Nucléaire : une installation nucléaire de base (INB) peut fonctionner jusqu’à l’intervention d’un décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°373516, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Dans une décision du 22 février 2016, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à la demande de nos voisins helvètes, sur plusieurs actes administratifs concernant la centrale électronucléaire de Bugey exploitée par Electricité de France (EDF). Les requêtes, jointes par le Conseil d’Etat, tendaient à demander l’annulation de plusieurs décisions de l’autorité administratives et, plus précisément, à demander : l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendu lors d’un réexamen de la sûreté du site électronucléaire de Bugey ; l’annulation des prescriptions techniques nouvelles prises à l’issue du troisième réexamen de sûreté de la centrale ; l’annulation des décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale nucléaire pour dix ans résultant de l’éduction de ces prescriptions techniques nouvelles. Après avoir déclaré irrecevables les conclusions portant sur les décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale pour dix ans (I), à l’instar de celles sur l’avis de l’ASN (II), le Conseil d’Etat a refusé d’annuler les prescriptions techniques nouvelles imposées à la centrale (III). L’absence de décision de poursuite de l’exploitation pour dix ans La République et Canton de Genève soutenait que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’ASN, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a commencé par exposer les dispositions applicables aux INB. Il a notamment a rappelé que la création d’une INB était soumise à autorisation (article L. 593-7 du code de l’environnement). Il a également précisé qu’un réexamen par l’exploitant de la sûreté de son installation était prévu tous les dix ans (article L. 593-18 du code de l’environnement). Le Conseil d’Etat a ensuite présenté la procédure suivie à l’issue de ce réexamen de sûreté : l’exploitant adresse à l’ASN et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport rendant compte de cet examen de sûreté ainsi que les dispositions envisagées pour remédier aux anomalies constatées ou améliorer la sûreté de l’installation. L’ASN, au vu de ce rapport, peut imposer de nouvelles prescriptions techniques et communique au ministre chargé de la sûreté son analyse du rapport (article L. 593-19 du code de l’environnement). La Haute juridiction était donc invitée à se prononcer sur la durée de vie des autorisations d’exploiter une INB et sur l’éventuel renouvellement de cette durée de vie à chaque contrôle périodique de sûreté. Au regard des textes précités, le Conseil d’Etat a estimé « qu’aussi longtemps qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, après la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 593-25 du code de l’environnement, une installation nucléaire de base est autorisée à fonctionner, dans des conditions de sûreté auxquelles il appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire de veiller en vertu de l’article L. 592-1 du même code ». Il en a déduit que « par suite, la République et Canton de Genève n’est pas fondée à soutenir que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’Autorité de sûreté nucléaire, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituerait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires ; qu’ainsi, les conclusions de la requête tendant à l’annulation des décisions ” implicites ou révélées ” de l’Autorité de sûreté nucléaire et du ministre chargé de la sûreté nucléaire autorisant de nouveau, pour dix ans, l’exploitation de la centrale nucléaire du Bugey sont irrecevables ; ». Le Conseil d’Etat considère donc qu’il n’existe pas de durée de vie des INB et que celles-ci peuvent fonctionner tant qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, dans des conditions de sûreté auxquelles l’ASN doit veiller. Plus encore, il précise que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques à la suite d’un réexamen de sûreté de l’installation ne constitue pas une décision autorisant l’exploitation de la centrale pour dix nouvelles années. Il écarte donc comme irrecevable les conclusions tendant à l’annulation de décisions autorisant l’exploitation de la centrale pour dix ans.   L’avis de l’ASN, un acte non susceptible de recours   La République et Canton demandait également l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire rendu après le troisième réexamen de sûreté du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 593-19 du code de l’environnement dans sa version alors en vigueur : « L’exploitant adresse à l’Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l’examen prévu à l’article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu’il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la sûreté de son installation. / Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport. (…) »   Le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le statut des analyses de l’ASN.   Le Conseil d’Etat a considéré que « l’analyse par l’Autorité de sûreté nucléaire du rapport de réexamen de sûreté adressée au ministre chargé de la sûreté nucléaire constitue un simple avis qui ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief ; qu’ainsi, les conclusions tendant à l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 10 juillet 2012 sur la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey après son troisième réexamen de sûreté ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ; ».   Le Conseil d’Etat estime donc que l’avis de l’ASN ne constitue qu’un simple avis ne faisant pas grief et qu’il est, dès lors, insusceptible de recours.   On peut toutefois se demander si cette position du Conseil d’Etat sera maintenue eu égard à la nouvelle rédaction de l’article L. 593-19 du code de l’environnement. La nouvelle rédaction de cet article précise que « Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre…

Haro sur l’intérêt à agir « urbanistique » ! (CE, 10 février 2016, n°387507)

Par Sébastien BECUE Green Law Avocats Un intéressant arrêt du Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à l’intérêt à agir en matière d’urbanisme depuis la dernière réforme en la matière (CE 10 février 2016 Contexte de nouvelles exigences en matière d’intérêt à agir en urbanisme Classiquement, le juge administratif considérait que l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire repose sur la démonstration par le requérant de sa qualité de voisin de la construction projetée. Par une ordonnance en date du 18 juillet 2013, au nom du principe de sécurité juridique et afin de relancer le secteur de la construction, le gouvernement a choisi de restreindre les facultés de remise en cause des constructions autorisées par l’adoption d’un nouvel article L. 600-1-2 au sein du code de l’urbanisme. Désormais, le requérant ne doit plus simplement être voisin de la construction, il doit être un « voisin affecté » par la construction, c’est-à-dire que la construction dont il entend contester le permis doit être de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son propre bien. Restait à savoir comment le juge administratif allait appréhender cette irruption gouvernementale dans son domaine. Par une récente décision (CE, 10 juin 2015, n°386121, que nous commentions ici), le Conseil d’Etat décidait de donner une pleine portée à la nouvelle disposition en exigeant du requérant qu’il prouve l’atteinte directe à ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance. Selon les termes des juges, le requérant doit désormais faire « état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que [l’atteinte dont il se prévaut] est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le Conseil prenait tout de même soin de préciser que le juge devait toutefois se garder « pour autant [d’] exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ». Cette limitation, bienvenue parce qu’expresse, à l’exigence probatoire était néanmoins logique : la construction autorisée n’étant pas encore réalisée, les nuisances qui en résulteront ne peuvent pas, par essence, être établies avec certitude et il s’agissait d’une construction non précédée d’une étude d’impact qui aurait permis au requérant d’y puiser des preuves.   Mais on doit encore s’interroger sur le curseur à appliquer dans l’exigence probatoire : c’est-à-dire, d’un point de vue pratique, de quel niveau de précision doivent disposer les preuves ?         Illustration de la nouvelle exigence probatoire La décision ici commentée ne répond que partiellement à cette question (CE, 10 février 2016, n°387507).   La construction projetée en l’espèce est un immeuble collectif de deux étages qui doit être situé sur une parcelle voisine de celle accueillant les maisons dont les requérants sont propriétaires.   Dans leur requête, les requérants produisent des documents qu’ils disent destinés à établir leur qualité de «  propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » : un premier plan cadastral établissant la mitoyenneté des parcelles et un second plan démontrant la co-visibilité du projet.   La seule référence à une éventuelle « atteinte directe » est une mention sur l’un des plans indiquant à un endroit : « façade sud fortement vitrée qui créera des vues ».   Constatant que les requérants n’invoquent pas leur qualité de « voisins affectés », le président du tribunal administratif fait usage des pouvoirs qu’il détient en vertu de l’article  R. 222-1 du code de justice administrative en les invitant à régulariser leur requête.   Les précisions demandées n’ayant pas été fournies, le président du tribunal administratif rejette, sur le fondement du même article, la requête par ordonnance, c’est-à-dire sans audience publique et sans examen du fond de l’affaire, comme étant manifestement irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.   Appelé à statuer en cassation, le Conseil d’Etat commence par rappeler le principe de la décision du 10 juin 2015 susmentionnée, puis la reformule en énonçant que « les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ».   Ensuite, il se livre à une nouvelle appréciation des documents apportés par les requérants pour établir leur intérêt à agir et conclue de la même manière que le tribunal administratif : les requérants ont commis deux erreurs. D’une part, ils n’ont pas invoqué l’atteinte qui leur ouvrirait l’intérêt à agir. D’autre part, ils ne l’ont pas démontrée. Il n’est pas évident de savoir si la position du Conseil aurait été la même si les requérants n’avait commis que l’une de ces erreurs, peut-être   Enfin, il valide le rejet par ordonnance de la requête comme que n’étant contraire à « aucun principe ».   Il est donc confirmé de manière claire que les requérants doivent désormais :   –          invoquer expressément leur qualité de voisin affecté par la future construction ; –          produire des pièces établissant clairement cette atteinte.   Du côté des défendeurs, lorsque les requérants ont manifestement défini leur intérêt à agir de manière insuffisante, il est possible de demander au président du tribunal de rejeter leur requête pour défaut manifeste d’intérêt à agir.   On regrette néanmoins l’incertitude qui persiste quant à la nature des pièces à même de démontrer une telle atteinte. Concrètement, le juge attend-il un avis d’expert après visite du site ? Cela serait fâcheux. Comme dit précédemment, la construction n’étant pas réalisée, les nuisances ne peuvent par essence pas être prouvées avec certitude. Pour autant que le dossier de demande de permis soit succinct, les voisins auront des difficultés à alimenter leur démonstration. Surtout, cela pourrait constituer un obstacle financier important pour les requérants aux moyens limités.   ***   Par ailleurs, sur un autre thème, le Conseil d’Etat confirme dans cette même décision la légalité de l’article R. 811-1-1 du code de la justice administrative (il l’avait déjà fait dans une première décision, au regard d’autres moyens : CE, 23 déc. 2014, n°373469).   Rappelons que cette disposition, créée par un décret n°2013-879…

Permis de construire : la complétude du dossier s’apprécie de manière globale (CE, 23 décembre 2015, n° 393134)

Par un arrêt en date du 23 décembre 2015 (CE, 23 décembre 2015, n°393134, consultable ici), le Conseil d’Etat confirme que la complétude ou régularité formelle d’un dossier de demande de permis de construire doit faire l’objet d’une appréciation globale de la part du juge. Le Tribunal de grande instance de Pontoise avait interrogé le juge administratif sur la légalité d’un permis de construire : les requérants soutenaient que le dossier de demande était entaché d’insuffisance quant à la description de l’insertion paysagère du projet, et que l’autorisation avait par conséquent été adoptée à l’issue d’une procédure irrégulière. Le Conseil d’Etat a profité de cette affaire pour formaliser un principe déjà reconnu par une jurisprudence constante : celui selon lequel une insuffisance ou une lacune du dossier de demande de permis peut être compensée par les autres pièces dudit dossier (CE, 26 janv. 2015, n°362019 ; CAA Bordeaux, 3 janv. 2012, n° 11BX00191 ; CAA Nantes, 25 mars 2011,  n°09NT0282 ; CAA Bordeaux, 9 déc. 2010,  n° 10BX00804 ; CAA Nantes, 13 juill. 2012, n°11NT00590 ; CAA Marseille, 20 déc. 2011,  n° 10MA00789). La Haute Juridiction a ainsi dit pour droit que : « la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ; ».   En l’espèce, au vu des différentes pièces permettant au service instructeur de se représenter l’insertion du projet dans son environnement, le dossier ne pouvait être considéré comme globalement insuffisant : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire déposée par la société A. comportait une note de présentation décrivant la construction envisagée, notamment son gabarit et son implantation au sein de la zone d’aménagement concertée de la P. et montrant sa proximité avec les constructions anciennes situées dans l’impasse de la P.; que le dossier comportait en outre un document intitulé “ volet paysager “, dans lequel figurait une vue aérienne du terrain, une description de l’intégration paysagère du projet, précisant, notamment, que l’immeuble serait bordé par trois rues dont l’impasse de la P. , et des photographies qui permettaient d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement ; que si les requérants soutiennent que les documents figurant au dossier de demande de permis de construire auraient été insuffisants, il ressort des pièces du dossier que l’autorité administrative a été mise en mesure de porter, en connaissance de cause, son appréciation sur l’insertion du projet dans son environnement ; que par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précédemment citées du code de l’urbanisme ; » Il en résulte que seules les insuffisances substantielles peuvent justifier une annulation du permis (voir par exemple pour une absence d’informations sur l’insertion paysagère du projet : CAA Lyon, 12 novembre 2013, n°13LY00048 ; CAA Bordeaux, 26 mars 2013, n°12BX00011 ; CAA Douai, 13 août 2012, n°11DA01185 ; CAA Bordeaux, 27 mai 2010, n°09BX01734 ; ou l’oubli d’une servitude de passage permettant d’accéder au terrain d’assiette du projet : CAA Douai, 27 nov. 2014, n° 13DA01003).   Notons par ailleurs qu’il a déjà été précisé que ce principe s’applique également lorsque l’administration est en mesure de trouver les informations manquantes dans le dossier de demande de permis de démolir (CE, 30 déc. 2011, n° 342398), ou dans le dossier de demande d’autorisation ICPE (CAA Lyon, 28 févr. 2012, n° 11LY00911) déposé pour une même opération que celle faisant l’objet de la demande de permis de construire.  Cela n’est cependant pas le cas lorsque le maire a pu avoir connaissance des éléments manquants à l’occasion de l’instruction d’une précédente demande (CAA Marseille, 26 janv. 2012, n° 10MA01677). En tout état de cause, cette solution illustre encore le pragmatisme qui imprègne le contentieux de l’urbanisme, et plus particulièrement la tendance à la « danthonysation » du contentieux de l’urbanisme et de l’environnement (voir notre analyse ici).

Modification du PLU : le Conseil d’Etat précise les modalités de prise en compte des conclusions défavorables du commissaire enquêteur (CE, 15 décembre 2015, n°374027)

Le Conseil d’Etat vient de préciser les modalités de prise en compte des conclusions défavorables du commissaire enquêteur lors d’une modification de PLU (CE, 15 décembre 2015, n°374027). Rappelons que si à l’issue d’une enquête publique le commissaire enquêteur émet des conclusions défavorables, cela emporte deux conséquences : d’une part, le juge des référés peut être saisi d’une demande de suspension de la décision prise par l’autorité administrative (voir par exemple : CE, 16 avr. 2012, n° 355792 ; CE, 13 juill. 2007, n° 298772 ; CE 30 avr. 1990, Assoc. Lindenkuppel: LPA 20 févr. 1991, n° 22, note Pacteau ; CE, 14 juin 1991, n° 118315 ; CE, 21 déc. 1994, n° 159960) ;   d’autre part, si l’enquête était afférente au projet d’une collectivité territoriale ou d’un EPCI, celui-ci doit faire l’objet d’une nouvelle délibération de l’organe délibérant (C. envir., ancien article L. 123-12 et actuel article L. 123-16 ; voir aussi sur les conséquences de l’absence d’une telle délibération : TA Grenoble, 12 févr. 2013, n° 1101160).   C’est sur cette obligation de délibérer à nouveau que porte la décision commentée (CE, 15 décembre 2015, n°374027, consultable ici). En l’espèce, plusieurs particuliers avaient demandé au juge administratif d’annuler la délibération par laquelle le conseil municipal d’une commune avait approuvé la modification de son PLU classant en zone agricole à vocation paysagère Ap une zone précédemment classée en zone à urbaniser. La Cour administrative d’appel de Lyon avait annulé ladite délibération au motif que le conseil municipal, n’ayant pas réellement discuté des conclusions défavorables du commissaire-enquêteur préalablement au vote, n’avait pas délibéré en toute connaissance de cause sur le projet soumis à son vote (CAA Lyon, 15 octobre 2013, n°13LY01068). Le Conseil d’Etat censure toutefois cette interprétation. Ainsi, la Haute juridiction a considéré que le texte de l’ancien article L. 123-12 n’impose pas que l’examen des conclusions défavorables du commissaire enquêteur fasse l’objet : d’une réunion distincte de celle au cours de laquelle le conseil municipal approuve la modification du plan local d’urbanisme ; ni d’une délibération matériellement distincte de celle qui approuve le projet ; ni d’un débat spécifique de l’organe délibérant. Le conseil municipal doit donc simplement délibérer sur le projet après avoir pris connaissance du sens et du contenu des conclusions du commissaire enquêteur. Aussi, estimant qu’en exigeant la tenue d’un débat préalable au vote de la délibération, la Cour administrative d’appel de Lyon avait ajouté une condition non prévue par la loi, le Conseil d’Etat annule l’arrêt du 15 octobre 2013 : « Considérant que les dispositions de l’article L. 123-12 du code de l’environnement, comme l’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel de Lyon, n’imposent pas que l’examen des conclusions défavorables du commissaire enquêteur fasse l’objet d’une réunion distincte de celle au cours de laquelle le conseil municipal approuve la modification du plan local d’urbanisme ni d’une délibération matériellement distincte de la délibération approuvant le projet ; que, toutefois, elles n’exigent pas non plus que l’organe délibérant débatte spécifiquement des conclusions du commissaire enquêteur, mais lui imposent seulement de délibérer sur le projet, y compris lorsqu’il relève de la compétence de l’exécutif de la collectivité, en ayant eu connaissance du sens et du contenu des conclusions du commissaire enquêteur ; Considérant que la cour a estimé que le conseil municipal, bien qu’informé par le maire des conclusions défavorables du commissaire enquêteur, n’en avait pas débattu préalablement à l’adoption de la délibération approuvant la modification du plan local d’urbanisme de la commune ; qu’en en déduisant que cette délibération avait été prise en méconnaissance de l’article L. 123-12 du code de l’environnement, elle a commis une erreur de droit ; »   Rappelons qu’en toute hypothèse, l’avis défavorable du commissaire enquêteur ne lie pas l’autorité compétente, qui peut tout à fait passer outre (CAA Douai, 1er juin 2011, n° 10DA00193 ; CAA Nancy, 11 févr. 2010,  n° 09NC00474).

Immobilier: le notaire n’est pas responsable en cas de clause claire et explicite d’exclusion de garantie contre les vices cachés

Par Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat   Par un arrêt en date du 3 février 2016 (C.cass, 1ère civ, 3 février 2016 n°15-10.219) la Cour de cassation rappelle que le notaire ne manque pas à ses obligations professionnelles lorsque la clause excluant la garantie des vices cachés insérée dans l’acte est claire, précise et rédigée dans des termes aisément compréhensibles, et ne comportait aucun caractère technique pour un acquéreur non averti. En l’espèce, une vente fût signée concernant un immeuble à usage commercial. L’acte de vente prévoyait une clause d’exclusion de garantie des vices cachés pouvant affecter le sol, le sous-sol ou les bâtiments. Par suite, à l’occasion de travaux réalisés sur les lieux, des vices cachés ont malheureusement été découverts. L’acquéreur s’est alors dans un premier temps tourné vers le vendeur mais a vu son action rejetée. C’est dans ces conditions que l’acquéreur s’est décidé à se retourner contre le notaire en responsabilité et indemnisation. Rappelons que l’article 1641 du code civil dispose que le vendeur «est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». Il découle de cet article 1641 du code civil que la garantie contre les vices cachés ne s’applique donc : – Qu’en présence d’un vice ; – D’un vice qui était caché lors de la vente ; – Et à condition qu’il soit invoqué dans le délai prévu à cet effet. Le vice s’apprécie par rapport à la destination normale de la chose. La formule jurisprudentielle habituelle au visa de l’article 1641 du code civil est celle d’un « défaut ou vice rendant la chose impropre à sa destination normale » (Cass. 3ème Civ., 14 fév. 1996 : Bull. Civ. 3, n° 47 ; Paris, 16 sept. 1997, TA 97, p. 1390). Les parties peuvent décider contractuellement d’écarter cette garantie : on parle alors de clause d’exclusion de garantie de vices cachés. Le notaire rédacteur de l’acte peut voir sa responsabilité engagée si une faute est commise. En l’espèce, dans le cadre du litige qui lui était soumis, la Cour de cassation confirme l’appréciation portée par la Cour d’appel qui avait rejeté les demandes de l’acquéreur aux motifs : « Attendu que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la clause excluant la garantie des vices cachés pouvant affecter le sol, le sous-sol ou les bâtiments insérée dans l’acte de vente est particulièrement claire et précise et rédigée dans des termes aisément compréhensibles, ne comportant aucun caractère technique pour un acquéreur non averti et lui permettant, ainsi, de prendre conscience de la portée de son engagement lorsqu’il a acquiescé aux différentes conditions en paraphant chacune des pages de l’acte, et que cette clause a été validée par l’arrêt du 3 septembre 2009, en raison de la bonne foi de la venderesse non professionnelle ; que l’arrêt ajoute que la lecture de l’acte a été faite par le notaire aux parties et que les termes non ambigus de cette clause ne portaient pas à explication spécifique de sa part, chacune des parties étant en mesure de comprendre son sens et sa portée ; que, de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que le notaire n’avait pas manqué à ses obligations professionnelles ; que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus ». Cet arrêt est intéressant puisqu’il rappelle l’étendue de l’obligation de conseil que doit le notaire envers ses clients mais aussi les limites que cette obligation. Il est utile de rappeler que ce devoir de conseil revêt un caractère impératif: le devoir de conseil est un devoir professionnel obligatoire auquel le notaire ne peut se soustraire sous aucun prétexte et quelle que soit la nature de son intervention (C.cass, 3ème civ. 18 octobre 2005, juris-data n°2005-030336). Plus encore, l’obligation de conseil du notaire porte donc tant sur la validité de l’acte que sur les risques juridiques et économiques encourus. Si la clause est rédigée dans des termes clairs, que l’une et l’autre des parties est à même de comprendre, il n’est pas requis de la part du notaire qu’il explicite davantage la portée de cette disposition et aucune faute ne pourra lui être reprochée. De l’importance donc de bien veiller à la rédaction et la lecture des actes de vente qui peuvent prévoir des régimes exonératoires ou des clauses limitatives, notamment sur les questions d’absence de raccordements et qui se rencontrent fréquemment en matière immobilière (la jurisprudence en la matière est foisonnante : voir en ce sens: Cass. 3e civ., 19 oct. 1971 : Bull. civ. 1971, III, n° 498 ; D. 1972, jurispr. p. 77 ; CA Paris, 8 déc. 1989 : D. 1990).