Par
Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)
Face à des recours associatifs de plus en plus nombreux en matière d’environnement, le Conseil d’Etat a rappelé que les recours des associations étaient admis mais sous certaines conditions (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sect. réunies, 30 mars 2015, n°375144, mentionné dans les tables du recueil Lebon).
Les faits de l’espèce ayant justifié ce rappel méritent d’être rappelés.
En 2008, le préfet de la Haute-Marne a pris deux arrêtés pour fixer, d’une part, la liste des animaux classés nuisibles dans ce département au titre de la saison 2008-2009 et, d’autre part, les conditions de leur destruction.
En 2009, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé pour excès de pouvoir ces arrêtés en tant qu’ils concernent la corneille noire, la martre, le putois, la pie bavarde, l’étourneau sansonnet, le pigeon ramier et le corbeau freux.
Par un jugement du 27 septembre 2012 contre lequel l’association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices causés par l’exécution de ces arrêtés. Notons qu’aux termes de son jugement, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait aussi admis l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne. Précisons que c’est la Cour administrative d’appel, initialement saisie en appel, qui a transmis l’affaire au Conseil d’Etat s’agissant d’un jugement litigieux rendu sur une action indemnitaire, dont le montant global demandé était inférieur à 10 000 euros (CAA Nancy, 19.12.2013, n° 12NC01899, Inédit au recueil Lebon).
En cassation, le Conseil d’Etat censure, tout d’abord, l’admission par les juges du fond de l’intervention en défense de la fédération de chasseurs. La fédération faisait valoir que le but poursuivi par l’ASPAS dans le cadre de sa demande tendant à la réparation du préjudice causé par la destruction d’espèces classées nuisibles était contraire à son intérêt statutaire. Le tribunal administratif avait suivi cette interprétation.
Le Conseil d’Etat considère, au contraire, « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’issue du contentieux indemnitaire opposant l’association et l’Etat léserait de façon suffisamment directe les intérêts de la fédération au vu de son objet social ». Il en déduit alors que le « tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a donné aux faits ainsi énoncés une inexacte qualification juridique ».
Néanmoins, il précise « qu’eu égard à la portée de l’argumentation de la fédération intervenante en défense, cette erreur de qualification juridique a été sans incidence sur l’issue du litige ; qu’il résulte de ce qui précède que l’inexacte qualification juridique en cause n’est de nature à entraîner l’annulation que de l’article 1er du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a admis l’intervention de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne, ainsi que la non admission de cette intervention en défense ».
Cette position du Conseil d’Etat nous apprend plusieurs choses :
– L’intervention d’une association dans un contentieux indemnitaire n’est recevable que si l’issue du contentieux lèse de façon suffisamment directe les intérêts de l’intervenant au vu de son objet social.
– Le Conseil d’Etat exerce un contrôle de qualification juridique sur l’intérêt à intervenir devant les juges du fond.
– Quand bien même une intervention aurait à tort été admise devant les juges du fond, cette erreur de qualification juridique n’entraînera pas automatiquement l’annulation de l’entier jugement. Tout dépendra de la portée de l’argumentation de l’intervention. Elle pourra seulement entraîner l’annulation de l’article du jugement ayant admis cette intervention.
Après avoir refusé d’admettre l’intervention en défense de la Fédération interdépartementale des chasseurs de la Haute-Marne devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens du pourvoi.
Il écarte rapidement un moyen tiré d’une prétendue dénaturation des écritures de la requérante.
Puis, il examine la réalité du préjudice moral invoqué par l’association.
Pour ce faire, il rappelle les dispositions de l’article L. 142-1 du code de l’environnement et l’objet statutaire de l’association de protection de l’environnement. Ainsi, « aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : » Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément » ; qu’aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’ASPAS, association agréée pour la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, a pour objet » d’agir pour la protection de la faune, de la flore, la réhabilitation des animaux sauvages et la conservation du patrimoine naturel en général » ».
Le Conseil d’Etat précise alors « que ces dispositions ne dispensent pas l’association qui sollicite la réparation d’un préjudice, notamment moral, causé par les conséquences dommageables d’une illégalité fautive, de démontrer l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute commise par l’Etat ».
En l’espèce, il considère qu’ « en jugeant que l’association n’établissait pas, par la circonstance qu’un certain nombre de martres, putois, corneilles noires et corbeaux freux, pies bavardes, étourneaux sansonnets et pigeons ramiers auraient été détruits sur le fondement de l’arrêté préfectoral annulé, l’existence d’un préjudice moral résultant de l’atteinte portée aux intérêts qu’elle s’est donnée pour mission de défendre, le tribunal administratif n’a pas, en l’absence de démonstration du caractère personnel d’un tel préjudice, commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ».
Enfin, il considère que le motif par lequel le tribunal administratif s’est prononcé sur l’absence de lien de causalité entre le préjudice moral allégué et l’illégalité fautive était surabondant dans la mesure où le tribunal avait constaté l’absence de préjudice moral. Par suite, les moyens dirigés contre ce motif ont été jugés inopérants.
Cette décision présente donc un double intérêt. D’une part, elle permet de préciser le régime d’une intervention en défense.
D’autre part, elle permet de rappeler que l’article L. 142-1 du code de l’environnement ne dispense pas une association de protection de l’environnement de démontrer l’existence d’un préjudice direct, personnel et certain lorsqu’elle introduit une demande indemnitaire fondée sur une illégalité fautive de l’Etat.
On sent que le Conseil d’Etat a souhaité, par cette décision, rappeler que les associations et les fédérations pouvaient agir en justice mais dans un certain cadre : ainsi, limitées par leur objet statutaire, elles peuvent avoir un accès à la justice privilégié mais doivent tout de même démontrer le bien-fondé de leurs demandes.
Il n’est toutefois pas certain que cette mise au point du Conseil d’Etat évitera à l’avenir les recours abusifs de certaines associations…