plafond du montant des travaux prescrits par le PPRT à un riverain est de 20 000 euros (loi n°2013-619, art. 8); – La participation à hauteur de 50% répartie à parts égales entre d’une part les exploitants à l’origine des risques et d’autre part les collectivités territoriales dans le financement des travaux prescrits aux riverains par le PPRT (loi n°2013-619, art. 9); – L’inclusion des dépenses liées à la limitation de l’accès et à la démolition éventuelle des biens…

Affaire AZF : carences fautives de l’inspection ICPE et perte de chance

Par deux arrêts (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 24 janvier 2012, n°10BX02880 et n°10BX02881), le juge administratif a reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001 du fait des carences fautives de ses services dans la surveillance de cette installation classée.   Perte de chance Si cette reconnaissance de responsabilité est un évènement, on ne peut s’empêcher de remarquer que les montants – 1250 euros dans la première affaire et 2500 euros dans la seconde – des indemnités que l’Etat a été condamné à verser aux requérants sont bien dérisoires à côté des préjudices subis par ces habitants.   Même si le juge administratif a pour réputation –  justifiée ou non –  de n’accorder des dommages et intérêts que très limités en comparaison de ceux qu’octroie  le juge judiciaire, la faiblesse de ces montants dans ces deux affaires peut se justifier pour plusieurs raisons.   D’abord l’objet même de la demande était ici limité par les requérants respectivement à 10000 et 20 000 euros en réparation d’un préjudice moral et de trouble dans les conditions d’existence, tenant en particulier au fait que l’explosion a été à plusieurs titres une source d’angoisse (leur maison a été dévastée  et ils sont restés plusieurs heures sans nouvelle de leur enfant). En effet, les préjudices matériels avaient déjà été indemnisés par les compagnies d’assurances.   Ensuite, il ressort très clairement des deux arrêts que la caractérisation du lien de causalité entre les carences de l’Etat et l’explosion de l’usine AZF était malaisée et a obligé le juge administratif à recourir à la théorie de la perte de chance, théorie apparue en 1928 en droit administratif (CE, 03 août 1928, Bacon) et très utilisée dans le contentieux administratif de la responsabilité hospitalière.   C’est pourquoi, le juge relève à propos du bâtiment 221 que : « s’il n’est pas certain qu’aucune explosion ne se serait produite en l’absence de faute commise dans la surveillance de ce dernier entrepôt, il est établi que la mise en contact du mélange explosif avec des produits qui auraient été stockés dans des conditions régulières, et dont la réactivité aurait été ainsi très inférieure, n’aurait pas eu les mêmes conséquences ; que, dans ces conditions, la carence de l’État dans la surveillance de cette installation classée doit être regardée comme ayant fait perdre à M. B…une chance sérieuse d’échapper au risque d’explosion tel qu’il s’est réalisé et d’éviter tout ou partie des dommages qu’il a personnellement subis du fait de cette explosion » (affaire n°10BX02880).   Ainsi, au sens du juge administratif le seul lien de causalité établi est celui entre la faute de l’Etat et la perte de chance pour les requérants d’échapper au risque d’explosion de l’usine et d’éviter les dommages en découlant.   On comprend alors que les requérants ne pourront se voir indemniser non le préjudice « final » qu’ils ont subi (maison dévastée, angoisse d’avoir perdu un proche) mais seulement le préjudice « initial » que constitue la perte de chance d’échapper au risque d’explosion et d’éviter les dommages en découlant.   Ce préjudice « initial » correspond à une fraction du « préjudice final » qui est déterminée par le juge administratif en fonction du degré de certitude de la perte de chance. Et ici l’appréciation souveraine de la chance perdue conduit à imputer d’emblé  de moitié l’indemnité sollicitée.     C’est pourquoi, le juge administratif décide dans les deux affaires « qu’eu égard à l’importante probabilité de survenance d’une explosion du seul fait du croisement de produits hautement incompatibles entre eux, il y a lieu d’évaluer l’ampleur de cette perte de chance à 25 % et de mettre à la charge de l’Etat la réparation de cette fraction des dommages qu’a subis le requérant et qui sont restés non indemnisés ».     Le juge évaluant les préjudices « finaux » à 5000 euros pour la première affaire, et à 10 000 euros pour la seconde, il accorde en indemnisation du préjudice « initial », seul préjudice indemnisable, les sommes de 1250 et 2500 euros aux requérants.   Cette  reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans l’explosion de l’usine AZF à Toulouse par la juridiction administrative sera sans doute tenue pour  symbolique. Mais il n’est pas totalement déraisonnable de penser que les requérants recherchaient d’abord ici la reconnaissance de principe de la responsabilité de l’Etat pour ses carences fautives dans le contrôle des installations classées en cause. Il ne faut jamais perdre de vue les fonctions multiples de la responsabilité administrative (D. Lochak, « réflexions sur les fonctions sociales de la responsabilité administrative, In Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, p. 275) ;  ce serait finalement l’insupportable impunité pénale de l’Etat personne morale qui  se trouve palliée par le pis allé d’une responsabilité administrative déclaratoire et « sanctionnatrice ».     Carences fautives Concernant la reconnaissance des carences fautives des services de l’Etat et tout particulièrement de celles du service de l’inspection des installations classées, le cheminement du juge bordelais est limpide et peut difficilement souffrir de contestation.   Celui-ci relève tout d’abord « qu’il ressort de l’arrêt précité de la cour d’appel de Toulouse du 24 septembre 2012, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée quant aux faits constatés par le juge pénal (…) que l’explosion qui s’est produite le 21 septembre 2001, initiée dans le bâtiment 221 de l’usine AZF, a pour origine la réaction chimique accidentelle née du mélange de nitrates d’ammonium et de produits chlorés dans un environnement et des conditions d’entreposage qui ont favorisé cette réaction ».   Remarquant que « la procédure pénale a mis en évidence le non-respect des prescriptions réglementaires quant aux modes de stockage des nitrates d’ammonium déclassés », le juge administratif considère que « l’existence même de ces modes irréguliers de stockage de produits dangereux dans le bâtiment 221, pour des quantités importantes et sur une longue durée (…) révèle une carence des services de l’Etat dans son contrôle de cette installation classée ».   Au surplus, il s’avère que l’étude de danger relative aux ammonitrates et autres engrais réalisée par la société était « ancienne et partielle ». C’est pourquoi, un arrêté du…