Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Les juges du Palais Royal ont eu l’occasion de se prononcer sur la légalité du décret n°2017-32 d’application de l’article L.132-15-1 du code minier, au regard du principe de participation du public en matière environnementale (CE 22 octobre 2018, Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction n°408943).
La question de la portée du principe n’est pas nouvelle et son invocation a souvent cet effet paradoxal : il sert moins la cause environnementale qu’à fonder un moyen développé contre les dispositions réglementaires participant de l’écologie (punitive selon certains).
L’article précité du code en minier prévoit pour sa part l’instauration d’une redevance, pour les gisements en mer situés sur le plateau continental ou dans la Zone Economique Exclusive, imposée aux titulaires de concession d’exploitation de mines non-énergique. Le décret d’application litigieux établit quant à lui les différentes modalités de calcul de cette redevance, en tenant compte notamment de l’impact environnemental de l’exploitation ainsi que le risque de celle-ci sur l’environnement.
Et c’est finalement assez classiquement que l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction dans cette affaire se fonde sur le non-respect du principe de participation du public en matière environnementale, prévu à l’article L.123-19-1 du code de l’environnement et l’article 7 de la Charte de l’environnement, pour tenter d’obtenir la censure d’un dispositif, qui pour s’inscrire dans le principe pollueur-payeur, n’en semblait pas moins insupportable à ce requérant.
Lorsqu’une décision des pouvoirs publics est susceptible d’avoir, au sens de l’article L.123-19-1 I §3 du code de l’environnement une incidence significative et directe sur l’environnement, une participation du public doit être organisée.
Deux questions étaient dans ce cadre posées au Conseil d’Etat. D’une part et l’interrogation s’avère somme toute très classique : dans quelle mesure une redevance peut-elle avoir une incidence directe significative sur l’environnement ? (1) D’autre part, la question subséquente et plus intéressante en ce qu’elle montre sans doute que les invocations contre nature du principe de participation ont leur limite : celle de savoir dans quelle mesure les modifications du texte soumis à consultation ont pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public et d’entacher d’illégalité l’adoption du texte ainsi modifié (2).
- Dans notre affaire, le décret litigieux avait déjà fait l’objet d’une consultation du public entre le 27 octobre et le 17 novembre 2016.
En effet, aux termes aux termes de l’alinéa 1er de l’article L123-19-1 « Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration ».
Or l’on sait qu’aux termes de l’alinéa 3 du I du même article dispose : « Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l’environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ».
Cette disposition est venue tirer les conséquences qu’a fait la jurisprudence du conseil constitutionnel du champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement instituant le principe de participation (Cons. Const. 26 avril 2013 Association Ensemble pour la planète, QPC n°2013-308 ; Cons. Const. 24 mai 2013 Syndicat français de l’industrie cimentière et autre, QPC n°2013-317)
En l’espèce, selon le Conseil d’Etat « Eu égard à l’intensité de l’incitation ainsi mise en place pour atteindre l’objectif de protection des milieux marins, ces dispositions doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l’environnement ». Sans surprise les deux critères, à savoir l’incidence directe et significative, sont donc réunis dans le cadre d’une redevance participant du principe pollueur payeur (cf. en ce sens : CE, 23 novembre 2015, Société Altus Energy et autres, n°381249)
Dans notre cas le Conseil d’Etat relève en particulier : « Le décret attaqué fixe le montant de la redevance, instituée par l’article L. 132-15-1 du code minier, sur l’exploitation de substances non énergétiques sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive en y incorporant les coefficients de modulation prévus par cette disposition législative afin notamment d’inciter les opérateurs à adopter des pratiques limitant l’impact de l’activité extractive sur l’environnement. Il ressort des pièces du dossier que la modulation résultant notamment du coefficient relatif à l’impact environnemental des techniques employées peut aller jusqu’à augmenter la redevance de 50 %, celle-ci étant d’un montant pouvant atteindre une proportion de l’ordre de 3 % de la valeur des substances minérales extraites, s’agissant des granulats marins ».
Remarquons que le Conseil a dans un cas au moins considérer que l’incidence d’un projet réglementaire sur l’environnement n’était pas suffisamment directe pour juger que la consultation du public n’était pas requise : à propos de l’arrêté du 25 avril 2014 du ministre de l’écologie, dont le seul objet était de supprimer, pour les producteurs d’électricité photovoltaïque dont l’installation est raccordée au réseau public de transport, l’obligation d’avoir achevé leur installation dans un délai de dix-huit mois lorsque la mise en service de celle-ci est retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement et leur permettant de différer la mise en service de l’installation au plus de deux mois à compter de la fin des travaux de raccordement (CE, 23 novembre 2015, n°381249, précité)
- Néanmoins, postérieurement à la procédure de consultation du public, le décret a fait l’objet de plusieurs modifications concernant le calcul de la redevance. Le Conseil est donc invité à se pencher sur l’obligation ou non de procéder à une nouvelle participation du public, qui doit être mise en place uniquement lorsque la modification a pour effet de dénaturer le projet de texte.
Le Conseil d’Etat avait déjà été confronté à cette problématique à plusieurs reprises. Notamment à l’occasion de son contrôle sur le décret du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes (CE, 4 décembre 2013, n° 357839 358128 358234, Cons. 8). Mais également dans un arrêt du 17 juin 2015 (CE, 17 juin 2015, n°375853, Cons. 7 à 9 ) où la Haute juridiction avait considéré que la « rectification d’une erreur matérielle » ne constituait pas une dénaturation du projet sur lequel le public s’était prononcé et qu’il n’était donc pas nécessaire d’organiser une nouvelle participation du public.
Dans notre espèce, les modifications apportées au décret n’ont pas eu pour effet de modifier l’objet même de la redevance mais précisent simplement certaines modalités de calcul prévues dans le code minier. Et pour cause Conseil relève que ces modifications « eu égard à leur nature et à leur portée » n’entrainent pas la dénaturation du projet, ceci sur la base d’une motivation particulièrement nourrie et d’un contrôle approfondi :
« Il ressort des pièces du dossier que le projet de décret litigieux a fait l’objet d’une consultation du public entre le 27 octobre et le 17 novembre 2016. A l’issue de cette consultation, les auteurs du décret ont modifié le mode de calcul de la redevance en y introduisant un coefficient de majoration tenant compte de l’impact environnemental et du risque pour l’environnement liés à l’exploitation du gisement, dont la valeur, fixée par l’article 5 du décret, conduit à une majoration pouvant aller jusqu’à 25 % selon la technique de dragage utilisée s’agissant de l’extraction de granulats marins et jusqu’à 50 % selon la profondeur du point de rejet s’agissant de l’extraction des substances de mines. Un coefficient de pondération tenant compte du coût supérieur des travaux en profondeur a par ailleurs été introduit à l’article 7 du décret. Le plafonnement des réductions de redevance accordées pour tenir compte du montant des dépenses consenties pendant la période d’exploration a été supprimé. Enfin, le décret prévoit que la redevance est calculée pour chaque polygone de concession pris séparément. Il ressort des pièces du dossier que les modifications ainsi apportées, qui n’ont pas affecté l’objet de la redevance, précisent certaines des modalités de calcul prévues par l’article L. 132-15-1 du code minier. Par ailleurs, le ministre chargé de l’économie indique, sans être contesté sur ce point, que les modifications introduites dans le projet après la consultation du public conduisent, pour les trois opérateurs disposant de concessions entrant dans le champ d’application du décret attaqué à la date de sa publication, à des évolutions de la redevance à la hausse ou à la baisse comprises, selon les techniques employées, entre – 15 % et + 12 % par rapport au montant résultant de la version du décret soumise à la consultation. Par suite, eu égard à leur nature et à leur portée, les modifications apportées au projet après la consultation du public ne peuvent être regardées comme ayant pour effet de dénaturer le projet sur lequel avaient été initialement recueillies les observations du public. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement doit être écarté ».
On comprend à la lecture de cette motivation que le de la disposition réglementaire modifiée n’a pas trahi le parti pris environnemental de sa version originale, largement inspirée par le principe pollueur-payeur.
Par conséquent, le décret litigieux ne porte pas atteinte au principe de participation du public et la requête est donc rejetée.