Procédure disciplinaire : le cadre juridique d’ensemble du droit de se taire

Procédure disciplinaire : le cadre juridique d’ensemble du droit de se taire

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Les amateurs de séries télévisées connaissent bien l’obligation d’informer la personne suspectée qu’elle dispose du droit de se taire : dès avant la Première Guerre mondiale, cette obligation existait dans les garanties de la procédure criminelle accusatoire mises en œuvre par les juges anglais.

Quant à la Cour suprême des États-Unis, elle l’a consacrée le 13 juin 1966 par un arrêt Miranda contre Arizona :

« Avant tout interrogatoire, la personne doit être avertie qu’elle a le droit de garder le silence, que toute déclaration qu’elle fait peut être utilisée comme élément de preuve contre elle et qu’elle a le droit à la présence d’un avocat, qu’il soit engagé ou désigné ».

Monsieur Serre, vétérinaire dans le Cher, a été poursuivi devant la juridiction disciplinaire par le conseil régional de l’Ordre. Précisément, le Président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires a porté plainte contre lui devant la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires.

Au cours de la procédure, Monsieur Serre a été entendu par le rapporteur désigné pour instruire l’affaire, mais il n’a pas été préalablement informé de son droit de se taire et a reconnu la matérialité des faits correspondant aux manquements reprochés.

Le 10 janvier 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à Monsieur Serre la sanction de la suspension du droit d’exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans. Monsieur Serre a interjeté appel contre cette décision devant la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires.

Le 20 novembre 2020, le Président de cette chambre a, par une ordonnance, rejeté l’appel formé par Monsieur Serre.

Le 22 juillet 2022, le Conseil d’État a annulé cette ordonnance et a renvoyé l’affaire devant la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires.

Le 8 novembre 2023, la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a annulé la décision du 10 janvier 2020 de la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire et a infligé à Monsieur Serre la même sanction qu’en première instance.

Le 16 janvier 2024, Monsieur Serre a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cette décision et le règlement de l’affaire au fond.

D’après le requérant, son droit de se taire n’a pas été respecté, dans la mesure où il n’a pas été informé de ce droit lors de son audition.

La sanction infligée à Monsieur Serre est-elle légale ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative : il a considéré que, en se fondant sur des déclarations de Monsieur Serre obtenues sans qu’il ait été informé de son droit de se taire, la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a commis une erreur de droit (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490952).

L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que :

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

D’abord, le juge administratif apporte des précisions à l’article 9 de la DDHC :

« Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490952, point 2 ).

Ensuite, le Conseil d’État pose le cadre juridique du droit de se taire :

« Ces exigences impliquent qu’une personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’elle soit préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu’elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif. À ce titre, elle doit être avisée qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information » (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490952, point 3).

Enfin, la Haute Juridiction tire les conséquences de cette obligation d’information :

« Il s’ensuit, d’une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l’audience sans avoir été au préalable informée du droit qu’elle a de se taire, sauf s’il est établi qu’elle n’y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D’autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l’instruction si elle n’avait pas été préalablement avisée du droit qu’elle avait de se taire à cette occasion » (décision commentée : CE, 19 décembre 2024, n° 490952, point 4).

Le droit de se taire gagne ainsi en force et en efficacité, puisque la sanction a été annulée par le Conseil d’État.

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